Peut-on réduire la pauvreté ?

une_pauvretéPourquoi est-il légitime d’envisager des politiques de réduction de la pauvreté ? Cette question ne se pose plus aujourd’hui. Cependant, de sa réponse dépend l’efficacité des politiques publiques de réduction de la pauvreté. C’est à cet exercice que s’est livré le Professeur Martin Ravallion dans un article intitulé « The idea of antipoverty policy » et présenté à la dernière conférence de l’Université des Nations Unies à Helsinki (UNU-WIDER).

Pour commencer, il a fait remarquer le grand revirement dans la conception de la pauvreté qui s’est opéré il y a environ deux siècles en Europe ; d’abord en tant que bien social puis en tant que mal social. Alors que Philippe Hecquet en 1740 considérait la pauvreté comme un intrant nécessaire au bien être de la société au même titre que le rôle l’ombre sur un tableau, Alfred Marshall s’interrogeait un siècle plus tard sur la contribution positive de la pauvreté au bien-être de la société.[1] Aujourd’hui, la Banque Mondiale évoque son rêve de voir un monde sans pauvres.[2]

La trappe à la pauvreté

Une fois qu’on s’aperçoit de ce grand revirement, la question qui se pose est de comprendre les motivations qui ont été à son origine. L’auteur propose un petit modèle d’évolution des richesses pour traduire ces motivations. Les conclusions de cette analyse sont illustrées sur le graphique ci-dessous.

graph_pauvretéCe graphique présente l’évolution de la richesse actuelle d’un individu (sur l’axe vertical) en fonction sa richesse à une date précédente (sur l’axe horizontal). Les points A, B et C garantissent le même niveau de richesse aujourd’hui qu’hier. Cependant, seuls les points A et C sont stables. Autrement dit, les personnes qui disposent des niveaux de richesse matérialisés par les points A et C sont en mesure de maintenir leur position économique de façon durable. Ceux qui se trouvent en B ne peuvent y être maintenus que par l’apport permanent d’un revenu couvrant leur besoin minimum de capital kmin. C’est une fois qu’ils disposent d’un capital supérieur à ce montant qu’ils sont en mesure de produire et d’augmenter leur richesse. Toutefois, tant qu’ils partent d’un niveau initial de capital inférieur à k*/(λ+1), leur gain supplémentaire à produire est toujours supérieur à ce qu’ils gagneraient s’ils épargnaient leur capital.[3] Ainsi, la force dynamique entretenue par la consommation les ramène toujours au point A où ils ne disposent plus de capital. Il en résulte donc que les personnes ayant une richesse initiale inférieure à k*/(λ+1) reste dans une « trappe à la pauvreté ». Il s’agit d’un cercle vicieux entretenu par le manque d’accès au marché financier qui, en les maintenant dans la pauvreté, les rend de moins en moins productifs.

Des politiques de Protection ou de Promotion ?

Dès lors, ce graphique illustre le fait qu’il existe deux façons de réduire la pauvreté : soit par des politiques de protection ou par des politiques dites de promotion. Les politiques de protection vont s’assurer que l’individu ait un minimum de revenu pour satisfaire ses besoins de base. Cela revient à transférer de façon permanente à une personne pauvre un montant correspondant au minimum à partir duquel elle devient productive (kmin sur le graphique).[4] Au contraire, les politiques de promotion visent à transférer en une seule fois ou durant une période transitoire un capital pour inciter l’individu à sortir définitivement de la pauvreté. Par rapport au graphique ci-dessus, cela consiste à transférer le montant k*/(λ+1) aux personnes pauvres pour s’assurer qu’ils deviennent suffisamment productives pour s’auto-entretenir et passer au point C du graphique.

En termes de décision politique, la principale différence qu’il y a entre ces deux types de politiques de réduction de la pauvreté réside dans le rapport entre les transferts minimum kmin et k*/(λ+1) qu’il faut faire à chaque personnes pauvres. Ce rapport peut être très important et varier d’une personne pauvre à une autre ; ne serait-ce qu’à cause des différences de capacité cognitive qui existe naturellement entre les personnes. Selon le Professeur Ravallion, ce rapport peut expliquer le fait que certains penseurs comme Bernard de Mandeville en 1732 soutenaient que la pauvreté était nécessaire à la balance commerciale d’un pays. Puisque plus de travailleurs pauvres garantissait une compétitivité à l’exportation, source d’entrée d’or (devises) pour les nations.

L’émergence des politiques de promotion de pauvreté

Dans le contexte mercantiliste où les pauvres étaient vus comme des inputs nécessaires à la production nationale, seuls les politiques de protection étaient mises en place. Elles permettaient de garantir la productivité minimale du travailleur pauvre. Cependant, dès le début du 19ème siècle, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer des politiques d’éradication de la pauvreté. Cela fait suite à l’émergence des statistiques qui mettent à l’ordre du jour l’ampleur de la pauvreté dans certaines capitales. C’est le cas des travaux de Booth et Rowntree à la fin du 19ème siècle qui ont révélés l’existence de près d’un million de travailleurs pauvres à Londres. Il était donc devenu évident que la mise en place de politiques de promotion et non seulement de protection était nécessaire pour endiguer l’expansion de la pauvreté.

Aujourd’hui, de plus en plus de gouvernements mettent en place de politiques de promotion en plus des politiques de protection sociale. C’est le cas des programmes de scolarisation obligatoire, d’éradication du travail des enfants, et des transferts d’argent conditionnels vers les ménages. Ces politiques sont toutefois difficiles à mettre en œuvre car elles émergent dans un contexte particulier caractérisé par un niveau modéré de pauvreté, une croissance économique forte et une forte capacité de redistribution de l’Etat. Aujourd’hui la question qui se pose est de savoir si des Etats africains se trouvent déjà dans ce contexte et évaluer l’efficacité les politiques de réduction de la pauvreté à la lumière de leur capacité à protéger les pauvres et à promouvoir leur sortie définitive de la pauvreté.

 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] Les citations originales sont les suivantes telles que rapportées dans l’article de Ravallion:

“The poor … are like the shadows in a painting: they provide the necessary contrast.” (Philippe Hecquet, 1740).

“May we not outgrow the belief that poverty is necessary?” (Alfred Marshall, 1890).

 

 

 

[2] Se référer au slogan de la Banque Mondiale depuis 1990: “Our dream is a world free of poverty.”

 

 

 

[3] On suppose ici que le marché financier n’est suffisamment parfait pour permettre aux individus plus efficaces d’emprunter pour financer des projets rentables. Autrement dit, ils sont contraints par le crédit « credit constrained ».

 

 

 

[4] Cela peut être aussi un programme de protection sociale destiné à fournir une assistance financière à la consommation en cas de chocs sur le revenu.

 

 

 

 

 

 

La pauvreté baisse-t-elle en Afrique ?

Pour les premiers, les taux de pauvreté et d’inégalité ont baissé en Afrique depuis les années 90. Cette baisse n’est pas due aux efforts d’un seul grand pays (large distribution géographique de ce recul) . Le retour de la croissance économique sur la période en est le facteur principal.

Pour Ravaillon, s’il est vrai que le « taux de pauvreté » (le pourcentage de personnes considérées ‘pauvres’ dans la population) en Afrique subsaharienne a chuté depuis les années 1990 (voir diagramme ci-dessus), cette baisse n’est pas suffisante vu le taux de croissance de la population, pour réduire le nombre absolu de personnes pauvres vivant en Afrique et la force de ce déclin dépend énormément de la « ligne de pauvreté » adoptée (0,9 – 1 – 1,25 $ etc.)

Malgré ces divergences (parfois techniques), la bonne nouvelle est que le débat ne porte plus, dorénavant sur les moyens de réduire la pauvreté en Afrique, mais sur le rythme et la mesure exacte de cette baisse.