Les préoccupations des Béninois : le pouvoir d’achat des fonctionnaires (acte I)

Quelles sont les principales préoccupations des béninois ? Comment se déclinent leurs premières aspirations? C’est pour apporter des éléments de réponse à ces questions que la fondation Zinsou, présente au Bénin et dédiée à l’art africain, a commandé un sondage réalisé auprès des populations béninoises. Si donner la parole aux citoyens qui rencontrent de nombreuses difficultés et qui sont en première ligne semble être la procédure qui s’impose pour répondre à ces questions, cette voie est très rarement empruntée tant analystes et observateurs de tout genre, quoique pour beaucoup de bonne volonté, s’empressent souvent d’exprimer leur point de vue et de le confondre à celui des populations.

Le résultat brut de cette enquête fait apparaître au premier plan des préoccupations de l’échantillon sondé les interrogations suivantes rapportées ici pêle-mêle:

  • Quel avenir pour nos enfants ?
  • Comment accéder aux soins ?
  • L’eau potable est-elle un droit ?
  • Quel soutien à l’agriculture ?
  • Le droit à la santé est-il légitime ?
  • La route du développement passe-t-elle par les infrastructures ?
  • L’insécurité est-elle un mode de vie ?
  • L’électricité est-elle un luxe ?
  • Comment subvenir aux besoins de sa famille ?

Les dix grands thèmes qui ressortent du sondage sont dans le désordre: l’accès à l’éducation, la régularisation de la circulation, l’augmentation des salaires des fonctionnaires, l’aide aux cultivateurs, l’accès à l’eau potable, le renforcement de la sécurité, la réparation des routes, l’accès à l’électricité, l’aide aux éleveurs et l’accès aux soins.

La Fondation Zinsou a rencontré Kifouli Dossou, artiste sculpteur béninois, et lui a demandé de trouver un moyen de représenter ces grandes questions pour en porter le message. L’artiste a choisi, pour ce faire, de sculpter des masques Guèlèdè, représentant chacun ces dix préoccupations majeures. Il s’est ainsi appuyé sur un élément essentiel de la culture des peuples Yoruba et Nago du Bénin qui utilisent ces masques non seulement pour porter des messages mais également pour célébrer des rites religieux et sacrés. Ces masques ont fait l’objet d’une exposition gratuite dans les locaux de la fondation Zinsou basée à Cotonou.

Ces 10 problèmes sont éminemment économiques et appellent une analyse de la situation béninoise sur chacune de ces questions. Nous aborderons tour à tour ces thèmes dans une série d’articles dont ce préambule est le premier. La saga sera illustrée par les photographies des masques sculptés par l’artiste qui ont été gracieusement mises à notre disposition par ladite fondation.


Copyright: "Les fonctionnaires" / Azowatolê Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Wabi Dossou 2010 – 2011.

1. Le faible pouvoir d’achat des fonctionnaires

Ce n’est pas une vraiment une grande surprise que ce thème figure dans les premières préoccupations des béninois. La baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires est une question épineuse qui revient sans cesse dans le débat public national. Le pouvoir d'achat des agents permanents de l’Etat, en prenant en compte l'évolution des prix des biens et des services, s’est érodé de 300% entre 1965 et 1994 et il n’a pas augmenté sur la dernière décennie. En cause, une inflation galopante et une augmentation timorée des salaires, dont les avancements sont souvent bloqués et retardés.

L’on constate aujourd’hui sur les marchés et centre commerciaux de Cotonou, Porto-Novo et environs, une augmentation d’environ 20% du prix du sucre et du riz. Le prix de l’huile végétale grimpe de près de 100% et passe à 1200 FCFA. Sur les 17 dernières années, l’indice des Prix à la consommation a connu une hausse de 155%.
Cette situation est intenable pour les fonctionnaires qui ont pour la plupart les plus grandes difficultés à subvenir aux besoins élémentaires de leur famille. Et pourtant, l’Etat peut substantiellement l’améliorer. D’abord, quand on y regarde de plus près, les hausses récentes et importantes des prix des denrées de consommation ne sont pas dues qu’à des facteurs exogènes. Certaines denrées alimentaires se sont fortement renchéries à cause de la multiplication des frais de douane. Pour ne citer qu’un exemple, quand pour un conteneur de riz, l’importateur payait jusqu’en juin 2011, 400 000 FCFA de droits de douanes, il doit depuis le mois de juillet de la même année s’acquitter de la somme de 2 325 000 FCFA soit une augmentation subite de plus de 480%!

Le contrôle et l’amélioration des performances des régies financières (Impôts, Douanes, Trésor) peut non seulement stabiliser les prix mais aussi augmenter les recettes de l’Etat, ce qui est nécessaire pour la revalorisation cruciale des salaires des fonctionnaires. Inciter les entreprises à rentrer dans le secteur formel au lieu de faire porter le fardeau de la fiscalité aux rares entreprises qui y sont déjà, maitriser les effectifs de la fonction publique (en supprimant les doublons et les inefficiences), établir de meilleures priorités dans les dépenses de l’Etat sont autant de pistes intéressantes à explorer pour mieux payer les fonctionnaires.

Quand plus de 25 milliards de FCFA sont débloqués en gratuités pour des femmes en lieu et place de prêts de microcrédit – une opération dont les raisons peuvent difficilement être élucidées quand l’on se cantonne à une certaine rationalité économique, il est difficile d’expliquer aux agents de l’ordre, aux médecins des hôpitaux publics, aux fonctionnaires de l’administration ou aux professeurs que l’Etat n’a pas les moyens d’augmenter leur salaire. Car, il ne faut pas oublier tous les effets positifs que peut avoir l’augmentation du pouvoir d’achat des agents permanents de l’Etat. Leur meilleur pouvoir d’achat n’entraîne pas seulement une plus grande demande de biens, il les rend également plus aptes à faire leur travail, ce qui implique une plus grande productivité, un meilleur fonctionnement de l’administration, essentiel pour booster l’activité dans le secteur privé et réduire les goulots d’étranglements. Une telle revalorisation œuvre également dans le sens de la réduction de la corruption, tout au moins de la petite corruption généralisée qui permet d’arrondir les fins de mois et de subvenir aux besoins. Tout semble indiquer que ces effets positifs cumulés entraineraient une hausse nette des recettes publiques et seraient bénéfiques à l’Etat et à la grande majorité de la nation.

 


Tite Yokossi