Pourquoi la RDC doit mieux faire

La 10ème édition de la Conférence Economique Africaine s'est déroulée à Kinshasa du 2 au 4 novembre 2015 en République Démocratique du Congo (RDC). C'est à cette occasion que Son Excellence Monsieur le Premier Ministre Augustin Matata Ponyo a présenté l'économie de la RDC dont les performances interpellent notre sagacité. Le fait le plus spectaculaire de sa description est l'évolution du PIB par habitant de la RDC, une mesure du niveau de vie moyen, de 1990 à 2014. Le graphique, reproduit ci-dessous, montre un effondrement drastique du niveau de vie de la population congolaise entre 1990 et 2001, avec un revenu par habitant divisé par deux, partant d'un niveau exceptionnellement bas.

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De l'avis du premier ministre, cet effondrement s'explique par la guerre civile qu'à connu le pays pendant cette période. Mais depuis la fin de la guerre, avec l'arrivée au pouvoir du président Joseph Kabila, le niveau de vie a rebondi pour retrouver en 2014 presque son niveau du début de la guerre. Ce rebondissement s'est accompagné d'une réduction de 15 points de pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Il s'agit là d'un progrès saisissant que le premier ministre explique par un leadership fort du chef de l'Etat et une bonne gouvernance. Il résume cette explication dans une équation, seule conclusion de sa présentation :

RP   = LF + BG

Cette équation relie la réduction de la pauvreté (RP) à un leadership politique fort (LF) et à une bonne gouvernance (BG). On peut dénoncer une posture politique et ignorer tout simplement cette équation, mais à tort car elle possède deux qualités. D’une part, elle émane d'un responsable politique ayant été au cœur de l'exécutif congolais pendant et après la guerre civile, ce qui lui confère un fondement tiré de l'expérience.[1] Dès lors, la contribution du leadership du chef de l'Etat à la réduction de la pauvreté mériterait d'être mieux prise en compte par les analystes du développement. D’autre part, cette équation a l'avantage d'être ancrée dans la théorie économique du développement car la bonne gouvernance représente la composante institutionnelle des modèles de Solow augmentés.[2] Cependant, la principale question qui se pose est de savoir si les performances économiques récentes de la RDC sont effectivement dues au Leadership Fort du chef de l'Etat et à la Bonne Gouvernance.

Les performances économiques de la RDC sous une perspective historique et régionale

Lorsqu'on considère le niveau de vie de la RDC sous une perspective historique, on s'aperçoit très vite que ce pays vient, non pas de loin mais, de très haut. Comme le montre le graphique ci-dessous, le niveau de vie après les indépendances était d'environ quatre fois supérieur au niveau actuel, et comparable à celui de la Malaisie et de la Corée du Sud. Il évoluait à un rythme annuel de 1% en dépit de l'instabilité politique ayant caractérisée la période post-indépendance. Cette tendance a malheureusement fléchi suite au choc pétrolier de 1974. La chute du niveau de vie s'est aggravée avec la mise en place des programmes d'ajustement structurel, combinée aux turbulences politiques du fait de la gouvernance par feu Mobutu. C'est dans cet état de déclin qu'éclate la guerre civile congolaise. Chacun de ces épisodes a contribué à dégrader le niveau de vie des congolais, plongeant la majorité de la population dans le dénuement total, avec plus de 9 congolais sur 10 qui vivaient en dessous du seuil de pauvreté extrême, fin 2004.

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Avant la guerre civile, les deux épisodes de baisse du niveau de vie des congolais résultent à la fois d'une mauvaise gouvernance politique et économique du pays : d’une part, le système de parti unique avec les dérives liberticides qui s'en suivent et d’autre part, le recours excessif à l’impression de billets de banques pour financer les dépenses excessives du régime politique.[3] Les performances économiques depuis 2001 ont, pour l’instant, permis de retrouver le niveau de vie atteint juste avant la guerre civile, bien en dessous de celui qui aurait été atteint si la tendance post-indépendance s’était poursuivie, soit 4 fois le niveau de vie actuel.

Par ailleurs, en comparant les performances économiques de la RDC à celles du reste de l'Afrique Subsaharienne, il ressort que le niveau de vie dans ce pays suit la même tendance (à la hausse) que celle du reste de la région, cependant de façon moins prononcée. L’augmentation du niveau de vie depuis 2001 n’est donc en aucun cas une spécificité congolaise. Par conséquent, l'explication des performances économiques de la RDC accompagnée d’une réduction de la pauvreté se trouve moins dans le leadership du chef de l'Etat ou dans la bonne gouvernance.[4] Les performances économiques soutenues du pays proviennent plutôt de la hausse des cours des matières premières depuis 2001, comme le montre le graphique ci-dessous : les cours du pétrole et du cuivre, deux principaux produits d'exportation de la RDC, ont été respectivement multipliés par quatre et trois sur cette période.[5]

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Le plus important n'est pas tant la justesse de l'explication du premier ministre, mais plutôt les conséquences d'un prochain effondrement des cours des matières premières comme cela s'observe depuis fin 2014.[6] Si cette tendance se poursuivait, alors l'histoire de la RDC risquerait de se répéter. Il faudra donc miser sur une amélioration rapide et effective de la bonne gouvernance et du leadership des responsables publiques pour que l'équation de S.E.M Matata Ponyo devienne opérationnelle, car avec ses ressources naturelles et humaines la RDC peut et doit mieux faire.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Voir le parcours du premier ministre sur sa page Wikipédia.

[2] Le modèle de Solow de base exprime le revenu par tête comme une fonction des investissements dans l'appareil productif et du capital humain. Dans sa forme augmentée, il intègre une composante multiplicative caractérisant la qualité des institutions.

[3] Au sujet du seigneuriage, voir Nachega (2005). « Fiscal Dominance and Inflation in DRC », IMF Working Paper, WP 05/221.

[4] Il suffit d'ailleurs de se référer à l'indice Mo Ibrahim de gouvernance de la RDC. Le pays occupe en 2015 le 48ème rang sur les 54 pays, dans un statu quo depuis 2000.http://www.moibrahimfoundation.org/iiag/data-portal/

[5] La pauvreté peut avoir effectivement baissé en raison du regain de l’activité économique, réelle, mais peu durable.

[6] Voir l’abaissement des perspectives de croissance économique de la RDC par le FMI entre Avril et Octobre 2015.