Mali : Pourparlers d’Alger, l’éternel recommencement ?

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Eu égard aux nombreux accords de paix peu fructueux, précédemment conclus entre les mouvements armés touaregs et l'État malien, on est en droit de se demander si les négociations qui se déroulent actuellement à Alger ne sont pas rien d’autre que la suite d’une longue série de désillusions.

Les discussions ont été planifiées en trois phases : après l’adoption en juillet d’une feuille de route sur le déroulement des négociations, les deux parties discutent actuellement sur les questions de fond en vue d’un  pré-accord, supposé déboucher sur la signature d’un accord final. Entamées dès la mi-juillet, à ce jour, les négociations n’ont produit aucun accord définitif. On pourrait cependant estimer qu’elles semblent être parties pour durer, dans la mesure où il existe une profonde dissension entre  les groupes touaregs présents à Alger.

Le 4 juillet 2006, des accords de paix avaient déjà été conclus entre l’État malien, et l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC, un groupe armé touareg). Ces accords faisaient suite au soulèvement armé du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka. L'histoire nous enseigne que sceller des accords sur des bases fragiles n’est guère la garantie d’une paix durable.

Les circonstances des pourparlers de 2014 diffèrent largement de celles de 2006 sur plusieurs points. Dans la démarche, on s’aperçoit que les représentants des populations de l’ensemble du Nord-Mali, et pas seulement touarègues sont associés aux discussions en cours. La question est de savoir si elles seront entendues. Pendant ce temps, des populations de Gao et Tombouctou continuent de manifester pour exiger leur attachement à la République du Mali.  Le Collectif des ressortissants du Nord (COREN), présent à Bamako, enchaine également les manifestations pour s’opposer à ce que les groupes armés négocient au nom de toutes les composantes du Nord-Mali. 

En 2006, l'État malien était en position de force face aux interlocuteurs touareg. Pendant les discussions, il continuait d’assoir son autorité sur la zone disputée. En 2014, la région de Kidal (principal fief touareg) est dépourvue de toute présence de l’Etat du Mali. L’autorité des groupes armés touaregs s’affirme d’autant plus que l’armée malienne a essuyé une défaite cuisante lors de sa tentative d’accaparement de Kidal. Cela peut laisser croire que Kidal, quelle que soit l’issue des pourparlers d’Alger, restera aux mains des rebelles  touareg. En mai, le Premier ministre malien Moussa Mara avait été sommé par les rebelles touaregs de renoncer à sa visite à Kidal. N’ayant pas été dissuadé par cette mise en garde, sa visite forcée a donné lieu à un violent affrontement qui a causé la mort de plusieurs personnes dans le camp gouvernemental.

Dans le processus du dialogue, le président malien Ibrahim Boubacar Kéita se trouve dans une situation très inconfortable. On se souvient qu’il a dû recourir à la Cour constitutionnelle du Mali pour s’opposer aux accords d’Alger de 2006. En effet, son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), les avait simplement rejetés, estimant qu’ils étaient trop onéreux au profit des groupes touaregs et dommageables pour l’Etat malien. Au vu de ses propos antérieurs et aux agissements qui en ont découlé,  il est contraint de faire montre d’une attitude de fermeté à l’égard des revendications touareg. Les négociations pourraient donc en pâtir.

La première défaite du président malien porte sur le lieu des discussions. Il avait exigé qu’elles se tiennent au Mali et nulle part ailleurs, du fait de leur caractère inter-malien. Les protagonistes touaregs, s’y étant opposés, ont fini par obtenir qu’elles aient lieu à Alger.

La situation demeure plus que jamais complexe car d’une part, les mouvements touaregs sont scindés en plusieurs groupes (le MNLA, le MAA et le HCUA), avec des revendications parfois divergentes. D’autre part, les décisions communes approuvées par certains représentants politiques présents à Alger sont rejetées par leurs bases militaires à Kidal. C’est le cas du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) dont le coordinateur militaire présent à Targuent (près de Gao) disait que « ceux qui ont signé le pré-accord avec le gouvernement malien, ne représentent pas le MAA, et ne sont que des imposteurs qui ont quitté le mouvement pour rejoindre le MNLA ».

A ce sujet, lors de sa rencontre du 6 octobre 2014 avec les diplomates accrédités au Mali, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, de retour d’Alger, confiait ainsi que certains groupes armés touareg ont refusé de s’asseoir à la même table de négociations que d’autres groupes, accusés d’être proches des autorités maliennes.

Les différences sont marquantes et les positions semblent figées. L’État  malien estime non-négociable le projet de fédéralisme exprimé par les groupes touareg. Étant donné la position de force des groupes armés touareg, l’attachement d’une grande partie de la population septentrionale à la République du Mali et  la marge de manœuvre relativement étroite du gouvernement du Mali, on peut estimer qu’à défaut d’une indépendance ou d’un fédéralisme, on s’achemine timidement vers l’attribution d’un statut particulier au nord du Mali, qui accorderait plus d’autonomie à cette partie du pays. Cela devrait nécessairement donner lieu à une réorganisation administrative du Mali.

L’avantage à tirer des échecs antérieurs est de situer clairement les dysfonctionnements qui ont causé les résurgences incessantes des rebellions touarègues, et d’y remédier afin de bâtir une paix réellement durable.

Parallèlement à l’aspect politique, il est important que justice soit rendue aux victimes d’exactions, car il serait contre-productif d’envisager une réconciliation en ignorant l’étape de la justice.

Il est extrêmement important pour l’État malien que les groupes touareg parlent d’une seule voix. Lors des précédentes rebellions, les accords conclus n’ont jamais été acceptés à l’unanimité par les différents mouvements. Il n’est donc guère étonnant de voir les réfractaires aux accords de paix reprendre les armes. Si leur efficacité est prouvée sur le terrain militaire, les groupes touareg sont caractérisés par le flou et l’incohérence politique. Concernant leurs rapports, ils sont fragmentés et n’ont su présenter aucunes revendications communes. Quant à leurs exigences, on ignore jusque-là ce que recouvrent véritablement les notions d’indépendance, de fédéralisme ou encore d’autodétermination parfois revendiquées.

Dans la formulation des propositions, l’Etat malien devrait d’une part s’abstenir de toute concession au-delà du raisonnable. Dans le cadre de l’exécution des accords d'Alger  pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, signés en 2006, des combattants touareg intègrent l’armée nationale malienne, et sont autorisés à rester dans leur zone. Leur défection de l’armée, et leur ralliement au MNLA, pendant les dernières hostilités en 2012, a été un important facteur dans la chute du Nord-Mali.

D’autre part le gouvernement malien ne devrait formuler aucun engagement qui serait difficilement applicable. Antérieurement, la non-exécution des accords de paix a aussi servi d’alibi aux groupes touareg dans l’enclenchement des hostilités les opposant à l’État du Mali.