Le nouveau couple mixte : essai d’analyse de la psyché masculine

couple mixteL'une des beautés de notre temps est le couple mixte, symbole de la rencontre des communautés. Je ne vais pas trop être sage, je vais plutôt essayer de réfléchir à un fait social qui, si l’on y regarde de plus près, deviendra à une plus grande échelle, un sujet historique, d’envergure. La race noire est-elle en déperdition ? Les vrais noirs seront-ils dans quelques siècles, une sorte d’êtres rares ? Je le dis, tant est grand le désir aujourd’hui, chez les hommes, surtout, de se lier à des femmes blanches. Non pas que je cherche à dire que tout couple ou union mixte soit problématique. Au contraire, à l’ère de la mondialisation, ce type d’union est inévitable, et représente une beauté de  notre temps.

Je veux analyser, questionner les couples mixtes de stars afro-américaines qui ont choisi de n’envisager la vie qu’avec une partenaire blanche [1] (quand ce n’est pas une femme noire ultra light qui a tous les apparats de l’Occidentale).

De la vision de la féminité

Les apparats ou attributs de l’Occidentale ce sont les cheveux longs et raides, les rondeurs, l’absence de muscle ; et un je-ne-sais-quoi de léger dans l’attitude. Anaïs Bohuon[2]  évoque le cas des sportives noires dont le physique est sans cesse remis en question : sont-elles encore féminines ? Les sportives noires américaines par exemple ont choisi l’anticipation à ces regards qui les condamnent (ce male gaze), en usant d’artifices matériels et esthétiques comme les cheveux ultra apprêtés, les ongles faits et les tenues de plus en plus sexualisantes. Une hyperféminité dérangeante, dans un contexte où le corps est censé être asexué.

La femme noire a en effet nombre de "problèmes"[3]qui compliquent les choses, visiblement, du point de vue des hommes noirs. Ces derniers évoquent le cheveu crépu ou les extensions ; les humeurs (ou concept de la black angry woman) ; et l’insoumission. De nombreux auteurs et penseurs comme W.E.B Dubois ont montré que la situation esclavagiste a forcé les femmes noires à travailler[4]. Ces dernières ont donc renoncé à leur féminité (du point de vue de la féminité judéo-chrétienne ou comme-il-faut) afin de répondre à une subordination légale : le travail continu dans les plantations. Par la suite, les handicaps économiques l’ont forcée à se lancer dans le monde du travail ; tandis que la femme blanche était toujours conservée comme le bien le plus précieux des blancs. Alors que la blanche était valorisée, la noire était mise au pilori, décrétée inférieure à toutes les autres femmes.

Le difficile héritage de la couleur

Le corps, le niveau de vie sociale étaient et sont encore les éléments qui rebutent les hommes noirs (américains surtout, c’est mon contexte) à se lier avec une femme noire. Des réalités dues à un contexte américain raciste ont également formaté l’image d’une couleur problématique et maudite.[5] De nombreux hommes, surtout très foncés, se sont ainsi promis de ne pas léguer à  leur descendance une tare, un fardeau. Chacun (regardez les Instagrams de certaines stars afro-américaines du monde du rap et du R&B), tend à blanchir sa lignée.  La femme blanche représente une manière pour eux de se laver à la source pure ; ils entrent par la porte de la rédemption. Avoir une femme blanche représente encore chez beaucoup un sacre, la chance de ne plus rebâtir un cadre ancien avilissant, mais un nouvel éden, reposant ; sans bruit ; odeur d’ail et de fritures ; sans problèmes d’acception sociétale (on réussit plus vite avec une femme blanche ; la noire porte la guigne[6]). Et surtout, le but ultime : la possibilité d’avoir une descendance à la peau "sauvée".

Il y a donc quelques jours je me suis arrêtée sur un de ces Instagrams, et j’en ai encore vu un, mettant en avant son enfant aux yeux verts, devenu mannequin chez IGM. Et sur un autre site pour enfants aux cheveux bouclés, frisés, je remarque que l’avantage est mis sur les enfants ‘clairs de peau’. Le site met en avant les enfants métis, mais ne récolte le maximum de likes que pour ceux dont l’apparence est occidentale : peau claire, yeux clairs, nez droit. On voit ici que la conception commune a intégré des éléments de la beauté qui passent par les critères occidentaux, blancs. Les pauvres "négrions" (nez épaté, peau trop noire…), récoltent moins de likes, et de commentaires.

La construction des modèles et des représentations, est le travail des médias[7]. Ces derniers au travers des images valorisées et des discours construits et répétitifs fixent des attentes, et des conformités. Les médias, pro-blancs pour la plupart,  distillent donc des valeurs conformes aux puissants. Ainsi, vous ne verrez que majoritairement des femmes, hommes blancs en une de magazines. Si les noirs Américains font un travail colossal en terme de visibilité noire (la communauté afro-américaine a  ses propres émissions de télévision, ses programmes de récompenses, ses entreprises, ses maisons de production…), il n’en demeure pas moins que le marché dominant est blanc, riche et judéo-chrétien. Les valeurs de ce groupe vont donc être partout, et influencer les autres médias.

Donc, nous disons que c’est la faute à Kunta Kinte d’avoir été attrapé ce jour où il allait couper du bois pour se faire un tambour ; et puis, chemin faisant, il a eu, mais vraiment eu la mal chance de se faire attraper et d’être emporté, au milieu de son propre vomi en Amérique. Sa descendance a dû trimer dans les plantations, et n’avait rien, mais vraiment rien, pour se faire beau ou belle. Les femmes noires mettaient une graisse horrible sur les cheveux,[8] et n’avaient rien pour se mettre sur le dos. Les figures d’aunt Jemima[9] ont traversé les mangas et les feuilletons, en personnifiant cette grosse femme black obèse, à l’accent soupçonneux.

"L'homme" de la maison est une femme

Evidemment ce que je viens juste d’écrire est une caricature[10]. Ce qu’il fallait retenir est que le contexte de déportation et d’acculturation du Noir l’a fragilisé. Ce dernier s’est retrouvé en train de travailler pour quelqu’un d’autre et n’avait rien pour sa famille. Mal instruit, et chosifié, il va devenir la figure de l’homme brutal et absent ; forçant la femme noire à devenir  "l’homme de la maison". Les femmes noires américaines en premier lieu (et même du monde), n’ont pas vraiment eu l’occasion ni le temps d’être de "vraies femmes", au sens où la société des phallocrates l’entend. La femme noire américaine a eu d’abord à gérer sa survie alimentaire, pour elle et pour ses enfants. Ou tout simplement : sa survie. Elle est de fait devenue un genre double, mi-homme et mi-femme.  Car oui, il y a de l’homme dans la femme noire : une hauteur de ton, de stature, une forte mentalité et une autorité. Passons le raccourci et reconnaissons que oui, la femme noire est forte et qu’elle a sa propre beauté ; pas moindre, au contraire, mais sienne ; tout comme les Asiatiques en ont une propre. Que de blanches qui mettent des extensions, mais les noirs n’en savent rien. Que de noires chefs d’entreprise, mais les noirs les méprisent, pensant qu’elles sont forcément en recherche de maris et dans la galère.

Nous disons donc que l’Histoire aujourd’hui nous permet de voir une génération de femmes noires, qui, petitement, mais sûrement, sortent de leur invisibilité, et prennent de  l’espace. Ceci, parfois aussi pour être visibles malgré elles (au travers d’une lecture hyper-sexuelle, notamment) ; mais dans la majeure partie des cas, celles-ci sont ignorées. Gageons qu’elles vont aussi commencer à sortir des carcans, et alors qu’elles lorgnaient encore leurs pauvres compères ; vont aller explorer (de plus en plus hein…), d’autres nuances…


[1] Voir la Barbie comme phénomène de la beauté blanche idéale. Ouvrage : Hanquez-Maicent, Marie-Françoise, Barbie, Poupée Totem : Entre mère et fille, lien ou rupture ?, Editions Autrement, collection Mutations n°181, 245 pages, p. 11.

 

 

 

[2] Bohuon, A., Le test de féminité dans les compétitions sportives, une histoire classée x ?

 

 

 

[3] Gammage, Marquita Marie, Representations of Black Women, Routledge, 2015.

 

 

 

[4] Idem.

 

 

 

[5] Fanon, les Damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2004 (rééd.); et Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, coll. Esprit ».

 

 

 

[6] Pensée populaire. Je ne serai pas responsable de tous les chocs cosmiques que vous aurez durant cette lecture.

 

 

 

[7] Hall, Stuart, Representation : Cultural representations and signifying practices, London, Thousand Oaks, New Delhi, Sage publications, 1997.

 

 

 

[8] Fauvelle-Aymar François Xavier analyse dans L’invention du Hottentot, histoire du regard occidental sur les  les  Khoisan (XVè- XIXè siècle), les stéréotypes conçus à l’égard des noirs.   Elsa Dorlin dans  La matrice de la race : Généalogie sexuelle et coloniale de nation Française, montre les  rapports de domination depuis l’origine du corps féminin dominé, depuis la plantation.

 

 

 

[9] Le Sphinx de Kara Walker en est une représentation.

 

 

 

[10] Paul Gilroy et la Black Atlantique montre les périples noirs selon l’axe triangulaire. Ouvrage en anglais :  The Black Atlantic : Modernity and Double Consciousness,  New York, Verso, 1993.

 

 

 

L’actualité de la Négritude: être et demeurer métis

La Négritude est de nos jours trop vite évacuée quand on ne finit pas de reprocher aux écrivains qui en furent les pionniers d’avoir écrit en français. Pourquoi les poètes de la Négritude ont-ils écrit en français? Fut-ce-t-elle un classique, cette question semble la plus à même de laisser transparaitre en l’occurrence l’actualité de la Négritude dont elle révèle d’ailleurs la quintessence.

Léopold Sédar SENGHOR lui-même répondait à cette question dans la postface d’Ethiopiques[1]

Voici (et on y reviendra) ce qu’en dit le poète de la Négritude et non moins futur membre de la prestigieuse Académie française : « Mais on me posera la question : pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français? – Parce que nous sommes des métis culturels… ». Continue reading « L’actualité de la Négritude: être et demeurer métis »