L’Afrique et ses minorités (II): les homosexuels en Afrique

Le parlement Ougandais a clos sa session ordinaire 2011 sans parvenir à faire voter le projet de loi déposé par le député David Bahati, le 14 Octobre 2009 visant à réprimer encore plus durement l’homosexualité en Ouganda. Les principales mesures proposées initialement étaient les suivantes :
• Gays et lesbiennes reconnus coupable d'avoir des rapports sexuels homosexuels seraient condamnés, au minimum, à la prison à vie.
• Séropositifs et malades du Sida ayant des pratiques homosexuelles pourraient être exécutés.
• Les homosexuels ayant des relations sexuelles avec un mineur, ou ayant eu plus d’une relation  homosexuelle peuvent également recevoir la peine de mort. [1]
• Interdiction de la "promotion de l'homosexualité».
• Toute personne connaissant des homosexuels ou témoin de pratiques homosexuelles est tenue d’en informer les autorités en moins de 24 heures, sous peine d’encourir jusqu’à trois ans de prison.[2]

L’homosexualité est déjà illégale en Ouganda et punie de 14 ans de prison. Le projet de loi dans sa forme initiale aurait rapproché l’Ouganda de la Mauritanie, et de certains Etats du Nord du Nigeria et du Soudan, où l’homosexualité est déjà punie par la peine capitale. L’Afrique subsaharienne, il convient de le rappeler, n’est pas seule à développer cette obsession haineuse, proprement moyenâgeuse à l’encontre des homosexuels – en Europe, aux États-Unis, dans le monde Arabe, en Chine, en Inde, en Amérique latine et ailleurs, il existe encore de farouches résistances et oppositions à l’homo ou bisexualité. C’est pourtant le continent qui dans son ensemble, a, de loin, les lois les plus sévères à l’égard des homosexuels[3]. La situation s’est considérablement dégradée au cours de la dernière décennie. Trente-huit pays africains sur cinquante-trois condamnent l’homosexualité d’une façon ou d’une autre [4]. Même en Afrique du Sud, seul pays de la région à reconnaître le mariage gay, il n’est pas rare que des lesbiennes soient victimes de « viols correctifs ». [5]

La « question de l’homosexualité » est un sujet, à la base, assez ennuyeux et secondaire. Les pratiques intimes de personnes consentantes n’ont pas lieu d’être discutées sur la place publique, ni de devenir un handicap dans la vie sociale, professionnelle ou même familiale de qui que ce soit. Il ne s’agira pas ici de reprendre ce débat rendu complexe par la radicalité des positions et sentiments qu’il déclenche, mais plutôt d’évoquer un des aspects de la question, mis en évidence par l’initiative parlementaire en Ouganda : l’inafricanité de l’homosexualité.
Cet élément, dans le débat en Ouganda, est allé de paire avec l’abominable mensonge selon lequel les homosexuels Ougandais entendaient « recruter et ‘convertir’ à l’homosexualité un million d’enfants »[6]. Plusieurs leaders religieux et politiques africains – au premier rang desquels les très réservés Robert Mugabe et Olusegun Obasanjo ou les archevêques Robert Sarah et Charles Palmer-Buckle – ont par le passé, repris à leur compte l’antienne de l’irréligiosité, de la non-africanité et de l’importation depuis l’Occident des pratiques homosexuelles.
Tout est risible dans ses déclarations. Est-il idée (ou idéologie) moins africaine, typiquement importée de l’Occident que le Christianisme ? Pourtant, aucun de ces « penseurs » ne voit l’incongruité d’un recours aux valeurs chrétiennes contre l’homosexualité. De plus, leur ignorance réelle ou feinte de l’histoire du continent a de quoi surprendre. Des relations homosexuelles à la Grecque ont existé dans les sociétés traditionnelles d’Afrique subsaharienne bien avant l’arrivée des explorateurs. Chez les Zandé d’Afrique centrale ou les Fon de l’ancien Dahomey, chez les Tswana ou les Ila, Thonga, Naman d’Afrique australe [7] des rites, comportements et pratiques homosexuelles et lesbiennes ont été largement répertoriés et documentés [8]. Il en est de même chez les Hausa du Nigeria ou les Maale du sud de l’Éthiopie, les Nyakakusa en Tanzanie, les Ovimbundu en Angola, chez les Swahili de la région de Mombasa tout comme au Lesotho des pratiques transgenres et transsexuelles sont également identifiées [9]. Il n’y a, de fait, rien de typiquement non-Africain dans l’homosexualité. En Ouganda même, le Roi Mwanga II ordonna le massacre entre 1885 et 1887 de missionnaires chrétiens dont les 22 martyrs Ougandais canonisés en 1964 par Paul VI, en partie, parce qu’ils dénonçaient les pratiques homosexuelles en cours au palais. Pour le président Ougandais ces martyrs sont la preuve… que l’homosexualité est contraire aux traditions du pays [10], lecture paradoxale s’il en est.

Tout cela serait simplement méprisable et négligeable si des vies humaines n’étaient pas en jeu ou si ce climat de mensonge – le pasteur Ougandais Martin Ssempa allant jusqu’à présenter des vidéos pornographiques scatologiques comme exemple des pratiques homosexuelles ordinaires [11] – et de haine ne débouchaient pas déjà sur des appels au meurtre – le 09 octobre dernier, un journal Ougandais publiait sa liste de cent personnalités homosexuelles sous l’injonction « pendez-les ! » [12].
Il y a ici quelque chose qui renvoie à la mythologie de l’exceptionnalisme africain. Qu’elle soit positive ou négative, l’idée sous-jacente est néfaste. L’Afrique aurait ainsi, par son exceptionnalité historique et culturelle, le droit de se départir des règles juridiques, morales et logiques qui régissent le reste du monde. Que ce soit dans le domaine économique, culturel et politique toutes les expériences fondées sur ce particularisme ont échoué. La reconnaissance et la protection des droits des homosexuels, l’acceptation généralisée de leurs pratiques et choix de vie est souvent un long et tortueux cheminement, qui est loin d’avoir abouti même dans les pays occidentaux les plus libéraux. Il n’est pas question de tenir l’Afrique à des critères moraux ou juridiques plus sévères. La protection des minorités a toujours été un test de l’état d’une civilisation. C’est un examen que l’Afrique est en train de rater.
La question de l’homosexualité est elle-même accessoire mais elle met en évidence, dans nombre de pays d’Afrique subsaharienne, autant chez les hommes politiques que dans les opinions publiques, une incapacité profonde à reconnaître et accepter l’universalité des droits de l’homme. En filigrane, ce qui se lit c’est qu’eux-aussi, sont, quelque part… inafricains. Il est impossible d’esquiver le sujet des minorités homosexuelles en Afrique tout en prétendant tenir aux Chartes internationales des droits humains.
 

Joel Té Léssia

[1] Suite à d’intenses pressions internationales, la prison a perpétuité a été substituée à la peine de mort, laissant ainsi ouverte la possibilité que les condamnés puissent… « guérir » (Uganda lawmakers remove death penalty clause from anti-gay bill : http://articles.latimes.com/2011/may/12/world/la-fg-uganda-gays-20110512)

[2] http://articles.cnn.com/2009-12-08/world/uganda.anti.gay.bill_1_gays-death-penalty-aids-prevention?_s=PM:WORLD

[3] Idem p.7

[4] State-sponsored  Homophobia : A world survey of laws prohibiting  same sex activity between  consenting adultshttp://old.ilga.org/Statehomophobia/ILGA_State_Sponsored_Homophobia_2010.pdf

[5] http://www.msnbc.msn.com/id/39742685/ns/world_news-africa/t/gays-uganda-say-theyre-living-fear/

[6] http://www.npr.org/2011/05/12/136241587/author-of-ugandas-anti-homosexuality-bill-gives-defense

[7] http://www.afrik-news.com/article16397.html?artpage=3-3

[8] Stephen O. Murray. Homosexuality in “Traditional” Sub-Saharan Africa and Contemporary South Africa, http://semgai.free.fr/doc_et_pdf/africa_A4.pdf

[9] http://www.glbtq.com/social-sciences/africa_pre,2.html

[10] http://articles.sfgate.com/2010-06-09/news/21902413_1_ugandan-government-anti-gay-openly-gay-episcopal-bishop

[11] http://www.youtube.com/watch?v=euXQbZDwV0w

[12] http://news.change.org/stories/ugandan-tabloid-tells-people-to-hang-homosexuals