1,3 milliards de personnes dans le monde vivent actuellement sans électricité, et dépendent de carburants traditionnels aux prix élevés et aux effets néfastes afin de satisfaire leurs besoins énergétiques de base.
La majorité des foyers dépourvus d’accès à l’électricité vivent dans les régions rurales des pays en voie de développement. Ces régions, souvent isolées et parfois difficiles d’accès, sont largement laissées pour compte dans les grands plans étatiques pour étendre les réseaux nationaux de distribution[1]. Ce problème de grande échelle se révèle aujourd’hui être un terreau fertile pour le développement de start-ups sociales, dont les initiatives privées offrent une alternative de plus en plus crédible aux projets humanitaires.
Les organisations à but non-lucratif ont certes remporté de beaux succès avec la réalisation de projets ayant eu un impact significatif sur les conditions de vie de millions de bénéficiaires. Cependant, elles se heurtent également à de nombreuses difficultés, au premier rang desquelles figure le caractère limité de leurs ressources, qui ne leur permet pas d’atteindre une échelle véritablement significative en regard de l’immensité des besoins. La multiplication de leurs projets passerait en effet nécessairement par une multiplication correspondante de leurs financements, ce qui est extrêmement difficile dans le cadre d’un paradigme philanthropique.
Et de fait, le nombre de personnes dépourvues d’accès à l’électricité reste extrêmement élevé. Selon les prévisions de l’IEA, ce nombre restera même relativement stable au cours des prochaines années, notamment en raison d’une croissance démographique plus rapide que le rythme des nouvelles connexions.
Prévisions de l’Agence Internationale de l’Energie
Vers un changement de paradigme
Un changement de paradigme est donc nécessaire. Un consensus semble se créer progressivement autour de l’idée que ce problème pourrait être éliminé dans la prochaine décennie s’il était démontré que la fourniture d’électricité aux communautés isolées pouvait être réalisée de façon durable et rentable. Le déclin continu du prix des technologies renouvelables au cours des dernières décennies a en effet rendu les solutions de marché accessibles aux habitants les plus pauvres de la planète, qui consacrent aujourd’hui jusqu’à 30% de leur budget à l’énergie.
L’implication du secteur privé dans ce secteur d’intérêt général nécessite cependant de nouveaux business models, adaptées aux populations les plus pauvres (Base of the Pyramid). Les pratiques traditionnellement adoptées par les grands acteurs en place ne prennent pas en compte leur contexte particulier et ne peuvent ainsi pas répondre à leur besoin en énergie.
Ces nouveaux business models sont actuellement principalement développés par de jeunes start up sociales innovantes, dont les premières expérimentations contribuent progressivement à la structuration d’un nouveau marché de l’électrification rurale[1].
D.light a distribué 8 millions de lampes solaires en 7 ans
Une première vague de ces start up à fort impact s’est matérialisée à partir de la deuxième moitié des années 2000, avec la multiplication d’entreprises distribuant des lampes et kits solaires. Certaines de ces entreprises sont extrêmement performantes, à l’image par exemple de d.light qui annonce avoir vendu 8 millions d’appareils solaires en 7 ans d’existence.
Ce mouvement est encouragé et coordonné par les grandes organisations internationales dont la vocation est de faciliter la réalisation des objectifs millénaires du développement, telles que la Banque Mondiale à travers le programme dédié Lighting Africa. Le développement de ces start-ups est par ailleurs soutenu par des investisseurs intéressés par le potentiel à la fois social et financier de ces entreprises.
Structuration d’un nouvel écosystème, au service de l’innovation sociale
« Les lampes solaires ne suffisent pas à éliminer la pauvreté. Il faut réussir à alimenter des usages productifs » – K. Yumkella, UN Under-Secretary-General – Special Rep & CEO – Sustainable Energy for All
Ceci étant, ces entreprises sont loin de régler totalement le problème de l’accès à l’électricité. Les solutions qu’elles proposent permettent en effet de révolutionner les usages énergétiques domestiques dans les foyers BoP off-grid, et ce faisant d’améliorer radicalement leurs conditions de vie. Malgé tout, elles ne suffisent pas à répondre à une demande plus intense concernant les usages collectifs et économiques (alimentation électriques de centres de santé, de petites entreprises et ateliers, qui demandent des puissances qu’un kit solaire ne pourra jamais délivrer).
Ce sont pourtant ces usages qui in fine enclencheront un réel développement dans les zones rurales. Pour y répondre, une deuxième vague a émergé, qui s’attaque à des solutions d’électrification d’une autre ampleur, à même de fournir des puissances électriques capables d’alimenter des appareils et machines jusque dans les régions les plus reculées. Ce besoin a là encore été bien compris par les grandes institutions internationales, à l’image des Nations Unies à l’origine de l’initiative Sustainable Energy For All qui s’attache à mettre en réseau les acteurs de cette nouvelle industrie et à leur fournir des données et ressources susceptibles de faciliter leur action.
Husk Power System – Success story du nouveau paradigme de la fourniture d’électricité pour le BoP
Le meilleur exemple de ces start-ups dédiées à l’électrification rurale est à mes yeux celui de Husk Power Systems. A l’aide de leur technologie de gazification de biomasse (cosses de riz) associé à du solaire photovoltaïque et de réseaux de distribution low cost en bambou, la start up indienne a pu construire près d’une centaine de minigrids depuis 2007 et commence aujourd’hui à s’implanter en Afrique de l’Est. Ses minigrids sont capables de produire une électricité à un prix très attractif pour les habitants des régions les plus pauvres du monde. Les bénéficiaires les plus pauvres sont impliqués durablement dans leur électrification.
Plusieurs grands groupes industriels du secteur électrique traditionnel développent de leur côté des initiatives tournées vers le BoP s’inscrivant pour la plupart dans le cadre de politique de responsabilité sociale et environnementale (comme par exemple le programme BIPBOP de Schneider Electric). Mais la dynamique globale dans ce domaine est surtout portée par quelques dizaines de start-ups qui développent leurs propres modèles dans différentes régions à travers le monde, chacune expérimentant différents choix technologiques et différents modèles d’affaires susceptibles de rendre les projets à la fois durables et rentables.
Frilosité des financeurs…
La plupart des projets sont encore relativement récents et ne sont guère au-delà de la phase pilote. C’est bien en raison de cette incertitude fondamentale que ce mouvement reste pour l’heure soutenu majoritairement (et assez paradoxalement) par des acteurs issus du secteur philanthropique. Ce sont en effet les fondations (parfois issues de grands groupes de la filière comme la Fondation Shell), les donneurs privés et certains fonds public dédiés à l’aide au développement qui assument le financement d’une l’innovation sociale jugée encore trop risquée ou pas assez rémunératrice par les financeurs de l’économie traditionnelle.
D’un point de vue d’ensemble, cette situation est assez regrettable dans la mesure où en renonçant à jouer leur rôle, à l’image des fonds de capital risque traditionnels, les « Venture Philanthropists » privent nombre de start-ups des fonds qui leur seraient nécessaires pour émerger. Ces derniers préfèrent en effet se concentrer sur le créneau du capital développement, afin d’accompagner des entreprises déjà établies (et situées dans la première vague citée plus haut) dans leur changement d’échelle. Pourtant, les montants pour lancer un pilote, relativement limités par rapport aux tickets moyens dans les deals avec les start-ups, leur permettraient de prendre des positions intéressantes dans de nouveaux projets tout autant, voire plus prometteurs.
…en dépit d’un vrai potentiel de disruption pour tout le secteur
Toujours est-il que nous assistons actuellement à la naissance d’une nouvelle classe d’acteurs, qui vient disrupter le secteur de la fourniture d’électricité par le bas, c’est-à-dire en s’attaquant à un segment du marché (les communauté off-grid situées à la Base de la Pyramide) qui est resté durant des années inaccessible aux acteurs traditionnels (si ce n’est totalement négligé).
Power:On, l’entreprise sociale dont je suis le fondateur, s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Power:On est un fournisseur d’électricité dédié aux villages isolés des pays en voie de développement, exploitant des minigrids hybrides photovoltaïque-diesel, efficients et intelligents, tirant parti de ressources renouvelables locales. Notre mission est de révolutionner le rapport de communautés rurales à l’énergie – pour un prix moins élevé́ que ce que nos clients dépensent actuellement en carburants fossiles de mauvaise qualité́.
Power:On vend des contrats prépayés, liés à des catégories d’usages énergétiques spécifiques tels que l’éclairage, l’utilisation d’un moulin électrique, d’un réfrigérateur ou d’une pompe électrique. Chaque client a donc accès à l’électricité́ en fonction de ses besoins et de ses ressources.
Nos systèmes sont ainsi optimisés et conçus sur-mesure, en réponse aux demandes exprimées par nos clients qui sont les entreprises, les foyers et les services publics. Nous avons également voulu tirer parti des nouvelles technologies pour affirmer notre crédo : le BoP n’implique pas le low cost et la faible qualité de service. Au contraire, les technologies numériques permettent de mieux communiquer avec les clients, de proposer une excellente expérience utilisateur et de promouvoir des usages responsables. Le contexte BoP représente une opportunité́ unique de transformer le métier de la fourniture d’électricité́, en adoptant des technologies de nouvelle génération sans pâtir d’un héritage d’installations obsolètes.
Grâce au déploiement de réseaux de compteurs intelligents, nos clients peuvent ainsi contrôler, payer leur consommation et recevoir des conseils d’efficacité énergétiques personnalisés directement sur leurs téléphones mobiles. Ces mêmes technologies de l’information et des communications permettent aussi à nos réseaux de devenir intelligents et d’optimiser leur fonctionnement en temps réel. Enfin, la gestion des systèmes isolés est facilitée par la mise en place d’une plateforme de maintenance et de formation technique en ligne.
Power:On est actuellement en pleine préparation d’un premier projet pilote au Bénin, pour la fin de l’année 2014.
Notre objectif à travers ce premier projet est de démontrer la viabilité de nos modèles technique et économique, et leur capacité à produire un impact social et des retours financiers significatifs. Ce faisant, nous participerons à la structuration d’un écosystème capable de mobiliser les ressources nécessaires au changement d’échelle de ces nouvelles solutions, notamment par le biais de l’impact investing. Power:On pourra alors répliquer l’initiative dans d’autres localités au Bénin et dans la sous-région en 2015.
Tristan Kochoyan, fondateur de Power:on
[1] Pour en savoir plus : Understanding the economics of rural electrification.
[1] voir les précédents articles de Power On publiés sur leur blog : The pricing issue et Smart subsidies to fight poverty