Quatre modèles économiques pour l’électrification rurale en Afrique (1/2)

Nouvelle imageEn 2012, l’association Africa Express a étudié 25 projets d’énergie sélectionnés par un Comité Stratégique, pour comprendre quels sont les facteurs-clés qui sous-tendent leur réussite. La diversité des projets audités était très large, tant en type de développeur de projet et de source d’énergie produite qu’en termes d’impact pour les populations bénéficiaires ou encore de variété des stades de développement.

En septembre 2013 l’association a publié un Livre Blanc des bonnes pratiques tirées de l'ensemble de ces projets, qui peuvent servir de modèle et être adaptées ailleurs. Cet ouvrage, déjà téléchargé à plus de 6 000 exemplaires, se veut une source d’inspiration pour les porteurs de projets actuels et futurs, leurs bailleurs et partenaires financiers, mais aussi pour les gouvernements en charge de la politique énergétique.

 A travers une série de deux articles, voici une revue de quatre modèles observés par Africa Express : l’entreprise sociale (1),  la création de filière économique nouvelle (2), la fidélisation de la clientèle (3) et le développement de partenariats public-privé (4). 

Avec presque 600 millions d’exclus de tout service énergétique, l’électrification rurale décentralisée (ERD) reste un enjeu majeur pour le développement du continent. Les solutions techniques sont pourtant connues et disponibles. Malgré des sources d’énergie abondantes, l’électricité est rare et chère en Afrique subsaharienne, avec des prix moyens supérieurs aux normes internationales.

Dans le domaine de l’électrification rurale, le rôle du porteur de projet est déterminant. Au-delà de la technique déployée, le succès d’un projet d’accès à l’énergie relève d’une capacité à comprendre les besoins locaux, intégrer les parties prenantes, développer des relations fiables avec les partenaires financiers, assurer un management positif et soutenable, notamment sur le plan de la formation.

Mais avant toute chose, un projet d’énergie doit impérativement s’adosser à un modèle économique garantissant la viabilité économique de l'exploitation.  Un business model est la manière dont une entreprise crée, partage et retient de la valeur. Dans la plupart des projets, l’investissement de départ est fortement subventionné – jusqu’à 80% du montant total, souvent par des bailleurs internationaux. Cet apport initial risque toutefois de rester inopérant s’il n’est pas relayé par un modèle d’exploitation commerciale viable permettant de développer les projets au-delà du périmètre initial.

Or, au vu de la faible rentabilité de l’activité (petit nombre de clients, faibles consommations, difficultés de paiement), l’activité commerciale se révèle le plus souvent insuffisante pour assurer le renouvellement et l’entretien des installations ou pour investir dans des équipements lourds ou d’envergure qui permettraient de changer d’échelle, au-delà du petit matériel de maintenance.

1. Favoriser l’entreprise sociale et engager les populations locales

L’accès à l’énergie est un investissement social avec une finalité de développement. L’entreprise sociale vise à utiliser la création de richesse pour répondre efficacement à des besoins sociaux. Elle représente un modèle original et particulièrement adapté aux pays en développement. Ici on s’adresse prioritairement aux 4 milliards de personnes qui vivent avec un revenu local inférieur à 3 000 dollars par an en parité de pouvoir d’achat (WRI/rapport IFC) regroupées sous l’appellation « base de la pyramide »  (BoP).

A lucrativité limitée, l’entreprise sociale adopte une gouvernance ouverte, en associant les différentes parties prenantes : acteurs locaux, salariés, bénéficiaires… dans une optique d’économie sociale et solidaire (ESS). Or la gestion participative est une des garanties de la pérennisation d’un projet rentable, car les bénéficiaires d’un projet d’énergie sont aussi les premiers artisans de son succès. Pour que ce nouvel accès à l’énergie s’inscrive dans la durée, ils doivent en être également les partenaires.

À ce titre et en premier lieu, une participation financière partielle des usagers est un prérequis indispensable à la bonne acceptation du système, quel qu’il soit : location-rechargement de batteries, micro-réseau solaire, générateur diesel… Et ce, même si on s’adresse à des populations à très faibles revenus. D’une part, l’acte d’achat confère de la valeur à l’équipement ou au service. D’autre part, cette participation, même subventionnée, permet d’assurer la maintenance des systèmes et constitue une base de capitaux nécessaire pour le remplacement d’équipements défectueux. Elle stabilise donc le modèle d’exploitation.

Une gestion participative du projet responsabilisera en outre l’ensemble des bénéficiaires en faisant de l’installation énergétique un bien commun à préserver. Collecte du règlement des factures par un groupement villageois, maintenance générale par un technicien du village formé par le porteur de projet… Autant de méthodes qui participent à assurer un engagement fiable des populations.

Exemple: Projet écovillage Villasol / Sénégal : développement d’un micro-réseau avec la population locale

Nouvelle imagefÀ Dar Salam à l’Est de Tambacounda au Sénégal, l’entreprise Schneider Electric a subventionné l’installation d’une micro- centrale solaire qui permet à l’ensemble du village d’accéder à une énergie primaire grâce à un système de location-rechargement de batteries.

Après une consultation initiale des responsables du village afin que le projet réponde bien aux attentes de la population, les habitants ont constamment été partie prenante du projet. Tout d’abord, chaque client s’est acquitté d’un montant de 12 000 F CFA pour l’achat d’une batterie. Ensuite, un technicien issu du village a été formé pour maintenir le bon état général du système, gérer le parc de batteries et entretenir un lien avec les porteurs du projet : Schneider Electric et l’Agence Nationale des EcoVillages. Enfin, la gouvernance a été confiée à un comité villageois destiné à garantir la bonne gestion de l’argent collecté — 100 F CFA par rechargement de batterie.

Ces fonds seront réinvestis dans le projet avec une double fonction : régler le salaire du technicien et constituer une réserve pour l’achat de nouveau matériel quand l’actuel arrivera en fin de cycle. Après un an  d’expérimentation de ce projet en cogestion, les indicateurs de suivi ont permis d’identifier des points  d’amélioration. Sa rentabilité étant strictement limitée, la participation de l’ensemble des clients au bon développement est capitale. Des adaptations sont en cours pour améliorer le taux de non-recouvrement qui demeure élevé. Les gestionnaires du projet à Dar Salam bénéficient par ailleurs de formations complémentaires.

2. Développer une filière économique locale

Le porteur de projet d’énergie tisse de nombreuses interactions avec de multiples acteurs : représentants de l’État (commune, agence nationale d’électrification rurale, etc.), communautés d’usagers, partenaires financiers… En parvenant à les impliquer à ses côtés, il accélère son intégration dans le tissu économique et social local et assure ainsi la création de revenus nécessaires au maintien des systèmes de génération électrique dans la durée.

En s’appuyant sur un réseau de partenaires qualifiés et disponibles, le projet d’énergie devient un catalyseur d’activités génératrices de revenus. Plus généralement, il pourra favoriser le développement d’une économie locale, source d’une croissance durable.

Exemple: Projet GERES / Bénin de création d’une filière locale de production d’huile de jatropha avec des plateformes multiservices

Nouvelle image1Le Bénin est un pays essentiellement rural qui importe 100% de sa consommation d’électricité et de carburant. À peine 3,5% des populations rurales ont accès à l’électricité et elles ont recours au secteur informel pour s’approvisionner en pétrole lampant et gasoil. Ce déficit énergétique freine le développement du pays.

Depuis 2008, le GERES appuie le Département du Zou à travers divers programmes orientés vers le désenclavement énergétique des zones rurales, particulièrement l’nstallation des plateformes multiservices de transformation des produits agricoles (moulins entraînés par moteur diesel). Le programme ALTERRE vise à créer une filière courte de production d’agrocarburant à base de Jatropha Curcas pour alimenter les moulins.

Cette filière courte respecte les principes suivants : (i) une estimation des besoins en carburant de la localité, (ii) un dimensionnement des champs à cultiver en fonction des besoins, (iii) un accord de production avec des producteurs volontaires et disposant d’assez de terres cultivables, (iv) une utilisation au maximum du dixième du total de la superficie cultivable du producteur pour le jatropha, (v) le respect d’une pratique d’association de cultures vivrières/jatropha sur au moins les 4 premières années de vie du jatropha, (vi) l’engagement d’un entrepreneur rural local disposé à participer financièrement à l’installation et à la gestion d’une unité de fabrication d’agrocarburant.

Les producteurs sont regroupés par affinités et, au sein de chaque groupe, des responsabilités opérationnelles sont attribuées et évaluées périodiquement. Les tests d’utilisation de l’huile de jatropha se font au sein d’une  association de propriétaires d’équipements diesel. Ceci développe les pratiques de substitution du gasoil, d’entretien et de maintenance des moteurs, etc.

La filière courte de proximité d’agrocarburant apporte une solution concrète à l’enclavement énergétique des  zones reculées et suscite donc une adhésion massive des populations. D’une seule commune volontaire en 2009, le jatropha est cultivé aujourd’hui dans les 7 communes rurales du Zou. 850 paysans sont aujourd’hui adhérents du premier cluster de production regroupant les communes de Covè et Zangnanado. Ce cluster dispose déjà d’une unité de fabrication d’huile d’une capacité de 250 litres par jour. Surtout, plus de 500 propriétaires de moteurs diesel se sont déjà engagés pour l’achat de cette huile, structurant les débouchés de la filière.

Dans un prochain article, nous présenterons les modèles de la fidélisation de la clientèle et le développement de partenariats public-privé. 

Jeremy Debreu d'Africa Express