Égypte : un pays en quête d’un nouveau départ

C’est désormais officiel. Mohamed Morsi, issu des Frères Musulmans, sera le prochain président égyptien. Si cette élection marque une rupture symbolique importante, notamment parce qu’il s’agit du premier président non issu de l’Armée, le troisième pays le plus peuplé d’Afrique est confronté à une série de défis qui rendent difficile son décollage et qui le contraignent à une transition durant laquelle il reste à la recherche d’un nouveau modèle.

Une scène politique divisée

Les résultats des élections présidentielles ont dévoilé l’ampleur des tensions et la polarisation de la scène politique en pleine recomposition depuis la chute de Hosni Moubarak en février 2011.

Les conservateurs, tendance dans laquelle on peut regrouper le Parti de la Liberte et de la Justice (PLJ, branche politique des Frères Musulmans), ainsi que le Parti Al Nour ( d’influence Salafiste), apparaissent comme le principal courant à la sortie des urnes. Ces deux partis ont en effet reussi à attirer à eux seuls pres de 70% des voix aux dernières élections législatives. L’élection de Mohamed Morsi, malgré un départ en campagne tardif, a montré le degré d’organisation et la puissance du réseau de cette tendance au sein de la société, s’appuyant autant sur un discours mobilisateur de justice sociale et de références religieuses que sur des oeuvres caritatives dans les milieux défavorisés.

Les appuis de l’ancien régime, malgré leur marginalisation (ex: par une loi interdisant à d’anciens hauts fonctionnaires de se presenter aux élections) et leur relative affaiblissement depuis la chute de Moubarak, ont montré qu’ils bénéficient encore d’un soutien important parmi la population, et d’avantage encore au sein de l’appareil d’État. Le score important obtenu par l’ancien Premier Ministre Ahmed Chafik (plus de 12 millions de voix et 48,3 % des suffrages exprimés), battu de justesse aux présidentielles, démontre la capacité d’attraction que constitue ce courant, et son discours mobilisateur sur la sécurité et les garanties d’un État séculier.

Les libéraux, auxquels on peut assimiler le Parti historique Wafd, le Bloc Égyptien (coalition d’une quinzaine de parties) et d’autres mouvements apparus plus récemment à la suite de la Révolution du 25 janvier, regroupent environ 20% de l’électorat. Le rôle moteur qu’ils ont joué dans l’opposition puis dans le soulèvement contre Hosni Moubarak ne semble néanmoins pas à la hauteur de leurs espérances initiales, malgré une influence médiatique importante et des relais à l’étranger.

Enfin, le Conseil Suprême des forces Armées (CSFA), composé d’une vingtaine d’officiers supérieurs, et qui dirige de fait le pays depuis février 2011 apparaît aujourd’hui comme la réelle instance de décision, et continuera vraisemblablement à avoir des prérogatives importantes. La limitation des pouvoirs du Président que le Conseil a décidé et les probables tractations avant la déclaration du vainqueur de l’élection présidentielle démontre encore une fois le rôle incontournable des services de sécurité dans le pays et constitue l’une des principales caractéristiques de l’Égypte post-révolutionnaire (contrairement à la Tunisie par exemple).

Une économie en panne

L'Égypte dépend traditionnellement de quatre rentes :

Le Nil, qui permet l’agriculture (employant encore plus du tiers de la population) dans une vallée fertile entourée par le Sahara, a permis d’assurer la prospérité de l’Égypte pendant des siècles. La concentration de la population sur les bords du fleuve et l’insuffisance de l’agriculture à combler les besoins de la population (l’Égypte est parmi les principaux importateurs de blé au monde) révèle les limites naturelles de cette ressource.

Le tourisme, favorisé par la géographie et bien entendu par l’héritage historique de l’Égypte antique, a beaucoup souffert de l’instabilité politique qui suscite l’apprehension des touristes, faisant perdre des milliards à ce secteur pourvoyeur de devises. Suite aux événements intervenues en 2011, le secteur a perdu pres de 30% de ses revenus. Avant la Révolution, l’Égypte attirait près de 13 millions de visiteurs par an, ce qui engendrait des revenues s’élevant à environ 12.5 milliards de dollars US. Ces revenus ont reculé pour atteindre 9 milliards en 2011.

La position géostratégique, permet à l’Égypte d’engranger des droits de passage par le Canal de Suez, aujourd'hui en declin en raison de la crise économique mondiale. Elle permet aussi l’octroi d'une aide substantielle des États-Unis depuis la signature des accords de Camp David en 1978, mais l’avenir de cette aide est aujourd’hui plutôt incertain.

Les hydrocarbures enfin, même si l’Égypte n’en dispose pas autant que les autres pays de la région. Le pays détient d’importantes reserves en pétrole (sixième en Afrique) et en gaz naturel (troisième après le Nigeria et l’Algérie). Contrairement à d’autres pays arabes, la population importante nécessite pourtant une consommation intérieure élevée, ce qui limite d’autant les exportations et donc les revenus issus de ce secteur.

Les hydrocarbures enfin, même si l’Égypte n’en dispose pas autant que les autres pays de la région. Le pays détient d’importantes reserves en pétrole (sixième en Afrique) et en gaz naturel (troisième après le Nigeria et l’Algérie). Contrairement à d’autres pays arabes, la population importante necessite pourtant une consommation intérieure élevée, ce qui limite d’autant les exportations et donc les revenus issus de ce secteur.

 

Où va l'Égypte ?

Alors que le paysage politique post-révolutionnaire doit encore se stabiliser et que ses moteurs économiques sont en panne, la dette publique de l’Égypte s’est accrue au cours des derniers mois, pour approcher la barre symbolique des 200 milliards de dollars US, soit plus de 85% du PIB. Parallèlement, les réserves de la banque centrale ont fondu pour faire face à la situation, faisant sombrer l’économie égyptienne vers encore plus d’incertitude pour son avenir. Si le cycle entamé par le renversement d'Hosni Moubarak a suscité beaucoup d’espérances au sein de la population Égyptienne, et même au-delà, il reste au pays un long chemin à parcourir sur le chemin de la démocratie, de la stabilité et du développement.

Au-delà des défis politiques, économiques, ou stratégiques auxquels sera confronté le nouvel exécutif, c’est avant tout "la bombe à retardement" démographique qui fait craindre le pire. Avec une population qui a quadruplé en 60 ans et qui augmente de près d’un million de personnes chaque année, il serait difficile pour n'importe quel gouvernement au monde, si efficace et si légitime soit-il, de combler en quantité et en qualité des besoins sociaux (éducation, santé, emploi …) croissant à un tel rythme. Alors que les manifestations sont devenues désormais quasi quotidiennes, il apparaît que les Égyptiens feront preuve de beaucoup moins de patience, de retenue, et d’indulgence que par le passé envers leur gouvernement.

 

Nacim KAID-SLIMANE