Quatre modèles économiques pour l’électrification rurale en Afrique (2 /2)

Nouvelle imageL’association Africa Express a étudié en 2012, 25 projets d’énergie sélectionnés par un Comité Stratégique. A partir du Livre Blanc sur les bonnes pratiques des énergies durables en Afrique, publié par l’Association, nous avons présenté dans un précèdent article, deux modèles portant sur l’entreprise sociale (1), et la création de filière économique nouvelle (2). Voici deux autres reposant sur la fidélisation de la clientèle (3) et le développement de partenariats public-privé (4).

(3) Fidéliser les clients

Les projets d’électrification rurale décentralisée peuvent faire face à un taux élevé de non-recouvrement du paiement du service rendu par les clients, pour différentes raisons : insatisfaction, difficultés financières… Il s’agit d’un risque majeur pour la pérennité du projet, puisqu’il entraîne une diminution des recettes, qui pèse sur les opérations de maintenance préventive ou curative et dégrade ainsi la qualité du service.

La conservation de la rente assurée par les clients acquis exige donc un investissement qui peut représenter un coût élevé : relances, mobilisation de personnel pour récupérer les créances, désinstallation du matériel… Cependant, il est nécessaire pour garantir la qualité de service et assurer la viabilité de l’opérateur.

BPC Lesedi propose une solution innovante parfaitement adaptée au cas du Botswana, car il s’agit d’une région à fort pouvoir d’achat des populations. Le concept du paiement au service est une solution qui peut être répliquée pour d’autres bassins de population.

Projet BPC Lesedi / Botswana : mise en œuvre du concept de «paiement au service » via un réseau de franchisés

Nouvelle image (BPC Lesedi (joint-venture détenu à 55% par BPC – opérateur national d’électricité botswanais – et à 45% par EDF) est née en 2010 et a pour mission de mettre en œuvre le programme national d’électrification rurale à partir d’énergies renouvelables, solaire en particulier. L’objectif de la politique énergétique du Bostwana est d’atteindre un taux d’électrification de 80% des foyers d’ici 2016 et de 100% d’ici 2030.

Le modèle mis en place par BPC Lesedi est celui de « paiement au service » déjà mis en œuvre dans d’autres pays par EDF. Au Botswana, l’innovation de cette approche réside dans son système de franchises. Le « paiement au service » vise à répondre au plus grand défi posé par les systèmes hors-réseaux par rapport à l’électrification via le réseau électrique conventionnel : prendre en charge la maintenance et sa charge financière qui pèse sur le client en échange d’une redevance mensuelle.

La force du système de franchises réside dans l’adaptabilité des entrepreneurs à différents environnements, et la durabilité d'une prestation de services performante qui conduit l'entrepreneur local à maintenir son entreprise en pleine croissance en conservant ses clients captifs et satisfaits. En impliquant le secteur privé pour mener le processus d’électrification rurale à travers le pays au lieu de confier la mission à un unique opérateur national, le concept de franchises va permettre à BPC Lesedi d’encourager l’ensemble de l’industrie solaire dans le pays et d’apporter de la valeur ajoutée à son expansion.

Après 3 ans, BPC Lesedi a déjà réussi l’installation de 600 systèmes solaires (pour 3 000 bénéficiaires environ)  grâce au recrutement et à la formation de 10 franchisés. Ceci a contribué à la création de 47 postes permanents dans le solaire à travers le réseau de franchises et de sous-traitants.

(4) Construire des partenariats public-privé (PPP)

Les PPP peuvent représenter une solution pertinente de financement de l’accès à l’énergie, si la politique nationale d’électrification rurale d’un État ou d’une région est définie, et que le cadre réglementaire est transparent et incitatif.

Dans le domaine de l’électrification rurale, les États peuvent libérer des concessions dont elles confient la gestion à une entreprise privée, alors titulaire d’une délégation de service public sur un territoire défini. Elle est alors en charge du développement de l’accès à l’énergie, et bénéficie d’une exclusivité d’exploitation sur une durée longue (10 à 20 ans) afin de rentabiliser ses investissements et dégager des bénéfices. Au terme de la concession, la puissance publique devient propriétaire et gestionnaire des infrastructures. D’autres systèmes existent, comme l’affermage, dans lequel l’opérateur privé gère un service public, en contrepartie d’une rente reversée à l’État.

Pour les infrastructures énergétiques d’envergure nationale ou régionale, les PPP représentent une voie pertinente d’une croissance durable. À l’initiative des gouvernements et sur impulsion internationale, bailleurs publics, agences internationales et partenaires privés sont associés afin de mettre en œuvre un projet de  production ou de distribution énergétique.

Projet GDC / Kenya : PPP pour la construction d’une centrale géothermique de 400 MW

Nouvelle image (3)L’entreprise GDC (Geothermal Development Company), créée en 2008, développe l'énergie géothermique au Kenya. La géothermie est l’unique grande source d’énergie encore inexploitée, peu chère, fiable et disponible.

On estime le potentiel géothermique du pays à plus de 10 000 MW, principalement le long de la vallée du Rift. Le premier projet développé par l’entreprise est la centrale de Menengai, qui produira 400 MW à l’achèvement de sa construction en 2017.

En raison des coûts très élevés liés à l'exploration des ressources en amont, les investisseurs sont généralement frileux quant au développement de la géothermie, dont l’exploitation des ressources a stagné dans la plupart des pays. Cependant GDC a été conçu comme un accélérateur du développement géothermique du pays.

GDC prend en charge les risques de l’exploration : elle procède ainsi à des études de surface, d’exploration, d'évaluation et de production de forage. Les investisseurs seront par la suite invités à s'associer au développement de la centrale dans le cadre d’un partenariat public-privé.

Grâce à la prise en charge des risques initiaux engendrés par l’exploration géothermique, GDC favorise les investissements dans le secteur en limitant les risques qui pèsent sur eux. Si les investisseurs privés devaient être impliqués dans l'investissement de l’intégralité de la chaîne de valeur géothermique, le risque serait de facto répercuté sur les tarifs au consommateur, qui deviendraient alors trop élevés pour la population locale.

Grâce à ce modèle, le Kenya développera une industrie géothermique efficace tandis que les consommateurs  bénéficieront également de tarifs plus bas.

En conclusion :

L’Afrique dispose de ressources énergétiques très importantes. Pourtant les investissements actuels dans les unités de production, et une approche strictement technique et macro-économique ne sont pas suffisants pour délivrer l’électricité à l’ensemble de la population. Des freins subsistent : infrastructures vulnérables aux variations de la demande, réseaux peu interconnectés qui freinent le développement de structures de production énergétiques régionales, surcoût à l'investissement des énergies renouvelables… Enfin, l'économie actuelle du système électrique empêche les investissements nécessaires faute d'efficacité, de solvabilité des acteurs et de stabilité politique et réglementaire.

La réussite de l’accès à l’énergie en zone rurale nécessite une autre vision, tout aussi à long terme, mais menée au plus près du terrain. Surtout, elle requiert la construction de modèles économiques mieux adaptés à des populations pauvres et souvent peu solvables, l’implication de tous les acteurs des filières et enfin le placement de l’innovation sociale et financière au cœur de la problématique de l’accès à l’énergie.

 

Jeremy DEBREU d’Africa Express