La société civile par-delà les frontières : Entretien avec Momar Talla Kane

Entretien avec Momar Talla Kane, Ancien Président du REPAOC (2009 – 2010) Ancien Président du CONGAD (Conseil des ONG d’appui au développement, la plateforme nationale des ONG sénégalaises) et à ce titre, du REPAOC (Réseau des Plateformes nationales d’ONG d’Afrique de l’Ouest et du Centre), il a participé à plusieurs cadres de réflexion sur les politiques de développement en y portant la voix des ONG africaines. C’est de cette expérience dont il témoigne ici.


Quelles sont les missions des ONG, selon vous ?

Talla KaneAu fondement des ONG réside une mission, celle de participer aux efforts des populations et des citoyens à se prendre en charge dans la perspective d’une vie meilleure où les droits de chacune et chacun sont respectés. Les ONG ne sauraient se substituer aux populations, mais travaillent au renforcement de leurs capacités : elles les accompagnent, les appuient à concevoir et réaliser leur développement économique, politique, social et culturel. A cet effet, les ONG cherchent à influer sur les politiques publiques aux plans local, national et international pour la prise en charge effective des préoccupations des populations.
 

Que doivent-elles faire pour y arriver?

Elles doivent se constituer en acteurs majeurs dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de ces politiques. Elles doivent contribuer à l’approfondissement de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits humains. Elles ont l’obligation de veiller à l’efficacité des politiques publiques pour le développement mais aussi à l’efficience de leur propre intervention auprès des populations, des Etats et de tout autre partenaire. Aussi doivent-elles chercher à établir un partenariat véritable avec tous les acteurs dans la seule perspective d’un développement harmonieux et durable de nos pays respectifs pour un monde juste et meilleur. C’est ainsi, en respectant ces obligations, que les ONG porteront haut la Voix Non-gouvernementale.

Comment appréciez-vous la collaboration entre ONG africaines et européennes ?

Ensemble, les ONG africaines et les ONG européennes contribuent fortement à la cohérence des politiques en faveur du développement, et ce au travers d’une collaboration multiforme. En particulier, la participation à deux Assemblées Générales de CONCORD qui ont porté entre autres sur la cohérence des politiques de l’Union européenne a été l’occasion d’un fort plaidoyer auprès du Parlement européen, en liaison avec les ONG européennes et CONCORD. Elles y ont porté ensemble les préoccupations des ONG africaines. Ces nombreux efforts de CONCORD en faveur de la cohérence des politiques de l’Union européenne doivent être poursuivis pour arriver à une large efficacité des politiques de coopération, d’aide et de développement.

Poursuivis, de quelle façon?

Cela implique d'influer sur la conception et la mise en œuvre des politiques de coopération multilatérale et bilatérale est également un domaine important de la collaboration entre les ONG des deux continents. Elles ont pu, ensemble, participer au débat public international dans une interaction avec les autorités gouvernementales qui conduisent les négociations internationales. C'est d’ailleurs de cette collaboration, impliquant aussi les ONG des autres continents, qu’est né le Forum International des Plateformes Nationales d’ONG (FIP), un cadre idéal de dimension planétaire qui cherche à influer sur la gouvernance mondiale tout en renforçant les capacités de ses membres, donc des ONG. Cette plateforme des plateformes d’ONG défend essentiellement les préoccupations des ONG au niveau des instances internationales, mais aussi au niveau national. Il est un cadre légitime et représentatif dans lequel les ONG forgent des positions communes, partagées pour assumer et assurer leur ambition de prendre en charge les préoccupations des populations et des citoyens, dans toutes les décisions et politiques publiques les concernant.

Au-delà des ambitions, qu'a pu réaliser le FIP concrètement?

Ces deux dernières années (2010-2012) le FIP s’est efforcé de matérialiser ces objectifs à travers des exercices de diplomatie non gouvernementale dans des thématiques aussi porteuses d’enjeux que le changement climatique, l’aide publique et le financement du développement, la prévention des conflits, la lutte contre les inégalités sociales et l’exclusion, la régulation des marchés agricoles, l’accès à l’eau, l’assainissement et l’environnement favorable. Des rencontres du Groupe de Facilitation de l’époque avec les responsables des institutions internationales (Banque mondiale, Système des Nations Unies, UE, gouvernements, fondations…etc.) ont été bel et bien décisives. En outre, la mise en place du Partenariat mondial pour l’efficacité de la coopération au développement, lors du Quatrième Forum de haut niveau de Busan en Corée du Sud du 29 novembre au 1er décembre 2011, a été très bénéfique puisqu’elle a officiellement reconnu le rôle des Organisations de la Société Civile dans le développement. Cette reconnaissance a été l’aboutissement de plusieurs initiatives, en particulier l’Open Forum : un processus ouvert par lequel le FIP, avec de nombreuses ONG, a eu l’opportunité de contribuer à ce Partenariat mondial

La présence des ONG africaines sur la scène internationale est-elle effective ?

La voix des ONG africaines a été souvent portée dans beaucoup de foras mondiaux. Pour les OMD par exemple, lors du Haut Forum à New York, les ONG africaines se sont véritablement exprimées et cela se poursuit pour le Cadre de développement mondial pour l’Après OMD. Au sommet du G20 à Cannes en 2011 à travers le FIP, au sommet mondial de l’eau à Marseille en 2012, au Forum Social Mondial de Dakar et tant d’autres occasions nous avons contribué à porter haut la voix non gouvernementale. Sans aucun doute, les ONG africaines forgent leurs positions et les défendent partout à travers le monde, dans les rencontres internationales.

Paradoxalement, beaucoup de pays en développement n’atteindront certainement pas les Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015. Un pays comme le Sénégal aura pourtant fait beaucoup d’efforts en matière d’éducation, de lutte contre des maladies comme le paludisme et le Sida, qui ont été sensiblement réduites à travers le pays. Il y a eu également des avancées notoires en matière de droits des femmes, notamment avec l’adoption d’une loi instaurant la parité au sein des instances électives du pays. La lutte contre les violences faites aux femmes s’est aussi intensifiée ; les progrès sont donc réels, même s’ils restent insuffisants au regard des objectifs premiers.

Comment sortir de cette impasse?

Il faudra éviter le piège consistant à vouloir appliquer à tous une approche uniforme, et au contraire accorder plus d’attention à la souveraineté des Etats dans la conception des programmes de développement. En effet, il ne peut y avoir de solution préfabriquée pour les pays du Sud, mais c’est à leurs citoyens, leurs ONG et leurs gouvernements qu’il revient d’apporter des réponses endogènes durables.