Sakakounou : Le BlonBa chez ma mère !

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Lassine Coulibaly dit King Massasy – source BlonBa
Il y a deux semaines, ma mère évoqua la possibilité qu'un spectacle se passerait chez elle, dans une de ces villes dortoirs de l’Essonne. Vous savez, c’est parfois le genre d’informations que l’on reçoit avec un attention relative, mais qui laisse l’empreinte d'une interrogation insidieuse. Un spectacle dans son petit appartement ? Bizarre, comme c’est bizarre. Le fils distrait ne s’est pas attardé plus longtemps sur l’information et sa part de mystère. La daronne, comme disent désormais les jeunes, m’a envoyée à raison une relance sur la dite rencontre.

Hier, je suis arrivé chez ma mère avec le quart d'heure africain de retard. Avec tout le respect que je lui dois, je peux m’autoriser, c’est ma mère et jouir de la plasticité du temps dans ce cadre familial, ça a le don de l'agacer. Il y avait une demi-dizaine de personnes sont présentes. J’ai eu le sentiment qu’on m’attendait. Hum, le goujat. Gâteau. Coca et autres boissons gazeuses qui ponctueraient le fameux spectacle : Découvrant un prospectus, je lis SAKAKOUNOU et une information très importante: BlonBa. Oh ! Les choses sont plus sérieuses que je ne le pense. Présentations. Le blogueur international présenté par sa maman chérie et peu objective quand il s'agit de parler de son fils, le spectacle va pouvoir commencer. Un rasta sort d’une pièce de l’appartement de ma mère. Vraiment. Il était caché où celui-là? Et le show commence.

Sakakounou ou l’homme aux six noms

Le comédien n’est pas Ramsès, vu au Grand Parquet, cet été dans l’interprétation d’Ala té sunogo de la compagnie du BlonBa également. Ici s’agit de Lassy King Massassy. Malien. Rasta. Mais avec un nom de scène qui en lingala ferait sourire la plèbe. Massassy : balle d’une arme à feu.

Je suis conscient que je vais avoir droit avec l’assemblée à un spectacle de qualité. Dans une langue poétique et chargée de cette oralité héritière des grands kouyatés, portée par des proverbes toujours appropriés et qui assurent l’assisse de la narration, l’artiste raconte l’histoire d’un homme aux six noms. Adjoua. La joie. Une femme. Un environnement pauvre. Une femme libre. Même si, personnellement, je ne sais pas ce que signifie pour beaucoup la question même de la liberté… Adjoua. Une naissance. Un nourrisson. Une survie faite de compétition avec les mouches qui tètent à l’instar des hommes. Un nom. Nous portons le nom de nos mères. N’en déplaise. Être l’enfant d’une femme pauvre mais pas d’une pauvre femme.

L’enfance, un autre épisode de vie. Dans un quartier populaire d’Abidjan. La violence d’un ventre affamé où les hommes trompent la faim et des mômes se transforment en tueurs en série de margouillats. Oui, ces petits lézards humoristes qui peuplent les parcelles des quartiers populaires. Tous les lézards morts connaissent son nom. Mbadou. Il traque avec férocité les quadrupèdes, génocidaire lucide et nerveux. Le comédien plaide pour la création verte de Dieu. On sourit. Le verbe du malien est haut, habité qu’il est par son texte. 

Je ne vous ai parlé que deux noms (voir trois) de notre personnage. Vous ne pensez pas que je vais vous raconter toute l’histoire ? Ce sont des épisodes de vie que narre Lassine Coulibaly avec dextérité. Une jeunesse pauvre à Abidjan. La construction d’une identité. Un jeune malien en Côte d’Ivoire. Y passent quelques maux de la société ivoirienne comme cette nauséeuse xénophobie qui a conduit beaucoup à quitter cette ancienne terre d’accueil. Et par la suite, la découverte de la terre des ancêtres, le Mali…

Ce spectacle de maison est réellement une réussite. Car figurez-vous que c’est également une comédie musicale. Les épisodes de vie du personnage sont entrecoupés par des phases mélodieuses et rappées en bamanan, sur un fond de musique malienne. Car, c’est l’originalité de ce hip-hop malien qui trouve un écho large au Mali dans sa capacité de s’ancrer dans un terroir et dans des langues africaines. C’est surement les phases les plus émouvantes du spectacle que l’inculte en bambara que je suis devinais dans le jeu de l’artiste.

Naturellement, j’observe du coin de l’œil le public. A la fois émerveillé mais aussi sur ses gardes. Les échanges avec l’artiste en fin de spectacle autour d’une collation permettront à l’artiste de jauger l’impact sur le public d’un spectacle très personnel…

Le pari du BlonBa est celui de la foi. En se proposant d’aller avec ce format de prestations vers un public populaire et souvent réticent à ce type de projet culturel ou aux salles obscures, il démontre qu’une population se construit, s’initie lentement mais sûrement. L’investissement du Théâtre de l’Arlequin de Morsang/Orge se traduira forcément par un retour sur recherches de spectateurs.

Sakakounou est l'adaptation pour un théâtre de maison de la pièce L'homme aux six noms avec Lassine Coulibaly, dit King Massassy