Jomo Kenyatta à l’épreuve du pouvoir : Harambee !*

 

Nous sommes le 12 décembre 1963. Il est  minuit au stade d’Uhuru, et  un nouvel Etat vient de naitre. En présence d’une foule nombreuse et de personnalités de haut rang, parmi lesquels Jomo Kenyatta et le duc d’Edimbourg (époux de la Reine Elisabeth II), le drapeau Kenyan est hissé ren remplacement des couleurs Britanniques. Au même moment, ce drapeau est planté sur les hauteurs du mont Kenya, pour qu’il puisse symboliquement flotter sur l’un des plus hauts points sur Terre. Le Kenya devient ainsi le 34éme Etat Africain à obtenir son indépendance. Pourtant, les défis restent colossaux pour la toute jeune nation.

Le temps des choix

Face à une société diverse et divisée par les violences qui ont marqués la fin de la période coloniale, la priorité absolue est de structurer la scène politique. En tant que Premier Ministre et leader du parti arrivé en tête des élections de mai 1963 (la KANU), Kenyatta a les coudées franches pour procéder aux choix qui impliqueront l’avenir de la nation. Dans le débat sur le degré de centralisation du système, Kenyatta impose ainsi sa vision d’un gouvernement central fort, et réussit même à convaincre son rival Ronald Ngala  (partisan d’un d’une certaine autonomie régionale), à dissoudre son propre parti pour l’intégrer à la KANU afin d’aboutir à une Assemblée Nationale unifiée et à un système de parti unique. Le 12 décembre 1964, après une période de transition qui aura duré exactement un an, la république est proclamée et Kenyatta en devient le président.

Le deuxième choix majeur, qui est crucial dans un contexte de Guerre Froide, est de déterminer l’orientation du système économique. Sur ce point, Kenyatta adopte clairement une approche capitaliste plutôt pro-occidentale, ce qui le rend vulnérable aux critiques des partisans d’une option socialiste. En particulier, il se heurte à l’opposition de l’autre poids lourd de la scène politique, le vice-président Oginga Odinga, qui finira par quitter la KANU en 1966 pour former un parti résolument orienté à gauche, la Kenya People’s Union (KPU). On accusera d’ailleurs celui-ci de recevoir de l’argent des communistes Chinois pour accroitre son influence, ainsi qu’un appui des pays du bloc de l’Est.

Enfin, il reste la question des terres, qui avait servi de catalyseur à la lutte pour l’indépendance. Malgré des appels à la nationalisation des propriétés des colons blancs pour procéder à une redistribution, Kenyatta tente de lancer un programme de « Kenyanisation »  progressive tout en rassurant les fermiers européens sur leur avenir au sein de la nouvelle nation. Le problème se réglera essentiellement de lui-même, puisqu’une grande partie des colons finiront par quitter le pays. Le Kenya reste néanmoins confronté à des problèmes de développement très graves. Le magazine Time estimait ainsi à l’époque que le pays ne comptait que 750 médecins, alors qu’il lui en fallait au moins 9000, et que le problème se posait avec d’autant plus d’acuité du fait d’une croissance démographique de prés de 3,5% par an.

L’équilibre ethnique

Appartenant à l’ethnie la plus nombreuse (mais qui est loin d’être majoritaire dans le pays, puisqu’elle représente environ un quart de la population totale), Kenyatta doit sans cesse manœuvrer pour maintenir l’équilibre ethnique. Bien qu’il essaye de nommer des membres d’autres ethnies aux postes officiels, il apparait que l’essentiel du pouvoir est entre les mains des Kikuyus, l’ethnie du président. Les clivages politiques avec Odinga sont compliqués par le fait que celui-ci soit un Luo, de même que  Tom Mboya, ministre très populaire qui était même pressenti pour succéder à Kenyatta. Alors que Mboya se démarque d’Odinga et de nombreux Luos par ses opinions nationalistes et pro-occidentales, il reste fondamentalement identifié sur la scène politique comme Luo, ce qui montre que ce ne sont pas tant les opinions qui comptent mais l’origine ethnique. Par ailleurs, Kenyatta est accusé de sombrer vers une dérive autoritaire et de marginaliser les autres ethnies. Il n’hésite pas à menacer publiquement ses rivaux, et plusieurs opposants disparaissent ainsi dans des conditions mystérieuses.

L’assassinat de Tom Mboya, le 5 juillet 1969, par un Kikuyu (qui sera rapidement jugé et exécuté), provoque ainsi de violentes émeutes  et fait planer la menace d’une guerre civile entre Luos et Kikuyus. Le procès bâclé de l’assassin nourrit des spéculations sur les véritables commanditaires de l’assassinat, et  Kenyatta provoque la colère des Luos en adoptant une attitude intransigeante par l’imposition d’un couvre feu et l’arrestation de plusieurs leaders Luos (parmi lesquels Odinga, dont le parti est interdit).

Une autre victime de ces dérives sera un certain Barack Hussein Obama (1936-1982), père de celui qui sera le premier président afro-américain à la tête des Etats Unis, dont la carrière sera brisée en raison de son opposition au gouvernement de Kenyatta et à son origine Luo. Dans Dreams from my father, Barack Obama (junior) raconte la descente aux enfers de son père, qui à la suite d’un article critiquant la politique économique du gouvernement, sera limogé de son poste par Kenyatta et marginalisé jusqu’à la fin de sa vie. Il sombra alors dans la pauvreté, l’isolement et l’alcool et sera victime de plusieurs accidents de la route, qui le conduiront à de longues hospitalisations (dont une qui  conduira à l’amputation de ses deux jambes), et finalement à sa mort le 24 novembre 1982. 

L’héritage de Kenyatta

Malgré ces graves troubles, Kenyatta gagne les élections présidentielles en 1969 et 1974, et effectuera ainsi trois mandats jusqu’à sa mort en 1978. Il se présente avec un  bilan économique plutôt positif, bénéficiant d’une croissance soutenue et d’une hausse des exportations, ainsi que d’une aide étrangère conséquente. Kenyatta aura d’ailleurs l’habilité de rester ouvert à la fois aux aides financières et techniques occidentales qu’à celles du bloc de l’Est, en prônant une politique étrangère non alignée (même si dans les faits, elle est plutôt pro-occidentale). Il s’impose comme le grand leader dans la région et enregistre des succès diplomatiques significatifs, comme le fait d’avoir résolu un différend territorial entre la Tanzanie et l’Ouganda.

Si le Kenya devient un modèle de développement en Afrique, étant à la fois stable, prospère et avançant constamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, les inégalités demeurent nombreuses. En particulier, il apparait que la famille de Kenyatta et ses alliés politiques se sont considérablement enrichis au détriment du reste de la population, alors que les Kikuyus sont accusés de devenir une élite privilégié par le régime (notamment dans la redistribution des terres).

Malgré la corruption et la dérive autoritaire, Kenyatta aura laissé un bilan globalement positif et sera salué comme un leader sage et pragmatique. Il aura réussi à  fonder des bases stables pour le Kenya, à mettre en place des instituions qui fonctionnent, et à faire avancer l’économie du pays et son développement. Sa mort survient durant son sommeil le 22 aout 1978 à Mombassa.

Néanmoins, les failles du système établi par Kenyatta, à savoir essentiellement le déséquilibre ethnique et la dérive autoritaire, continuent de se faire ressentir sur l’avenir du Kenya, comme l’ont montré les violences consécutives aux élections de décembre 2007, sur fond de rivalités ethniques entre Luos et Kikuyus. Comme à l’époque de Kenyatta, les leaders politiques (Mwai Kibaki et Raila Odinga) restent avant tout identifiés par rapport à leur origine ethnique, et tout conflit politique risque rapidement de dégénérer en violences interethniques. Les résultats montrent clairement un clivage ethnique et régional qui menace gravement l’unité du pays. Après plus de 1000 morts et des centaines de milliers de déplacés, un compromis fut finalement trouvé et fonctionne bon gré, mal gré. Mais les élections prévues en 2012 risquent à nouveau de réveiller les démons du passé et faire plonger le pays dans un nouveau cycle de violences. La devise Harambee ! reste  donc plus que jamais d’actualité.

Nacim KAID SLIMANE

*devise officielle du Kenya, lancée par Kenyatta, qui signifie approximativement en Swahili « agissons  tous ensemble »

Jomo Kenyatta, « la lumière du Kenya »

 

Our children may learn about the heroes of the past. Our task is to make ourselves the architects of the future”- Jomo Kenyatta, president du Kenya (1964-1978) et père de la nation Kenyanne

Le déchainement de violences postélectorales en Cote d’Ivoire nous incite à réfléchir sur la répétition de tels scénarios sur le continent. Même si l’on ne dira jamais assez que chaque pays a ses spécificités et qu’il faut se garder d’effectuer des parallèles trop sommaires pour appliquer des solutions types, l’Histoire singulière du Kenya est à méditer. L’évolution  du Kenya revêt bien des contradictions : ce pays est décrit comme un modèle à l’échelle continentale, alors que le bidonville de Kibera abrite prés d’un million d’habitants et est l’un des plus grands d’Afrique. Sa stabilité attire de nombreux touristes et investisseurs, mais la diversité ethnique continue de planer comme une épée de Damoclès sur sa cohésion et son avenir.

Celui qui est unanimement considéré comme le père de la nation Kenyane a lui-même eu un parcours atypique. Jomo Kenyatta a joué un rôle majeur sur la scène politique du pays, dont il est devenu Premier Ministre au moment de l’indépendance, puis président durant 14 ans. Il a posé les fondements de l’Etat Kenyan indépendant et a durablement marqué ses institutions.

De Kamau à Jomo Kenyatta

Jomo Kenyatta est né au début des années 1890 (la date exacte est inconnue) dans la région de Gatundu, au nord de Nairobi. Durant son enfance, il portait le prénom de Kamau, sa famille appartenant à l’ethnie des Kikuyus. Après la mort de ses parents, il rejoint une mission de l’Eglise d’Ecosse ou il apprend à lire et à écrire en anglais et ou il reçoit une formation de charpentier. Il devint par la suite apprenti-charpentier, puis interprète, et enfin commerçant, avant d’intégrer le département des travaux publics du Conseil Municipal de Nairobi.

En 1922, il adoptera le nom de Kenyatta, signifiant « lumière du Kenya » en Swahili. Ce nom faisait référence à une ceinture traditionnelle qu’il avait pris l’habitude de porter lorsqu’il était parti vivre avec les Massais, afin d’éviter d’être mobilisés durant la Première Guerre Mondiale par les autorités Britanniques. C’est durant cette période que débute sa carrière politique au sein de l’East African Association, une organisation qui milite pour le retour des terres prises aux Kikuyus par les colons européens. Il rejoint par la suite la Kikuyu Central Association(KCA) et en devient le secrétaire général en 1928.

La question agraire est cruciale pour les Kikuyus. Les plateaux centraux du Kenya sont en effet une région fertile sur lesquels se sont installées des dizaines de milliers de colons blancs cultivant le thé et le café. De nombreux Kikuyus, auxquels on reprochait de ne pas avoir de titre de propriété « au sens européen » sur une terre qu’ils considéraient comme celle de leurs ancêtres, se sont vu expropriés et contraints à l’exode vers les villes. Consciente des enjeux liées à cette question, la KCA envoie Kenyatta plaider la cause de l’ethnie directement auprès des autorités britanniques à Londres. C’est ainsi que celui-ci se retrouve en 1929 en Europe, inaugurant un séjour de plus de quinze ans qui le marquera profondément.

Out of Africa

Kenyatta s’évertue à sensibiliser l’opinion publique Britannique à la situation des colonisés. Il publie plusieurs articles, notamment dans le Times, réclamant le retour des terres confisqués, de meilleures opportunités d’éducation, le respect des traditions et un droit de représentation, et mettant en garde contre l’inéluctabilité d’une « dangereuse explosion » si les demandes ne sont pas satisfaites.

Malgré ses efforts, il n’obtiendra que peu de promesses de la part des autorités, et le Secrétaire d’Etat aux Colonies refusera de le recevoir. Tout en continuant à militer pour la cause des Kikuyus et à faire du « lobbysme » auprès des autorités britanniques, Jomo Kenyatta décide de reprendre ses études, d’abord à Birmingham, puis à Moscou et enfin à Londres. Ceci lui permet d’élargir ses perspectives, et de faire la connaissance de nationalistes originaires d’autres pays d’Afrique, ainsi que des militants panafricanistes.

Il soutiendra en 1938 une thèse en anthropologie sociale sur les coutumes des Kikuyus, à la London School of Economics, qui sera ensuite publiée sous le titre « Facing Mount Kenya », un ouvrage de référence sur la société traditionnelle Kikuyu dans lequel il critique les bouleversements intervenus suite à l’arrivée des Européens.  Lorsque la KCA est interdite au Kenya et que la Seconde Guerre Mondiale éclate, il se trouve coupé de son organisation mère Kikuyu. Cela lui donne l’occasion de se consacrer à des causes plus globales, et il mènera désormais son combat dans le cadre panafricain, notamment autour de Kwane Nkrumah, George Padmore et Hastings Banda. Il assistera à ce titre au Cinquième Congrès Panafricain à Manchester en octobre 1945, dans lequel est réclamée l’indépendance des colonies, la fin de la discrimination raciale, ainsi que l’unité africaine.

Fort de l’expérience acquise pendant ce long séjour à l’étranger, Kenyatta revient en Afrique en 1946, et devient président de la Kenya African Union (KAU). Pendant plusieurs années, il parcourt le Kenya pour tenir des conférences et promouvoir l’indépendance, tenant un discours nationaliste qui dépasse les clivages ethniques. Néanmoins, le fond du problème reste toujours le même, et le nombre de colons a continué d’augmenter. La « dangereuse explosion » qu’avait évoqué Kenyatta avec prés de 20 ans d’avance finira par éclater en 1951.

La révolte des Mau Mau et l’indépendance

Le mouvement Mau Mau s’étend tout au long des années 1950, mené par des Kikuyus réclamant le retour de leurs terres. Alors qu’une campagne de sabotages et d’assassinats est menée, les autorités Britanniques réagissent par une répression extrêmement sévère, aboutissant à la proclamation de l’Etat d’urgence en 1952, à des arrestations massives et à des opérations militaires qui feront des milliers de morts.

La KAU n’échappe pas à la réaction des autorités coloniales. Lorsque celle-ci est interdite, Kenyatta est arrêté en octobre 1952 et accusé d’être un meneur des Mau Mau. Il est condamné à sept ans de travaux forcés, avant d’être transféré en « rétention permanente » dans un poste militaire particulièrement isolé.

Même si la rébellion des Mau Mau finit par s’éteindre sous les effets de la répression, ses idées se seront propagées auprès de la population. Les Kikuyus avaient été aux avants postes de la lutte nationaliste, mais le flambeau fut repris par les Luos, sous la tutelle de Tom Mboya et d’Oginga Odinga (père de l’actuel Premier ministre Kenyan). Ces derniers formeront la Kenya African National Union (KANU) dont Kenyatta (toujours emprisonné) est élu président in absentia.

Son engagement nationaliste établi, ses habilités politiques, et son long séjour à l’étranger (qui donnent l’impression de le mettre au dessus des tensions ethniques) font de Jomo Kenyatta une sorte de « Mandela Kenyan », et des manifestations sont organisées pour réclamer sa libération.

Il est finalement relâché le 21 aout 1961, et mène la délégation de la KANU lors des négociations pour avec les autorités Britanniques à Londres. Le Kenya accède à l’indépendance le 12 décembre 1963, avec Kenyatta comme Premier Ministre (la Reine d’Angleterre restant symboliquement le Chef de l’Etat).

Une nouvelle époque s’ouvre dans l’Histoire du Kenya, dont le père fondateur, Jomo Kenyatta, sera à la tête pendant plus de 15 ans et forgera ses institutions, ses références, et l’équilibre interethnique qui reste encore de nos jours un élément majeur dans l’équation Kenyane. (A suivre)

Nacim Kaid Slimane

 

Les nouveaux partenaires de l’Afrique

 

Le continent africain a toujours été un terrain d’expression privilégiée pour le développement d’une politique étrangère, si bien que cela constitue un baromètre de la puissance d’un pays et un indicateur de classement mondial des puissances du moment. Après la domination coloniale hispano-portugaise, puis franco-britannique, et enfin une compétition américano-soviétique pendant la Guerre Froide, l’Afrique est entrée depuis une dizaine d’années dans une nouvelle ère dans laquelle les pays émergents jouent un rôle majeur.  Même si les puissances anciennement présentes ne se sont pas retirées du continent (les Etats-Unis et la France continuant, dans l’absolu, d’y promouvoir leur vision et leurs intérêts), la montée de nouveaux acteurs en Afrique constitue une donnée majeure de l’évolution géopolitique contemporaine.

Le role actif de la Chine est sans doute le plus médiatisé, tant ses relations avec les pays africains sont en plein boom. Ceci est amplifié par le fait que la croissance exceptionnellement forte de la deuxième puissance économique mondiale suscite des appréhensions chez les acteurs déjà implantés et qui voient leurs intérêts être directement concurrencés. Valérie Niquet, Directrice du Centre Asie de l’IFRI, a publié un article qui reste une référence sur la stratégie chinoise en Afrique et les enjeux politiques et économiques qui y sont liés. http://www.ifri.org/files/politique_etrangere/pe_2_2006_niquet.pdf

L’autre puissance montante en Asie, l’Inde, est également un acteur majeur sur le continent africain, même si sa présence est moins visible. Joël Ruet, chercheur CNRS au Centre d'Etudes Français sur la Chine Contemporaine présente les principaux secteurs de coopération (télécoms, transport, informatique, etc.)  et la croissance très soutenue du volume des affaires.  Il affirme ainsi que « sans que le monde ne s'en aperçoive trop, le commerce entre l'Inde et l'Afrique est passé de 7 milliards de dollars en 1997 à 51 milliards en 2007 », signe le plus visible de  la mise en place d’une « Indafrique » : http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/l-indafrique-aussi_232025.html

Le Brésil est également devenu, sous l’impulsion du président Lula, un partenaire majeur pour les pays africains. L’aspect politique de la relation est sans doute plus fort encore que pour la Chine et l’Inde, puisque les liens historiques et culturels sont établis et que d’après l’expression même de Lula,  le Brésil a une « dette » envers une Afrique qui a contribué à son peuplement et à son développement.  Comme l’illustre bien un article de l’alliance géostratégique, le Brésil présente des atouts et a un intérêt particulier à s’engager dans un partenariat à long terme avec le continent Africain, qui s’étendrait au delà des échanges de ressources naturelles : http://alliancegeostrategique.org/2010/05/16/afrique-et-bresil/

Enfin, on peut citer un pays qui apparaît de plus en plus comme un outsider prometteur tant au niveau africain que mondial : la Turquie. Enregistrant l’un des taux de croissance les plus élevés du monde, et d’une stabilité politique intérieure sans précédent, la politique étrangère Turque a connu un bouleversement ces dernières années, notamment à travers la vision et l’action de son actuel ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Si l’on évoque parfois son influence politique croissante au Moyen Orient (et aujourd’hui en Afrique du Nord, comme le montre son action pour la résolution de la crise Libyenne), la diplomatie Turque s’active également en Afrique  ou elle a été intégrée en 2003 en tant que membre observateur au sein de l’Union Africaine. La revue Turskish Policy a publié dans sa dernière édition un article particulièrement instructif sur ce point, accessible sur http://www.turkishpolicy.com/dosyalar/files/Mehmet%20%C3%96zkan-%20Turkey%27s%20Rising%20Role%20in%20Africa.pdf

L’émergence de nouveaux partenaires pour l’Afrique, tant au niveau politique qu’économique, est aujourd’hui une réalité, et ces relations sont appelées à se renforcer et à s’étendre au cours des prochaines années. Bénéficiant de nombreux atouts et sans doute d’une meilleure image auprès des populations, il faut néanmoins s’assurer que ce partenariat joue dans les deux sens et qu’il puisse rapidement permettre aux pays africains d’enregistrer à leur tour, des résultats comparables en termes de croissance, de puissance et de développement.

           Nacim Kaid Slimane            

Des géants dans l’ombre de Mandela : les héros oubliés de la lutte anti-apartheid

11 février 1990 : une date qui représente un tournant dans l’Histoire de l’Afrique du Sud et une victoire symbolique pour l’ensemble de l’humanité. Après vingt sept années passées dans les geôles de l’Apartheid, le plus célèbre prisonnier politique du monde est enfin libéré, suscitant une immense vague de joie et d’espoir. Vingt et un an après, le personnage de Nelson Mandela inspire toujours autant de respect et suscite une admiration unanime pour son parcours et ses idées, y compris et surtout auprès des jeunes générations. Son statut de père de la nation arc-en-ciel et d’icône universel de la lutte contre le racisme ne doit pourtant pas occulter le rôle majeur joué par d’autres acteurs aux parcours tout aussi admirables, mais qui ont eu tendance à être occultés par l’immense charisme de Mandela et la médiatisation qui l’a fait connaitre partout dans le monde.

A 92 ans, Mandela occupe une place de choix dans l’Histoire et dans le cœur des hommes, toute origine et tout âge confondus, et revient épisodiquement dans l’actualité. Une place qu’il mérite amplement et qui doit être préservée. Mais si tout le monde connait le personnage de Mandela, très peu connaissent les noms d’Albert Lutuli, Oliver Tombo, Walter Sisulu, Ahmed Kathrada et tant d’autres, qui ont consacré toute leur vie à la lutte contre le régime raciste Sud-africain et ont consenti de très lourds sacrifices pour y mettre fin. Il faut en effet réaliser que Mandela n’est pas, tel Ho Chi Minh, Senghor ou Houphouët Boigny, le leader central d’un mouvement qui a été naturellement reconnu comme héros fondateur d’une nouvelle nation. L’African National Congress(ANC) a connu d’autres personnages de premier plan, dont l’action a contribué de manière décisive à la réussite du combat. Ils ont connu Mandela, certains l’ont accompagné, d’autres l’ont conseillé, et tous ont contribué d’une manière ou d’une autre à permettre l’émergence de « Madiba » sur le devant de la scène politique sud-africaine et mondiale.  Leurs noms méritent donc d’être connus et remémorés.

Albert Lutuli (1897-1967) a ainsi été le premier Africain à recevoir le Prix Nobel de la paix, en 1960, pour son engagement dans la lutte non violente contre l’Apartheid. Né en Rhodésie (actuel Zimbabwe), il fera ses études en Afrique du Sud et deviendra président d’une association d’enseignants (l’African Teachers Association) avant d’adhérer à l’ANC en 1944. Le mouvement connait alors d’importantes dissensions sur l’idéologie et les méthodes à adopter, sur fond de rivalité ethnique et régionale entre ses différents membres.

Lutuli s’imposera comme Président de l’ANC de 1952 jusqu'à sa mort, et s’efforcera d’en maintenir la cohésion et d’accroitre son influence sur la société. Mais il se trouve rapidement dépassé par des tendances plus radicales et plus violentes, en particulier après le lancement au début des années soixante d’une aile armée dénommée Umkhonyo we Sizwe (dont Mandela est membre fondateur), vraisemblablement sans l’accord de Lutuli, ou du moins avec une grande réticence de ce dernier. Lutuli avait toujours privilégié la lutte politique non violente et craignait que les actes de guérilla puissent s’avérer contreproductifs pour l’avenir de la lutte. Néanmoins, le tristement célèbre massacre de Sharpeville en mars 1960 ne pouvait déboucher que sur une évolution  de l’ANC et l’adoption de méthodes plus radicales, dont Lutuli finit par consentir la nécessité. Il meurt en 1967, à l’âge de 69 ans, laissant l’ANC entre les mains d’un autre poids lourd de la lutte anti-apartheid : Oliver Tombo.

Oliver Tombo (1917-1993) appartient à une nouvelle génération, celle qui n’a connu que l’Apartheid comme système politique et qui se fait par conséquent moins d’illusions sur une lutte entièrement non-violente. Il est né dans la province du Cap oriental et a étudié dans la même université que Nelson Mandela (dont ils furent par la suite expulsés tous les deux pour avoir participé à une grève !)

Devenu enseignant à Johannesburg, il rejoint l’ANC et fonde au coté de Mandela et Sisulu, la Ligue des Jeunes de l’ANC (ANCYL), qui préconise l’usage de nouvelles méthodes de lutte, comme la désobéissance civile ou la grève. L’ANC s’était en effet cantonnée jusque là à des méthodes plus consensuelles, à savoir des pétitions et des manifestations (influencée en partie par Gandhi, qui a vécu plus de 20 ans en Afrique du Sud et y a mené ses premiers pas en politique).

Alors que ses compagnons Mandela et Sisulu sont arrêtés et condamnés, Oliver Tombo est envoyé à l’étranger pour sensibiliser les gouvernements et les opinions publiques à la lutte contre l’Apartheid, alors que le massacre de Sharpeville révèle au monde entier la nature profondément raciste et violente de l’Apartheid. Il passera au total 30 ans en exil, installé à Londres mais sillonnant le monde sans relâche pour servir la cause de l’ANC, contribuant ainsi de manière déterminante à discréditer le régime de Pretoria et à l’isoler sur la scène internationale. De même, il ne ménagera pas ses efforts pour médiatiser le sort de Mandela et accentuer la pression sur les autorités sud-africaines en vue de libérer ses autres camarades de lutte. Oliver Tombo restera président de l’ANC jusqu’en 1991,  après avoir occupé ce poste pendant 24 ans, et rentre en Afrique du Sud en tant que héros. Il aura réussi à préserver les structures de l’ANC (dont les principaux membres étaient en prison ou soumis à une forte répression), a mené le combat diplomatique contre l’Apartheid, et a grandement participé à forger le « phénomène Mandela ». Mais il ne vivra pas assez longtemps pour voir le premier président noir accéder à la tête du pays, puisqu’il disparait en avril 1993.

Walter Sisulu (1912-2003), est le dernier poids lourd et l’ainé du trio qu’il forme avec Mandela et Tombo, mais reste sans doute le moins connu des trois. Etant métis, fils d’un magistrat blanc et d’une servante noire, Sisulu aurait pu être enregistré comme tel et bénéficier de conditions moins difficiles sous l’Apartheid (qui établissait une hiérarchie de droits selon les races). Mais il a préféré être identifié en tant que noir et lutter pour mettre fin à l’injustice du système raciste. Il a été un militant de la première heure et un pilier de l’ANC ainsi que le mentor de Nelson Mandela, dont il fut l’ami intime sur Robben Island, après avoir été condamné lors d’un même procès (le célèbre procès de Rivonia, qui a jugé 10 dirigeants de la branche armée de l’ANC, dont 4 Blancs et 2 Indiens).

Sisulu aura passé 26 ans en prison et n’est libéré qu’une année avant son camarade de fortune, Nelson Mandela. Ils auront tellement le temps de se connaitre qu’ils deviendront parfaitement complémentaires. Autant Mandela est charismatique et brillant orateur, autant Sisulu préfère la discrétion et la réflexion. Il écrira plus tard à propos de son mentor: « Walter et moi avons tout connu ensemble. C’était un homme de raison et de sagesse, et personne ne me connaissait mieux que lui. Il était l’homme dont l’opinion me paraissait la plus digne de confiance et la plus précieuse”.

 Sisulu avait partagé sa vision de l’Afrique du Sud  postapartheid avec ses compagnons à Robben Island et a conseillé Mandela lors des négociations avec les autorités du régime agonisant. Apprécié pour sa modestie et son intégrité, il a renoncé à toute carrière politique et s’est éteint en 2003. Ses efforts et  l’influence qu’il a eue sur l’ANC, sur Mandela, et sur la nation Sud Africaine moderne constituent néanmoins un héritage inestimable.

Lutuli, Tambo, Sisulu : trois géants qui demeurent dans l’ombre de Mandela et qui méritent une plus grande reconnaissance nationale et internationale pour leur contribution majeure à l lutte anti-apartheid.  Leur « passage à la trappe » est illustré par le classement des cent plus grands Sud Africains, mené en 2003, et basé sur les votes de téléspectateurs de SABC3, qui placera sans surprise Mandela à la première place. Mais la stupeur et la consternation ont accompagné les performances d’autres grandes figures de la lutte : Tombo et Sisulu n’arrivent respectivement qu’a la 31ème et la 33ème place, et Lutuli est 41ème, très loin derrière Hendrik Verwoerd, ancien Premier Ministre et architecte du système de l’Apartheid, ou Eugène Terre’Blanche, à la tête d’un mouvement qui promeut toujours la suprématie blanche, ainsi que plusieurs artistes et joueurs de criquets…

Toutes les grandes causes ont leurs panthéons de héros, qu’il convient d’honorer de manière équitable. La « personnalisation » d’une lutte peut en effet avoir de graves conséquences sur l’avenir d’une nation, comme le montre la difficulté pour la Guinée de remplacer Sékou Touré, celle de la Cote d’Ivoire d’assurer une stabilité après Houphouët Boigny, ou celle des militants de la Cause Palestinienne à rester unifiés après la mort de Yasser Arafat. Si Mandela n’a jamais organisé de culte de la personnalité, son immense popularité a occulté, malgré lui, le combat de ses compagnons. C’est une injustice à laquelle il convient de remédier, et que les autres nations doivent méditer pour ne pas faire passer à la trappe de l’oubli leurs héros et avoir à faire face ensuite aux contradictions historiques et aux crises identitaires.

Nacim Kaid Slimane 

 

L’avenir des énergies renouvelables se joue en Afrique

« L’Afrique ne manque pas d’énergie, mais celle-ci est mal identifiée et mal distribuée ; l’interconnexion du réseau africain pour la création d’un marché intégré de l’énergie est un impératif économique» ». Ce constat dressé par Cheikh Anta Diop à Kinshasa en 1985 reste encore d’actualité, puisque l’on estime que près de la moitié des habitants du continent n’a toujours pas accès à un approvisionnement régulier en électricité. L’insuffisance et la vétusté des infrastructures en matière d’énergie, le manque d’investissements et la faible interconnexion du réseau aggravent le problème énergétique, qui est l’une des causes majeures du retard de développement qu’accuse l’Afrique.

Cette crise énergétique peut néanmoins constituer une opportunité pour le continent de mettre en place des solutions innovantes, se fiant ainsi à la sagesse chinoise qui identifie le concept de crise en accolant deux idéogrammes signifiant « danger » et « opportunité ». Les énergies renouvelables constituent une opportunité inestimable, dans la mesure où l’Afrique semble être une région prédisposée à en accueillir les différentes composantes pour rattraper son retard en matière d’infrastructures électriques

Le Monde Diplomatique consacre ce mois ci un reportage sur les grands projets hydrauliques en République Démocratique du Congo, intitulé Quand le Fleuve Congo illuminera le monde. Tristan Coloma y décrit l’extraordinaire potentiel des barrages d’Inga, qui reste largement sous exploité à cause du manque de financement et de la mauvaise gouvernance. Le site du monde diplomatique complète l’analyse de l’article par un dossier très synthétique illustrant le manque d’infrastructures dont souffre l’Afrique dans les principaux secteurs socio-économiques : http://blog.mondediplo.net/2011-02-11-L-Afrique-en-manque-d-infrastructures

Le potentiel hydrographique de l’Afrique est un atout de premier plan pour soutenir son développement. A l’instar du Haut Barrage d’Assouan sur le Nil, qui a joué un rôle majeur dans l’industrialisation et le développement économique de l’Egypte, ou du barrage des Trois Gorges en Chine, les grands fleuves d’Afrique subsaharienne doivent être mis en valeur à travers des projets dont les retombées socio-économiques seront immenses. Une étude allemande intéressante étudie les enjeux liés au développement de l’énergie hydraulique en Afrique, en montrant comment le potentiel de la RDC peut être élargis à l’Afrique australe et à l’ensemble du continent : http://www.suedwind-institut.de/downloads/Wasserkraft-Inga_franz.pdf

Si l’énergie hydraulique est la filière la plus évidente et la mieux maitrisable technologiquement, d’autres sources d’énergies renouvelables sont particulièrement prometteuses. L’énergie solaire, dont le Sahara recèle de possibilités uniques au monde, ou l’énergie éolienne, qui est particulièrement disponible en Afrique du Sud et au Maghreb, démontrent les potentiels différents, mais complémentaires, des autres régions du continent en matière d’énergie propre. A ces filières peuvent s’ajouter la géothermie, qui reste largement sous exploitée, ainsi que la biomasse, notamment en étant mis en place à grand échelle sous forme de cogénération. Une fiche publiée par le site dph dresse un état des lieux particulièrement clair et complet sur ces différentes filières : http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-7422.html

Enfin, il convient de souligner l’impact décisif que peuvent avoir les énergies renouvelables sur l’intégration régionale Africaine. Tout comme la construction européenne s’est fondée sur la mise en commun du charbon et de l’acier, l’Afrique doit bâtir un réseau énergétique à l’échelle continentale, avec des ramifications vers l’Europe et vers le Moyen Orient. A cet égard, le projet Desertec est particulièrement prometteur, et prévoie des investissements de plusieurs centaines de milliards de dollars sur les prochaines décennies pour constituer l’un des projets économiques les plus ambitieux de toute l’Histoire, et un mégaprojet dans le domaine du développement durable : http://www.developpementdurable.com/technologie/2009/06/A2038/projet-desertec-une-centrale-solaire-gigantesque-dans-le-desert-africain-pour-alimenter-leurope.html

Pour rappel, le quatrième salon international des énergies renouvelables et de l’environnement en Afrique, qui se tiendra à Dakar du 27 au 30 avril prochain, traitera pleinement de cette problématique et constitue un événement majeur dans le domaine à l’échelle du continent.

Nacim Kaid Slimane

Gamal Abdel Nasser: l’expérience du socialisme arabe et l’émergence du Tiers Monde

L’expérience du socialisme arabe

Dés son arrivée au pouvoir, Nasser donne un immense coup de barre à gauche qui tranche avec  la monarchie aristocratique de Farouk. Le premier chantier vise l’agriculture, domaine d’autant plus symbolique dans un pays qui a toujours vécu au rythme du Nil et de ses crues. La réforme agraire commence par une loi qui limite drastiquement la taille des propriétés agricoles. Une politique de redistribution des terres entend briser le féodalisme : les grands propriétaires terriens qui avaient longtemps dominé le pays sont contraints de céder une partie de leurs domaines à ceux qui la travaillent, d’autres seront expropriés en totalité, et des centaines de milliers d’hectares passent sous le contrôle direct des paysans qui deviennent ainsi les plus grands partisans du régime.

Après les féodaux à la campagne, Nasser s’attaque à la bourgeoisie liée à l’ancien régime dans les grandes villes. La démocratisation de l’éducation à travers l’établissement de la gratuité de l’enseignement ouvre les portes des écoles et des universités à toute une génération. De plus, l’accès à l’administration et à l’armée est facilité pour les fils des classes moyennes et populaires qui s’identifient au  parcours exemplaire de Nasser et de ce que l’Académie Militaire lui a ouvert comme horizon.  Les banques et les grandes entreprises du service public seront également nationalisées. Les discours du président, dans lesquels il se présente comme un fils du peuple et où il condamne les « féodaux » et les « capitalistes » sont suivis avec ferveur par des foules immenses qui veulent partager le rêve socialiste de Nasser. Tout cet espoir d’un pays moderne et plus égalitaire est cristallisé dans le projet du Haut Barrage d’Assouan, qui doit bénéficier aussi bien à l’agriculture (en contrôlant les eaux du Nil)  qu’à l’industrie et à l’électrification de l’ensemble du pays.

Mais rapidement, l’Etat socialiste manque cruellement de moyens et se trouve limité dans ses ambitions. Les Etats Unis, auxquels s’adresse Nasser en priorité et qu’il respecte pour leur hostilité historique au colonialisme, finissent par lui tourner le dos. Ils refuseront de vendre des armes à l’Egypte, et feront même pression sur le FMI pour qu’il lui refuse les crédits nécessaires à la construction du barrage d’Assouan. Une seule issue s’offre à lui, mais elle est risquée : nationaliser le Canal de Suez, générateur de rente pour une compagnie anglo-française (et qui devait de toute façon passer sous contrôle Egyptien quelques années plus tard conformément à un traité signé auparavant).  Le 26 juillet 1956, il annonce triomphalement à Alexandrie que « le canal est une propriété de l’Egypte » et qu’au moment même où il parle, ses hommes  prennent le contrôle de la compagnie qui le gère. Cette action, au départ fixée par un agenda et des facteurs purement propres à l’Egypte, va provoquer une crise internationale et projeter Nasser au cœur de l’affrontement mondial entre Est et Ouest…

L’action internationale de Nasser

L’acte audacieux de nationaliser le canal est pour Paris et Londres la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ceux-ci étaient déjà exaspérés par le refus de Nasser de joindre le camp Occidental dans la Guerre froide et par son engagement anticolonialiste, qu’il avait manifesté notamment par sa participation à la Conférence de Bandung en 1955 et par son soutien indéfectible à l’indépendance de l’Algérie. Un accord secret est établi entre les Français, les Britanniques et les Israéliens pour récupérer le Canal et chasser Nasser du pouvoir. La coalition passe à l’action en octobre 1956, soit trois mois après la nationalisation. Malgré la défaite militaire et les bombardements qui accompagnent l’invasion de l’Egypte, la crise de Suez se transforme finalement en victoire politique grâce à la convergence inédite des Etats Unis et de l’Union Soviétique et des pressions que les Deux Grands exercent sur Paris et Londres.

L’aura de Nasser dans le monde arabe et dans le Tiers-Monde est immense, et sa stature lui donnera l’opportunité de développer le mouvement des non alignés, avec Tito, Nehru, Zhou Enlai, et tous ceux qui se reconnaissent dans des valeurs anti-impérialistes et refusent d’être instrumentalisés dans des luttes idéologiques de domination.

La politique étrangère de Nasser intervient sur trois niveaux : arabe, tout d’abord, où l’idéologie nassérienne connait de plus en plus de succès et qui vise à unifier l’ensemble des pays de culture arabe dans un ensemble dans lequel l’Egypte jouerait un rôle central. La cause palestinienne constitue le combat symbolique duquel dépendrait l’issue de ce projet, puisque qu’Israël est la principale menace régionale et l’obstacle géographique entre l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Africain ensuite, terrain de prédilection du colonialisme, où l’Egypte s’engage aux cotés des peuples luttant pour leur indépendance, l’opposition à l’impérialisme et au racisme ainsi que le projet de modernisation devant être les piliers de l’intégration afro-arabe. Et mondial enfin, dans un contexte de Guerre Froide, où Nasser est un l’un des fondateurs du mouvement des Non-alignés et une figure de premier plan du Tiers monde.

Néanmoins, cette politique étrangère audacieuse finira par se retourner contre Nasser puisqu’elle suscitera contre son régime de plus en plus d’hostilité. L’armée Egyptienne s’enlise au Yémen, où elle s’était impliquée dans les affaires du pays de manière trop forte. De même, la Syrie refuse l’action hégémonique du Caire sur ses affaires, et un projet d’unification des deux pays finira par échouer. Il semble que les idéaux panarabes de fraternité et d’union séduisent moins les foules. La Cause Palestinienne finira par avoir raison du rêve Nassérien, et l’humiliante défaite de juin 1967 durant laquelle l’armée  Egyptienne s’écroule face aux Israéliens sonne le glas des grandes réformes modernisatrices de la Révolution.

L’héritage de Nasser

Au lendemain de la défaite, Nasser annonce sa démission à la radio et dit assumer la responsabilité du désastre. Mais des millions d’Egyptiens envahissent immédiatement et spontanément les rues et refusent que leur président soit une victime supplémentaire de cette guerre. Profondément touché par ce geste,  Nasser finira par revenir sur sa décision, et promet de mettre les bouchées doubles pour laver l’affront. L’Egypte s’engage alors dans une longue guerre d’usure autour du Canal, et continue malgré tout de militer pour les principes anti-impérialistes.

Sur le plan intérieur, les échecs paraissent de plus en plus au grand jour, d’autant plus que le Canal est fermé et ne génère plus de revenus. La nouvelle génération connait des difficultés à s’intégrer au marché du travail, la pression démographique accentuant ses problèmes. Certains commencent à dénoncer l’autoritarisme de Nasser, et l’émergence d’une nouvelle classe autour de lui (officiers, hauts fonctionnaires, etc.) qui aurait remplacé la cour de Farouk.  Parallèlement, La répression qui s’était abattue sur les Frères Musulmans dés les années 1950, après qu’un de leurs membres ait tenté d’assassiner le président s’accentue, la torture et les condamnations à mort étant souvent pratiquées.

Sur le plan idéologique, l’expansion du Nassérisme s’essouffle : le socialisme arabe et le panarabisme étant directement liés au prestige personnel de Nasser, sa défaite en 1967 détourne les masses des idées qu’il promeut. Même si le personnage de Nasser continue de fasciner,  tout le monde est conscient que plus rien ne sera plus comme avant. Il y aura indéniablement eu un avant et un après juin 1967.

Les problèmes de santé du président, liés à son rythme de vie insoutenable (il lui arrivait de travailler plus de 18 heures par jour et il fumait cinq paquets de cigarettes quotidiennement), auront finalement raison de son volontarisme. Il s’effondre le 28 septembre 1970 à la suite d’une crise cardiaque, quelques heures après une conférence épuisante dans laquelle il s’était efforcé d’établir un accord de paix entre les combattants palestiniens et le roi de Jordanie. Les funérailles du président attireront plus de cinq millions de personnes venus manifester leur dernier adieu au « père de la Révolution ».

Reste à répondre à notre question introductive : qu’aurait pensé Nasser des événements qui secouent aujourd’hui l’Egypte ? En tant que révolutionnaire soucieux des intérêts du peuple, il se serait sans aucun doute reconnu dans les grands idéaux animant le mouvement : liberté, justice sociale, indépendance, autant de principes qu’il avait défendus dès sa jeunesse. Il se serait élevé contre l’alignement de la politique étrangère de l’Egypte sur celle des Etats Unis et de son rapprochement indélicat avec Israël. Il aurait rejeté la libéralisation de l’économie qui a enrichi un petit nombre et laissé des millions de personnes en proie au chômage, à la misère et à l’inflation. Il aurait également rejeté le faste et la corruption du régime, lui qui a toujours vécu dans la même maison modeste en banlieue du Caire avec ses cinq enfants. Il aurait manifestement été fier de cette nouvelle génération soucieuse de changer les choses et de ne pas se résigner à l’injustice. Et il aurait espéré que le peuple et l’armée, les deux choses qu’il avait toujours servies, puissent engager le pays dans un nouveau départ, et donner un second souffle à « sa » révolution.

Nacim Kaid Slimane

Gamal Abdel Nasser et le mouvement des Officiers Libres

A l’aube d’une révolution : un parallèle entre 1952 et 2011

A l’heure à laquelle un vent de contestation sans précédent souffle sur l’Afrique du Nord, suscitant partout dans le monde une réaction de stupeur, d’espoir, mais aussi de crainte pour l’avenir, il convient plus que jamais de se remémorer de l’adage « lorsque tu ne sais pas ou tu vas, n’oublie pas d’où tu viens ». En Egypte, la révolte qui secoue aujourd’hui le pays est paradoxale. Elle se pose en rupture du régime militaire en vigueur depuis presque 60 ans en Egypte, tout en se réclamant des idéaux de la Révolution de 1952, qui avait renversé la monarchie et fait entrer le pays dans une nouvelle ère. Le contexte est d’ailleurs étrangement similaire à celui qui prévalait alors. Un souverain impopulaire, se laissait alors dicter sa politique par des Etrangers, et en profitait pour s’enrichir au passage avec les membres de sa cour, tout en menant un train de vie insoutenable dans une société inégalitaire, corrompue, et qui semble inconsciente des dangers qui pèsent sur son avenir. De violentes émeutes avaient secoué le pays en janvier. Comme en 1952, l’Egypte semble aujourd’hui être une étape en retard sur les dynamiques qui ont secoué le monde, perpétuant un régime issu d’un autre âge tout en générant les mêmes aspirations que dans d’autres parties du monde. Elle s’est laissée enfermer dans une sorte de coma politique, bouchant toutes les soupapes de sécurité qui auraient permis d’éviter l’explosion sociale actuelle.

Il serait intéressant d’imaginer ce qu’aurait été la réaction de Gamal Abdel Nasser, père de l’Egypte contemporaine, face aux événements qui secouent aujourd’hui son  pays. Adulé comme une icône de son vivant, Nasser n’est pas seulement le fondateur de la République Egyptienne, qui a renversé la monarchie, libéré le pays de la domination étrangère et redonné sa dignité à tout un peuple. Il est aussi une figure de référence pour tous les mouvements révolutionnaires des continents africain et asiatique,  un leader du mouvement des non alignés, ainsi qu’un personnage de premier plan dans les relations internationales au XXème siècle.

L’irrésistible ascension « d’un fils du peuple »

Gamal Abdel Nasser est né à Alexandrie en 1918, où son père est fonctionnaire des postes. Il est scolarisé au Caire, ville en pleine ébullition politique. En effet, l’indépendance accordée à l’Egypte en 1922, apparait de plus en plus comme purement formelle. La fragile monarchie qui a été établie après des siècles de domination ottomane et un protectorat de 40 ans, reste la victime de l’ingérence constante des Britanniques. Nasser s’engage très tôt en tant que militant nationaliste et est même blessé au cours d’une manifestation à l’âge de 16 ans. Il consacre une grande partie de son temps à la lecture, sa pensée étant influencée autant par la culture arabo-islamique que par des références européennes. Il admire en particulier les grands stratèges politico-militaires, comme Alexandre le Grand, Napoléon ou Garibaldi, et se renseigne sur les grandes personnalités de son époque comme Churchill, Hitler ou Gandhi.

Refoulé à l’académie de police et à l’académie militaire en raison de ses origines modestes, Nasser sera l’un des premiers à bénéficier d’une réforme politique qui va changer sa vie. Un nouveau gouvernement issu du parti nationaliste Wafd décide d’autoriser l’accès à la carrière d’officier aux fils de la classe moyenne, jusque la réservée à de grandes familles qui dominaient également l’administration et les professions libérales. Nasser renouvelle sa candidature à l’Académie Royale Militaire, et y est finalement admis en mars 1937. Il en sortira avec le grade de sous lieutenant, et est affectée dans le sud du pays, prés d’Assiout.

C’est  à cette période qu’il rencontre ceux qui seront ses compagnons de route, notamment Anouar el-Sadate, officier issu comme lui d’un milieu modeste. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, l’Afrique du Nord devient l’un de ses principaux fronts. Arguant de la menace d’une avancée de l’Axe, l’Armée britannique se redéploie en Egypte et n’hésite pas à s’ingérer ouvertement dans les affaires du pays. Un incident en particulier choque Nasser, tout comme l’opinion publique Egyptienne : en 1942, l’Ambassadeur britannique au Caire marche sur le palais royal à la tête d’un bataillon et « ordonne » au Roi Farouk de destituer son Premier Ministre (en l’accusant de sympathies pronazies), pour exiger son remplacement par un homme davantage pro-anglais.

Alors que son ami Sadate œuvre au coté de l’Axe et fini par être emprisonné par les Anglais, Nasser attendra une autre guerre pour s’engager. Le premier conflit israélo-arabe éclate en 1948, et l’intervention de l’Armée égyptienne en Palestine connait de grandes difficultés. Le 6éme bataillon d’infanterie, dans lequel est mobilisé le jeune officier, se retrouve encerclé par les Israéliens dans la zone de Falluja, à une trentaine de kilomètres de Gaza.  Blessé, il résistera  courageusement avec quelques 4000 hommes pendant plusieurs mois, et n’évacuera la zone qu’a la fin du conflit, une fois l’armistice signé. Mais si cette action lui donne un statut de héros, elle ne suffit pas à éviter la déroute de l’armée Egyptienne, mal équipée, mal préparée et mal coordonnée.  L’armistice est perçu comme une humiliation, d’autant plus insupportable que le Roi et son entourage  auraient profité du conflit pour s’enrichir en trafiquant sur les provisions destinées à l’armée. A l’instar de la France en 1870, la Russie en 1917 ou de l’Allemagne en 1918, les échecs militaires catalysent le changement politique en discréditant complètement le régime en place et en mettant en avant la nécessité d’une réforme radicale.  C’est dans ce contexte que se constitue le mouvement des Officiers Libres, dont Nasser est le fondateur et principal animateur.

Les Officiers Libres et la Révolution du 23 juillet 1952

 

Le réseau des officiers libres, clandestin, regroupe quelques dizaines de jeunes officiers autour de Nasser, qui est le seul à en connaitre tous les membres et leur place dans l’organisation. Cette dernière est pourtant rigoureusement structurée en cinq comités spécialisés qui regroupent des officiers issus de différentes milieux et de diverses tendances, tous désireux de restaurer le prestige de l’armée et d’enclencher une profonde dynamique de réforme politique, sociale et économique. Nasser réussit même à convaincre un haut-gradé respecté et populaire, le Général Neguib, qui apporte une légitimité et une expérience décisive à un mouvement dans lequel la moyenne d’âge ne dépasse pas 35 ans.

Alors que le réseau était resté très discret pendant plusieurs années, il décide de passer à l’action prématurément dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, estimant par ailleurs que le contexte est favorable à un changement politique. L’opération est lancée à dix heures du soir, aboutissant à l’arrestation du chef d’Etat major, au contrôle de l’essentiel de l’appareil militaire et des principaux points stratégiques de la capitale, en particulier de la radio. Le lendemain, la prise de pouvoir des officiers libres est saluée, aussi bien en Egypte qu’à l’étranger, même si leur identité reste très floue et leurs intentions largement méconnues. Néanmoins, le seul  fait d’avoir renversé le Roi Farouk, corrompu et impopulaire, apparait comme un succès en soi.

Dans la foulée, une réforme agraire est annoncée, suscitant d’immenses espoirs parmi la classe paysanne. Les Officiers Libres placent le général Neguib au poste de président et Nasser à celui de  ministre de l’intérieur. Néanmoins, on observe un certain flottement, car ils ne semblent pas savoir exactement quoi faire du pouvoir, ni de leur alliance encombrante avec les Frères Musulmans. Et que faire de l’ancien Roi ? Sa vie sera finalement épargnée, et il sera conduit en exil sur son yacht vers l’Europe.

Après deux ans de « transition » entre l’ancien régime et la nouvelle république, Nasser finit par écarter le président et mettre en place un système de parti unique. En novembre 1954, Gamal Abdel Nasser est le seul maitre de l’Etat et engage des réformes politiques qui marqueront en profondeur l’Egypte et  la scène internationale. La Révolution Nassérienne est en marche… (à suivre)

Nacim Kaid-Slimane

Révolution du Jasmin en Tunisie : la révolte de tous les espoirs

La Tunisie vit aujourd’hui un tournant décisif dans son Histoire. Ce pays longtemps réputé comme l’un des plus stables du monde Arabe, n’a été dirigé que par deux présidents de la République en l’espace de 55 ans, avant de voir se succéder deux présidents par intérim en l’espace de 24 heures…

Ce changement est d’autant plus surprenant du fait de la rapidité avec laquelle les événements se sont succédés, conduisant un dictateur solidement établi depuis 23 ans à quitter le pouvoir d’une manière aussi précipité, et contredisant les analyses de bien des observateurs qui ne considéraient les événements que comme une révolte passagère.

Il est vrai que la tentative de suicide de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant à Sidi Bouzid, a suscité un vif émoi dans sa ville, dans sa région, puis à l’échelle national et internationale. Mais ce qui aurait pu être considéré comme un tragique mais somme toute banal « fait-divers » s’est transformé en l’étincelle d’un vaste mouvement de protestations qui a fini par emporter le régime de Ben Ali.

La révolution du Jasmin, comme il convient de l’appeler désormais, soulève deux questions majeures : pourquoi la Tunisie ? Et pourquoi aujourd’hui ?

La Tunisie constitue, à bien des égards, une exception dans la région et dans le monde. En Afrique, il a longtemps été considéré comme l’élève modèle en matière de développement, reconnu et salué en raison de ses excellentes performances en matière d’éducation et de croissance économique. Dans le monde arabe, il fait figure de seul pays véritablement laïque et relativement épargné par l’extrémisme religieux et par le terrorisme.

Il apparait aujourd’hui que cette façade n’a pas réussi à cacher l’autre face du « miracle tunisien » : régime autoritaire particulièrement violent, corruption répandu à tous les niveaux, profondes inégalités sociales et régionales (entre le littoral en plein boom et l’arrière pays rural et exclu), et surtout une violation massive et prolongée des libertés fondamentales, y compris dans la vie privée.

Nature des evennements et ampleur de la répréssion : Le Monde Diplomatique publie un reportage d’un journaliste en pleine immersion dans la Tunisie en révolution (http://blog.mondediplo.net/2011-01-19-La-semaine-qui-a-fait-tomber-Ben-Ali ), soulignant le rôle de la répression qui a discrédité le régime et catalysé un mouvement d’abord spontané mais de plus en plus politisé.

Role des médias : Les médias étrangers ont également été déterminants, en servant de relais et de tribune aux acteurs du mouvement. En particulier, Facebook et Al Jazeera peuvent être considérés comme des éléments révolutionnaires de premier plan, de même que Wikileaks a confirmé les rumeurs de corruption et mainmise du clan Trabelsi  sur l’économie du pays, faisant ainsi de la Tunisie le premier théâtre d’une « Révolution 2.0 » : http://english.aljazeera.net/indepth/opinion/2011/01/2011116142317498666.html

Causes profondes du mouvement : le chômage des jeunes diplômés a indéniablement été le premier motif de mécontentement évoqué par la foule. Ce problème endémique du pays (comme le montre une étude très complète sur le sujet accessible sur http://www.leaders.com.tn/uploads/FCK_files/file/diplomes.pdf), s’est posé avec d’autant plus d’acuité en raison de la crise économique actuelle qui n’a pas épargné le pays et qui a remis en cause le « pacte à la chinoise » libertés contre croissance économique, jusque la garant de la stabilité de la Tunisie.

Principales revendications : L’incapacité de l’Etat Tunisien à répondre à ce défi et la gestion catastrophique de la révolte des « chômeurs-diplômés » a débouché sur une contestation du système dans son ensemble, faisant passer des revendications politiques au premier plan.

Ainsi, la situation alarmante des droits de l’Homme dans le pays, comme en atteste le rapport de Human Rights Watch (http://www.hrw.org/fr/node/87788), ainsi que la liberté d’expression sont passés au premier plan des protestations (la Tunisie étant classé au 154eme rang mondial sur 175 dans ce domaine par Reporters sans Frontière).

Défis de la Revolution : La Révolution du Jasmin a suscité de nombreux espoirs, non seulement en Tunisie et au sein de la diaspora Tunisienne, mais aussi en Afrique et dans le monde arabe ou le renversement d’un régime autoritaire par un mouvement populaire apparait comme une option à portée de main. Le pays est aujourd’hui confronté à d’importants défis, que l’Express analyse dans l’article http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/la-tunisie-a-fait-sa-revolution-et-apres_953980.html.

Même si à l’heure actuelle, personne ne peut prédire l’évolution de la Tunisie dans un avenir proche, l’éclairage de Souhayr Belhassen, militante tunisienne et présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme,  apporte une vision intéressante sur les principales énigmes du changement en Tunisie, en particulier sur le risque de détournement de la Révolution et le devenir de l’ancien parti unique, du rôle de l’armée et des principaux acteurs de la nouvelle Tunisie, ou encore sur le risque de contagion du mouvement à d’autres pays. http://www.lemonde.fr/afrique/chat/2011/01/17/ou-va-la-tunisie_1466411_3212.html

Nacim Kaid Slimane

Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés au sous-développement? (3ème et dernière partie)

Les clés pour relever le défi du développement

Si, dans le débat sur l’origine des inégalités de développement, vous avez choisis l’hypothèse optimiste (et en tant qu’Africains, peut on réellement opter pour l’alternative et abattre définitivement notre espoir dans l’avenir ? ), il reste une dernière interrogation importante à considérer : comment peut on tirer les leçons de nos échecs passés afin de mieux relever le défi du développement à l’avenir ?

Premièrement, il est nécessaire de poursuivre les politiques d’ouverture économique de manière raisonnable, en favorisant les échanges intra-africains et les partenariats régionaux. Jusqu’à présent, 60% du commerce sur le contient se fait avec des pays non Africains, alors que partout ailleurs, l’intégration régionale semble être une priorité (UE en Europe, Alena et Mercosur en Amérique, CCG au Moyen Orient, etc.). Malgré ses retards et ses déceptions, le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) doit être soutenu et animé d’un nouveau souffle au delà des divergences politiques que peuvent afficher ses membres. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés au sous-développement? (3ème et dernière partie) »

Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés sous-développement? (2ème partie)

Les causes des inégalités de développement : l’hypothèse optimiste et l’hypothèse fataliste

Dans le débat sur l’origine des retards de développement observées, deux écoles s’affrontent, chacune faisant prévaloir ses arguments et aboutissant à des prédictions diamétralement opposés pour le futur. Pour les tenants de l’hypothèse dite « pessimiste », l’Afrique a été, dés le départ, handicapée par des conditions peu favorables à une croissance durable et forte. Climat, géographie, histoire, tous les facteurs serraient réunies pour nuire à une bonne performance économique et sociale. Le fondateur de l’économie moderne, Adam Smith, soutenait déjà au XVIIIéme siècle, que l’Afrique n’était pas réellement adapté à l’implantation d’un processus de croissance, principalement en raison des maladies qui y sévissent (en particulier la malaria), et de « l’enclavement » de beaucoup de ses régions (les rares fleuves qui la traversent n’étant pas reliés entre eux, et le terrain étant très souvent difficile aux transports, ce qui nuit au commerce). Encore aujourd’hui, l’hypothèse déterministe, qui condamne l’Afrique à un destin de misère, reste souvent mise en avant, avec pour maitre à penser actuel le célèbre économiste Américain Jeffrey Sachs. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: sommes-nous condamnés sous-développement? (2ème partie) »

Un bilan de la mondialisation en Afrique: Sommes-nous condamnés au sous-développement? (1ère partie)

La fin de l’année est souvent une période propice pour dresser des bilans et prendre de bonnes résolutions, en prenant en considération ses faiblesses et ses fautes pour ne pas les répéter. Au delà d’un passage à une nouvelle année, les fins de décennies ont, par une étrange coïncidence de l’histoire, plus tendance à constituer des ruptures que d’autres. 2009 n’aura pas échappée à cette règle, puisqu’elle sembler clôturer un cycle qui a été entamée avec le mémorable Millenium il y’a de cela dix ans. Si 1929 a ébranlé la foi dans un progrès et une croissance illimitée, si 1939 a mis fin aux espoirs pacifistes d’une sécurité bâtie sur le dialogue et non plus sur la force, et si 1989 a indéniablement introduit une nouvelle donne dans les affaires du monde, 2009 aura également constitué, à sa manière, une année charnière dans l’histoire universelle. Continue reading « Un bilan de la mondialisation en Afrique: Sommes-nous condamnés au sous-développement? (1ère partie) »