N’Djamena, une ville qui se modernise dans la douleur

Sous le soleil écrasant de ce mois de juin, il n’y a pas beaucoup d’âmes qui circulent à midi aux alentours de l’aéroport international Hassan Djamous, pourtant situé en pleine capitale du Tchad. Rien à voir avec l’agitation de la salle de débarquement où des douaniers s’activent fébrilement à fouiller les bagages des passagers. Les environs de l’aéroport se résument à un immense terrain vague. Qui imaginerait qu’il y a à peine deux ans cet endroit abritait les locaux de l’école de la gendarmerie nationale, un camp militaire ainsi que la prison d’arrêt centrale ?

Place de la Nation, N'Djamena

Sorti de l’aéroport, le voyageur peut s’engager dans la mythique avenue Charles de Gaulle, bordée d’une rangée de banques et de grands restaurants et qui débouche sur la désormais célèbre Place de la nation. Elle se trouve juste en face de la présidence de la République protégée farouchement par les bérets rouges de la garde présidentielle. Cette place où se déroulent les grands hommages républicains se veut à la hauteur des nouvelles ambitions des autorités tchadiennes. Elle s’étend sur plusieurs hectares et a été construite à coup de milliards de franc CFA pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance du Tchad en 2010. Faute de jardin public ou de parc digne de ce nom dans la ville, elle est devenue le rendez vous des balades amoureuses du crépuscule.

A peine un kilomètre plus bas, en passant devant l’unique cinéma de la capitale tchadienne, « la Normandie », qui renait de ses cendres, l’on tombe sur le tout nouveau complexe hospitalier de la mère et de l’enfant et sur les bâtiments flambant neuf de la Faculté de médecine. Dire qu’en ces lieux et places se trouvait Gardolé, le plus vieux quartier de la ville… Tout un symbole pour décrire les déguerpissements et expropriations qui accompagnent la réalisation de ces ouvrages urbains. Autant d’opérations d’aménagement passées en force dont on peut imaginer les bouleversements engendrés. En à peine cinq ans, le visage de la ville a complètement changé. Des nouveaux bâtiments sortent de terre : hôpitaux, facultés d’université, ministères, hôtels, lycées… en grande partie réalisés sous la bannière des « grands projets présidentiels» et financés par les fonds issus des revenus du pétrole. Tous les grands axes sont rebitumés et de nouvelles rues, bordées de tous types de commerces, apparaissent.

Le million d’habitants de la capitale tchadienne se lève très tôt. Le plus souvent à moto, casque de rigueur, les travailleurs et les écoliers commencent leur journée dès 7h du matin. Les principales activités commerciales sont informelles. Les deux grands marchés de la ville (le marché central et le marché à mil) ne cessent de grossir et de s’étendre pour engloutir presque toutes les habitations environnantes. Les murs de clôture des habitations sont remplacés par les arcades des nouveaux commerces et l’intérieur transformé en dépôt de marchandises. La démolition il y a deux mois du troisième marché, le marché de quartier de Dembé, ne semble pas décourager les commerçants dans leurs entreprises. Déguerpissement du centre ville, expropriations, démolitions, relogement, indemnisations…ou pas. La marche vers la modernisation de la ville est menée à rythme cadencé et forcé. C’est dit- t- on le prix du progrès. Mais cette dynamique se fait sans réelle concertation ni information des habitants. Elle se fait même avec violence. Et la violence, cette ville en a connu.

Ville martyre, elle est née d’une guerre et en a connu plein d’autres. En 1900, trois colonnes de l’armée française ont convergé sur les rives du fleuve Chari, pour combattre et vaincre un esclavagiste et tyran venu du soudan (Rabah Fadlallah, 1842-1900) avec ses mercenaires qui sévissaient dans la région. Après avoir abattu Rabah, le commandant François J.A. Lamy installa son camp à coté du fleuve et de trois villages. La bourgade qui se développe se nomme Fort Lamy jusqu’en 1973 et le retour « des pères de la nation » à la notion d’authenticité. La capitale fut alors renommée Ndjamena. Ce qui signifie littéralement en arabe tchadien « nous nous reposons » ou « on en a fini » (avec la violence, les guerres…). Mais le martyr de la ville continue, avec la guerre civile de 1979, la dictature des années 80 et son lot de disparus et de victimes, et plus récemment avec les deux attaques rebelles en 2006 et 2008. Depuis, N’Djaména semble jeter aux oubliettes ce passé. Elle fait peau neuve, n’hésitant pas effacer ce qui pourrait faire figure de lieux de mémoire ou de monuments historiques, les remplaçant par des nouveaux. Résolument tournée vers l’avenir et avec l’ambition de devenir la « vitrine de la sous région ».

Djamal HALAWA

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