L’Afrique dans les négociations climatiques : enjeux, stratégies et perspectives

sécheresseDepuis 1990, les différents rapports du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Climat apportent non seulement plus de certitudes sur l’origine anthropique du dérèglement climatique observé mais aussi plus de précisions sur ses impacts actuels et futurs. Fruit de la première phase des négociations climatiques et actuellement mis en œuvre, le protocole de Kyoto est l’instrument juridique contraignant duquel ont découlé des mécanismes de régulation dont l’Afrique a très peu bénéficié. Et ce, en dépit du fait que, bien que responsable de seulement 4,5% du total des émissions de gaz à effet de serre, elle reste le continent le plus vulnérable.

Les négociations sur le cadre post-Kyoto (post 2020) ont abouti à un premier accord universel obtenu lors de la 21ème conférence des parties (COP21) en décembre 2015. Profondément conscients de l’enjeu, les Etats africains se sont distingués en  s’engageant sur des objectifs ambitieux en matière de réduction de gaz à effet de serre d’ici 2030, réaffirmant  leur volonté d’atténuer et de s’adapter au changement climatique. Ils doivent cependant continuer à travailler pour la  sécurisation des ressources financières dédiées  et un appui technique conséquent afin que leurs objectifs puissent être atteints sans entraver leur développement. Pour obtenir un accord juste et équitable à la COP21, ces Etats ont réussi le pari de tenir un langage commun. Mais il faudrait qu’ils associent davantage  la société civile et les acteurs économiques africains particulièrement dans la mise en œuvre de ces accords.        

La forte implication de la société civile dans la mobilisation contre le changement climatique et les diverses actions qu’elle a pu engager ont d’ailleurs montré sa capacité à être porteuse d’améliorations positives. Ainsi, en se positionnant comme partie prenante d’une gouvernance responsable, pilier du développement durable, cette dernière offre de réelles opportunités de changement aux Etats africains. Lisez l'intégralité de ce Policy Brief.

Mali : Pourparlers d’Alger, l’éternel recommencement ?

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Eu égard aux nombreux accords de paix peu fructueux, précédemment conclus entre les mouvements armés touaregs et l'État malien, on est en droit de se demander si les négociations qui se déroulent actuellement à Alger ne sont pas rien d’autre que la suite d’une longue série de désillusions.

Les discussions ont été planifiées en trois phases : après l’adoption en juillet d’une feuille de route sur le déroulement des négociations, les deux parties discutent actuellement sur les questions de fond en vue d’un  pré-accord, supposé déboucher sur la signature d’un accord final. Entamées dès la mi-juillet, à ce jour, les négociations n’ont produit aucun accord définitif. On pourrait cependant estimer qu’elles semblent être parties pour durer, dans la mesure où il existe une profonde dissension entre  les groupes touaregs présents à Alger.

Le 4 juillet 2006, des accords de paix avaient déjà été conclus entre l’État malien, et l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC, un groupe armé touareg). Ces accords faisaient suite au soulèvement armé du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka. L'histoire nous enseigne que sceller des accords sur des bases fragiles n’est guère la garantie d’une paix durable.

Les circonstances des pourparlers de 2014 diffèrent largement de celles de 2006 sur plusieurs points. Dans la démarche, on s’aperçoit que les représentants des populations de l’ensemble du Nord-Mali, et pas seulement touarègues sont associés aux discussions en cours. La question est de savoir si elles seront entendues. Pendant ce temps, des populations de Gao et Tombouctou continuent de manifester pour exiger leur attachement à la République du Mali.  Le Collectif des ressortissants du Nord (COREN), présent à Bamako, enchaine également les manifestations pour s’opposer à ce que les groupes armés négocient au nom de toutes les composantes du Nord-Mali. 

En 2006, l'État malien était en position de force face aux interlocuteurs touareg. Pendant les discussions, il continuait d’assoir son autorité sur la zone disputée. En 2014, la région de Kidal (principal fief touareg) est dépourvue de toute présence de l’Etat du Mali. L’autorité des groupes armés touaregs s’affirme d’autant plus que l’armée malienne a essuyé une défaite cuisante lors de sa tentative d’accaparement de Kidal. Cela peut laisser croire que Kidal, quelle que soit l’issue des pourparlers d’Alger, restera aux mains des rebelles  touareg. En mai, le Premier ministre malien Moussa Mara avait été sommé par les rebelles touaregs de renoncer à sa visite à Kidal. N’ayant pas été dissuadé par cette mise en garde, sa visite forcée a donné lieu à un violent affrontement qui a causé la mort de plusieurs personnes dans le camp gouvernemental.

Dans le processus du dialogue, le président malien Ibrahim Boubacar Kéita se trouve dans une situation très inconfortable. On se souvient qu’il a dû recourir à la Cour constitutionnelle du Mali pour s’opposer aux accords d’Alger de 2006. En effet, son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), les avait simplement rejetés, estimant qu’ils étaient trop onéreux au profit des groupes touaregs et dommageables pour l’Etat malien. Au vu de ses propos antérieurs et aux agissements qui en ont découlé,  il est contraint de faire montre d’une attitude de fermeté à l’égard des revendications touareg. Les négociations pourraient donc en pâtir.

La première défaite du président malien porte sur le lieu des discussions. Il avait exigé qu’elles se tiennent au Mali et nulle part ailleurs, du fait de leur caractère inter-malien. Les protagonistes touaregs, s’y étant opposés, ont fini par obtenir qu’elles aient lieu à Alger.

La situation demeure plus que jamais complexe car d’une part, les mouvements touaregs sont scindés en plusieurs groupes (le MNLA, le MAA et le HCUA), avec des revendications parfois divergentes. D’autre part, les décisions communes approuvées par certains représentants politiques présents à Alger sont rejetées par leurs bases militaires à Kidal. C’est le cas du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) dont le coordinateur militaire présent à Targuent (près de Gao) disait que « ceux qui ont signé le pré-accord avec le gouvernement malien, ne représentent pas le MAA, et ne sont que des imposteurs qui ont quitté le mouvement pour rejoindre le MNLA ».

A ce sujet, lors de sa rencontre du 6 octobre 2014 avec les diplomates accrédités au Mali, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, de retour d’Alger, confiait ainsi que certains groupes armés touareg ont refusé de s’asseoir à la même table de négociations que d’autres groupes, accusés d’être proches des autorités maliennes.

Les différences sont marquantes et les positions semblent figées. L’État  malien estime non-négociable le projet de fédéralisme exprimé par les groupes touareg. Étant donné la position de force des groupes armés touareg, l’attachement d’une grande partie de la population septentrionale à la République du Mali et  la marge de manœuvre relativement étroite du gouvernement du Mali, on peut estimer qu’à défaut d’une indépendance ou d’un fédéralisme, on s’achemine timidement vers l’attribution d’un statut particulier au nord du Mali, qui accorderait plus d’autonomie à cette partie du pays. Cela devrait nécessairement donner lieu à une réorganisation administrative du Mali.

L’avantage à tirer des échecs antérieurs est de situer clairement les dysfonctionnements qui ont causé les résurgences incessantes des rebellions touarègues, et d’y remédier afin de bâtir une paix réellement durable.

Parallèlement à l’aspect politique, il est important que justice soit rendue aux victimes d’exactions, car il serait contre-productif d’envisager une réconciliation en ignorant l’étape de la justice.

Il est extrêmement important pour l’État malien que les groupes touareg parlent d’une seule voix. Lors des précédentes rebellions, les accords conclus n’ont jamais été acceptés à l’unanimité par les différents mouvements. Il n’est donc guère étonnant de voir les réfractaires aux accords de paix reprendre les armes. Si leur efficacité est prouvée sur le terrain militaire, les groupes touareg sont caractérisés par le flou et l’incohérence politique. Concernant leurs rapports, ils sont fragmentés et n’ont su présenter aucunes revendications communes. Quant à leurs exigences, on ignore jusque-là ce que recouvrent véritablement les notions d’indépendance, de fédéralisme ou encore d’autodétermination parfois revendiquées.

Dans la formulation des propositions, l’Etat malien devrait d’une part s’abstenir de toute concession au-delà du raisonnable. Dans le cadre de l’exécution des accords d'Alger  pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, signés en 2006, des combattants touareg intègrent l’armée nationale malienne, et sont autorisés à rester dans leur zone. Leur défection de l’armée, et leur ralliement au MNLA, pendant les dernières hostilités en 2012, a été un important facteur dans la chute du Nord-Mali.

D’autre part le gouvernement malien ne devrait formuler aucun engagement qui serait difficilement applicable. Antérieurement, la non-exécution des accords de paix a aussi servi d’alibi aux groupes touareg dans l’enclenchement des hostilités les opposant à l’État du Mali.

Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?

En février dernier, la CEDEAO et l’UE[1] ont annoncé un compromis dans les négociations portant sur les accords de partenariat économique (APE). Un accord dont l’impact sur le potentiel de développement agricole et l’industrialisation ne fait pas encore l'unanimité.

Les raisons d’un nouvel accord économique

L78329210es échanges commerciaux entre l’UE et les pays ACP sont régis par les conventions de Cotonou et celles antérieures, qui octroyaient une liberté d’accès au marché européen sans réciprocité. Ces accords ont permis aux pays africains entre autres d’introduire leurs produits dans l’espace UE sans droit de douane. Les produits européens en revanche sont taxés aux frontières africaines.

Les Etats africains exportent principalement vers l'UE des matières premières : pétrole, bois, métaux et pierres précieuses constituent plus du ¾ des exportations de la CEMAC en 2003. L’agriculture représentait 16% pour la CEMAC et 31% pour la CEDEAO qui importe de l'UE plus de 75% de produits manufacturés. 

Malgré les dispositions plutôt favorables des précédents accords, les africains n'avaient pas réussis à augmenter leur part dans le marché européen. La part de l’Afrique de l'Ouest par exemple dans le commerce avec l’UE est passée de 5% en 1980 à 1% en 2004. C’est d’ailleurs un argument que n’hésite pas à invoquer l’UE pour justifier la nécessité de repenser le partenariat économique rappelant que l’accès préférentiel n’a pas encouragé la diversification des exportations, ni la compétitivité des secteurs productifs, ni l’intégration des marchés intérieurs trop petits. Il n’a pas permis non plus d’accroître la capacité de production et d’exportation vers l’Europe. Hormis les considérations liées aux réalités locales, ce diagnostic occulte les distorsions que l’UE avait introduites dans les échanges telles que les barrières non tarifaires érigées sans concertation, la subvention de son agriculture ou les impacts des ajustements structurels qui ont contribué à cet échec.

Arguant la nécessité de respecter les dispositions de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’UE négocie depuis 2000 avec les différents blocs sous régionaux (CEMAC, CEDEAO, SADC) en vue de parvenir à un APE qui consacrera une liberté d’accès réciproque aux marchés.  Cette réciprocité se traduira pour l’accord avec la CEDEAO, par une ouverture à 75% du marché Ouest africain pour les produits de l’UE dans les 20 prochaines années contre 100% pour les exportations de la CEDEAO. La signature de ces APE devrait intervenir d’ici octobre sous peine, pour certains pays de la communauté, de se voir abolir les traitements préférentiels dont ils bénéficiaients dans l'accès au marché européen.

Les Etats africains n'ont pas réussi à faire converger réellement leurs intérêts pour négocier un accord qui leur soit tous favorable. La CEDEOA a accepté un compromis sur un texte conçu dans le sens des européens dont elle n’a pu obtenir que quelques amendements. C'est parce que la non conclusion d’un APE menace l’intégration régionale, la Cote d’Ivoire et le Ghana ayant déjà signé des APE dits intermédiaires et leur ratification sans l’engagement des autres pays de la sous-région détruirait le marché commun ouest africain. De même, au sein de la CEMAC, le Cameroun a déjà signé un ACP intermédiaire. Ces pays signataires ont en commun le fait qu’un pan essentiel de leur économie hors hydrocarbures comme le cacao et la banane repose sur l'exportation vers l’UE. Ils n’avaient le choix de faire autrement qu'en prenant le risque de repenser complètement leurs modèles économiques.

Des réticences et non les moindres

Une grande partie de la société civile africaine, d’éminents spécialistes et même la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) dénoncent cependant un accord jugé désavantageux pour les africains, déstabilisant les recettes des Etats et compromettant sérieusement l’industrialisation, l’émergence d’un grand marché intrafricain et le développement agricole.

Les taxes sur les importations constituent en effet une part importante de recettes des Etats africains. Selon la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), l’ouverture annoncée aggravera la pression sur les systèmes budgétaires africains. Le Cameroun par exemple perdrait entre 20 et 30% de ses revenus et le Ghana près de 37% de ses recettes à l’exportation. L’UE promet des compensations financières pour le manque à gagner. Elle mise surtout sur le renforcement des capacités fiscales des Etats pour compenser leurs pertes. Elle promet 6.5 Milliards € pour la CEDEAO sur la période 2015-2019 à travers le programme de l’APE pour le développement (PAPED). En zone CEMAC, le cameroun a évalué à 2500 milliards de FCFA le cout de l'adaptation de son économie aux APE. L’UE le soutient dans un premier temps à hauteur de 6,5 milliards de CFA pour la ratification de son APE intermédiaire. Mais les conditions d’éligibilité des entreprises pouvant bénéficier d'une aide à cette adaptation exclues déjà tout un ensemble d’acteurs économiques.

Les APE accordent aux africains une protection sur un ensemble de produits qu’ils jugeront sensibles. Il appartient aux Etats de chaque sous-région de s’accorder dans leur choix. Cela doit les obliger quelque part à plus de coopération régionale et la nécessité de reformer leur système économique. Il s'agit surtout des produits de l'agriculture qui a fait  par exemple l’objet d’une divergence de longue date entre la CEDEAO et l’UE qui ne souhaitait pas l’aborder dans le cadre des APE. Le compromis a été trouvé autour de la formulation suivante : « Chaque partie assure la transparence dans ses politiques et mesures de soutien interne. A cette fin l’UE communique régulièrement, par tout moyen approprié, un rapport à l’Afrique de l’Ouest sur lesdites mesures, comprenant notamment la base juridique, les formes de mesures et les montants y afférents (…)   La partie UE s’abstient de recourir aux subventions à l’exportation pour les produits agricoles exportés vers les marchés de l’Afrique de l’Ouest (…)  ». L’UE promet également de mettre à niveau l’industrie africaine afin qu’elle puisse mieux s’insérer dans le tissu commercial mondial.

Si les études d’impacts des APE dans les zones CEMAC aussi bien que CEDEAO montrent que ces accords permettraient éventuellement aux blocs africains de conserver leurs positions dans le marché européen, elles interpellent surtout sur la fragilité des structures économiques de ces Etats. L’impact est négatif sur leur potentiel de développement et de diversification économique. Pour Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la CEA, les APE tels que définit actuellement vont empêcher l’industrialisation de l’Afrique. Ils empêchent le positionnement des africains dans le marché européen avec leur production industrielle tout en ouvrant la porte à des exportations européennes. Il exhorte les africains d'exiger de participer à la valeur ajoutée de leurs propres ressources en concluant des accords tournés vers un transfert de technologie et la transformation au moins partielle au niveau local. C’est aussi l’ensemble du continent et non de blocs régionaux qui négocie car des APE régionaux poseraient un problème d’alignement sur le continent et ne permettraient pas au marché intrafricain de se développer. Ce n’est pas le principe d’une libéralisation qui est dénoncé mais l’équilibre de ces libres échanges et leurs retombées sur le développement économique des africains. Ces derniers doivent se sortir d’une relation de dépendance historique des puissances européennes s’ils veulent devenir des acteurs de leur avenir.

L’échéance d’octobre approche et les Chefs d’Etats qui vont se prononcer sur la signature de ces accords connaissent pertinnement les risques politiques qu’ils encourent et doivent prendre leur responsabilité.

Djamal Halawa

Sources

-L’APE en 9 questions : Commission Européenne : 

http://ec.europa.eu/europeaid/what/development-policies/intervention-areas/epas/epas_fr.htm

-Jacques Gallezot, Le choix régional des produits sensibles à l’APE soumis au jugement majoritaire des pays de l’Afrique de l’Ouest,  INRA-Agro Paris Tech, Octobre 2007, 45p.

-Benoît Faucheux, Bénédicte Hermelin, Julieta Medina, Impacts de l’Accord de partenariat économique UE – Afrique de l’Ouest ; Synthèse bibliographique, Gret, octobre 2005, 73p.

-DOUYA Emmanuel, HERMELIN Bénédicte, RIBIER Vincent, Impact sur l’agriculture de la CEMAC et de Sao Tomé et Principe d’un Accord de Partenariat Economique avec l’Union européenne, Paris, Gret, mars 2006, 116 p.

-Eclairage Volume 7  Numéro 6 , Juillet 2008 : http://ictsd.org/i/news/14950/

-http://endacacid.org/french/index.php/rapport-provisoire-concertation-regionale-entre-la-societe-civile-les-organisations-socioprofessionnelles-et-la-commission-de-la-cedeao-sur-les-ape-et-le-tec-17-18-janvier-2014-a-dakar

-http://endacacid.org/french/index.php/conference-ministerielle-de-l-omc-un-paquet-encore-incertain-pour-bali/declaration-de-la-poscao-sur-l-ape-10-02-2014

http://economie.jeuneafrique.com/managers/decideurs/21773-carlos-lopes-l-europe-ne-tient-pas-compte-de-l-avenir-de-l-afrique.html

-rfi.fr


[1] CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ; UE : Union Européenne ; CEMAC : Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale