Commercialisation des produits pétroliers au Bénin : des solutions envisageables ?

carbUn précédent article s’intéressait aux impacts de la pratique informelle du commerce des hydrocarbures au Bénin. Un phénomène commun à de nombreux pays en Afrique de l’Ouest. Il faut dire qu’au vu de la complexité des intérêts en jeu au sein des différentes parties prenantes de ce commerce, les solutions ne peuvent que solliciter les compétences diverses à savoir le management, la stratégie, la gouvernance, la microéconomie, la finance, la productivité, les formes organisationnelles et la fiscalité sans oublier les notions sur les scénarios. Cet article se propose de suggérer des pistes de réflexion quant aux mesures pouvant intégrer cette activité à l’économie formelle.

a. Mise en place d’un cadre institutionnel

La mise en place d’un cadre institutionnel approprié est nécessaire pour une meilleure structuration de l’activité. La démarche devrait rencontrer l’adhésion des acteurs du secteur informel et ceux du secteur formel. Créer un cadre institutionnel de cohabitation aux deux acteurs du marché des produits pétroliers sort un peu de l’ordinaire. Mais aujourd’hui, c’est une étape indispensable qui ne doit être occultée. Le marché des hydrocarbures tel qu’il se présente aujourd’hui est trop complexe pour permettre le développement de stratégies d’un seul trait comme plans ou visions claires. Par conséquent, les stratégies doivent émerger à petites étapes, car une organisation « apprend ».

Il faut, pour ce faire, avoir une perception différente de l’informel. Mettons de côté l’idée qui consiste à dire qu’ « on ne peut pas légaliser l’informel ». Il n’est d’ailleurs pas question de légaliser le secteur informel, mais plutôt d’amener les différents acteurs de ce commerce informel à se formaliser en leur créant un cadre officiel qui puisse leur permettre de s’organiser, et ceci en collaboration avec les autres parties prenantes. Il s’agit donc d’intégrer de façon officielle les commerçants informels dans un circuit officiel, leur conférant une certaine régularité afin d’avoir une meilleure lecture de leurs activités. Particulièrement, la mise en place d’une structure publique dédiée à l’informel pourrait avoir la charge de piloter le mécanisme et de permettre aux commerçants informels d’être reconnus en tant que détaillants de produits pétroliers. Vu l’importance du marché informel des produits pétroliers au Bénin, cette structure valorisera les atouts et les opportunités desdites activités informelles de telle sorte qu’elle restructurera ce marché pour en faire à la fin du processus un véritable outil de développement et de contribution socio-économique pertinente pour le Bénin.

b. Vers une modernisation des stations-services informelles

Le processus de cohabitation nécessite la mise en place d’infrastructures adéquates tant pour les commerçants formels qu’informels. Si pour les formels le problème ne se pose pas, les informels disposent des étales (stations-services informelles) qu’il faut impérativement améliorer tant au niveau des types d’équipements à utiliser qu’au niveau des lieux d’installation. Les acteurs informels du marché des produits pétroliers en ont exprimé le besoin, car trouvant trop dangereux les moyens utilisés dans l’exercice de leurs activités. Il y a des outils plus appropriés qui peuvent être introduits dans l’exercice de cette activité des commerçants informels. Ceci est avant tout un gage de sécurité, mais permettra d’améliorer nettement la rentabilité de leur commerce. Parmi ces outils, on peut citer : Pompe de transvasement SODISE à manette gros débit, Pompe manuelle ATEX de fût vide, Pompe rotative ALU, Pompe de transfert CEMOPACK et Pompe électrique pour fût.

Ces différents instruments permettront aux commerçants informels des produits pétroliers de disposer d’équipements modernes à moindre coût. Ce sont des matériels qui devraient être impérativement pris en compte dans le processus de cohabitation préconisée. Les autorités pourraient l’envisager comme une conditionnalité à l’exercice de l’activité et fournir une certaine disponibilité financière pour doter les détaillants de ces équipements.

c. Amélioration à apporter dans la structure des prix dans les stations-services formelles

Les prix jadis jouaient un rôle de premier plan dans le comportement d’achat, notamment dans les  pays d’Afrique subsaharienne. Sur le marché des produits pétroliers, le prix reste un élément fondamental et a certainement été déterminant dans la répartition des parts de marché entre l’informel et le formel, et également sur la rentabilité. Les commerçants informels des produits pétroliers fixent généralement le prix de vente suivant l’environnement d’approvisionnements dans lequel évoluent les exportateurs nigérians. Si sur le marché informel, l’on ne prend pas trop de dispositions pour fixer le prix (car variant d’une localité à une autre), plusieurs facteurs influencent énormément le prix sur le marché formel (qui demeure le même sur tout le Bénin). En effet au Bénin, les produits pétroliers sont assujettis à plusieurs prélèvements tarifaires qui interviennent dans un mécanisme complexe de fixation des prix appliqués à la pompe.

Dans le processus de cohabitation, il faudrait laisser les acteurs fixer les prix en fonction des zones couvertes comme le font déjà les commerçants informels. Il ne sert à rien de continuer à vouloir vendre les produits pétroliers au même prix sur toute l’étendue du territoire. Le Nigéria pratique différents prix d’une localité à une autre. Certaines lignes tarifaires intervenant dans le mécanisme, n’ont plus lieu d’être. Par exemple, les taxes liées à l’ajustement ou encore les frais liés à l’assainissement ne sont plus nécessaires dans la mesure où les fonctionnaires et les employeurs des compagnies pétrolières ont déjà leurs salaires et qu’il ne sera plus nécessaire d’engager une lutte acharnée contre les informels. Sur le marché, la différenciation entre les produits sera faible et par conséquent, la concurrence se fera désormais sur les prix. Les sources de différenciation porteront plutôt sur la qualité, l’aspect technologie, la sécurité, l’esthétique, le service après-vente. Bref, elle portera sur les comportements et les décisions des acteurs qui animeront le marché des produits pétroliers dans le système de cohabitation. Si l’on doit atteindre de bons résultats au bout du processus, les sources d’approvisionnement doivent être libres pour permettre à chaque compagnie pétrolière ou commerçants informels de définir sa politique de prix. Si déjà ces derniers sont déjà avancés sur ce terrain, il va falloir qu’au niveau des sociétés agréées, l’Etat diminue la pression fiscale qu’elles subissent.

d. Une fiscalité spéciale pour le commerce informel des produits pétroliers

Le Bénin a mis en œuvre ces dernières années de nombreuses réformes visant à formaliser les sociétés : ceci dans le but d’amener les animateurs de la vie socioéconomique exerçant en marge des réglementations en vigueur de pouvoir le faire dans le cadre des lois et règlements établis. Elles concernent essentiellement l’allègement des procédures et de la baisse énorme des coûts de création et d’exercice des entreprises. Cependant, une contrainte demeure, et c’est elle qui maintient de nombreux entrepreneurs, notamment ceux pratiquant la commercialisation de produits pétroliers, dans l’informel. Car une chose est de se formaliser et autre chose est de pouvoir remplir les obligations fiscales envers l’Etat. L’amélioration de l’efficacité des systèmes fiscaux des pays en développement est la nouvelle frontière de la politique de développement. L’analyse de la structure du prix de l’essence (cas de Mai 2014) révèle que les taxes et prélèvements occupent une place importante et sont trop élevés (environ 144% du prix CAF). En plus de ces perceptions, il faut ajouter d’autres qui sont liées aux charges salariales, aux BIC, aux TVA, etc. sans oublier les éventuels redressements fiscaux qui sont devenus monnaie courante dans l’environnement des affaires au Bénin. La fiscalité doit jouer un rôle essentiel dans le programme d’action de cohabitation. Les acteurs du marché des hydrocarbures sont confrontés aux perceptions opérées par la douane, les impôts et les mairies. Si pour les mairies, les commerçants informels ont déjà l’habitude de payer des sommes comme contributions aux recettes des communes, les deux  autres structures n’en bénéficient pas. De quoi retourne alors le système fiscal actuel du Bénin ? Le Bénin dispose aujourd’hui d’une assiette fiscale étroite. L’inconvénient de ce système est que la fiscalité pèse lourdement et disproportionnellement sur les acteurs formels et décourage toute envie de sortir du secteur informel pour se formaliser en entreprise individuelle ou en société. Le processus de cohabitation pourrait permettre une mesure dans le sens de fiscaliser les acteurs informels. Ces derniers constituent aujourd’hui plus de 80% des parts du marché des produits pétroliers qui constituaient jusqu’en 1997 une source importante de recettes fiscales pour l’Etat.

Les ressources financières issues du commerce informel des produits pétroliers échappent à une imposition fiscale. Cependant, certains commerçants estiment que ce qu’ils paient aux autorités locales (les mairies) peut être assimilé à de l’impôt. C’est dire donc que les commerçants informels sont conscients que leurs activités doivent être imposées. Ils trouvent le bien fondé des perceptions opérées par l’administration fiscale, car tous les citoyens doivent contribuer au développement économique d'un pays. Par conséquent, l’administration fiscale doit se départir de son attitude hostile pour mettre en place une stratégie de fiscalisation conventionnelle pour les activités informelles des produits pétroliers. Cette fiscalisation ne se basera pas seulement sur le chiffre d’affaires, mais aussi sur certains indices objectifs reflétant le niveau d’activité. Ces indices peuvent être : le capital initial, le prix de vente du litre d’essence, la localisation du PDV, le nombre de personnes servant sur le PDV, l’implantation du PDV (investissements réalisés), les horaires de vente, etc.

Le commerce informel des produits pétroliers a pris de l’ampleur en 1989 où les fonctionnaires béninois, pour non paiement de plusieurs mois de salaires, ont été obligés de se livrer à des activités de contrebande avec le Nigéria et le Togo. Le portefeuille clientèle des commerçants informels est constitué de toutes les couches socioprofessionnelles (fonctionnaires, employés du privé, forces de défense et de sécurité publique, agents de l’administration fiscale, des hommes politiques, des autorités des différentes institutions de la nation, etc.). Les commerçants informels des produits pétroliers sont si bien organisés qu’ils constituent pour les hommes politiques de véritables creusets électoraux. Donc sa disparition n’est pas prévue pour aujourd’hui. Mais une organisation bien mûrie peut assainir le marché des hydrocarbures au Bénin. La qualité des produits pétroliers vendus sur le marché informel n’est pas mise en cause du fait que des formels s’approvisionnent auprès des informels et que les usagers ne s’en plaignent pas. A ce titre, ils représentent une clé importante dans l’environnement économique du pays qu’il convient de trouver des mécanismes appropriés pour accroître  leur contribution à l’économie. Cela passera, sans nul doute, par l’instauration d’un cadre favorable à la cohabitation des commerçants formels et informels et par la levée de toutes les entraves qui poussent de nombreux entrepreneurs à exercer dans la clandestinité vis à vis de l'administration.

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Nicolas Olihide