Goodluck President Buhari !

-Le peuple du Nigeria a tranché ! Muhammadu Buhari vient de remporter la présidentielle contre le sortant Goodluck Jonathan. La victoire de Buhari est un symbole de la volonté exprimée par le peuple nigérian de goûter au changement. Même si l'élan populaire s'est agrégé sur le charisme et les promesses d'un homme de 72 ans.

Après plusieurs défaites successives, Buhari accède enfin à la magistrature suprême par la voie des urnes. C'est une belle victoire que remporte cet ancien général, réputé homme de poigne, converti à la démocratie (aime-t-il le clamer) après une première expérience de 20 mois à la tête de l’État suite à un coup d’État.

Goodluck Jonathan devait partir. Il est parti non sans se frayer un petit passage dans l'histoire pour avoir passé le – peu traditionnel – coup de fil à l'adversaire pour reconnaître sa défaite.

Jonathan aura été un dirigeant de plus dans la longue liste de dirigeants ayant conduit le Nigeria dans le désastre. Cet homme aura représenté jusqu'à la caricature le dirigeant politique, irresponsable, incompétent et peu soucieux du destin de son pays ou de la souffrance de ses concitoyens.

L'alternance institutionnelle est la respiration naturelle de la démocratie

Malgré les peurs et les prédictions négatives, le Nigeria est parvenu à organiser un scrutin transparent et démocratique. Cela est à mettre à l'actif de l’État et surtout de Attahiru Jega, l'impressionnant président de l'INEC, la commission électorale du pays.

Après six coups d’États, des violences post électorales dramatiques, le pays vient de connaître sa première alternance démocratique. C'est à l'issue de trois tentatives avortées que Muhammadu Buhari devient enfin le président du Nigeria et met fin à seize années de règne sans partage du PDP (Parti Démocratique Populaire).

Les difficultés commencent pour le président Buhari. Il a remporté la bataille électorale mais il lui reste à gagner la guerre de transformation radicale du Nigeria qui prend les allures d'un scandale mondial tellement les paradoxes y sont nombreux et souvent incompréhensibles.

Première puissance économique africaine et première démographie, le Nigeria n'en demeure pas moins un pays englué dans un climat social gangrené par la corruption, la pauvreté et la précarité des populations. La chute des cours du pétrole place davantage le pays dans une situation économique sous tension car la croissance du PIB, issue notamment des revenus du pétrole, n'est guère inclusive et laisse à la marge des millions de personnes. Deux tiers des Nigérians vivent en deçà du seuil absolu de pauvreté avec moins de un dollar par jour.

Les chantiers de Muhammadu Buhari

Goodluck a perdu la présidentielle parce qu'il avait auparavant perdu la confiance de la majorité des Nigerians sur sa capacité à apporter une réponse efficace au défi posé par la puissante secte Boko Haram. La gestion catastrophique du dossier des centaines de jeunes filles enlevées à Chibok en est la parfaite illustration.

Les défaites militaires de l'armée nigériane et son incapacité à protéger les populations des massacres de la secte sont symboliques d'une absence d’État qui puisse assurer le minimum sécuritaire à une population livrée à elle-même face aux abominations des hommes de Shekau. Sur ces pages j'ai déjà mentionné le comportement scandaleux d'Aso Rock lors du massacre de 2000 personnes à Baga.

Pis, les Nigérians n'ont pas seulement perdu confiance vis-à-vis de l’État qui a pour mission de les protéger, ils ont aussi le sentiment d'avoir perdu la dignité que confère la capacité à relever les défis qui se sont dressés face à eux. Les récentes victoires sur la secte dans le Nord du pays sont survenues grâce à l'engagement des troupes camerounaise, tchadienne et nigérienne (pays pourtant largement plus pauvres que le Nigeria) aux cotés de la soldatesque nigériane.

Le premier chantier de Muhammadu Buhari est de trouver une solution à Boko Haram. A ce propos, il promet d'armer les militaires nigérians, d'améliorer leur formation et de mieux renforcer le volet renseignement. S'il est attendu au tournant des actes concrets, son discours ferme peut d'ores et déjà rassurer sur une réelle prise en charge du fléau Boko Haram dont la récente allégeance à Daech est plus qu’inquiétante. De la nouvelle orientation sécuritaire nigériane vis-à-vis des terroristes dépend l'issue de toute cette zone du continent dont l'équilibre est menacé. Sans un Nigeria (épicentre de la menace Boko Haram) fort et engagé vis-vis des hommes de Shekau il est illusoire d'arriver à anéantir la secte dans la sous-région.

L'autre urgence pour le nouveau numéro Un nigérian est celle de la construction d'une véritable unité socle d'un destin commun qui fait défaut au Nigeria. Et à beaucoup d'autres pays africains. En 2011, les résultats électoraux avait confirmé la division du pays entre un nord musulman et un sud chrétien. En 2015, la pitoyable présidence Jonathan a – de façon involontaire – donné un semblant d'atténuation de la division du pays entre un Sud chrétien et un Nord musulman et ses États où règne l'application de la Charia.

Si Jonathan réussi la « prouesse » de perdre des États traditionnellement hostiles à un candidat du Nord, les chiffres du scrutin du 28 mars montrent encore la prégnance d'une rupture résiduelle d'une absence de nation à laquelle il faudra trouver une solution qui sera certes longue et douloureuse. Outre, les chiffres soviétiques du vainqueur dans les États du Nord notamment à Kano et Zamfara, les scores stratosphériques de Jonathan dans les États d'Abia, de Rivers, du Delta et de Bayelsa annoncent clairement qu'il sera difficile pour Buhari d'être le président de tous les Nigérians. Il lui faudra, par le courage des actes et le sens des symboles, réussir à amorcer le processus d'une véritable unité nationale.

Heureusement que le discours de l'ancien général a changé sur la Charia dont il n'était pas contre l'application sur tout le territoire national en 2011. En campagne il a dorénavant assuré qu'il garantirait la liberté de culte pour chaque nigérian. Des actes clairs en faveur de la laïcité harmonieuse du pays serait un grand pas en avant.

L'Afrique de l'Ouest a besoin d'un Nigeria fort, offensif économiquement et distingué politiquement. Il a un leadership à assumer dans la sous-région d'abord, puis sur le continent ensuite en vue de servir de locomotive et d'exemple à une nouvelle ambition hégémonique africaine. Peut-on compter sur President Buhari ? Wait and see.

 

Hamidou ANNE

 

Nigerian politics : a small arrangement between friends

IBB-OBJ-and-GMB-150x150On the 28th of March, Nigeria, the largest economy in Africa, will be having its presidential elections. This will have an determining impact on the uncertain future of a country also dealing with the issues of violence with Boko Haram. The election, the most inclusive in the history of the country, could lead to a new wave of violence. Terangaweb.com has dedicated a series of articles to the elections and this first article by Tity Agbahey, is focused on the ambiguous relationships in the country’s political class. 

On the 28th of March, Nigerian voters will go to the polls to elect their new president. In a country with a population of about 178 million (also the largest economy in Africa), this time is usually troubling because it is almost always accompanied by election violence. However this year, the stakes are even higher as it may lead to the first party change since 1999. That was the year of return to civilian rule. Since then, the People’s Democratic Party (PDP) holds the power. The PDP candidate, Goodluck Ebele Jonathan is facing Muhammadu Buhari, the All Progressives Congress (APC) candidate. APC is a coalition of opposition parties which was created in July 2013. If Buhari wins the elections, Nigeria will be led by a different party. This represents a small revolution, very small. As a matter of fact, in Nigeria, there are no coincidences. Politics is an arrangement between friends. The fate of more than 100 million lives rests in the hands of small portion of the society, who are always the same people.

Ironically, even if President Jonathan’s critics claim he is “the worst president Nigeria has ever known”, his election in 2011 raised the hopes of many. It represented a change in a country where the political class always remained the same. Four years ago, Jonathan was presented as a man of the people, without ties to the upper reaches of power, since he is a native of a minority ethnic group that had been under represented in politics.

In an immensely rich country with a mostly poor population, the people identified with this man who told the story of his modest upbringing ‘‘with no shoes nor school bag’’. He is not a soldier and has never led the country. He was a clean slate. In fact, his political ascension looks much like an accident. In 2005, during his term as the deputy governor of his home state, Bayelsa, he was appointed as governor and replaced Diepreye Alamieyeseigha, who was impeached. Two years later, he moved on to Abuja, where he became the vice-president to Umaru Yar’Adua, who died in 2010. He, thus, became the president of the immense country. With no attachments, he said. Not even to the highest reaches of power, his mandate was doomed for failure right from the beginning. This is because in Nigeria, politics has been a game of soldiers (who are still involved today) for a long time, before civilians got involved. Some of them actually. And the same ones. In Nigeria, there are no coincidences. Why should the decision be left to the citizens when you can always agree among friends?
In 2006, as President Obasanjo’s mandate was ending, he tried to modify the constitution, so as to run a third time in the elections. Unfortunately, this motion was rejected by the Nigerian senate. So, Obasanjo was left with no other choice than to leave at the end of his second mandate in 2007. He decided to play the role of an elder statesman, who by all means must express his opinion about the political leaders of the country.

Nevertheless, there are other ways to govern. According to the zoning rule in Nigeria, political power is meant to alternate between the north and the south. After Obasanjo (south-west), the power was to go to someone from the north. Therefore, the outgoing president decided to support, infact impose Umaru Yar’Adua’s candidacy in the elections. Umaru Yar’Adua was the former governor of Katsina state and the brother of Shehu Musa Yar’Adua, vice-president to…Olusegun Obasanjo, while he was president under the military regime from 1976 to 1979. Nigerian politics is like a bad movie, always with the same characters that only change position and title. In that manner, Obasanjo was president from 1976 to 1979 under military rule and was president again under civilian rule from 1999 to 2007. At the end of his mandate, he was replaced by Umaru Yar’Adua, the brother of his vice president from 1976 to 1979.

On the other hand, Goodluck Jonathan’s supporters say that it is his lack of political bonds with the upper class of the political and military circles that is destroying the efforts of this Bayelsan native. They say that, some ill-intentioned politicians first sponsored Boko Haram. They did that to discredit Jonathan’s rule. Now, Boko Haram has become the monster that it is today. At one time, Boko Haram was sponsored by the Northern governors; however, the monster has grown wings of its own and is no more under their control. It is terrorizing both the north and south and makes no distinction between religion nor ethnic group. Nigeria has lost some of its territory to the terrorist group. The situation is alarming especially from a humanitarian perspective.

In 2011, we all thought that Jonathan would bring change. He, who had not yet known corruption, criminal indecency or ridicule. However, the American dream is not the Nigerian dream. In 2015, bruised, terrorised and desperate, Nigeria is trying to stop this enchanted interlude. Zoning can wait, truth can wait. For the time being, we want a saviour and as often as this happens, we do not have to search afar off. Muhammadu Buhari is an attractive choice for those who are looking for a radical response to the troubles of Nigeria.
In the soap opera of Nigerian politics since, Buhari has played quite a number of roles since 1960: Major General, Minister of Petroleum and natural resources under Obasanjo (from 1976 to 1979), and President from 1983 to 1985. Since then, he has been trying to return to power.
He lost three times (2003, 2007, 2011). Now, he runs for the fourth time and might just win. Nigeria needs fresh blood. Fresh blood at 72 years! Well no one cares, it is experience that matters and old friends like: Babangida, Yar’Adua and the undeterred Obasanjo.
Nigeria dey oh !

Translated by Onyinyechi Ananaba

Quand la terreur s’appelle Boko Haram

JPG_BokoHaram_110614Effroi, indignation et incompréhension. Tels sont les sentiments qui règnent lorsque le nom du groupe islamiste nigérian Boko Haram est mentionné dans les médias. Considéré comme une secte ou un mouvement terroriste à doctrine essentiellement anti-occidentale, Boko Haram semble aujourd’hui invincible. Ses sévices font trembler le géant économique africain, des régions du nord jusqu’au cœur de la capitale, Abuja. De 2002 à 2014, le nombre de victimes n’a cessé de croître et la fragilité inquiétante de l’armée et du gouvernement nigérians n’en rendent pas la situation moins complexe. 

Là où tout a commencé

Boko Haram n’est certainement pas le premier groupe à s’être inscrit dans la mouvance islamiste au Nigéria. L’islamisme radical au Nigéria a émergé à partir des années 1970, avec notamment le mouvement de Muhammad Marwa (« Maitatsine »),  un jeune prédicateur du nord-est du Nigéria. Cependant, ces groupes, fortement combattus par l’armée nigériane ont été amenés à se dissoudre dans les années 1980, provoquant de ce fait l’éparpillement de leurs adeptes. En 2000, l’un d’entre eux commence à se démarquer des autres et attire tout particulièrement l’attention : Mohammed Yusuf, un théologien formé en Arabie Saoudite. Ce radicaliste pose les bases de Boko Haram et se présentera désormais comme en étant le chef spirituel. Jusqu’ici, niveau idéologique, rien ne change : le groupe prétend combattre l’école occidentale – ce qui renvoie directement à la traduction de Boko Haram en haoussa : « l’école occidentale est un péché » -, la mixité des sexes, l’instruction des femmes, la corruption des valeurs traditionnelles et le relâchement des mœurs. Notons qu’avant tout, le groupe réclame l’instauration d’un Etat islamique dans le Nord du Nigéria. Pour mieux comprendre les conditions de la naissance de Boko Haram, il faudrait encore aller chercher plus loin. Manifestement, le mouvement serait né d’un sentiment de mise à l’écart et de marginalisation vis-à-vis du reste du pays, et surtout du sud (majoritairement chrétien). C’est en dénonçant la corruption et les abus policiers que Boko Haram gagne le plus de fidèles. Au début des années 2000, le groupe recrute de plus en plus de membres, tous estimant avoir été abandonnés par les élites politiques locales et nationales, le pouvoir central et les policiers fédéraux. 

A partir de 2003, le gouvernement nigérian commence une bataille sans merci contre Boko Haram. Ainsi, cette année-là, le fief de Mohammed Yusuf à Maiduguri, dans l’État de Borno, est attaqué par la police d’Etat. La secte se réfugie donc dans l’Etat de Yobe, près de la frontière nigérienne ; son chef spirituel y implante une école qui attire principalement des analphabètes et des élèves coraniques mais aussi des personnes très cultivées. Il faudra attendre six ans, en juillet 2009, pour que le destin de Boko Haram prenne un autre tournant. Le groupe lance une violente campagne contre les quartiers généraux de la police dans plusieurs villes du nord ; de violentes confrontations avec les forces de sécurité nigérianes s’en suivent pendant cinq jours. La répression militaire fait plus de 800 morts dont celle de l’instigateur du mouvement, Mohammed Yusuf (qui aurait été exécuté sommairement dans les bureaux de la police). Dès lors, le groupe se fragmente sur quatre États du Nord et ses militants prennent la fuite. Cette répression, tout en ayant particulièrement affaibli Boko Haram, aura eu pour effet de le rendre encore plus agressif et déterminé.

Effroyable ? Oui mais aussi instable…

Après la répression policière de 2009, Boko Haram tombe dans la clandestinité. Qui plus est, ses objectifs et le profil de ses victimes évoluent considérablement. La visée de ses membres n’est plus tant d’instaurer un Etat islamique dans le Nord que de déstabiliser le pays et défier les autorités locales : alors que ses ennemis avaient tout d’abord été les musulmans ne respectant pas la charia, Boko Haram se tourne vers la terreur indiscriminée contre les civils. Un nouvel homme prend également la tête du mouvement terroriste : Abubakar Shekau, connu pour ses positions extrémistes. Ce dernier, qui faisait notamment partie de l’entourage de Yusuf, s’exprime désormais à travers des vidéos, pour éviter d’être facilement repéré. Nourri par un sentiment de vengeance, Boko Haram peine à trouver une stratégie claire. Par ailleurs, les différentes factions du mouvement islamiste n’arrivent pas aisément à trouver un consensus et ne sont pas forcément animées par les mêmes motivations. Il est aujourd’hui difficile de mettre précisément le doigt sur ce que le mouvement terroriste veut. Ses sévices demeurent infâmes : attentats,  attaques d’églises, incendies, massacres d’étudiants dans leur sommeil,…

En juin 2011, le groupe attaque le siège de la police à Abuja; deux mois plus tard, un attentat est perpétré contre le siège des Nations Unies à Abuja. À la fin de 2011,  Boko Haram commence à cibler les Églises.  Les autorités nigérianes hésitent sur la réponse à adopter devant ces attaques, et tendent à privilégier une réponse militaire faite de répressions mal organisées, entrecoupées de quelques périodes de dialogue. L’armée se met à bombarder des villages suspectés d’héberger des membres de Boko Haram. Puis en mai 2013, un état d’urgence est appelé dans plusieurs Etats du Nord-Est du Nigéria. Quant au mouvement terroriste, il répond en rasant des villages entiers, soupçonnant les civils de tenir main forte à l’armée. La violence n’a donc plus de limites et, sans aucun doute, les civils demeurent les principales victimes de ces confrontations. Le 14 avril 2014, Boko Haram prouve à nouveau son pouvoir de nuisance en organisant un attentat à Abuja, le pire qu’ait connu la capitale fédérale (au moins 88 victimes). Le lendemain, le groupe kidnappe plus de 200 lycéennes dans leur dortoir à Chibok, dans l’État de Borno au nord-est du pays, suscitant une vive émotion au Nigéria et dans la communauté internationale

#BringBackOurGirls : indignation tardive

Autant le kidnapping des lycéennes est inadmissible, autant les circonstances dans lesquelles cet acte a été commis sont horribles. En effet, des hommes armés se sont présentés à l’internat du lycée de Chibok, à Borno et une fois sur place, ils ont mis le feu à plusieurs bâtiments avant de tuer un soldat et un policier. Se faisant passer pour des militaires venus sécuriser l’établissement, ils ont obligé les lycéennes à en sortir, les ont fait monter dans des camions et se sont dirigés directement dans la forêt de Sambisa, connue pour être un terrain abritant des camps de Boko Haram. Dans une vidéo diffusée le 5 mai, Abubakar Shekau reconnaît officiellement l’enlèvement des jeunes filles et déclare qu’il va les « vendre sur le marché ». Puis, dans une nouvelle vidéo, le 12 mai, il affirme les avoir converties et être prêt à les libérer à la seule condition qu’elles soient échangées contre des prisonniers détenus par le gouvernement. Une demande que les autorités nigérianes ont aussitôt refusé.

Une protestation mondiale, Bring Back Our Girls (« Ramenez nos filles ») a ainsi vu le jour sur les réseaux sociaux mais aussi à la télévision ou dans les rues. Le principe est assez enfantin : il suffit de se photographier avec une pancarte sur laquelle ce même message est inscrit et de poster la photo sur Facebook, Twitter, Instagram … Cette innovation a de nombreux partisans : de Michelle Obama, en passant par des acteurs américains à la petite amie du footballeur Cristiano Ronaldo ou de simples inconnus. Et pourtant : rien de nouveau sous le soleil. Boko Haram n’en est certainement pas à sa première attaque et des femmes kidnappées et/vendues, ce n’est pas ce qui manque dans l’histoire de l’humanité… D’où vient donc cet émoi tardif ? Et à qui peut-il bien s’adresser ? Il serait insensé de croire que les membres de Boko Haram puissent se laisser amadouer par ces photos, que le gouvernement nigérian puisse miraculeusement trouver une stratégie efficace pour retrouver ces filles ou encore que les fidèles à ce mouvement de masse entendent la récupération des lycéennes au moyen d’une mission sanglante, conduite par des forces secrètes. Il est certes indubitable que le geste est louable. Cependant, peut-il vraiment apporter une solution au calvaire des victimes ? Peut-on aujourd’hui se satisfaire d’aider son prochain en un clic ? La cause est grave et le réveil de l’opinion internationale rassurant, toutefois, une réflexion commune sur une issue pratique à cette situation semblerait plus à même de faire la différence.

Et maintenant ?

Des efforts ont été consentis par le gouvernement nigérian, après qu’il ait été fortement critiqué pour son inaction aux niveaux local et international. En effet, suite au refus d’échanger des otages contre des prisonniers, le président nigérian, Goodluck Jonathan, a appelé les familles ainsi que les forces de sécurité à une « coopération maximale » afin de retrouver au plus vite les victimes. La fédération a ainsi annoncé l’envoi de renforts militaires dans la zone de l’extrême Nord-Est pour lutter contre le groupe extrémiste. Cette mesure n’a pas pour autant freiné la multiplication des attentats au cours des dernières semaines, dont certains dans des villes bien plus au sud que le bastion traditionnel de Boko Haram au nord-est ; on pourra notamment citer ceux de Jos, Kano et Gamboru Ngala au cours des dernières semaines. On pourrait aussi se questionner sur le niet catégorique affiché par  le gouvernement nigérian vis-à-vis de potentielles négociations  mais ceci nous dirigerait inéluctablement vers une plus grande question : peut-on négocier avec des terroristes ? L’enjeu est de taille : refuser, c’est allonger le calvaire des otages, tandis qu’accepter, c’est accorder à ces individus une légitimité politique dont ils ne sont pas dignes.  Le fait est que les acteurs sont partagés, au sein même de la fédération. Celle-ci est sujette à de nombreuses tensions et une course féroce pour le pouvoir, vu la richesse en ressources naturelles et tout particulièrement pétrolifères du pays. Ceci implique une désunion or, pour combattre leur ennemi commun, Boko Haram en l’occurrence, une seule et même direction est impérative.

A l’échelle internationale, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni mais aussi Israël et la Chine ont offert leur aide, dépêchant leurs experts sur les lieux. La porte-parole de la diplomatie américaine, Marie Harf, a néanmoins déclaré que « beaucoup d’entre elles ont probablement été déplacées hors du pays, vers des pays voisins ». Le sommet de Paris, convoqué par le président français François Hollande, s’est donc parfaitement inscrit dans le cadre de cette coopération internationale, invitant les pays voisins à y participer dans le but de trouver une solution sur le plan régional. Les jeunes filles étant toujours difficiles à localiser, malgré les déclarations du chef de l’armée de l’air faites le 26 mai 2014, un dialogue s’impose bel et bien pour les retrouver. Répressions violentes et brutales dirigées par l’armée nigériane n’auront pour effet que d’attiser la haine de Boko Haram ; or, il s’agit ici de la vie de lycéennes innocentes. Selon le think-tank International Crisis Group, le gouvernement nigérian, pour relever ce défi, doit absolument développer et adopter des stratégies plus complètes pour réinstaller la sécurité dans le pays mais surtout dans le but d’une réelle réconciliation. Ainsi, par l’intermédiaire de l’ancien président, Olusegun Obasanjo, des contacts ont été établis entre Boko Haram et les autorités nigérianes. On peut imaginer que le pire cauchemar d’un otage puisse être de voir le lien de communication entre ses bourreaux et les autorités de son pays rompu. Comme le disait le religieux anglican de nationalité britannique et ancien otage au Liban, Terry Waite, « aucun soulèvement ou mouvement terroriste n’a été vaincu par la guerre ou la violence ». Pour agir ensemble et plus efficacement, les acteurs concernés, aux niveaux fédéral ou étatique, doivent prendre conscience que ce problème a plusieurs dimensions, toutes aussi délicates les unes que les autres : politique, sociale et économique. Il s’agira de prouver que le Nigéria, ce géant aux pieds d’argile, au-delà de sauver ces filles, est capable de restaurer le respect de la loi et de l’ordre par lui-même.

Khadidiatou Cissé

La démocratie de l’angoisse (2ème partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_Elections180614Dans la première partie de cet article, l’auteur a décrit le contexte politique dans lequel se dérouleront les élections présidentielles dans les six pays d’Afrique de l’Ouest concernés par ces scrutins souvent à haut risque cette année et en 2015. Il a examiné en particulier l’intensité anticipée de la compétition électorale dans chacun des pays, un des trois éléments d’appréciation des risques de violence. Dans cette deuxième partie, il s’interroge sur le contexte sécuritaire actuel des différents pays et sur l’environnement institutionnel qui devra encadrer les processus électoraux.

 

Lorsqu’on s’intéresse au contexte sécuritaire général, un deuxième élément d’appréciation capital pour une analyse approximative des risques liés aux élections présidentielles à venir, il n’y a pas de quoi être rassuré. Parmi les déterminants principaux du contexte sécuritaire, on peut s’appesantir sur l’existence ou non dans le pays de groupes armés rebelles ou ex-rebelles, le degré de contrôle politique et d’intégrité professionnelle des forces de sécurité et des forces armées, le niveau d’alignement des affinités politiques avec l’appartenance ethnique et régionale, les conditions pacifiques ou non des élections présidentielles les plus récentes ainsi que l’ampleur et la forme de l’implication politique et/ou sécuritaire d’acteurs extérieurs importants.

Le Nigeria apparaît sans conteste comme l’environnement sécuritaire le plus fragile. L’élection de 2015 va se dérouler dans un pays déjà aux prises avec le groupe terroriste Boko Haram au Nord-Est, un pays qui abrite également des groupes armés organisés dans le Delta du Niger aussi prompts à soutenir politiquement qu’à exercer des pressions sur le président Jonathan lui-même issu de cette région du South-South, et un pays qui connaît des niveaux élevés de violence combinant des dimensions politiques, économiques, ethniques et religieuses dans le Middle Belt (centre du pays) et ailleurs sur le territoire. La fédération nigériane est aussi habituée à des lendemains d’élection meurtriers, comme ce fut le cas en 2011, alors même que le scrutin avait été jugé mieux organisé et plus crédible que tous les précédents.

Plus de 800 personnes avaient été tuées en trois jours d’émeutes et de furie dans douze Etats du nord de la fédération, l’élément déclencheur ayant été la défaite du candidat nordiste Muhammadu Buhari face à Jonathan. Le Nigeria n’avait pas besoin du terrorisme de Boko Haram pour atteindre de tels niveaux de violences mettant aux prises des concitoyens entre eux, avec certes une dose de spontanéité mais aussi un degré certain de préparation des esprits à la violence par des entrepreneurs politico-ethniques et des extrémistes religieux. Dans la perspective de 2015, le chantage à la violence a déjà commencé dans le pays, animé aussi bien par des groupes de militants du « si Jonathan n’est pas réélu, ce sera le chaos » que par ceux du « si Jonathan est réélu, ce sera le chaos ». Quand on ajoute à cette préparation mentale le très faible degré de confiance des populations nigérianes dans l’intégrité et le professionnalisme des forces de sécurité, la crainte d’un sombre début d’année 2015 dans la grande puissance de l’Afrique de l’Ouest paraît fort légitime.

La Guinée, du fait du prolongement ethno-régional de la polarisation politique et du passif de violences, est également très fragile du point de vue sécuritaire. Il convient de reconnaître les progrès indéniables qui ont été faits sous la présidence Condé dans la réforme du secteur de la sécurité qui se traduit par une amélioration de la capacité des forces de l’ordre à contenir des manifestations de rue sans tuer en une seule journée plusieurs dizaines de personnes. Ce n’est plus l’époque de Lansana Conté ou celle de Dadis Camara mais on n’est encore très loin d’un comportement exemplaire des forces de sécurité et d’une neutralité politique des responsables du maintien de l’ordre et de la haute administration territoriale. Les différentes manifestations qui avaient rythmé la longue et difficile marche vers les élections législatives de septembre dernier s’étaient tout de même traduites par des violences parfois meurtrières. On peut déjà anticiper un face-à-face explosif entre manifestants de l’opposition et forces de sécurité lorsque sera engagé le processus menant à l’élection présidentielle.

Le contexte sécuritaire n’est pas particulièrement rassurant non plus en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire. Dans le premier pays, les chefs de l’armée se sont toujours considérés autonomes par rapport au pouvoir politique civil et on parle de réforme du secteur de la sécurité depuis une dizaine d’années sans avoir jamais réussi à l’enclencher. En Côte d’Ivoire, des efforts significatifs ont été faits pour gérer les conséquences catastrophiques du conflit armé postélectoral de 2011, mais il faudra encore quelques années pour doter le pays de forces de défense et de sécurité cohérentes, efficaces et politiquement neutres. L’héritage difficile des années de rébellion et de conflit risque de peser lourdement dans l’environnement sécuritaire et les développements politiques… après l’élection de 2015. Aussi bien en Guinée Bissau qu’en Côte d’Ivoire, la présence d’acteurs extérieurs mandatés pour le maintien de la paix, la mission militaire de la CEDEAO (ECOMIB) et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) respectivement, est un facteur d’apaisement relatif.

Le positionnement politique des forces de défense et de sécurité et le maintien de leur unité sont des éléments d’incertitude qui pèsent sur le contexte sécuritaire au Burkina Faso qui a connu de violentes mutineries en 2011. Impossible de savoir comment l’armée burkinabè et les différentes générations qui la composent vivent actuellement la situation inédite d’incertitude politique sur l’après 2015. Les hauts responsables militaires dont beaucoup ont été nommés au lendemain des mutineries de 2011 pour reprendre en main ce pilier essentiel du pouvoir de Compaoré considèrent-ils leur sort lié au maintien de ce dernier au palais présidentiel après 2015 ? Comment les officiers les plus proches du président qui l’ont accompagné depuis les premières années d’un régime alors très brutal appréhendent-ils l’avenir ? Beaucoup de questions et peu de réponses, ce qui ne devrait pas atténuer l’angoisse des Burkinabè et de nombre de leurs voisins ouest-africains. Au Togo, la question du positionnement politique des forces de sécurité et de l’armée se pose beaucoup moins : le verrouillage sécuritaire par le pouvoir de Lomé semble résister à l’usure du temps.

Il convient enfin de s’interroger sur le cadre institutionnel dans lequel se dérouleront les scrutins présidentiels dans les différents pays. Ce cadre désigne ici l’ensemble des règles, procédures, institutions qui sont mobilisées du début à la fin du processus électoral et qui jouent un rôle déterminant dans la crédibilité des scrutins, en particulier celle des résultats définitifs qui désignent le vainqueur. Si la crédibilité du processus électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, la perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un déclencheur de troubles. De plus, lorsque l’élection présidentielle se passe dans un pays dont l’environnement sécuritaire est déjà fragile et dans le contexte d’une intense compétition pour le pouvoir, la crédibilité du cadre institutionnel régentant l’élection peut être décisive pour sauver le pays d’un basculement quasiment certain dans une crise postélectorale.

Il ne faudra pas trop compter sur cela. Partout, les dispositions des lois électorales, les conditions d’établissement des fichiers d’électeurs, la neutralité politique et la compétence technique des institutions chargées d’organiser les élections et d’examiner les éventuels recours font l’objet de controverses. Aucun des pays concerné par une élection présidentielle en 2014 ou 2015 n’est un modèle dans la région en matière d’organisation de scrutins libres, transparents et crédibles. Certains ont accompli, à l’instar du Nigeria, des progrès notables en la matière au cours des dernières années, mais ils sont tous encore loin, bien loin, des modèles en Afrique de l’Ouest que sont le Ghana, le Cap-Vert et le Sénégal où des commissions électorales et/ou d’autres dispositifs et institutions ont su gérer et crédibiliser des élections parfois très compétitives.

Au Nigeria, nombre de réformes qui avaient été recommandées par les experts au lendemain des élections générales de 2011, certes mieux organisées que les précédentes, pour corriger les plus graves failles du système n’ont pas été mises en œuvre. En Guinée, il a fallu des médiations, une forte implication technique internationale et un accord politique âprement négocié pour arriver à organiser des élections législatives en septembre 2013. La liste des tâches à accomplir pour rendre le dispositif électoral plus crédible pour la présidentielle de 2015 est très longue. Elle comprend l’établissement d’un nouveau fichier électoral et la mise en place d’une institution cruciale comme la Cour constitutionnelle qui doit remplacer la Cour suprême dans le rôle de juge ultime du contentieux électoral. Même en Côte d’Ivoire, où l’actuel président avait promis une révision de la Constitution, rien n’a été fait pour fermer la page des dispositions spéciales issues des accords de paix et doter le pays d’un nouveau cadre électoral et d’un mode de composition de la commission électorale indépendante susceptible de créer davantage de confiance de la part de tous les acteurs politiques.

On ne peut, en guise de conclusion, que donner raison aux citoyens d’Afrique de l’Ouest déjà angoissés à l’approche des échéances électorales à venir. Lorsqu’on prend en compte simultanément les trois éléments d’appréciation, aucun des pays ne sera à l’abri de tensions fortes susceptibles de dégénérer en violences plus ou moins graves. En prenant le risque de se tromper, – qui peut vraiment prévoir tous les scénarios possibles dans chacun de ces pays plusieurs mois avant les différents scrutins ? -, il est raisonnable de classer le Nigeria et la Guinée dans une catégorie de pays à très haut risque, le Burkina Faso dans une catégorie de pays à haut risque et la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Togo dans une catégorie de pays à risque modéré, ce qualificatif ne voulant surtout pas dire « faible » ou « inexistant ».

Les élections calamiteuses ne sont pas cependant des catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables. Les citoyens de chacun des pays concernés, la CEDEAO et les acteurs internationaux importants ont les moyens de dompter l’angoisse par une forte mobilisation pour prévenir des crises violentes. Mais il y a aussi un risque à appréhender les élections uniquement ou principalement comme des moments de danger d’implosion des Etats, et à ne rechercher que des élections sans violence. Cela revient souvent, pour les organisations régionales et internationales, à préférer la manipulation des processus électoraux au profit du camp le plus puissant, et donc le plus à même de provoquer le chaos en cas de défaite, à des scrutins réellement ouverts à l’issue incertaine. Le risque est celui d’oublier et de faire oublier à quoi devraient servir les rituels électoraux dans des démocraties jeunes et fragiles : à ancrer petit à petit une culture démocratique dans la société. Si les populations doivent continuer à aller voter tous les quatre ou cinq ans, la peur au ventre, c’est l’adhésion populaire à l’idéal démocratique en Afrique de l’Ouest qui finira par être menacée.

Dr. Gilles Yabi

La démocratie de l’angoisse (1ère partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_WestAfrica040614C’est l’estomac noué et la gorge serrée que les citoyens de six pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’apprêtent à entrer dans une période électorale devenue synonyme, dans une trop grande partie du continent, de risque maximal de crise violente. Les premiers qui devraient être convoqués aux urnes sont les électeurs de Guinée Bissau où un scrutin présidentiel et des législatives censés tourner la page d’une période de transition sont prévus le 13 avril prochain. Dans ce pays lusophone, le seul de la région avec les îles du Cap-Vert, le calendrier électoral a été systématiquement perturbé depuis la démocratisation formelle au début des années 1990 par des coups de force militaires, des assassinats politiques et dernièrement par la mort naturelle du président. Mais c’est en 2015 que l’actualité électorale sera extraordinairement chargée.[1] Des élections présidentielles sont prévues au premier trimestre au Nigeria et au Togo, puis au dernier trimestre au Burkina Faso, en Guinée et en Côte d’Ivoire.[2]
 
Pour chacun de ces pays et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, les élections présidentielles à venir représentent un enjeu crucial pour la paix, la stabilité politique mais aussi pour le progrès économique et social. Si la région n’avait pas connu une série de crises violentes au cours des dix dernières années, les échéances de 2014-2015 auraient dû surtout servir de test pour la consolidation de la pratique et de la culture démocratiques dans chacun des pays concernés et, par là même, pour l’ensemble de cette région du continent. Cette question ne sera que secondaire autant pour les citoyens que pour les organisations régionales et internationales à l’approche des différents scrutins présidentiels. La préoccupation première sera celle d’éviter que ces moments censés incarner la vitalité démocratique ne se transforment en périodes d’explosion de violences, ou pire, de basculement dans des conflits armés. Au regard des évènements politiques et sécuritaires des dernières années, ces craintes sont légitimes.
 
Mais quelle est l’ampleur des risques associés à chacune des élections présidentielles à venir dans la région ? Où sont-ils les plus importants ? Pour tenter de répondre à ces questions, trois éléments d’appréciation méritent d’être mobilisés: ce qu’on pourrait appeler l’intensité anticipée de la compétition présidentielle, le contexte sécuritaire général du pays et le cadre institutionnel appelé à régenter le processus électoral. Anticiper l’intensité de la compétition pour la fonction présidentielle revient à s’interroger, dans chaque pays, sur les chances que le scrutin soit ouvert et qu’il n’y ait pas de candidat quasiment sûr de gagner bien avant l’échéance. Classer les pays en fonction de ce premier critère n’est pas si simple, alors qu’on ne connaît pas encore avec certitude qui seront les candidats en course pour chacune des élections présidentielles.
 
En Guinée Bissau, le scrutin doit mettre fin à une situation d’exception née d’un coup d’Etat…contre un Premier ministre qui était en passe de devenir président, Carlos Gomes Júnior. Organisée en avril 2012, la dernière élection présidentielle s’était arrêtée entre les deux tours. Gomes Júnior, largement en avance à l’issue du premier tour, avait été brutalement sorti du jeu par les chefs militaires du pays qui lui étaient résolument hostiles. L’ancien Premier ministre reste en 2014 un acteur politique influent mais contraint à l’exil d’abord au Portugal et désormais au Cap-Vert, toujours considéré inacceptable pour la hiérarchie militaire et peut-être pour des acteurs régionaux importants, on ne voit pas comment il pourrait rentrer dans son pays en sécurité et se présenter à nouveau à une élection présidentielle. Il a sollicité l’investiture de son parti, le PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), mais le choix de ce dernier s’est porté le 2 mars sur l’ancien ministre des Finances et ancien maire de la capitale, José Mário Vaz.
 
Le PAIGC, qui continue à bénéficier de son statut historique de  parti ayant conduit la lutte armée pour l’indépendance des deux anciennes colonies portugaises d’Afrique de l’Ouest, reste la force politique dominante dans le pays malgré ses divisions internes. Il partira favori pour les élections législatives, face au PRS (Partido para a Renovação Social, Parti pour la rénovation sociale), également divisé, et aux autres partis plus petits. La compétition pour le fauteuil présidentiel devrait être plus ouverte en raison notamment de quelques candidatures indépendantes susceptibles de séduire un électorat désorienté par les luttes politiques partisanes. Mais le plus dur en Guinée Bissau n’est pas toujours de doter le pays d’un président démocratiquement élu. C’est de lui garantir de bonnes chances de survie politique et physique jusqu’à la fin de son mandat, surtout s’il lui venait à l’esprit de toucher aux intérêts des chefs militaires et/ou des alliés locaux des réseaux internationaux de trafic de drogue actifs dans ce pays et dans toute l’Afrique de l’Ouest.
 
Au Nigeria non plus, on ne sait pas encore avec certitude qui sera candidat, mais l’attention se concentre sur les intentions du président sortant Goodluck Jonathan. Evoquant un principe non écrit de rotation entre candidats nordistes et sudistes désignés par le PDP (People’s Democratic Party, Parti démocratique du peuple), parti au pouvoir depuis le retour à la démocratie en 1999, nombreux sont ceux qui s’opposent à une nouvelle candidature du président actuel. Vice-président en 2007, Jonathan avait hérité du poste de président après le décès de Umaru Yar’Adua en 2010 avant de se faire élire en 2011 pour un premier mandat plein de quatre ans. Les défections de personnalités très influentes du PDP se sont multipliées ces derniers mois et elles continuent, affaiblissant le camp du président.
 
L’opposition au PDP semble par ailleurs n’avoir jamais été aussi forte, en raison de la fusion en février 2013 de quatre partis importants dans une grande formation, l’APC (All Progressives Congress, Congrès de tous les progressistes) qui est aussi bien implanté que le parti au pouvoir dans tous les Etats de la fédération. Les moyens financiers, déterminants dans la bataille électorale colossale qui se profile, ne manqueront pas d’un côté comme de l’autre, même si le camp au pouvoir dans cette puissance pétrolière qu’est le Nigeria disposera inévitablement d’un avantage certain en la matière. La compétition sera selon toute probabilité très intense. Elle le sera dans tous les cas, y compris dans l’hypothèse très improbable d’un retrait du président sortant de la course à l’investiture du PDP, et quel que soit le candidat qui sera choisi par l’APC. Ce choix ne sera pas aisé et pourrait provoquer des failles dans l’unité affichée jusque-là par le nouveau grand parti d’opposition.
 
Les Togolais devraient, comme les Nigérians, aller aux urnes au premier trimestre 2015. Le président sortant Faure Gnassingbé, élu dans des circonstances controversées et violentes en 2005 après la mort naturelle de son père, Eyadema Gnassingbé, puis réélu en 2010, pourra se porter candidat une troisième fois sans avoir à faire modifier la Constitution en vigueur. Depuis le retour forcé à un système démocratique formel, le pouvoir togolais n’a pas arrêté de jouer avec la disposition de limitation à deux du nombre de mandats présidentiels successifs. En 2002, une révision constitutionnelle avait non seulement supprimé cette disposition mais elle avait également consacré le principe d’une élection présidentielle à un seul tour. Malgré les recommandations d’un accord politique global signé en 2006 et les demandes répétées de l’opposition, les dispositions actuelles de la Constitution et du code électoral restent très favorables à une tranquille pérennité du régime du président Gnassingbé. Le parti présidentiel UNIR (Union pour la République) dispose d’une majorité absolue au Parlement et s’assurera que rien ne soit entrepris pour réduire les chances de victoire de son chef en 2015. Par ailleurs, la machine sécuritaire au service du pouvoir et l’insuffisante coordination des forces politiques de l’opposition ne militent pas pour l’instant en faveur d’une compétition électorale ouverte et intense pouvant déboucher sur une alternance politique réelle dans un pays qui n’en a pas connue depuis le coup d’Etat d’Eyadema Gnassingbé en… 1967.
 
Au Burkina Faso, il n’y a même pas eu d’alternance générationnelle comme ce fut le cas au Togo en 2005. Au pouvoir depuis octobre 1987, Blaise Compaoré devrait avoir passé 28 ans à la tête de l’Etat au moment de l’élection présidentielle de 2015. La Constitution limitant le nombre de mandats successifs à deux, le président ne pourra être candidat qu’à condition de réussir à faire passer une nouvelle révision de la loi fondamentale dans les mois à venir. Cette intention ne faisant plus de doute, la mobilisation des adversaires à une énième manœuvre visant à prolonger le règne du président Compaoré a commencé à Ouagadougou. Elle a même affaibli le pouvoir beaucoup plus rapidement qu’on ne pouvait le prévoir, un large groupe de personnalités de poids du parti présidentiel, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès) qui ont toujours soutenu Compaoré, ayant décidé de quitter le navire pour rejoindre en janvier dernier le camp des adversaires de toute révision constitutionnelle.
Le Burkina Faso est de fait déjà entré dans une période  tendue et cela devrait durer jusqu’à ce que le pouvoir décide de renoncer à toute modification constitutionnelle ou choisisse de convoquer un référendum sur cette question. Dans ce dernier cas, de fortes contestations sociopolitiques seront inévitables et leurs conséquences incertaines. La compétition  électorale en 2015 sera forcément intense. Dans l’hypothèse où Compaoré renoncerait à prétendre à un nouveau mandat, la compétition devrait être très ouverte. Elle pourrait juste être moins tendue et explosive qu’en cas de candidature du président sortant.
 
En Guinée, le président Alpha Condé devrait être candidat en 2015 pour un second et dernier mandat. Pas d’obstacle légal à contourner. Il devrait par contre faire face à des rivaux politiques organisés, déterminés et capables de le priver d’un nouveau mandat. Arrivé au pouvoir en décembre 2010, au terme d’un scrutin laborieux et controversé, le président avait été largement distancé au premier tour par l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo avant de l’emporter au second. Les récentes élections législatives, elles-aussi organisées au forceps après une série de reports et grâce à une forte implication internationale, ont encore montré que le camp du président Condé n’était pas capable d’écraser l’opposition. Cette dernière, même éclatée en plusieurs pôles, a quasiment fait jeu égal avec le parti du président, le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) et ses alliés.
 
L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo reste une force politique significative qui, si elle s’allie à d’autres partis importants comme l’Union des forces républicaines (UFR) de Sydia Touré ou le PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national) de Lansana Kouyaté, pourrait devenir majoritaire à l’occasion du second tour d’un scrutin présidentiel. Dans l’hypothèse, pour le moment improbable, d’une candidature unique de l’opposition, le président Condé serait particulièrement menacé par une défaite électorale, malgré les avantages habituels conséquents d’un président-candidat. Aucun doute n’est permis sur l’intensité de la bataille pour la présidence de la Guinée à la fin de l’année 2015. Elle  sera l’une des plus rudes de la région.
 
Au cours de ce même dernier trimestre 2015, les Ivoiriens seront eux-aussi convoqués aux urnes pour reconduire le président Alassane Ouattara ou choisir un nouveau chef d’Etat. Arrivé au pouvoir au terme d’une élection compétitive qui a dégénéré en conflit armé avec celui qui était le président sortant, Laurent Gbagbo, Ouattara a rapidement indiqué qu’il serait bien candidat à un second et ultime mandat. Si son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) sera à coup sûr uni derrière le président pour la future bataille électorale, le soutien franc et massif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), allié important et potentiellement décisif, n’est pas nécessairement acquis. Le scrutin ne sera pas gagné d’avance mais la faiblesse et le passif du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Gbagbo, détenu à la prison de la Cour pénale internationale aux Pays-Bas, sont tels que le président sortant devrait partir favori. Son bilan en termes de relance de l’économie ivoirienne et des mesures récentes allant enfin dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation nationale devraient aussi jouer en sa faveur. On peut anticiper une compétition présidentielle modérément intense dans un pays dont les électeurs ont encore à l’esprit le traumatisme postélectoral de 2010-2011.
 
Gilles Olakounlé Yabi
 
[1] L’autre élection présidentielle de l’année 2014, prévue en juin, aura lieu en Mauritanie, pays à cheval sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord qui s’est retiré de la CEDEAO en 2000.

[2] Dans la foulée, au début de l’année 2016, les électeurs du Niger et du Bénin seront à leur tour appelés aux urnes pour choisir leurs chefs d’Etat. Dans les deux pays, l’atmosphère politique est déjà marquée par de fortes tensions à plus de deux ans des échéances électorales. Le Cap-Vert, la Gambie puis le Ghana seront aussi concernés par les élections au second semestre 2016.

 

 

Quel serait l’impact de Boko Haram sur les prochaines élections au Nigéria?

imagesAu cours des dernières semaines, la bataille politique entre le People’s Democratic Party (PDP) et son rival de l'opposition, le All Progressives Congress (APC), a été largement reléguée au second plan au Nigeria. Au lieu de cela, tous les yeux sont fixés sur Boko Haram et la façon dont le gouvernement compte endiguer la menace.

Bien que le groupe militant islamiste n'ait pas réussi à attaquer des cibles de plus grande envergure depuis 2011 – quand il a bombardé le bâtiment des Nations Unies à Abuja et le siège de la Force de police du Nigeria – il a considérablement augmenté ses attaques sur des cibles moins sécurisés, en particulier sur des civils. Cette année seulement, Boko Haram aurait tué plus de 2.000 personnes; le mois dernier, il a bombardé une station de bus occupé sur les franges de la capitale; et il a toujours en otage plus de 200 écolières enlevées dans la ville de Chibok.

Boko Haram et les élections

Mis à part les conséquences profondément tragiques des activités violentes du groupe, les activités de Boko Haram pourraient également affecter l'environnement politique du Nigeria et le déroulement des prochaines élections en 2015 de diverses manières.

Pour commencer, la violence en cours dans le Nord-Est pourrait poser un risque grave pour la conduite même des élections générales. Beaucoup de personnes ont été déplacées, le conflit pourrait empêcher une population découragée d’aller voter, et l'instabilité pourrait tout simplement rendre logistiquement impossible pour les fonctionnaires électoraux d’accomplir leur travail. Il y a eu des appels en direction du gouvernement fédéral pour adopter une posture militariste et imposer l’état d'urgence ; mais pour l'instant le président Goodluck Jonathan a préféré prolonger l'état d'urgence de six mois.

Il peut avoir des raisons d'être prudent. Après tout, l'insécurité dans le Nord a également affecté la perception du président Jonathan parmi les électeurs. Son gouvernement a été sévèrement critiqué pour sa gestion de la situation sécuritaire et la côte de popularité du président est à un niveau historiquement bas de 49% . Ce mécontentement suggère qu'il pourrait faire face à des difficultés s’il envisage de se présenter à l’élection l'année prochaine ; une ambition qui le mettrait dans une situation précaire avec de nombreux personnages puissants des États du Nord. Déjà, sa décision de prolonger l’état d’urgence de six mois a été critiquée par certains leaders régionaux du fait que cette approche n’a produit aucun effet jusqu’à présent.

Plus généralement, les tensions régionales ont toujours été une partie inaliénable de la politique du Nigeria et ne va certainement pas disparaître à l'approche des élections. Au mieux, l'ethnicité et la religion feront tout simplement partie de la rhétorique dans les sables mouvants d'une année pré-électorale, et pourront en partie affecter le choix des électeurs. Au pire, cependant, les tensions religieuses et ethniques deviendront politisées et dégénéreront en violence, perturberont le processus électoral et de déstabiliseront l'équilibre politique et économique du pays.

En ce qui concerne l'économie, la localisation de l'insurrection dans le Nord-Est a largement épargnée l'économie nationale dans son ensemble. Certaines installations de télécommunications, et dans une moindre mesure des installations pétrolières et gazières, ont été attaquées dans le Nord, mais les plus grandes industries du Nigeria sont pour la plupart situées dans le sud. L'économie chancelante du Nord-Est se compose essentiellement de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises qui ont effectivement subies les effets de l’insurrection. En outre, la nécessité d'augmenter les dépenses en matière de sécurité signifie qu'il y a encore moins de fonds publics disponibles pour l'exécution des projets d’infrastructure régionale et les programmes sociaux.

boko_haramLa lutte contre Boko Haram

Il est difficile de dire si le gouvernement nigérian pourra inverser la tendance de la violence avant les élections de 2015, prévues pour Février. Toutefois, le président Jonathan a déclaré aujourd'hui qu'il a ordonné une "guerre totale" contre Boko Haram et il a récemment accepté des offres d'assistance militaire des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine.

D'une part, il est généralement admis que la technologie et la connaissance des forces étrangères seront utiles, tandis que les troupes étrangères sont moins susceptibles d'être à risque d’une infiltration de Boko Haram. Mais dans le même temps, certains Nigérians craignent que l'aide occidentale ne viendrait pas sans un prix, et ce malaise a été accrue par le fait que certains partenaires aient annoncé que l’aide ne sera pas nécessairement limitée à la rescousse des filles Chibok enlevés. En outre, alors que l'intervention étrangère pourrait contribuer à certaines opérations, il reste à voir si elle sera capable d'inverser la tendance plus large de la violence et ses causes sous-jacentes.

En effet, il existe un réel besoin de solutions globales qui vont au-delà des offensives militaires. Étant donné que les opérations de l'armée ont souvent conduit à des pertes civiles, créant ainsi un sentiment d’insécurité de la part des populations face aux forces militaires, l’action militaire doit certainement être plus stratégique. Mais comme le conseiller à la sécurité nationale l’a souligné à juste titre, une approche plus souple est également nécessaire pour inverser le cours de la radicalisation. Typiquement, une réponse socio-économique à long terme qui s'attaque à la pauvreté, au chômage et les frustrations qui conduisent les groupes marginalisés à chercher des moyens violents est également cruciale.

Dans les prochains mois, alors que le pays se prépare pour les élections, la gestion de la menace Boko Haram sera déterminante. L'administration actuelle – les deux gouvernements et les gouvernements des États fédéraux – doit travailler avec l'opposition ainsi que des partenaires internationaux pour assurer que le processus démocratique ne soit pas entammé.

Un article de notre partenaire Think Africa Press, initialement paru en Anglais et traduit en Français par Georges Vivien Houngbonon

Nigeria: Mister Goodluck and President Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan is at the moment in a tight spot.  The past few months, the Nigerian president has been subjected to a fierce opposition amidst his very own party, The People's Democratic Party (PDP) which has been reigning since the establishment of the Fourth Republic in 1999. Leading a gigantic country in terms of economy and demography (Nigeria is the most populous country of Africa with 170 million inhabitants), President Jonathan has been in power since the death of his predecessor Umaru Yar’Adua in 2010 and is becoming more and more unpopular. In addition to a questionable management of the clashes with the Boko Haram sect, he is suffering from a considerable lack of legitimacy in his party.

37 MP from PDP have joined the ranks of the opposition on last December 18th. This rebellion resulted in Jonathan losing his parliamentary majority, an unprecedented situation in Nigeria’s political history. Its consequences are unpredictable. On the one hand, it remains difficult to know how President Jonathan will govern without a majority at the Parliament; on the other hand the future is uncertain as to the presidential elections of 2015. This important setback is one more step leading to the mutiny firstly opened in September 2013 by six governors from the Muslim North who created the New PDP. The bone of the contention: the former President Olusegun Obasanjo made things worse when he stepped in the turmoil and wrote a scathing letter to his successor, accusing him of invigilating his political opponents along with hundreds of Nigerians using the State services. Even worse, police officers assaulted locals belonging to the same states as the mutinous governors, who consider those confrontations as bullying, and denounce dictatorial methods.

President Jonathan now finds himself in a very difficult situation, and the stake is the future of Nigeria, way beyond the future of PDP. Indeed, the present revolt against Jonathan is linked to the main political issue in Nigeria since the independence, namely the fragile and volatile balance between the Muslim North and the Christian South of the country. When PDP took power in 1999, the leaders of the party agreed on an informal sharing of the power: the president could only pretend to two consecutive terms (8 years) , the deal was that every two-term period of time, a Muslim president had to vacate the power for a Christian successor and vice versa. It was a tacit political alternation based on the religion and the region of the pretenders to the throne. Thus, after Obasanjo, a Yoruba from the South who reigned from 1999 to 2007, it was Umaru Yar’Adua (former governor of Katsina, a northern state) who took the lead. But his sudden death in 2010 jostled that subtle arrangement: Goodluck Jonathan, the vice-president from the South then became president; he was re-elected in 2011 and is now wanting to run for the elections of 2015. If he was to win the elections, he would govern until 2019, which means a presidential mandate of almost ten years. To put it bluntly, the power would have been to the North for only three years (2007-2010) on the twenty years of the PDP reign (1999-1919). It is merely unacceptable for most politicians from the North.

If Goodluck Jonathan maintains his authoritarianism, he takes the risk to worsen the bleeding of the PDP, which could lose the elections in 2015. However, it is still possible for him to limit the damages by winning back the militants, who have already started to leave the ship, and save the essential: the political unity of the party and the stability of Nigeria. The best he can do is not to run for a re-election in 2015.

We should pay careful attention to the political struggles going on in Nigeria because they have ethnic and religious overtones in addition to the economic stakes surrounding oil (Nigeria is the first African producer of oil). Goodluck Jonathan is facing a great social discontent since he took power in 2010. The increasing fuel prices rekindled the tensions between Muslims from the North and Christians from the South, tensions he failed to handle efficiently by the way.

The successive defection of the governors and parliamentarians who joined the APC (All Progressives Congress), the main opposition coalition, is a severe blow for President Jonathan. That is why he should pay great attention to the way he will handle this new situation while avoiding any measure of authoritarianism. He ought to win back those PDP leaders who joined the opposition and dispel any ambiguity on his potential candidature to the elections of 2015. The Boko Haram sore is way too crippling for Nigeria to enter a new cycle of violence. Especially if they come with ethnic and religious dimensions in a continent already scarred by that kind of conflicts.

 

Translated by Ndeye Mane SALL

Nigéria : Mister Goodluck et Président Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan se trouve en très mauvaise posture. Depuis quelques mois, le président nigérian est l’objet d’une vive contestation au sein même de son parti, le People’s Democratic Party (Parti démocratique populaire, PDP), au pouvoir depuis le début de la Quatrième République en 1999. A la tête du pays le plus peuplé d’Afrique (170 millions d’habitants), géant économique, le président Jonathan, au pouvoir depuis la mort de son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2010, devient de plus en plus impopulaire. En plus d’une gestion maladroite des affrontements avec la secte islamiste Boko Haram, il souffre d’un grand manque de légitimité au sein de son parti.

37 députés du PDP ont rejoint les rangs de l’opposition le 18 décembre 2013. Jonathan a ainsi perdu sa majorité parlementaire, une situation qui ne s’était jamais produite au Nigéria. Les conséquences qu’elle va engendrer sont incalculables pour le moment. D’une part,  il est difficile de savoir comment le Président Jonathan va gouverner sans majorité au parlement ; de l’autre, l’avenir est incertain quant à l’élection présidentielle de 2015. Cet important  revers est un pas de plus dans la fronde ouverte en septembre 2013 par six gouverneurs issus du Nord musulman qui ont créé le New PDP. L’enjeu de la dispute : Pour ne rien arranger à l’affaire, l’ancien Président Olusegun Obasanjo est entré dans la danse en écrivant une lettre très acerbe à son successeur, l’accusant de faire surveiller des adversaires politiques ainsi que des centaines de Nigérians par les services de l’Etat. Pis, des agents de police s’en sont pris aux locaux des auteurs de la fronde ; ces derniers crient à l’intimidation et dénoncent des méthodes dictatoriales.

Le Président Jonathan se trouve désormais devant une situation très délicate, où se joue l’avenir politique du Nigéria, au-delà de celui du PDP. Car la fronde actuelle contre Jonathan renvoie directement à l’enjeu politique dominant au Nigéria depuis l’indépendance, à savoir l’équilibre fragile et instable du pouvoir entre le nord musulman et le sud chrétien du pays. À son accession au pouvoir en 1999, les responsables du PDP s’étaient mis d’accord sur un partage informel du pouvoir : le président étant limité à deux mandats consécutifs (huit ans) la présidence tournerait tous les deux mandats entre un politicien nordiste et un politicien sudiste,. Ainsi, après Obasanjo (un Yoruba du sud) de 1999 à 2007, c’est Umaru Yar’Adua (ancien gouverneur de Katsina, au nord) qui a pris les rênes du pays. Mais sa mort précipitée en 2010 a bousculé cet arrangement subtil : Goodluck Jonathan, le vice-président originaire du Sud, est alors devenu président ; il a été réélu en 2011, et souhaite briguer un nouveau mandat en 2015. S’il venait à gagner ces élections, il gouvernerait alors jusqu’en 2019, soit un mandat de près de dix ans ; et au total, le Nord n’aurait eu le pouvoir que trois ans (2007-2010) sur les 20 ans de règne du PDP (1999-2019). Une situation que beaucoup de politiciens nordistes considèrent tout simplement comme inacceptable.

Si Goodluck Jonathan persiste dans l’autoritarisme, il risque de voir s’aggraver la saignée au PDP qui pourrait perdre l’élection présidentielle de 2015. En revanche, il lui est encore possible de limiter les dégâts en tentant de reconquérir les militants qui ont quitté le navire afin de sauver l’essentiel : l’unité politique du parti et la stabilité du Nigéria. Le mieux serait de renoncer à se représenter en 2015.

Il faut prêter attention à ces luttes politiques qui se déroulent au Nigéria parce qu’elles ont des relents ethniques et religieux, en plus des enjeux économiques qui tournent essentiellement autour du pétrole (le pays en est le premier producteur en Afrique). Goodluck Jonathan fait face depuis son arrivée au pouvoir en 2010 à un grand mécontentement social. La montée du prix du carburant en 2010 avait ravivé les tensions entre musulmans du Nord et chrétiens du Sud, tensions qu’il avait très mal gérées au demeurant.

La défection successive de ces gouverneurs et parlementaires qui ont rejoint l’All Progressives Congress (APC), principale coalition d’opposition, est un coup très dur pour le Président Jonathan. C’est pourquoi il doit prêter une grande attention à la façon dont il va gérer cette nouvelle situation en évitant tout autoritarisme. Il devrait faire revenir ces responsables du PDP qui ont rejoint l’opposition et lever toute équivoque sur sa potentielle candidature en 2015. La plaie Boko Haram est trop gênante pour que le Nigéria entre dans un autre cycle de violences. Surtout si celles-ci ont des versants ethniques et religieux dans une Afrique déjà très meurtrie par ce genre de conflits.

« Autour de ton cou » (2013), de Chimamanda Ngozi Adichie

Autour du couDès que l'on commence à lire Autour de ton cou, recueil de douze nouvelles, on se sent très vite pris comme dans un étau, qui se resserre au fil de la lecture. On ne sait pas très bien à quel moment on manquera de soufffle, on guette, pour ne pas se laisser surprendre, les moindres signes, regardant dans la direction d'où proviendra sans doute le danger, mais il ne surgit pas là où on l'attend. Chaque fois l'auteure nous entraîne dans les abîmes de la conscience, afin d'accomplir avec le personnage l'éprouvant chemin qui le ramène à la surface. C'est un chemin au cours duquel le personnage se dénude petit à petit, se révèle à lui-même ou aux autres.

En dehors de la nouvelle "Fantôme", où le narrateur est un homme, toutes les nouvelles mettent au premier plan des femmes. Des femmes qui se racontent. Des femmes qui prennent conscience de leur condition. Des femmes qui sont toujours considérées comme un objet de plaisir. Comme un objet tout court. Des femmes qui en ont assez d'être ce que les autres ont voulu – ou veulent – qu'elles soient et qui décident qu'il en sera autrement. Bref des femmes puissantes, pour reprendre le titre de Marie N'Diaye. Elles ont beau s'être laissées conduire comme des petites filles jusqu'au lieu où sera sacrifiée leur liberté d'action, leur liberté d'opinion, elles ont assez de force pour dire "Non !" au dernier moment, quoi qu'il leur en coûte. Ces femmes font l'expérience déterminante de la "réalisation de soi" (page 256). Ont-elles le cran de le faire dans la vraie vie, au quotidien ? Pour pouvoir le faire, il faut déjà croire que ce soit possible, il faut entrevoir cette possiblité de donner un autre cours aux choses.

Ce recueil invite à rompre avec cette "habitude d'accepter ce que la vie donnait, d'écrire sous sa dictée." (page 163). Contrairement à L'Hibiscus pourpre et à L'autre motié du Soleil, les deux romans de l'auteur, qui ont le Nigéria pour cadre même si les personnages séjournent parfois à l'étranger, avec les nouvelles qui composent Autour de ton cou, le lecteur se trouve à cheval entre le Nigéria et les Etats-Unis. Ces nouvelles posent le problème de l'identité, de la construction de soi. Qui l'on est ? Qui l'on veut être ? Veut-on être soi ou préfère-t-on ressembler à… ? Les sujets abordés sont pourtant nombreux : la relation conjugale, le couple mixte, l'amour, l'homosexualité, l'art, la foi et la religion, l'éducation des enfants, l'immigration, la vie après la mort… mais au-dessus de tous, il y a cette malheureuse propension à s'afficher, à montrer que l'on est ceci ou cela, on se construit une vie dans le but de taper dans l'oeil des autres, de susciter leur admiration. Une vie qui n'est en fait qu'imitation, comme le titre d'une des nouvelles, mais que l'on exhibe comme un trophée.

Pourquoi perdre son temps et son énergie à "donner une représentation de sa vie, au lieu de la vivre" ? (page 205) Cette fâcheuse tendance à l'affectation trouve son paroxysme dans la nouvelle "Les marieuses", où l'époux de l'héroïne s'attire le mépris du lecteur à vouloir combattre tout ce qui trahit leur origine nigériane, il est tellement ridicule, mais ce ridicule-là on le croise tous les jours : combien d'Africains ne décident-ils pas de ne plus parler leurs langues, de changer leurs noms, de mutiler leur être croyant ainsi gagner plus de respectabilité de la part du Blanc, comme si celui-ci était le baromètre du monde ? Adichie ravit une fois de plus avec cette écriture qui laisse une grande part à la suggestion. Tout n'est pas dit, mais le lecteur tire les conclusions nécessaires, mieux que le personnage parfois.

 


adichie_sheehanChimamanda Ngozi Adichie est née au Nigeria en 1977. Elle est l'auteur de trois romans, l'Hibiscus Pourpre (2003), L'Autre Moitié du Soleil (2006), et Americanah (2013), d'un recueil de nouvelles, Autour de votre cou (2009 – parution en langue originale).
Elle a reçu de nombreux prix et distinctions, dont le Prix d'Orange Broadband for Fiction (2007) et une bourse de la Fondation MacArthur (2008).

Chimamanda Ngozi Adichie, Autour de ton cou, Gallimard, 2013, 292 pages, 22.50 €. Nouvelles initialement publiées dans des revues, réunies en recueil en 2009. Traduction de Mona de Pracontal.

Disponible sur Amazon.com

Nouvelle coalition politique au Nigéria : l’opposition a-t-elle (enfin) une chance?

Alors que le PDP (Parti Démocratique Populaire, People Democratic Party) au pouvoir au Nigéria fait face à de sérieux problèmes internes et externes, quatre partis de l’opposition ont fusionné pour devenir le All Progressive Congress (Congrès progressiste – ACP).

Depuis le passage de pouvoir du régime militaire au multipartisme au Nigéria en 1999, le candidat représentant le Partie Démocratique Populaire a gagné systématiquement toutes les élections présidentielles. Jamais les candidats de l’opposition n’ont vraiment semblé en mesure de pouvoir mettre fin à cette domination du PDP.

Cependant, pour les élections à venir en 2015, l’opposition nigériane pourrait bien avoir ses meilleures chances. En février dernier, quatre des partis de l’opposition se sont réunis pour former l’ACP. Pendant ce temps, bien des interrogations sont soulevées quant à l’aptitude du gouvernement à faire face à des défis économiques, sociaux et sécuritaires exceptionnels, alors que le PDP est considéré comme étant en proie aux luttes intestines et aux rivalités entre personnalités.

L’ACP annoncerait-il une nouvelle ère pour la politique nigériane ?

Un appel au changement

chief-tom-speaking@UNLors du discours d’inauguration de la nouvelle coalition, Tom Ikimi, le président du « comité de fusion » de l’ACP, a proclamé : « Un changement radical n’a jamais été aussi urgent dans la vie de notre pays… Nous, les partis suivants – respectivement le ACN (Le congrès d’action du Nigéria), l’ANPP (Le Parti de tout le peuple nigérian), l’APGA (La Grande Alliance Progressiste) et le CPC (Le Congrès pour le Changement Progressiste) – avons décidé de fusionner sur le champ pour devenir l’ACP afin d’offrir à notre peuple assiégé une recette de paix et de prospérité. »

A chaque élection depuis 1999 des fusions de partis d’opposition ont été proposées, mais jusqu’à présent, les conflits d’intérêts personnels, le chauvinisme ethnique et même des opérations de sabotage ont compromis ces efforts. L’exemple le plus récent est l’alliance formée à l’approche de l’élection présidentielle de 2011, lorsque le CPC et l’ACN proposèrent une coalition ; les deux parties échouèrent à aplanir leurs différences et à trouver un terrain d’entente, ce qui aboutit à une victoire confortable du PDP.

Avant la fusion de l’ACP, les partis d’opposition étaient perçus comme des partis régionaux représentant seulement des groupes ethniques, ce qui contrastait avec l’appel du PDP qui en apparence était un parti d’échelle nationale. Cette nouvelle coalition rassemble, cette fois, plusieurs groupes ethniques majeurs et a notablement comblé le fossé séparant le Sud et le Nord, en unifiant : le CPC à majorité Hausa-Fulani et qui a récolté 31.8% des votes de l’élection présidentielle de 2011 ; l’ANC à majorité Yoruba, qui contrôle actuellement 6 des 36 états de la Fédération, y compris Lagos, la capitale commerciale du Nigéria; L’APGA centralisé autour des Igbo, qui contrôle un Etat fédéré ; et l’ANPP qui contrôle les Etats de Borno et Yobe.

« L’évolution vers un système à deux partis pourrait créer une opposition plus crédible, forte et mobilisée », a expliqué Adigun Agbaje, Professeur de Science Politique à l’Université d’Ibadan. Au même moment, s’adressant à la Think Africa Press, l’ancien ministre du PDP Femi Fani-Kayode est allé jusqu’à dire : « Si la situation ne change pas et que l’administration actuelle n’est pas défaite aux élections, alors le Nigéria finira comme la République du Zaïre – un état déchu sans espoir d’un futur décent. »

Les difficultés du PDP

Ces dernières années, la domination totale du PDP a semblé sur le déclin. Le Président Goodluck Jonathan a reçu 57 % des votes aux élections de 2011, ce qui est en dessous des 70% récoltés par son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2007. Le PDP contrôle 56% des sièges dans la Chambre des Représentants, alors qu’il en contrôlait 73% en 2007. Sur la même période, sa présence au Sénat est passée de 81% à 65%.

De surcroit, alors que l’opposition se réunit, il y a des signes que les divisions au sein du PDP s’aggravent. Il semble y avoir des désaccords continuels, par exemple, entre les gouverneurs et le Comité National du Travail dirigé par Bamanga Tukur ; ses divisions ont été révélées lorsque la majorité des gouverneurs a décidé de boycotter la récente tournée de « réconciliation » effectuée par Tukur dans plusieurs Etats contrôlés par le PDP.

Une autre source de querelles est le déclin physique d’Olusegun Obasanjo, un ancien dirigeant militaire qui avait gagné les élections présidentielles de 1999 et 2003, qui continue d’être une figure influente du PDP ainsi d’une figure internationale respectée. Au cours de forums locaux et internationaux, Obasanjo n’a pas manqué de critiquer la manière dont le gouvernement gère la question du groupe islamiste du Nord, mené par Boko Haram, ou encore le fort taux de chômage. Le renvoi d’un proche d’Obasanjo du conseil exécutif du PDP souligne encore plus l’existence d’un désaccord au sein du parti. Désaccord qui pourrait jouer en faveur de l’ACP s’il n’est pas résolu.

Les défis à venir pour l’ACP

En réponse à l’inauguration de l’APC, le PDP a diffusé une déclaration signée par son secrétaire national en charge de la communication publique, Olisa Metuh, indiquant : « Les Nigérians sont ici confrontés à une ironie. C’est l’ironie d’un parti politique, qui, en l’absence d’un programme adéquat et d’un rythme de travail solide, désire cependant se voir confier la tâche de porter le destin de plus de 160 millions de Nigérians sur ses faibles et tremblantes épaules. (…) la nation, notre peuple et notre démocratie seraient tous mis en péril s’ils se voyaient confiés le pouvoir. »

Quoique clairement partisane, la déclaration met pourtant en lumière le fait l’APC est elle-confrontée à de nombreux défis.

« Si le nouveau parti parvient à se consolider et commence à agir comme une seule entité, les élections de 2015 seront alors sûrement plus compétitives », explique Samir Gadio, un expert en Marchés Emergeants pour la Standard Bank, « mais la durabilité de cette fusion n’est pas sans risque. »

« La nomination du candidat présidentiel avant la lutte de 2015 pourrait toujours diviser la nouvelle organisation. De plus, le PDP contrôle toujours la plupart des Etats et a accès aux ressources administratives, ce qui est un avantage comparatif clé », continue-t-il.

Similairement, Ayo Dunmoye, professeur de Science Politique et doyen des sciences sociales de l’Université Ahmadu Bello à Zaria, insiste sur le fait que l’APC devrait « débattre des problèmes et non des personnalités », adopter la démocratie interne et permettre à des candidats d’émerger lors des primaires libres du parti – « sans quoi la fusion sera mort-né », prévient-il.

buhariEn effet, les deux protagonistes majeurs de l’APC – Muhammadu Buhari, ancien officier de l'armée, et chef d'état du Nigéria entre 1983 et 1985 (à l'issue d'un coup d'état), aujourd'hui chef du CPC, et Bola Tinubu, ancien gouverneur de Lagos et leader de l’ACN – auront très vraisemblablement leur propre programme pour la course aux élections 2015, et le choix du candidat présidentiel pourrait être un vrai test pour la coalition. Après tout, nombre des membres de l’APC semblent être intéressés par cette élection, Buhari lui-même, mais aussi Nasir El Rufai, l’ancien ministre du Capital Fédéral et le gouverneur de Lagos, Batanunde Fashola.

Un nouveau territoire politique ?

Une opposition forte et viable est un élément essentiel dans tout processus électoral et l’ACP pourrait bien apporter un surcroit de compétition dans la vie politique nigériane. Mais cela ne garantit pas en soi, que les citoyens nigérians s’en trouveraient mieux. En effet, par le passé les querelles politiques n’ont pas vraiment profité au nigérian moyen, et les problèmes liés à la non-régulation de l’argent en politique, au patrimonialisme et à la corruption des partis seront sûrement aussi rencontrés par l’ACP.

En dépit de tout cela, le professeur Adigun Agbaje, de l’Université d’Ibadan, fait confiance au peuple nigérian. « La détermination du peuple, sa vitalité, son mépris total de l’autoritarisme et sa soif de liberté, de justice et d’équité promettent de toujours contribuer à la sécurité future de la démocratie, du développement et de la paix », dit-il.

Que ces idéaux servent la cause du PDP au pouvoir ou de l’APC récemment formé, cela reste à voir, mais si la nouvelle coalition parvient à se maintenir jusqu’en 2015, les élections seront les plus serrées de l’histoire de la Quatrième République nigériane.


Lagun AKINLOYE, article initialement publié sur Think Africa Press, traduit en français par Gabriel LEROUEIL.

 

Combien coûte au Nigeria le vol de son pétrole ?

Le magazine The Economist a érigé le Nigéria en capitale mondiale du vol de pétrole. Toutefois, l’opacité sur le nombre de barils produits empêche le gouvernement de mesurer exactement l’ampleur des pertes. Les chiffres présentés par la ministre des finances nigériane Ngonzi Okonjo-Iweala, suggèrent que le montant des pertes approcherait les 400 000 barils par jour et aurait conduit à une baisse de 17% des ventes officielles en avril 2012. De son côté, Shell Petroleum Development Company fait une estimation plus modeste de ces vols, entre 150 000 et 180 000 barils par jour, soit près de 7% de la production.

Quoi qu’il en soit, d’un côté comme de l’autre, le coût des pertes est énorme. Si on se réfère aux chiffres officiels sur les pertes causées par ces vols, le Nigéria et ses partenaires du secteur pétrolier perdraient environ 40 million de dollars par jour (en supposant un prix fixe de 100 dollars par baril), l’équivalent d’environ 15 milliards de dollars de revenus par an. Les enjeux de ce problème s’éclaircissent d’autant plus en y ajoutant les pertes humaines et les dégâts environnementaux associés à de telles activités. 

Des voleurs habiles

Malgré toute la rhétorique politique sur l’importance de combattre le vol de pétrole, la menace, elle semble se complexifier au fil du temps. Les méthodes employées pour dérober le pétrole sont encore floues mais des experts suggèrent qu’elles vont de pratiques locales artisanales à une organisation hautement sophistiquée qui pensent-ils, prendrait place dans les terminaux d’exportation. Un tel niveau de technicité et de sophistication sous-entend une implication possible de personnalités influentes en arrière plan. Beaucoup affirment que des politiciens de haut niveau, des militaires, anciens et en exercice, des leaders et des employés de compagnies pétrolières pourraient être impliqués. De plus, vu leur inefficacité, certains suspectent également une connivence des agences de régulation. Les observateurs montrent également du doigt les cartels internationaux qui conduisent illégalement des bateaux transportant le brut pour le vendre sur les marchés.

Néanmoins, les multinationales basées dans le delta du Niger n’ont manifesté que récemment leur préoccupation face au vol de pétrole, surtout parce qu’elles ont jusque là réussi à gérer leurs pertes économiques. Cela est en partie dû au fait qu’en l’absence de données fiables sur le nombre de barils produits, les compagnies pétrolières paient des taxes et les royalties non pas en fonction de leur production, mais en fonction du nombre de barils exportés. Afin de combattre le fléau et de permettre un calcul plus juste du flux de pétrole, l’Initiative Nigériane pour la Transparence des Industries d’Extraction (INTIE) recommandait en 2011 l’installation d’une infrastructure servant de compteur fiable au niveau des stations d’extractions ainsi qu’aux terminaux, comme cela se fait à l’international. En installant des compteurs dans les stations d’extraction – et en instaurant une taxe pétrolière basée sur les taux de production plutôt que d’exportation – la perte de pétrole se ressentirait de façon plus importante sur les compagnies pétrolières. Avec les taux de royalties actuels (20% près du rivage et 18,85% en eaux superficielles au large) les compagnies paieraient environ 8 millions de dollars chaque année pour les 400 000 barils (estimation) perdus à cause des vols. Malheureusement, les recommandations de l’INTIE n'ont pas force de loi.

Boucher la fuite

Même si les compagnies pétrolières étaient forcées à trouver des solutions, le problème resterait difficile à solutionner tant il est profond et complexe. Tout d’abord, d’après certaines informations, des milliers de raffineries illégales s’éparpilleraient sur l’ensemble du territoire nigérian. Rien que pour le premier trimestre 2012, la Join Task Force (JFT), dans le Delta du Niger déclarait avoir détruit près de 4000 raffineries et saisi des centaines de barques, de bateaux, de pompes, de tanks et toute autre sorte d’équipements appartenant aux voleurs. Le gouverneur de la Banque Centrale Nigériane, Sanusi Lamido Sanusi a évoqué le bombardement des raffineries illégales, mais cela ne résoudrait pas le problème qui est plus profondément ancré. 

Une grande partie des jeunes hommes impliqués dans ce trafic sont des anciens militants voire des anciens employés de l’industrie pétrolière en manque d’alternatives. Il faudrait de fait des solutions immédiates telles que le retrait des raffineries illégales et à long terme, créer des solutions durables pour l’emploi des jeunes. De plus, les ressources pour nettoyer le delta du Niger et ses alentours, estimées à 1 milliard de dollars par l’ONU, doivent également servir à créer d’autres opportunités dans la vie des jeunes. Repenser le système de sécurité dans le delta du Niger afin d’assurer la surveillance des eaux costales et des pipelines par des agences fiables ainsi que de réelles poursuites en justice contre les accusés apparaît également comme une étape cruciale pour réduire les vols de pétrole. Par le passé, les procès ont été empêchés ce qui a emmené certains à accuser la mainmise de personnes influentes sur les dossiers. Enfin, le stockage illégal pourrait être réduit grâce à l’usage de nouvelles technologies capables de « relever les empreintes » du pétrole brut afin d’identifier son origine.

Une nécessité à long terme

Bien qu’il sera difficile de mettre fin au détournement, à terme, boucher les fuites dans la production de pétrole apportera plus d’argent à la collectivité et aux entreprises privées. Platform, un centre de recherches britannique, a rapporté que Shell a dépensé près de 383 millions de dollars dans des tiers pour protéger ses installations dans le Delta du Niger entre 2007 et 2009. Depuis la déclaration du programme d’amnistie de milliers d’activistes du delta du Niger en 2009, le problème sécuritaire a baissé et cet argent pourrait désormais être utilisé pour financer un compteur fiable dans les stations de production. Cela mettrait fin à l’incertitude autour du nombre de barils produits dans le pays et augmenterait la responsabilité. Néanmoins, rien ne sert d’accuser uniquement les compagnies pétrolières pour les vols. Les compagnies pétrolières, les agences de sécurité, l’Etat et tous les autres intervenants doivent travailler ensemble.

Sans doute le président Goodluck Jonathan, en tant qu’originaire du Delta du Niger a une responsabilité morale et personnelle particulière d’arrêter ces actes criminels antipatriotiques. 

 

Uche Igwe, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press, traduction pour Terangaweb par Claudia Muna Soppo

Diplomatie et hégémonie régionale en Afrique subsaharienne (1)

Comprendre les mécanismes de la diplomatie en Afrique subsaharienne exige une flexibilité dont sont dépourvus les prismes classiques de lecture : rapports de force et jeux d’intérêts. Les relations diplomatiques en Afrique dépendent du politique, de l'économie, de la religion et des relations interethniques autant qu’elles répondent aux rapports de force entre entités étrangères qui trouvent en Afrique leur théâtre d'application.

Appréhender le continent comme un bloc monolithique ne concevant ses rapports diplomatiques que vis-à-vis d'autres ensembles géopolitiques comme l'UE, les USA ou l'Asie serait une erreur. Il existe une diplomatie intra africaine avec ses rapports de forces, ses luttes d'influence et ses alliances de circonstance résultats intense compétition économique, politique et militaire dans laquelle aucun cadeau n'est permis.

L'Afrique australe tirée par un arc en ciel géant

Afrique du Sud

Deux décennies après la fin de l'Apartheid, l'Afrique du Sud assume un leadership certain au sein de la South African Development Community (SADC) ; une position acquise et maintenue grâce à sa superficie, sa démographie et surtout une puissance économique associée à une grande stabilité politique. Compte tenu du rôle central de ce pays par rapport aux problématiques de la zone, il est peu probable que cette situation soit amenée à évoluer.

Mais assez étonnamment, ce leadership tarde à se matérialiser par des actes concrets et de grande incidence sur la zone d'influence naturelle de ce pays. En effet, l'Afrique du Sud, à la différence de plusieurs autres “Etats pivots”, selon le concept de Kissinger, n 'a toujours pas réussi à imposer une influence définitive sur ses voisins immédiats.

Plus encore, la crise politique qui a sanctionné la fin du second mandat de Thabo Mbeki et la rupture qui a frappé l'ANC avec la naissance du COP (mouvement fondé par des dissidents proches de Mbeki) ont laissé apparaître un début de fissure au sein du parti qui règne sans partage depuis la fin de l'apartheid. Cette crise est essentiellement d'ordre idéologique, car elle met en exergue une timide ligne de fracture entre l'aile gauche de l'ANC, radicale dans son approche et ses méthodes (Zuma, Malema) et l'aile droite, plus modérée, que symbolisaient Mbeki et Lekota. Si, à l'avenir, cette divergence idéologique se creuse , elle peut déboucher sur une crise interne de plus grande envergure qui peut remettre en cause le leadership diplomatique de l'Afrique du Sud dans la région et en Afrique de façon globale.

Zimbabwe
Au Zimbabwe, Robert Mugabe demeure encore au pouvoir malgré son attitude continue de défiance vis-à-vis de la communauté internationale. Dans ce dossier, le géant sud-africain, qui pour des raisons historiques liées à un passé commun, accorde un soutien indéfectible à son encombrant allié, est très mal à l'aise. Sa position allant bien évidemment en contresens de la réprobation que le régime de Mugabe inspire depuis la réforme agraire qui a plongé le pays dans un profond chaos social, depuis le milieu des années 1990.

Namibie
Dans un autre registre, la Namibie confirme son ancrage démocratique malgré l’hyper domination du parti au pouvoir, la SWAPO (South West Africa People's Organisation), avec la réélection de Hifikepunye Pohamba – élu une première fois en 2004, confortablement reconduit en 2009 – qui marche doctement dans les pas de Sam Nujoma, le « Père de la nation ». Mais le pays continue résolument une trajectoire isolationniste symptomatique d'un fort désintérêt pour les questions d'intégration ou même d'unité africaine.

Angola
Contrairement à ces deux cas, l'Angola a amorcé depuis quelques années un grand virage qui pourrait en faire un géant diplomatique, à même de rivaliser avec l’Afrique du Sud, et sur lequel il faudra naturellement compter dans les toutes prochaines années. Ce pays sorti d'une guerre civile qui dura près de trois décennies (1975-2002), a vécu sa convalescence d'une façon relativement positive. Profitant de la rente du pétrole et de son ouverture aux capitaux étrangers, l'Angola a su aussi profiter de l'arrivée massive de la Chine sur le continent. La bonne santé économique s'accompagnant, souvent d'une ambition militaire croissante, l'armée angolaise est de plus en plus présente dans certains théâtres d'opérations, parfois bien éloignés. Ainsi, de nombreux observateurs ont été surpris de voir les soldats angolais investir la Guinée Bissau après le coup d'Etat de 2012 qui a encore rompu le fonctionnement des institutions bissau-guinéennes. Luanda dispute t-il le leadership en Afrique australe à Pretoria ?

A quand le tour du Nigéria ?

Nigéria
Toutes les circonstances géographiques, économiques et humaines concourent à accorder au Nigeria un rôle hégémonique en Afrique de l'Ouest. La nation fédérale est le pays le plus peuplé d’Afrique et membre du cercle très fermé des pays producteurs de pétrole. Le Nigéria aurait naturellement dû s'arroger le titre de géant de la région. Il n'en est rien compte tenu de plusieurs facteurs endogènes.
Premièrement, l'instabilité institutionnelle marquée par la multitude des coups d'Etat et des régimes autoritaires a longtemps privé ce pays de la reconnaissance généralement accordée aux pays démocratiques et d’état de droit. En outre, la situation ethnico-religieuse extrêmement tendue, avec des affrontements meurtriers réguliers entre communautés musulmane et chrétienne, pose la question d’une unité nationale incomplète, accentuée par le fédéralisme, gangrenée par la violence et la corruption. La stabilité interne est une des conditions indispensables à toute diplomatie. Les capacités de projection du Nigéria sont aussi réelles (vu la force de frappe militaire et l'importance de son armée) qu’elles sont hypothétiques, du fait des instabilités internes et de la fragilité des institutions. Un pays peut difficilement espérer s'imposer sur la scène internationale sans au préalable avoir pu trouver une solution pacifique à des difficultés ethniques ou religieuses, avec la violence en toile de fond. D’autres questions se posent, en filigrane : le Nigeria prétend-il réellement à une place prépondérante sur la scène ouest-africaine ? Sa supériorité militaire est telle suffisamment solide pour en faire la tête de file d'une armée ouest africaine ? L'exemple de l'ECOMOG semble être pour le moment le seul haut fait de l'armée nigériane dans la région. Dans ce contexte où les crises multiformes se multiplient en Afrique de l'Ouest, la voix du Nigeria n’est pas aussi prépondérante qu’elle le devrait. A la seule exception du conflit post-électoral Ivoirien , où l’intervention de Goodluck Jonathan, agissant dans son rôle de président de la conférence des chefs d’états de la CEDEAO, fut déterminante.

L'islamisme radical a pour la première fois, en Afrique de l’Ouest, un territoire où décliner son ambition totalitaire. Le Mali a perdu le nord sous les assauts variés des milices touaregs et d'Ansar dine. La Guinée Bissau ne parvient décidément pas à clore son cycle des coups de force consubstantiel à la naissance de l'Etat. La Mauritanie montre de plus en plus de signes de nervosité avec récemment « l'accident » ubuesque du général Aziz. Sur toutes ces questions, l'on ressent plus l'implication d'autres Etats de la région comme le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire (qui est encore convalescente) et le Sénégal. Le Nigeria reste, résolument… inconstant. Cela peut être compris comme un refus d'Abuja de s'impliquer. L'ambition hégémonique est aussi une question de volonté qui rencontre des circonstances favorables. Les circonstances sont certes présentes, mais le Nigeria préfère faire fi du potentiel dont il dispose pour asseoir un leadership régional. En effet, même la présidence la Commission de la Cedeao ne fait pas courir Abuja contrairement à des pays comme le Ghana ou le Burkina Faso. 

Hamidou Anne

Autopsie des crises ethniques au Nigéria

 

 

"Ijebu or a human being?

If you run into a Ijebu and a snake,

Kill the Ijebu and spare the snake"

Un Ijebu ou un être humain?

Si tu rencontres un Ijebu et un serpent,

Tue l'Ijebu et épargne le serpent

Chanson Populaire Ibadan (Nigeria)


Pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigéria compte plus de 160 millions d’habitants composés de plusieurs groupes ethniques. Ce pays fait face depuis son accession à l‘indépendance, à une série de coups d’Etat militaires, et à des conflits inter ethniques dont les causes sont multiples.

Pour mieux cerner la question, il faudrait premièrement procéder à un flash-back historique. Le Nigéria est un Etat fédaral qui regroupe en son sein plus de 250 groupes ethniques – officiellement. Les principaux sont les Haoussa, à majorité musulmane, suivi des Yoruba, composés de Musulmans et de Chrétiens, au Sud-ouest, et enfin les Ibos, comptant Chrétiens et animistes. Les premiers représentent presque la moitié de la population nigériane, ce qui laisse poindre une certaine hégémonie sur les autres groupes ethniques qui sont, d'une certaine façon minoritaires. Les caractères linguistiques sont une autre cause des conflits inter ethniques : l’incompréhension et les désirs personnels prennent les devant. 

Il convient de noter aussi que la traite négrière a joué un rôle important dans la situation qui prévaut au Nigéria. Les tensions nées durant la période du commerce triangulaire restent vives : Les Igbos furent les principales victimes de la traite au Nigéria… L'empire Oyo des Yoruba, le principal bénéficiaire et intermédiaire local des esclavagistes Européens.

Après la guerre civile du Biafra qui a occasionné la perte de milliers de vies humaines et plongé le pays dans une crise alimentaire extrêmement grave, le pays a été reconstruit, mais les conflits demeurent récurrents.

Les conflits interethniques ont, en outre, un caractère religieux parce que dans les Etats où ces affrontements se déroulent, il y a toujours une communauté religieuse dominance. De ce fait, si les musulmans sont majoritaires dans une partie du pays, force est de constater que leurs situations sociales seront différentes des autres, et les conséquences souvent désastreuses. Si donc le contraire se produit, l’on peut bien remarquer que les représailles s’enchainent dangereusement. Les enjeux sont énormes pour les belligérants et ils ont le plus souvent trait à la terre comme dans la région de Jos, où bergers et agriculteurs s’affrontent régulièrement. Mais cette dimension religieuse est principalement ad-hoc, elle ne vient que compléter les troubles existant.

Les dissensions ethniques sont souvent tributaires de la politique intérieure du pays. La gestion des ressources pétrolière, par exemple, s’effectue de manière discriminatoire. Le Nigéria est le sixième producteur mondial de pétrole, et cette position est une rente considérable qui attire d'importants investissements étrangers. Toutefois, les retombées ne profitent qu’à une partie de la population. Il faut ajouter à cela que la corruption est endémique dans certains Etats du Nigéria. Or les différentes ressources n’étant pas accessibles à tous, il est donc évident qu’un sentiment de frustration s’est développé et s’est propagé dans tout le pays. Par conséquent, si l’on ne procède pas à une vraie approche du conflit, l’on sera toujours tenté de penser que la substance se trouve au niveau religieux : entre Musulmans et Chrétiens. Et ce, même si la plupart des affrontements opposent ces deux groupes religieux. Les tensions religieuses ne font que se greffer à ce contexte particulier ,déjà tendu, qu'exaspère encore la dimension fédérale de l'Etat.

Blaise Guignane SENE

Réforme du système de gestion des cartes grises au Nigéria : le développement de l’Afrique en 3 leçons

Au Nigéria, les états fédéraux ont confié l’enregistrement et la gestion des cartes grises des véhicules à Courteville Plc une société nigériane qui a développé AutoReg, un système qui utilise de manière astucieuse les nouvelles technologies pour faciliter les démarches administratives. Un condensé de quelques ingrédients de la recette du développement pour les économies africaines : un protectionnisme intelligent pour soutenir le tissu industriel local, l’utilisation des nouvelles technologies et un Etat qui, conscient de ses lacunes, sait interagir avec les acteurs privés.

Dans de nombreux pays africains, la lenteur et la complexité des démarches administratives freinent l’activité économique. Au Nigéria, l’immatriculation et l’obtention des cartes grises des véhicules ont été pendant longtemps un chemin de croix pour les automobilistes et motocyclistes nigérians. De même, la connaissance de l’état en temps réel du parc automobile était particulièrement difficile pour les différentes autorités fédérales, responsables au sein d’un dispositif fortement décentralisé de la gestion des cartes grises au sein de chaque Etat fédéral. Mais tout cela, c’était avant AutoReg, un système automatisé d’enregistrement et de renouvellement des cartes grises de véhicules.

AutoReg a été créé en 2008 par Courteville Plc, une société nigériane créée par Bola Akindele, un entrepreneur nigérian. Elle opère aujourd’hui dans 18 des 36 états nigérians et ambitionne de se développer dans d’autres pays africains. AutoReg a permis d’automatiser et d’informatiser la gestion des cartes grises au Nigéria. Pour créer leur gigantesque base de données, Courteville a créé un nombre important de centres d’enregistrement à travers le Nigéria dont près de 600 dans la seule ville de Lagos. Ainsi lorsque les automobilistes et motocyclistes ont dû renouveler leurs cartes grises, AutoReg a pu commencer à enrichir da base de données qui contient aujourd’hui 2,5 millions de véhicules. AutoReg permet de s’enregistrer en quelques minutes au lieu des quelques jours avant le système. AutoReg a aussi doté les policiers nigérians d’un outil mobile relié en temps réel à la base de données des licences pour faciliter les contrôles routiers. Pour les Etats, AutoReg facilite la collecte des primes et réduit le risque de falsification des documents.

L’histoire et le succès d’Autoreg est un condensé des ingrédients indispensables au développement économique des pays africains.

Un Etat volontariste et conscient des faiblesses du secteur public

Tel que déjà évoqué dans un article paru sur TerangaWeb, l’amélioration de la qualité du secteur public est primordiale pour le développement. En effet, en plus des infrastructures, les Etats doivent être capables de fournir des prestations de qualité, de manière à fluidifier le fonctionnement de l’économie. Mais la mise en place de prestations de qualité prend un temps considérable. Ainsi entre la prise de conscience d’un Etat sur la faiblesse de son service public et l’implémentation par l’Etat de mesures correctrices, les délais peuvent être longs. Dès lors, une des solutions pour pallier aux insuffisances de l’Etat est de sous-traiter la fourniture de services publics à des acteurs privés.

La sous-traitance d’une prestation de service public à un opérateur privé doit néanmoins faire l’objet d’une vigilance accrue de l’Etat. Un cahier des charges précis doit être fixé déterminant une qualité minimale de service attendue ainsi que le prix éventuel fixé au consommateur final. De plus, la réalisation de l’appel d’offres doit être « presque » transparente afin d’atteindre le meilleur compromis possible entre la qualité du service et le maintien de l’autorité de l’Etat sur les opérations stratégiques.

On pourrait objecter que la vague de privatisations imposées par les bailleurs de fonds internationaux aux pays africains dans les années 1990 n’a nullement permis à ces pays d’émerger. Néanmoins, prenons le temps d’examiner la situation dans les pays dits développés, le cas de la France par exemple. Si en apparence, les anciennes sociétés d’Etat sont aujourd’hui privatisées (France Telecom, GDF, EDF, Areva etc.), il convient de noter que ces grandes sociétés privées sont toutes gérées pour la plupart par un groupe d’élites françaises venant de l’élite française des écoles (X, HEC, ENA, Corps d’Etat) qui veillent d’abord à défendre les intérêts de la France…

Un Etat légèrement protectionniste pour soutenir un secteur local dynamique

Le dynamisme sain d’une économie passe par un secteur privé dynamique et soutenu. N’en déplaise aux adeptes du libre-échange, les pays africains et les entreprises locales ont besoin de protection. En effet, le protectionnisme permet aux entreprises d’obtenir des positions de leader sur le marché local. Une fois que ces sociétés locales auront atteint la taille critique pour pouvoir résister à la concurrence des entreprises extérieures, l’Etat peut décider de rouvrir les marchés afin de permettre à la société locale d’attaquer elle aussi les marchés extérieurs.

Le dynamisme des sociétés locales nécessite de manière pratique une stabilité des carnets de commande. Même si l’émergence d’une classe moyenne est annoncée en Afrique, le principal client potentiel pour les entreprises privées reste encore l’Etat. Les investissements publics via les appels d’offre notamment sont encore aujourd’hui en Afrique un des moteurs principaux de la croissance économique. Dès lors, en attribuant les plus importants contrats publics à des sociétés locales, les Etats africains participent à la dynamisation du secteur privé et s’assurent que les produits de l’investissement public restent bien dans le pays sous la forme d’emplois, de dividendes aux actionnaires locaux et d’impôts.

Mais cela nécessite que les Etats fassent confiance au savoir-faire local. Ce qui n’est pas chose aisée dans des contextes encore fortement complexés par l’Occident. Le fondateur d’AutoReg confie que de nombreuses autorités à qui ils s’adressaient voulaient savoir de quelle entreprise occidentale ils étaient la filiale, car ils avaient du mal à imaginer une telle qualité de service 100% made in Nigeria.

Les nouvelles technologies pour brûler les étapes…

Autrefois principalement manuel, le système de gestion des cartes est aujourd’hui totalement automatisé et informatisé dans les Etats qui ont choisi d’implémenter la solution AutoReg. La dernière innovation d’AutoReg est de doter les policiers d’un outil mobile de vérification de la validité des cartes grises des automobilistes et motocyclistes.

L’adoption des nouvelles technologies permet des gains considérables en efficacité. C’est aussi un des rares secteurs dans lesquels les « petits » acteurs africains peuvent concurrencer les multinationales occidentales comme c'est le cas dans un autre article traitant d'une entreprise Kenyane. Comme décrit dans notre article, les NTIC constituent une opportunité considérable pour les pays africains. Les Etats africains doivent donc mettre en place à l’instar de l’Inde de véritables plans pour favoriser l’excellence et soutenir l’innovation dans ce secteur.

Ted Boulou

« Le démagogue », Chinua Achebe

On ne présente pas Chinua Achebe. On parle de lui, on discute de son œuvre. Il suffit de mentionner son roman « Le monde s’effondre », le plus célèbre de tous et qui, seul, suffit à rendre à l’auteur ses lettres de noblesse pour rappeler son talent dans la mémoire collective. Notons seulement quelques faits remarquables pour un lecteur qui aurait pu, au travers de hasards malencontreux, manquer de croiser ce romancier de génie.

Chinua Achebe est l’un des auteurs africains les plus respecté de sa génération et remporte certainement la première place au palmarès nigérian. Né en 1930 à Ogigi dans l’état d’Anambra, il y poursuit une scolarité remarquable jusqu’à ses études supérieures. Son intelligence vive le prédestinait à un avenir brillant. Contrairement à nombre de ses pairs, il se refuse pendant de longues années à l’exil en Occident et préfère demeurer dans son Nigéria natal. Il s’y attèle par différents biais, à la turbulente reconstruction du pays après la décolonisation, déstabilisée entre autres par maints coups d’états et les guerres civiles. Il occupe ainsi des postes d’éditeurs dans plusieurs grandes maisons nigérianes dont « African Writers », une maison qu’il fonde en 1962. Il s’illustre également lors de la guerre civile de 1967 à 1970 au cours de laquelle il se positionne en faveur de l’indépendance du Biafra et il va jusqu’à plaider cette cause aux Etats-Unis.

L’œuvre de Chinua Achebe est particulièrement reconnue et appréciée car ses romans constituent une véritable encyclopédie des mœurs et coutumes ou encore déboires politiques du Nigéria, malgré leur caractère fictionnel. "Le démagogue", son quatrième roman paru en 1966 ne déroge pas à cette règle. Le lecteur y suit un face à face entre deux hommes : le narrateur Odili, un jeune professeur dont le cours de vie tranquille est bouleversé par des retrouvailles avec son ancien maître d’école, Chef Nanga, récemment nommé ministre de la culture, en visite officielle dans leur village natal. Heureux de cette rencontre, Chef Nanga, qui nourrit de grandes ambitions politiques décide donc de se positionner en figure tutélaire pour Odili, y voyant la parfaite occasion de récolter les supports locaux pour sa prochaine campagne de réélection.  

Chef Nanga joue à « l’homme du peuple » (« A man of the people », comme l’indique la version originale du roman) auprès de son électorat mais se révèle dès les premières lignes comme un politicien malhonnête et corrompu détournant les fonds pour construire des bâtiments sans utilité publique. On imagine donc aisément Odili comme son parfait opposé : un jeune homme préférant une vie modeste et peu ambitieuse dans un petit village, refusant de s’impliquer dans les tumultes politiques du pays dont les solutions se décident à la capitale. Pourtant, lorsque l’orgueil d’Odili se trouve heurté, il met progressivement en lumière ses passions destructrices en décidant d’affronter son ancien maître sur un terrain qu’il maîtrise mal : la politique. En réalité, peu à peu, s’amorce une violente confrontation entre passions, vices et appétits voraces propulsant ainsi le roman bien au-delà de l’évident conflit de générations entre deux hommes ou même deux mouvements de l’histoire.

Sans doute ce roman est l’un des plus durs écrit par Chinua Achebe car la violence y est omniprésente et n’épargne personne. Les relations hommes-femmes, la perdition de la jeunesse, notamment féminine, et la quête insatiable de l’influence politique et financière qui n’a pour unique but que de maintenir la domination des uns sur les autres sont autant de thèmes qui ne tiennent qu’à ce sentiment. Finalement, il n’y a que la mort qui sauve. Reste encore à trouver qui doit être sacrifié et mesurer la portée symbolique, si tant est qu’il y en ait une, de cette perte. Corruption, initiation au combats politiques, intimidation des opposants, perdition des mœurs, tous les éléments sont présents pour faire du Démagogue une satire du Nigeria des années 1960 sur lequel l’auteur porte un regard tristement pessimiste et pourtant ô combien visionnaire.

Muna SOPPO

Chinua Achebe, A man of the people, William Heinemann, African writers series, 1966. 160p.
Bibliographie : http://www.notablebiographies.com/A-An/Achebe-Chinua.html#b