A la fête de l’Huma, une Afrique en lutte

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Noé Michalon revient dans cet article sur la fête de l’Humanité, organisée chaque année depuis 1930 à La Courneuve, en banlieue parisienne. La « fête de l’Huma » rassemble, le temps d’un week-end, divers groupements et associations de gauche autour d’évènements politiques et culturels. L’édition 2014 s’est tenue du 12 au 14 septembre.

 

Quelle nébuleuse que cette fête de l’Humanité ! En se promenant le long des allées aux noms de militants féministes, révolutionnaires, penseurs et pacifistes on pouvait remarquer, ce week-end du 12 au 14 septembre, une diversité incroyable des revendications affichées par différents groupes.

Croisant tantôt des étudiants, tantôt des nostalgiques de la guerre froide revêtant l’uniforme de l’Armée Rouge, tantôt des politiciens ou encore des bénévoles pour des associations, on serpente à La Courneuve jusqu’à atteindre Le Village du Monde. A l’instar du Forum Social Mondial, cette zone regroupe divers stands occupés par des militants de mouvements des quatre coins de la planète.

Au milieu de toutes ces revendications, les mouvements africains sont en bonne place. Purement nationaux pour certains ou à vocation panafricanistes pour d’autres, les stands d’Outre Méditerranée semblent avoir tenu leur objectif de rassembler et d’informer pendant ces trois jours intenses. Il faut parfois contourner une table d’objets d’art à vendre ou une cuisine entière d’où s’étend une file de chalands alléchés pour interroger les responsables de ces stands sur leurs revendications. Des revendications diverses et variées, qui ont en commun un certain panafricanisme.

Au premier stand que l’on voit, Togo Éducation et Culture, Koam Ata se refuse à entrer dans le débat politique, mais déplore cependant l’absence de liberté dans le pays. Il fait le constat d’une éducation publique délabrée, et se satisfait de la présence d’une plateforme panafricaine qui permette des discussions et des échanges. A quelques mètres, l’Union Malienne pour le Rassemblement Démocratique Africain (Um-RDA) tient un stand animé. Au niveau des revendications, Moussa Diarra, qui représente le parti politique, souhaite « une amélioration des relations avec la France », constatant qu’une paix durable n’est pas revenue dans le nord du pays, et qu’après « l’intervention salutaire de la France au Mali, beaucoup de questions se posent au niveau du long terme ».

Il ne faut pas marcher plus loin pour tomber sur Jean Claude Rabeherifara, qui préside l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA) qui milite depuis sa création à la Fête de l’Huma. Un combat anticolonialiste doublé d’une dénonciation du rapport d’exploitation de la France vis-à-vis des pays africains. Il met en avant la tâche pédagogique qui est la leur : « l’AFASPA n’est pas une association humanitaire, mais un mouvement qui dénonce les dictatures et le pillage. »

Le Sénégal est vastement représenté. L’association Diapo, qui vient d’accueillir Yen A Marre à son stand, a pour objectif de fonder des écoles de formation dans les secteurs du tourisme et de la restauration au Sénégal. A la table de l’association Xam Xamle (savoir et faire savoir en wolof), présent pour sa troisième Fête de l’Humanité, Mamadou Ba se distingue de la politique et présente son action principale : convaincre les jeunes Sénégalais de ne pas immigrer clandestinement vers l’Europe. « Ce n’est pas l’Eldorado que vous croyez », voilà ce que répètent Mamadou Ba et le reste de l’équipe de l’association à ces dizaines de jeunes qui risquent – et perdent parfois – leur vie pour s’embarquer vers un avenir parfois fantasmé.

Le soleil se lève sur le stand rwandais où affluent les visiteurs, accueillis par Marcel Kabanda, président de l’Association Ibuka France. Ibuka, souviens-toi en kinyarwanda. Un nom qui n’est pas choisi au hasard, et qui fait référence au génocide de 1994 dont on commémore les 20 ans cette année. « La fête de l’Humanité représente l’humanité. Le génocide rwandais est une blessure à cette humanité, explique M. Kabanda, il est donc normal que nous soyons présents ici, pour redonner espoir, pour dire que nous avons tous la responsabilité de protéger les autres ». Si la paix et le développement semblent être revenus, « il ne faut pas sous-estimer la profondeur de la blessure qu’a laissée ce génocide », termine notre interlocuteur.

Au bout d’une de ces rues éphémères, l’Observatoire pour le Respect des Droits Humains à Djibouti (ORDHD) sensibilise le public aux nombreux manquements démocratiques du pouvoir en place. « Djibouti, petit pays, est gouverné par un dictateur. On y arrête les opposants et on les torture, dénonce un responsable, nous luttons contre ces pratiques et pour les droits d’un prisonnier de l’opposition emprisonné depuis juin 2010 et victime de tortures ».

L’Afrique centrale aussi a son mot à dire. Dans un stand verdoyant, François Passema, qui préside le Comité d’Action pour la Conquête de la Démocratie en Centrafrique (CACDCA), déplore le chaos qui règne dans son pays. « Mon peuple n’a jamais eu le privilège d’avoir un État. Livré à lui-même, il subit des exactions de toute sorte. L’armée française est intervenue sur place, et apparemment, il ne se passe pas grand-chose. Les populations vivent toujours terrées en brousse comme des animaux, des massacres ont toujours lieu, et le problème n’est toujours pas réglé. » Il se montre également très critique envers la présidente actuelle, Catherine Samba Panza, « l’incarnation de la négation, qui n’a aucune autorité sur rien ». Quant à ses prédécesseurs, Michel Djotodia et François Bozizé, ils ne sont pour notre interlocuteur « que des criminels de guerre que la France aurait dû déférer devant la Cour Pénale Internationale ». Son résumé de ce qu’est la Fête de l’Huma est pertinent : un lieu festif, mais aussi un lieu de luttes.

Sous le chapiteau de la plateforme panafricaine, après un débat sur les changements des constitutions en Afrique, Antoine Kivulu Kianganzi, président de Kimpwanza, mouvement politique congolais, s’attaque à « la dictature du général Denis Sassou Nguesso, qui veut rester au pouvoir à vis » (sic). Un régime qu’il met au même niveau que celui au pouvoir au Burkina Faso, en République Démocratique du Congo ou encore au Togo, « qui ont tous le soutien du pouvoir français ». Lorsqu’on l’interroge sur les moyens qu’il préconiserait pour sortir ces pays de cette situation, il ne mâche pas ses mots : « nous attendons le printemps africain. En 1991, nous avons connu un premier printemps noir avec les conférences nationales souveraines suite à la conférence de La Baule. Si nous avons réussi à le faire en 1991, pourquoi pas aujourd’hui ? »

Mathilde Thépault, trésorière de la Plateforme Panafricaine et présidente de l’Association Halte aux Génocides – Mémoire et Justice, reprend son souffle après une longue intervention suite au même débat. Franco-ivoirienne, elle dresse un portrait au vitriol du pouvoir en place en Côte d’Ivoire, trois ans après la prise en main des rênes du pays par Alassane Ouattara : « On nous parle de croissance à double chiffres, mais ce n’est pas ce que voit la population au quotidien. Des mercenaires armés venus pendant la guerre ne sont toujours pas revenus et font planer l’insécurité dans le pays. » Elle évoque même un « désastre humain » et déplore le rôle de la France : « c’est Hollande qui a aujourd’hui le pouvoir en Côte d’Ivoire, pas Ouattara ».

Mais l’Afrique sub-saharienne est loin d’être la seule représentée dans ce village du monde qui ressemble plus à une ville : on sillonne les stands de partis socialistes et communistes d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. A quelques mètres Ahmed Sidati, membre du Mouvement de Libération Nationale du Sahara Occidental, le fameux Front Polisario, cherche à sensibiliser les nombreux passants à la lutte pour l’émancipation de la nation sahraouie qui dure depuis plusieurs décennies. « Le Sahara Occidental est une ancienne colonie espagnole illégalement occupée par le Maroc, déclare-t-il, et conformément à la charte des Nations Unies, nous revendiquons notre indépendance. » Les visiteurs défilent en grand nombre, et pas uniquement pour goûter aux délices de la cuisine sahraouie : par petits groupes, les discussions s’engagent et les témoignages affluent.

On sort de ce village avec les tympans qui bourdonnent. L’Afrique frémit de dizaines de luttes. Des luttes qui ne sont pas sourdes, des luttes qui dialoguent, mais des luttes difficiles à fédérer car parfois divergentes. A l’image de la gauche dont la Fête de l’Huma est le rendez-vous, on navigue d’un stand à l’autre du modéré à l’extrême, de l’espoir à la désillusion. Si l’on peut adhérer ou non aux idées présentées, il y a cependant de quoi se satisfaire d’une chose importante : au vu de la forte affluence du week-end, des milliers de personnes ont pu avoir grâce à ce fourmillement intellectuel une image tout autre du continent africain. Une impression de mouvement et de prise en main d’un destin commun de l’Afrique qui tranche avec les idées reçues. Et c’est bien là l’essentiel.

Noé MICHALON

En Ouganda, la course à la pudeur a commencé

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On a enfin entendu parler de ce pays grand comme une moitié de France la semaine dernière, lorsque le président ougandais Yoweri Museveni, en poste depuis 1986, a signé devant les yeux effarés de journalistes du monde entier la fameuse loi anti-homosexualité. Pour un simple rappel, cette loi prévoit la prison à vie pour tous les « coupables d’homosexualité », sept ans de prison pour toute « promotion de l’homosexualité », et trois pour quiconque connaîtrait un homosexuel et ne le dénoncerait pas dans les 24 heures.

Seulement, les medias sont cyclopes, et n’arrivent en général à se concentrer que sur un seul thème, lorsqu’il s’agit d’un pays peu exposé. Ils semblent pareils à une sorte de phare balayant son œil unique puissant tour à tour sur tel ou tel endroit. L’Ouganda, c’est la loi anti-homosexualité, voilà tout.

Mais c’est aussi bien plus. Une autre loi, nettement moins médiatisée que celle-ci, et pourtant tout autant promulguée, c’est celle dite « anti-pornographie », signée fin décembre. En plus de prévoir un rigoureux arsenal juridique contre tous types de sites plus ou moins recommandable, le texte laisse place à tous types d’interprétations par les forces de l’ordre en proposant la définition la plus floue qui soit de la pornographie contre laquelle il doit lutter : tout procédé, habit ou représentation pouvant provoquer l’excitation sexuelle primaire. Ce qui fait que ce texte a été surnommé à son tour « Loi anti-minijupe », au grand dam des dames du samedi soir.

En dehors des lois, on compte aussi des déclarations, des déclarations qui semblent de plus en plus tapageuses et rigoristes. Le Président Museveni s’est fendu d’une analyse à l’emporte-pièce sur le sexe oral, lors de sa conférence de presse après la signature de la loi anti-homosexualité : les Ougandais ne doivent pas avoir de telles pratiques qui sont néfastes pour la santé, car, argument déroutant, la bouche sert avant tout à manger. Un jugement plutôt malvenu, qui n’a plus grand-chose à voir avec l’homosexualité en fin de compte.

M. Museveni a également une autre obsession pudibonde qu’il voudrait transmettre à sa population : s’embrasser en public serait un crime de lèse majesté, un crime qui l’aurait empêché d’être réélu s’il l’avait proféré, selon l’intéressé lui-même.

Ces lubies semblent de prime abord purement Museveniennes, peu de ses ministres allant plus loin que lui dans la provocation et l’incitation à un train de vie puritain. Ceux qui vont plus loin et qui semblent ouvrir la voie en éclaireurs dans cet obscurantisme sont plutôt à retrouver du côté des églises.

museveniCe rigorisme que marquent ces lois et ces provocations a une origine : la pression qu’exercent les pouvoirs religieux sur le couple présidentiel. Janet Museveni, la Première Dame, a notamment des accointances plus qu’avancées avec les Born-Again, évangélistes influencés et financés par les néoconservateurs nord-américains, prêchant en général un discours assez violent face aux « vices » définis par la Bible.

De plus en plus nombreux, représentant une manne financière importante et noyautant le parti majoritaire NRM, les Born Again semblent la cible électorale à se mettre dans la poche pour les élections de 2016. Et c’est gagné. Le lundi 3 mars dernier, une association de 1000 pasteurs born-again (chacun contrôlant donc plusieurs dizaines voire centaines d’adeptes) s’est ralliée au président, pour les prochaines élections, en le remerciant de son acte « héroïque ». Ce n’est pas la seule religion qui abonde en ce sens : les cadres islamiques du pays ont supplié M. Museveni de signer cette loi, avant de l’applaudir à grand bruit. De son côté, l’Archevêque Ntagali, chef de l’Église anglicane ougandaise, a fait part de la possibilité de se séparer de l’Église anglaise à laquelle elle est rattachée, si les prises de positions contre l’homosexualité continuaient à être condamnées.

Cependant, des déclarations aux faits, il n’y a qu’un pas. Alors qu’on pouvait espérer que ces critiques se cantonneraient aux sphères politico-religieuses, qui sont quand même d’une certaine génération lorsque 80% de la population a moins de 30 ans, la provocation a franchi la frontière du réel.

Suite à la loi anti-pornographie, dont certains doutaient de l’application, des Ougandais ont cru bon de se faire justice par eux-mêmes. Déshabillement de femmes légèrement vêtues en public, violences, viols. Le gouvernement a dû faire marche arrière en demandant explicitement aux fautifs qu’il fallait laisser la police s’occuper de ce dossier. Un gouvernement qui a sa part de responsabilité dans un tel imbroglio, sachant que l’un des secrétaires d’État justifiait il y a quelques mois le viol en cas de provocation vestimentaire.

Dans la presse, c’est encore pire : le Red Pepper, tabloïd racoleur, publie le lendemain de la fameuse signature une liste du « top 200 » des homosexuels en Ouganda. Ils avaient publié également en octobre dernier les photos à peine floutées, de relations homosexuelles. Un journal du même genre, le Rolling Stone, avait publié en 2010 une liste de défenseurs des homosexuels. Résultat : lynchages et mort de David Kato, militant influent, assassiné à son domicile. Le même Red Pepper avait l’habitude de publier de nombreuses photos de soirées de gala de Kampala, des photos évidemment riches en minijupes et tenues légères. Brusque changement d’attitude depuis le passage de la loi : les photos sont floutées, et le journal est donc passé à ce qu’il connaît de mieux dans ce pays : l’autocensure.

Devant cet engrenage subit et inquiétant, le seul moyen de se rassurer reste de relativiser. Dans le temps comme dans l’espace : combien de temps cette course au clocher durera-t-elle ? Le Président Museveni est loin d’être très populaire dans le pays, et c’est clairement avec le sujet de l’homosexualité qu’il a réussi à rassembler un parti qui le défiait. Sur la pornographie, il est déjà beaucoup moins suivi. Ensuite, l’Ouganda continue son ouverture et donc à s’occidentaliser, des cinémas ouvrent, de somptueux malls remplis de chaînes internationales (le premier KFC a été célébré avec enthousiasme en novembre) et cela ne va pas sans influencer les mœurs. Si la loi anti minijupes fait scandale, c’est justement parce que de plus en plus de femmes en portent.

L’aspect de leurre qu’ont ces lois dans un contexte où le pays continue d’avoir une grande part de sa population sous le seuil de pauvreté devrait aussi s’estomper au bout d’un certain temps si le développement ne suit pas le rythme effarant de la démographie (6 enfants par femme en moyenne).

Enfin, ces lois ne concernent également que la capitale en elle-même, concrètement, sachant que le pays est faiblement urbanisé (13%). La minijupe et la pornographie n’ont pas grand écho dans les campagnes, où la loi est par ailleurs disputée entre chefs traditionnels (l’Ouganda comprend encore plusieurs royaumes officiellement reconnus) et représentants du gouvernement.

Quelques motifs d’espoirs, donc, qui tendent à penser que cette course n’a pas beaucoup d’intérêt à aller plus loin. Un risque politique que le Président Museveni a tout intérêt à éviter, lui qui doit plutôt jouer habilement ces derniers temps pour surfer sur la vague des tensions palpables dans la population.

Noé Michalon