Nigéria : Mister Goodluck et Président Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan se trouve en très mauvaise posture. Depuis quelques mois, le président nigérian est l’objet d’une vive contestation au sein même de son parti, le People’s Democratic Party (Parti démocratique populaire, PDP), au pouvoir depuis le début de la Quatrième République en 1999. A la tête du pays le plus peuplé d’Afrique (170 millions d’habitants), géant économique, le président Jonathan, au pouvoir depuis la mort de son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2010, devient de plus en plus impopulaire. En plus d’une gestion maladroite des affrontements avec la secte islamiste Boko Haram, il souffre d’un grand manque de légitimité au sein de son parti.

37 députés du PDP ont rejoint les rangs de l’opposition le 18 décembre 2013. Jonathan a ainsi perdu sa majorité parlementaire, une situation qui ne s’était jamais produite au Nigéria. Les conséquences qu’elle va engendrer sont incalculables pour le moment. D’une part,  il est difficile de savoir comment le Président Jonathan va gouverner sans majorité au parlement ; de l’autre, l’avenir est incertain quant à l’élection présidentielle de 2015. Cet important  revers est un pas de plus dans la fronde ouverte en septembre 2013 par six gouverneurs issus du Nord musulman qui ont créé le New PDP. L’enjeu de la dispute : Pour ne rien arranger à l’affaire, l’ancien Président Olusegun Obasanjo est entré dans la danse en écrivant une lettre très acerbe à son successeur, l’accusant de faire surveiller des adversaires politiques ainsi que des centaines de Nigérians par les services de l’Etat. Pis, des agents de police s’en sont pris aux locaux des auteurs de la fronde ; ces derniers crient à l’intimidation et dénoncent des méthodes dictatoriales.

Le Président Jonathan se trouve désormais devant une situation très délicate, où se joue l’avenir politique du Nigéria, au-delà de celui du PDP. Car la fronde actuelle contre Jonathan renvoie directement à l’enjeu politique dominant au Nigéria depuis l’indépendance, à savoir l’équilibre fragile et instable du pouvoir entre le nord musulman et le sud chrétien du pays. À son accession au pouvoir en 1999, les responsables du PDP s’étaient mis d’accord sur un partage informel du pouvoir : le président étant limité à deux mandats consécutifs (huit ans) la présidence tournerait tous les deux mandats entre un politicien nordiste et un politicien sudiste,. Ainsi, après Obasanjo (un Yoruba du sud) de 1999 à 2007, c’est Umaru Yar’Adua (ancien gouverneur de Katsina, au nord) qui a pris les rênes du pays. Mais sa mort précipitée en 2010 a bousculé cet arrangement subtil : Goodluck Jonathan, le vice-président originaire du Sud, est alors devenu président ; il a été réélu en 2011, et souhaite briguer un nouveau mandat en 2015. S’il venait à gagner ces élections, il gouvernerait alors jusqu’en 2019, soit un mandat de près de dix ans ; et au total, le Nord n’aurait eu le pouvoir que trois ans (2007-2010) sur les 20 ans de règne du PDP (1999-2019). Une situation que beaucoup de politiciens nordistes considèrent tout simplement comme inacceptable.

Si Goodluck Jonathan persiste dans l’autoritarisme, il risque de voir s’aggraver la saignée au PDP qui pourrait perdre l’élection présidentielle de 2015. En revanche, il lui est encore possible de limiter les dégâts en tentant de reconquérir les militants qui ont quitté le navire afin de sauver l’essentiel : l’unité politique du parti et la stabilité du Nigéria. Le mieux serait de renoncer à se représenter en 2015.

Il faut prêter attention à ces luttes politiques qui se déroulent au Nigéria parce qu’elles ont des relents ethniques et religieux, en plus des enjeux économiques qui tournent essentiellement autour du pétrole (le pays en est le premier producteur en Afrique). Goodluck Jonathan fait face depuis son arrivée au pouvoir en 2010 à un grand mécontentement social. La montée du prix du carburant en 2010 avait ravivé les tensions entre musulmans du Nord et chrétiens du Sud, tensions qu’il avait très mal gérées au demeurant.

La défection successive de ces gouverneurs et parlementaires qui ont rejoint l’All Progressives Congress (APC), principale coalition d’opposition, est un coup très dur pour le Président Jonathan. C’est pourquoi il doit prêter une grande attention à la façon dont il va gérer cette nouvelle situation en évitant tout autoritarisme. Il devrait faire revenir ces responsables du PDP qui ont rejoint l’opposition et lever toute équivoque sur sa potentielle candidature en 2015. La plaie Boko Haram est trop gênante pour que le Nigéria entre dans un autre cycle de violences. Surtout si celles-ci ont des versants ethniques et religieux dans une Afrique déjà très meurtrie par ce genre de conflits.