Des Opposants au pouvoir*

référendum ZimbabweSur Terangaweb, nos partenaires de Think Africa Press évoquaient le référendum « politicien » au Zimbabwe qui proposa aux électeurs un texte porté par trois leaders politiques du pays. Que Tswangiraï et son MDC acceptent de pactiser avec les barons de la ZANU-PF, pour pondre cette constitution rend sceptique sur le degré de conviction qui habite vraiment cet homme que d’aucuns ont fini de ranger parmi les grands leaders politiques d’Afrique, teigneux dans leur combat contre la dictature et l’injustice.

Au-delà du fait que le projet de loi portant une nouvelle constitution permet à Mugabe d’être réélu jusqu’à l’âge de…99 ans, il met à nu la capacité des politiciens à s’unir en face des citoyens lorsque leurs intérêts vitaux le réclament. Mugabe-Tswangiraï même combat ! Qui l’eut cru.
Si la faucheuse ne nous en épargne pas, nous sommes bien partis pour observer, tristes, gênés ou simplement amusés, un président débitant des salves de sottises devant une jeunesse zimbabwéenne désarçonnée. Que veux-tu, « la vieillesse est un naufrage ».
Lorsqu’on en arrivera là, on sera hypocrite de ne pas accuser Tswangirai d’avoir légitimé de fait Mugabe, en devenant son exécutant eu égard à sa position de Premier ministre chargé de mettre en œuvre les directives présidentielles.

Mon camarade Pape Modou Diouf s’est déjà interrogé sur les oppositions africaines ; leur manque de clarté, de cohérence et de courage. Il y a aussi un autre syndrome qui les caractérise : l’inconstance dans une position hors du circuit étatique. En somme, s’opposer quand on est dans l’opposition. Rien de plus. Souvent, sous les vocables fourre-tout de « gouvernement d’union » ou de « majorité présidentielle élargie », on réussit une bouillabaisse politique qui permet à chacun d’être au rendez-vous des privilèges qui découlent de la gestion de l’Etat. On en revient au concept d’ « Etat prédateur » tel que le théorise l’historien Ibrahima Thioub. Manger à tous les râteliers…jusqu’à l’intoxication

En Afrique, dans la plupart des cas, les oppositions ne se sentent bien qu’au pouvoir, sous les lambris dorés de la république qui leur ont été refusés à tort ou à raison par le suffrage universel. A défaut d’être calife à la place du calife, ils se contentent bien du titre de vizir, voire de gouverneur de province. L’essentiel est de (se) servir.
Mame Madior Boye a battu deux records. D’abord, c’est la seule femme chef du gouvernement au Sénégal. Ensuite, c’est le seul dont plus personne ne se souvient. Elle est en effet retournée dans l’anonymat qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Dans un moment de lucidité, elle eut toutefois une phrase intelligente. Après lecture de la composition de son gouvernement, un journaliste lui fait la remarque : « il n’y a pas de membres de l’opposition dans l’attelage ». Réponse imparable de la dame : « l’opposition s’oppose ».

En effet, en démocratie, une majorité gouverne et une oppose s’oppose, écume les plateaux des médias, élabore et propose un projet politique à soumettre à l’électorat lors de la prochaine échéance électorale. Il s’agit d’une question de cohérence et de dignité ; et les électeurs ne s’y trompent guère lorsqu’il s’agit de sanctionner la tortuosité.
Raila Ondinga a payé son rôle de premier plan dans l’attelage de Mwaï Kibaki comme premier ministre après les violences électorales de 2008. En 2013, à l’heure du choix entre le dauphin de l’ex président et le leader de la coalition orange, les électeurs ont choisi Uhuru Kenyatta, l’original au détriment de la copie.

Une telle analyse est aussi pertinente dans le cas de la Guinée Conakry. Malgré aujourd’hui toute la déception qu’Alpha Condé caractérise, malgré les graves atteintes au processus démocratique enclenché en Guinée après la triste épopée Dadis Camara, on peut lui reconnaître une cohérence historique. Condé n’a jamais cédé aux sirènes et aux menaces du régime policier de Lasana Conté. Il a su rester vierge de toute participation au scandale qu’a constitué, des années durant, la Guinée version Conté. Qui dans l’opposition guinéenne n’a pas flirté avec Conté ? Dalein Diallo? Lonseny Fall? Lansana Kouyaté? Sidya Touré ? Qui ? Rien que pour ce point précis, la victoire d’Alpha Condé contre Cellou Dalein Diallo est celle d’une constance et d’un courage politique. Opposants de tous les pays, opposez-vous! 

 

Hamidou Anne

*Le titre est un clin d’œil au premier livre dénonçant les dérives d’Abdoulaye Wade, déjà en 2003. « Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée », Abdoul Latif Coulibaly, Éditions sentinelles, Dakar, 2003, 300 p.
 

A quoi servent les oppositions africaines?

progbagboLa question mérite d'être posée : à quoi servent les oppositions politiques en Afrique ? De manière plus générale, à quoi servent les opposants politiques dans un processus démocratique ? Les opposants ne devraient-ils pas empêcher ou minimiser la « dictature » de la majorité présidentielle en contre-balançant les pouvoirs et les points de vue politiques ? Certes, dans les pays africains, le manque de ressources allouées aux oppositions démocratiques ne leur permet pas de faire face aux projets politiques et autres prétentions du groupe majoritaire. Malgré cela, ont-elles même simplement essayé de jouer leur rôle, de ramer à contre-courant, mais dans le bon sens ? Dans la plupart des cas, les opposants politiques n’essaient même pas. Pourquoi ?

Les débats sur le déficit démocratique des pays africains épargnent souvent le rôle et la responsabilité des oppositions politiques. L’opposition corrompue du Cameroun est très fortement partie prenante des mandats perpétuels du Président Paul Biya qui ressemblent à une aventure ambiguë annihilant toute possibilité d’alternance politique. Cette opposition n’ouvre, bien évidemment, aucune perspective de changement, d’évolution politique d’une république se disant, pourtant, démocratique. Au Sénégal, l’obsolescence subite du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) depuis l’élection de Macky Sall est honteuse et alarmante. Il y moins d’un an grand parti au pouvoir, elle se décompose et prend les allures d’une petite brigade politique de province.

Le cas du PDS témoigne d’une décadence voire d’une incapacité à se poser comme parti d’opposition digne et prometteur ; ne serait-ce que pour les prochaines cruciales échéances électorales, face à un parti au pouvoir adepte des alliances sur fond de clientélisme, de promesses politiciennes et de corruption des différentes tendances politiques composant la majorité. Fait-on face à des oppositions hyper-présidentialistes ? L’on peut répondre par l’affirmative, et aller plus loin en notant que la présence des éternels opposants qui n’ont plus d’idées enrichissantes pour l’évolution politique de leur formation pose un vrai problème de renouvellement des élites voire constitue même un frein dans un processus démocratique qualitatif. D’éternels chefs comme Abdoulaye Bathily ou Ousmane Tanor Dieng semblent faire de la politique un éternel métier. Une situation qui ne laisse, bien évidemment, aucune perspective aux jeunes qui ont souvent le choix entre hurler leur colère et voir indiquée la porte de sortie ou carrément se désintéresser de la gestion de la chose publique.

opposant-guinee-mUn renouvellement des leaders d’oppositions africains est donc une nécessité dans un continent dont la jeunesse est le premier potentiel économique pour plus de représentativité et plus de responsabilité des acteurs politiques. C’est également une façon de renouveler, varier et faire évoluer les idées et les compétences. Opposant historique ne rime pas forcement avec compétence politique. Un renouvellement des élites est, dès lors, plus que nécessaire, elle est obligatoire. Force est de reconnaître que dans bien des pays africains, les oppositions politiques se sont laissées corrompre, signe d’une démocratie instable et superficielle pouvant, d’un moment à l’autre, plonger les Etats dans une phase de désintégration partielle ou totale de leurs institutions. Benjamin Disraeli avait raison de soutenir que nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition. Le cas malien n’est que la résultante d’un long processus de désintégration institutionnelle sous couvert d’une démocratie unanimiste et fictive. L'opposition n'a pourtant pas seulement un rôle de contestation, de destruction. Un opposant démocratique est un acteur de la vie politique, œuvrant pour plus de démocratie, plus de respect des engagements des dirigeants, plus de débat dans l'espace public. 

Pour plus démocratie, pour des représentants politiques plus responsables et soucieux de la cause publique, bref pour une politique plus noble et plus saine, nos opposants politiques doivent prendre conscience de leur mission. Il ne s’agit pas de tenir un éternel et redondant discours démagogique. Il ne s’agit pas non plus d’avoir à l’esprit une éternelle critique stérile encore moins une velléité de seulement détruire sans être une force de propositions. Il s’agit de contribuer à l’évolution des idées et des pratiques politiques. Il s’agit de prendre part à un projet collectif noble et humaniste dans un vrai processus démocratique. Une démocratie de façade fera long feu. Elle débouche sur une désintégration progressive des bases constitutionnelles et institutionnelles, sur une remise en cause de la structure étatique prélude à son effondrement. L’enjeu n’est pas une querelle de personnes mais d’œuvrer pour le bien public. Les forces d'opposition actuelles ont une très grande part de responsabilité dans l’immobilisme politique des Etats africains, quand elles ne précipitent pas leur effondrement.

 

Papa Modou Diouf

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