La 3ème édition des Rencontr’Afrique a eu lieu le 28 février dans les locaux de l’Ambassade du Congo à Paris, avec Henri Lopes. Premier Ministre de 1973 à 1975 et plusieurs fois Ministre (en charge de l’Education Nationale, des Affaires Etrangères, des Finances), Henri Lopes a aussi été fonctionnaire international de l’UNESCO (entre 1982 et 1998) dont il a été Directeur Général Adjoint, avant de devenir, à partir 1998, Ambassadeur de son pays en France. Il est donc un homme politique et un diplomate aguerri. Parallèlement, Henri Lopes demeure l’un des principaux romanciers de la littérature africaine des 40 dernières années. Ses œuvres, comme Le Pleurer-rire (1982), sont étudiées dans de nombreux lycées d’Afrique francophone ; son dernier roman, Une enfant de Poto-Poto, est paru en 2012 chez Gallimard et a obtenu le Prix de la Porte Dorée (Musée de l’Immigration). Henri Lopes a accepté de recevoir une vingtaine de personnes, à l’invitation de L’Afrique des Idées, pour partager sa riche expérience d’homme politique et d’écrivain, qui est aussi celle de toute une génération (« Quand je dirai je, c’est de toute une génération dont je parle »).
Le Métis de Maloukou
Né dans un hôpital de Léopoldville (actuel Kinshasa) d’une mère du Congo français (Brazzaville) et d’un père du Congo belge (Kinshasa), Henri Lopes a grandi à Maloukou, petit village de l’actuel République du Congo. Il est alors déjà le fruit d’un métissage biologique en attendant un métissage culturel puisque sa mère épouse en secondes noces un français qui deviendra son père nourricier. De cette époque, il dira que « toutes les colonisations avaient leur apartheid avant la lettre ». La disposition géographique de Pointe-Noire illustre ce propos : il s’agit d’une ville en éventail avec un poste de police au point goulot, et juste derrière, les quartiers réservés aux colons et auxquels les noirs ne peuvent accéder qu’en journée avec une autorisation de travail. Henri Lopes est alors très jeune et la prise de conscience de la colonisation n’arrivera qu’ultérieurement, lorsqu’il arrive en France en 1946. Il est alors âgé de 11 ans.
La prise de conscience de la colonisation
Après un voyage en bateau de 3 semaines qui le mène tour à tour à Abidjan, Dakar et Casablanca (« Je découvre Casablanca et Casablanca est un émerveillement pour moi »), Henri Lopes débarque à Marseille un jour de Pâques 1949. Alors que dans son Congo colonial, les activités manuelles étaient strictement l’apanage des noirs, il découvre, stupéfait, que les dockers du Port de Marseille sont blancs. Ses parents, qui l’ont accompagné pour ce voyage, le laissent alors dans un collège-internat à Nantes où il est très bien traité par ses camarades de classe et par sa famille d’accueil. Il se paie même le luxe, aux heures de récréation de jouer au foot, chaussures au pied, avec ses camarades blancs. De ce « décalage entre l’attitude des français de France en France et celui des français colons en Afrique » naît la prise de conscience de la colonisation et de la nécessité d’y mettre fin. Les rencontres avec d’autres jeunes africains, d’abord au lycée à Nantes et ensuite à l’université à Paris, amènent Henri Lopes à prendre part au mouvement de lutte pour l’indépendance. « A l’époque, on était tous des communistes. Notre conscience politique était ancrée à gauche, sur une ligne communiste » dira-t-il.
Deux événements marquent cette période. En 1958, la Guinée prend son indépendance et de nombreux étudiants africains en France vont s’y installer. La désillusion sera grande pour bon nombre d’entre eux. Certains seront emprisonnés, d’autres exécutés. En 1960, la plupart des pays d’Afrique noire accèdent à l’indépendance. Beaucoup d’étudiants en France décident de rentrer dans les années qui suivent ; c’est aussi le cas d’Henri Lopes car « il faut être utile au pays ».
Le temps des responsabilités politiques
De retour dans une République du Congo indépendante, Henri Lopes devient professeur d’Histoire à l’Ecole Normale Supérieure. Il est alors proche du premier noir Directeur de l’Enseignement, poste qu’il occupera d’ailleurs de 1966 à 1968. A peine 10 ans après son retour au Congo, Henri Lopes devient à son tour Ministre de l’Education Nationale, puis des Affaires Etrangères, Premier Ministre et enfin Ministre des Finances. De cette époque entre 1960 et 1982, qui correspond aussi à une forte période d’instabilité politique pour le Congo, il dira : « Nous avons été propulsés à des postes de responsabilité comme vous ne pourrez jamais l’être. C’était à la fois fascinant et dangereux ». A partir de 1982, Henri Lopes quitte son pays pour devenir fonctionnaire international à l’UNESCO dont il reviendra par la suite Directeur Général Adjoint. 1982, c’est aussi l’année au cours de laquelle Henri Lopes publie son 4ème livre, Le Pleurer-rire, qui deviendra un grand classique de la littérature africaine. C’est qu’Henri Lopes est d’abord et surtout un homme de culture, un grand écrivain.
Lopes, L’écrivain
De son recueil de nouvelles Tribaliques (1972), pour lequel il reçoit le grand prix de littérature d’Afrique noire, à son dernier roman Une enfant de Poto-Poto (2012), en passant par Le Pleurer-Rire (1982) ou Le Chercheur d’Afriques (1992), Henri Lopes, dans un français mêlé de français-congolais, s’est toujours lancé dans une quête identitaire à travers ses différents personnages. Pour lui, nous avons « trois identités, comme les cordes d’une guitare ; il faut utiliser l’une ou l’autre, quelquefois les trois à la fois ».
De son métier d’écrivain, il dira aussi que « c’est un travail quotidien, qui se fait en cachette, comme l’amour », ce qui est du reste difficile pour l’écrivain car l’isolement est mal compris et mal perçu dans les sociétés africaines.
Henri Lopes reste d’ailleurs globalement lucide sur la place de l’écrivain en Afrique puisqu’il estime que c’est la politique qui permet, in fine, de changer les choses, et non la fiction.
Nicolas Simel Ndiaye