
Quel bilan dresse-t-il de son action à la tête de l’UA. Il botte en touche. Ce sera aux autres de faire le bilan de son action. Ce qu’il sait « en tout cas », c’est que grâce à lui, la légitimité de la Commission est fermement établie – ce qui n’était « pas gagné d’avance et n’est pas le cas d’autres institutions de l’Union ». Je lui rappelle que ces « institutions en panne », comme il dit, étaient censées consolider les pouvoirs juridiques de l’Union. Autre sourire. Jean a appris, jusqu’à l’usure les codes des communicants américains. Devant une question ou un interlocuteur difficile, souriez et répondez à votre guise. Qu’importe, il a l’air moins tendu qu’avant. Je me souviens du visage fermé, sévère de l’ancien diplomate (il réprimandera à plusieurs reprises mon utilisation de ce terme : « pas ancien diplomate ! Non, alors pas du tout ! Je suis encore en fonction » Auprès de qui ? Il ne le dira jamais. N’est-il pas davantage « en représentation plutôt qu’en fonction» ? Aucun sourire…) durant la crise postélectorale en Côte d’Ivoire ; et cette artère palpitante qui ne quittait pas son front, au plus fort de la bataille contre Dhlamini-Zuma. Pense-t-il qu’elle fera un bon leader ? Il me renvoie au discours de « concession » rédigé après l'élection. A-t-il pardonné l’affreuse pique de Jacob Zuma plaidant pour un candidat ayant « d’avantage d’envergure » à la tête de l’UA. Pas un mot de plus. Loyal. Il se contente de me rappeler qu’elle non plus, ne souhaite pas l’extradition d’El-Béchir. Certaines choses ne changent pas à Addis-Abeba.
Son staff lui a fait une note sur Terangaweb… «Pas terrible!» La note ou le Think-tank ? Conciliant « la note ! Evidemment » sourire. L’entretien sera constamment interrompu par divers personnages, plus ou moins jeunes et pressés : un jeune homme, plutôt mince, lunettes à rayure, oreillette Bluetooth vissée à l’oreille droite, des airs de conspirateur en manque d’ennemis, "Jean-Pierre, mon neveu" ; une femme, trente-trente-cinq, veston beige, Jupe bleu nuit, rouge à lèvres léger, yeux très clairs, pénétrants – « Michèle » me dira-t-il suivant mon regard, « ma chargée de communication. C’est elle que vous avez eu au téléphone ! ». Je baisse les yeux. Reprenons.
Cet homme, installé depuis trente ans au cœur de la diplomatie africaine, reste difficile à cerner. Aimait-il vraiment son bienfaiteur, son beau-père de facto (il a eu deux enfants avec Pascaline Bongo, fille de Vous-Savez-Qui) ? Quelles relations entretient-il avec Ali Ben ? Les rumeurs persistantes sur une guerre de succession, entre ces deux hommes ambitieux, alors que la dépouille du Patriarche était encore tiède ? Ragots ! Rien que des ragots. Il a toujours été loyal au Président ! Lequel ? Autre rictus.
Revenons en eaux moins troubles. Se considère-t-il comme libéral ? L’auteur d’une thèse de doctorat intitulée « quelques facteurs externes du freinage de la croissance et du blocage du développement : le cas du Gabon » et du très plat « Mondialisation, paix, démocratie et développement en Afrique : l'expérience gabonaise », est aussi l’homme qui ouvrit le plus l’économie gabonaise au commerce international. La solution du développement se trouverait-elle dans l’échange ? « Absolument ! » Et il se lance dans une longue diatribe sur les freins au commerce régional en Afrique. Les 153 frontières à franchir. Le manque d’infrastructures routières. Ce sujet semble le passionner. S’imagine-t-il jouer un rôle au sein des exécutifs régionaux d’Afrique centrale ? « Quelle régression ! » souffle-t-il. Au sein de la BAD, alors ? Moue dédaigneuse. La voix rocailleuse se fait soudain plus sèche : l’Afrique centrale a eu son tour. La référence à Donald Kaberuka, le rwandais à la tête de la BAD est acide. Ping y avait vu un autre coup de la diplomatie-canon de Kagamé. Ces deux-là se haïssent.
La trajectoire de ce métis était-elle tracée d’avance ? Fils de l’Ogooué et du Wenzhou, villes-régions portuaires, bons augures, Jean voyagera, beaucoup. A Wenzhou, la région d’origine de son père, il retrouvera même sa tante de 90 ans, incrédule, à moitié sourde. Et il sera fêté comme un héros. Quel souvenir en garde-t-il ? Cet homme sévère s’attendrit, hésite un instant puis lâche : « poignant ». C’est l’adjectif le plus chaud que l’ancien diplomate aura utilisé durant notre entretien. Il abandonne, je peux garder « ancien diplomate » si j’y tiens. Un dernier mot ? « Pourquoi ‘l’Afrique des Idées’ ?» Parce que le discours général sur l’Afrique manque d’idées. De bonnes en tout cas ! N'est-ce pas prétentieux… ? Si même Jean Ping vous trouve « prétentieux ». Je promets de transmettre le message à Simel et Leroueil.
*** Interview fictive évidemment.