La valorisation des écosystèmes est un sujet central du développement durable. En Afrique où plusieurs pays disposent d’un patrimoine écologique exceptionnel, cette question est essentielle dans leur planification stratégique. Cet article posera cette problématique à travers le cas de Virunga : un site classé mais qui attise la convoitise des pétroliers.
En décembre 2007, le gouvernement congolais (RDC) avait accordé des concessions pétrolières sur des blocs situés à l’est du pays. Le parc national de Virunga, un des plus anciens sites classé patrimoine mondial de l’UNESCO à cause de son exceptionnel biodiversité, en fait partie. SOCO International PLC, une des compagnies bénéficiaires de la concession, souhaite explorer dans et aux abords du site. En réponse à cela, l'ONG de protection de la nature WWF saisit par quelques organisations locales, a lancé plusieurs campagnes de sensibilisation et publié un rapport sur la valeur économique de ce parc ainsi que les conséquences des activités pétrolières sur l’environnement et l’économie locale. Le 7 octobre dernier, elle a déposé une plainte auprès de l’OCDE afin d’empêcher la compagnie de poursuivre ses activités sur le site.
Les pouvoirs publics congolais ont accordé un permis de prospection pétrolière dans une zone que l’Etat lui-même avait demandé la classification afin de préserver son écosystème particulier et protéger les espèces qui y vivent, pour la plupart menacés. Faisant fi des dispositions réglementaires prohibant les activités nuisibles à l’environnement dans ces zones, le permis accordé se base en fait sur une exception permettant de pratiquer des « activités scientifiques » dans de tels milieux. SOCO évoque cette exception et le gouvernement avance l’argument des retombées économiques tout en estimant que le parc ne sera pas menacé. Face aux mannes pétrolières bien plus palpables, les arguments de protection de l’environnement ne semblent pas convaincants. Pour ces raisons, le WWF avait commandé une étude sur le potentiel économique de ce parc de Virunga. Le rapport publié en juillet dernier tente en effet de quantifier la valeur économique actuelle et potentielle de parc naturel. Elle a identifie également les risques sur l'environnement, liés aux différentes phases d'exploration et d'exploitation, et les risques sur le développement économique et social de la région.
DES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX ET SOCIO-ECONOMQUES
Selon l’étude du WWF, les activités sismiques réalisées lors de la phase d’exploration du pétrole ont un impact sur l’environnement local. Les défrichages massifs effectués pour permettre l’acheminement des équipements et l’ouverture des nouvelles routes, entrainent la fragmentation de l’habitat naturel des espèces et l’introduction des plantes invasives dans ces milieux. La phase d’exploitation quant à elle engendrerait de pollution liée aux fuites sur les oléoducs ou aux déversements des hydrocarbures. La faiblesse institutionnelle et la corruption rendent le contrôle des activités des compagnies et l’application de la loi extrêmement difficile. Les conflits armés dans ces régions, souvent liés au contrôle des ressources, exposent aux risques de sabotage des infrastructures. Avec la recrudescence du braconnage, les conséquences peuvent être irréversibles sur les espèces menacés.
En plus des effets environnementaux relativement désastreux, le développement économique et social peut être impacté par les fluctuations du cours du pétrole. La compétition qui se fera de facto entre le secteur pétrolier et les autres secteurs économiques notamment le tourisme sera au détriment de ces derniers et compromettra à terme le développement de la région en déstabilisant l’économie locale. Pourtant les espaces naturels sont d’une richesse aussi importante que la manne pétrolière.
UN FORT POTENTIEL ECONOMIQUE
Selon l’étude du WWF, du tourisme à la pêche en passant par la pharmacologie, l’énergie, l'éducation et la recherche, la mise en valeur directe de ce milieu naturel contribuerait largement au développement socio-économique de la région. L’exploitation indirecte quant à elle engendrerait des revenues à travers la séquestration du carbone, l'approvisionnement en eau, la lutte contre l'érosion ainsi que le contrôle de la pollution. Le parc de Virunga générerait actuellement environ 49 millions $US par an. Dans une situation stable, en l’absence des conflits armés, avec la sécurisation d’accès au parc et suffisamment des ressources pour protéger l’écosystème, sa valeur peut dépasser le milliard de dollar par an (1,1 milliards $US/an). Comme l’illustre le tableau suivant, la pêche mais surtout le tourisme ont un potentiel énorme de développement (235 millions $US/an) issu de l’exploitation directe de cet écosystème. L’exploitation indirecte des ressources du parc telles que la vente des crédits carbone génèrerait environ 64 millions de $US. L’ONG évalue jusqu’à 700 million $US par an la valeur de l’exploitation future du parc. Les activités économiques liées à ce milieu pourraient fournir du travail à plus de 45000 personnes.
POUR UNE GESTION DURABLE DES RESSOURCES NATURELLES
L’étude menée par le WWF a le mérite de chiffrer le potentiel économique d’un milieu naturel qui reste aux yeux de certains inutiles. Ces types d’arguments peuvent servir d’outils d’aide à la prise de décision. Toutefois, au delà de la valeur économique d’un site écologique, ce sont les couts liés à son éventuelle pollution ou disparition qui restent difficile à évaluer. Ces externalités sont au centre de la planification stratégique d’un développement durable.
Ce cas de Virunga illustre bien la complexité de la question de valorisation des écosystèmes en Afrique. Le patrimoine naturel, en dehors des considérations écologiques possède également une forte valeur économique lorsque des modes de gestion responsables et durables sont appliqués. L’incohérence des décisions telles que la concession pétrolière accordé sur cet espace protégé résulte-t-il d’un manque de stratégie claire ou d’une mauvaise gouvernance liée notamment à la corruption ? Par ailleurs au niveau régional, la gestion de ces espaces peut engendrer des tensions compte tenu de la souveraineté des Etats sur leurs territoires nationaux et les interconnexions entre les milieux naturels qui n'ont pas de frontières. La plainte déposée par l’ONG auprès de l’OCDE montre bien les difficultés des institutions africaines à défendre correctement leurs propres intérêts.
Qu'en est il des patrimoines écologiques des autres pays africains et quelles sont les stratégies nationales où régionales en la matière ? Ces questions feront l’objet de la suite de cet article.
Djamal Halawa
Source des illustrations: The economic value of virunga national park, WWF 2013