Peinture rupestre en Afrique : et si la première salle de cinéma était une grotte ?

peinture rupestre cinema
Peinture rupestre Bushman, Namibie.
Parler de peinture rupestre à notre époque revient à évoquer des peintures plus ou moins approximatives, des silhouettes d’hommes et d’animaux peints à même la roche des grottes de Lascaux, d’Amérique latine ou d’Afrique du Sud. Il est rare que l’on aborde ces oeuvres "primitives" autrement que comme la tentative de l’homme du paléolithique de rendre compte de son environnement. Pourtant, ceux qui ont observé cet art avec attention se sont aperçus qu’il était tout autre chose, de bien plus surprenant : une forme de récit évolutif. L’art rupestre, ancêtre du cinéma ?

Regarder en marchant

La première fois que j’ai entendu évoquer cette hypothèse, j’assistais à la présentation de projets innovants au domicile d’une Brésilienne férue de nouveautés. Benjamin Rassat, journaliste et réalisateur, nous a alors proposé de poser un regard nouveau sur les grottes peintes comme à Lascaux : « Il faut les visiter la nuit, avec une lampe torche. On avance pas à pas, éclairant à chaque pas les parois avec la lampe, et le récit d’une bataille épique, d’un exploit de chasse, ou d’un voyage, vous est raconté image par image. J’imagine les hommes de cette époque, un flambeau à la main, parcourant la grotte avec à leur suite un groupe d’enfants ou d’adultes qui regardent et écoutent le récit, comme nous allons au cinéma aujourd’hui. ».

Ce n’est pas tant le fait que les hommes du Paléolithique furent conteurs autant que chasseurs qui est étonnant ; c’est le fait qu’ils aient utilisé l’image comme instrument de récit, pour accompagner la parole. En cela, ils ne diffèrent guère de nos réalisateurs contemporains, si ce n’est qu’à la place des rochers et des grottes nous utilisions l’écran, à la place de la torche nous utilisions des projecteurs, et qu’au lieu de marcher nous restions assis.

Leroi-Gourhan et les symboles mouvants

André Leroi-Gourhan, anthropologue controversé des années 40, a longuement évoqué cette possibilité.

En étudiant l’art paléolithique de la graphie sur les parois des cavernes, il constate un fait : sur un dessin ou une peinture, les animaux sont placés selon une logique précise, prenant en compte une place qu’ils ont pu occuper, soit dans le quotidien des personnes, soit, plus intéressant, dans le récit qui a donné naissance au dessin.

En effet, dans plusieurs cavernes, on peut constater un schéma de ce type : bisons et chevaux au centre, bouquetins et cerfs sur les bords du cadre, lions et rhinocéros à la périphérie. Le placement nous force à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une représentation accidentelle d’animaux de chasse, mais d’autre chose qu’une écriture ou un tableau. Il s’agit, pour Leroi-Gourhan*, d’un récit que l’on a conservé par un symbole matériel sur un objet matériel. Les dessins évoluent avec le récit : « derrière l’assemblage symbolique des figures a forcément existé un contexte oral avec lequel l’assemblage symbolique était coordonné et dont il reproduit spatialement les valeurs » (LG, Le geste et la parole, P. 273-274, fig 92 et 93).

Cela n’est pas sans rappeler le couple évolutif récit-graphie que l’on retrouve dans les dessins sur le sable des Chokwe en Angola, que les travaux de Paulus Gerdes* ont permis de mettre en avant. Ou, plus récemment, hormis le cinéma, nos pésentations Powerpoint et nos murs sur Pinterest…

De quoi regarder avec un œil nouveau nos ancêtres et notre rapport au temps et au progrès : et si le progrès n’était rien d’autre que la répétition par l’homme des mêmes actions, mais avec des matériaux différents selon les civilisations?

Pour aller plus loin : 

  • André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, 1983, Albin Michel. 
  • Paulus Gerdes, Une tradition géométrique en Afrique : les dessins sur le sable, L’Harmattan, 1995

Art contemporain africain au Dak’Art 2016 : coups de coeur

Dak'Art 2016-Art contemporain africain : L'homme clous d'Alexis Peskine


L'homme-clous, d'Alexis Peskine

Pour les amateurs d’art contemporain africain et les artistes, la Biennale de l’Art – Dak’Art est un événement important à inscrire dans les agendas. Ayant lieu tous les deux ans dans la capitale sénégalaise, elle s’étale sur un mois, trente jours durant lesquels Dakar vibre au rythme de la création artistique. Instituée en 1989 par l’Etat du Sénégal (avec une seule édition dédiée aux Lettres en 1990), elle aura pour volet l’art contemporain deux ans plus tard, en 1992, avant de se tourner définitivement vers la création africaine contemporaine en 1996. Sans faire ma chauvine (sisi un peu quand même !), le Dak’Art subsiste vingt – six ans encore, bon an mal an, car c’est l’un des seuls événements ayant lieu en terre africaine qui met à l’honneur les créateurs africains. 

Petite, je ne me rendais pas compte qu’une telle manifestation se tenait dans nos murs. Je passais devant la galerie nationale, qui se situait à quelques encablures de mon ancien collège, en jetant un œil distrait à ce lieu brillamment éclairé et empli de tableaux. Mais en grandissant, j’ai pris la mesure de cet événement de haute facture. Son logo, créé par feu Amadou Sow, peintre, sculpteur et artiste graphique sénégalais, subit à chaque édition une légère modification, mais la trame reste la même.

L’édition 2014 m’avait trouvée en sol sénégalais, et lorsque ma venue au pays a coïncidé avec l’édition 2016, je me suis dit que décidément j’étais bénie des dieux !

 

Réenchanter la ville

Avec comme thème le réenchantement, la 12ème édition du Dak’Art avec comme commissaire Simon Njami, enchante les innombrables visiteurs qui prennent d’assaut les « OFF » dispersés aux quatre coins de la capitale.

"La cité dans le jour bleu", l’exposition phare du Dak’Art, est la première que j’ai visitée. Installée dans l’ancien palais de justice, sis au Cap Manuel, haut lieu symbolique de la vie politique du Sénégal post – indépendance, mais dans un état de décrépitude avancé, regroupe une palette de créations répondant au thème choisi sous fond bleu, pour coller au thème. Salles d’audience réenchantées en galeries d’art, le lieu est méconnaissable et fait peau neuve.

Art contemporain africain - Dak'Art 2016 : trône des dictateurs déchus
Le trône des dictateurs déchus – Dak'Art 2016 – crédits photo Ndeye F. Kane
Homme-clous et souvenirs de dictature 

Au rez – de – chaussée, l’on tombe sur un portrait grandeur nature fait à partir de clous d’un homme qui vous fixe et semble vous suivre du regard à mesure que vous vous déplacez dans l’édifice. Ce portrait, œuvre de l’artiste Alexis Peskine, continue dans la lignée de la création personnelle de l’artiste : l’acupeinture, où les clous, le bois, et la peinture sont mixés pour donner un mélange éclectique. En traversant la cour du bâtiment, l’on accède par une porte mitoyenne à une grande salle où trône un trône recouvert de velours rouge et surmonté d’un aigle doré … Le trône d’un empereur, dirait – on. L’artiste Fabrice Monteiro invite le visiteur à une réflexion autour des dérives du pouvoir. Des hauts-parleurs distillent des bribes de discours de dictateurs déchus tels que Mobutu, Idi Amin Dada … En partant, le visiteur peut laisser quelques mots dans le livre d’or intitulé ‘Vox Populi’ (la voix du peuple) …

A part l’ancien Palais de Justice, l’exposition qu’a proposée l’artiste Pascal Nampémanla Traoré a largement valu le détour. Sise dans une cour en plein centre-ville dakarois et intitulée Daily Report, elle est essentiellement faite de dessins sur papier journal. Le journal, cet élément faisant partie intégrante de nos vies et qu’on jette une fois « consommé », à savoir lu. Pascal lui donne une seconde vie et nous pousse à voir d’un œil nouveau ce support de lecture. Masques, dessins, portraits sont habilement réalisés dans un savant mélange d’encre et de café. L’artiste réussit un coup de maître dans son « café de l’info » au goût doux-amer.

Art contemporain africain - Dak'Art 2016
Galerie Antenna – crédits photo Ndeye F. Kane
L'or du temps 

La Galerie Antenna n’a pas été en reste dans cette programmation du Dak’Art 2016. Située en plein centre-ville dakarois, à quelques encablures du palais présidentiel, elle a offert une intéressante programmation sous le signe de l’or du temps. Papi, jeune artiste sénégalais dont les tableaux revêtent un délicat liseré doré, a exposé ses tableaux dans la galerie. Portraits (notamment du célèbre photographe Malick Sidibé), scènes de vie, tableaux à thèmes ont constitué l’essentiel de sa production mise à disposition chez Antenna. Maud Villaret, jeune artiste française travaillant autour du wax à travers sa marque Toubab Paris, a aussi exposé ses créations dans la galerie. Colliers, broches, bracelets, véritables œuvres d’art mixées avec du jean, des pierres Swarovski pouvaient être admirées dans la galerie. Comme quoi, la galerie ce n’est pas uniquement des peintures et des sculptures !

 

L'art au secours de l'Histoire

Rufisque, ville située à 25 km au sud-est de Dakar, est une localité empreinte d’Histoire(s). Ancienne commune de plein exercice du temps de la colonisation au même titre que Dakar, Gorée et Saint – Louis, elle est dans un état de délabrement avancé. Les édifices coloniaux, vieux de plusieurs décennies, n’ont jamais été restaurés ou même remplacés. Boubacar Touré Mandemory, photographe issu de la ville, mène depuis longtemps un combat de sensibilisation pour la sauvegarde de ce patrimoine historique. Pour les besoins du Dak’Art, il s’est entouré d’un collectif de jeunes photographes. Avec l’appui de la fondation Sococim, les photographies sont exposées au Centre culturel Maurice Guèye et redorent le blason de cette vieille ville qui a vu passer d’illustres hommes tels que le romancier Abdoulaye Sadji.

Ces quelques expositions visitées ça et là à travers Dakar constituent l’essentiel de mes plébiscites pour le Dak’Art 2016. Pour le moment … Car il faut bien que le réenchantement dure encore longtemps, pour coller au thème de cette biennale 2016 !

Congo RDC : loin des conflits, la peinture qui relie

Photo de l'exposition Paroles de Femmes à la Maison des Métallos, Paris.
Kushiripa. Coywright Matthieu Lombard

La première fois que j’ai entendu parler de peinture Kushiripa, c’était avec Manon Denoun, doctorante en anthropologie. Elle s’est penchée sur cette pratique qui consiste, entre le Congo Kinshasa et le nord de la Zambie, à agrémenter les façades des maisons avec des ornements divers. Ce qu’elles ont de particulier ? Elles sont une vitrine sur plusieurs mondes, elles sont différentes d’un village à l’autre, et surtout, elles cristallisent des relations. Entretien.

Une pratique domestique avant tout

Les décorations murales comme la peinture sont un phénomène assez répandu. On pourrait se demander en quoi celles de Mudenda, en Zambie, de Makwacha et de Calcielo, au Congo Kinshasa, sont particulières. Certaines de ces créations murales ont donné lieu à une exposition à la Maison des Métallos de Paris*, en mars 2014. On pouvait y voir, entre autres, des références à l’industrie pétrolière, des fleurs, des références à la bande dessinée. Une forme de résistance face à la mondialisation et au climat électrique qui règne dans la capitale du Congo Kinshasa ?

Manon Denoun n’est pas de cet avis : Je n’inscrirais pas ces pratiques dans la résistance. C’est  quelque chose de  propre à chaque village, c’est  le but de ma recherche. La première raison d’être de ces décorations est  domestique : à Calcielo, il y a quelques années, ce sont les habitants qui payaient un artisan pour réaliser des tableaux dans leurs maisons. En période pérenne, ils sont preneurs d’artisans. J’insiste sur la dimension domestique, qu’il ne faut pas sous-estimer ; c’est un foyer, on l’agrémente.

S'inscrire dans la mondialisation

Alors il s’agit probablement d’une manière de s’approprier les aspects de la mondialisation. Et cependant, il semble que chaque village, dans cette région de la Copperbelt, cultive son propre style :

MD : J’ai trouvé qu’il y avait des styles qui se renforçaient dans chacun des villages. On peut observer des bases et des motifs récurrents : les fleurs reviennent souvent, même si elles ne sont pas dessinées de la même manière. Des citations bibliques, des imprégnations Rastafari, de la part des jeunes qui font de la musique, et se projettent dans un idéal d’humanité  « peace and love ». Bob Marley  apparaît de temps à autre sur les façades.

Mais alors, comment cette pratique purement domestique s’est-elle retrouvée à la Maison des Métallos ? Les habitants ont-ils décidé d’exporter leur art ?

MD :  Le propre de ces décorations, c’est que c’est public, c’est une offrande aux passants. Parce que Makwacha est en bord de route, pas mal de voitures passent par cet axe. Il s’avère qu’un jour le directeur du centre culturel français de Lumumbashi est passé par cet axe routier, et s’est arrêté pour rencontrer les habitants. Une sorte de partenariat est né avec un collectif artistique de Lumumbashi, qui se sont mêlés aux habitants de Makwacha, et de ces échanges sont nées de plus en plus de décorations murales, travaillées par ces rencontres. A Makwacha, la décoration des maisons reprend beaucoup d'éléments figuratifs.

Faire tomber les clivages 

Exposition Paroles des femmes, Maison des Métallos, mars 2014.
Femme devant peinture murale. Copywright Picha

D’ailleurs, la plupart des œuvres exposées étaient réalisées par des femmes.. De quoi titiller la fibre féministe chez certaines d’entre nous, moi y compris. Très vite, l’idée d’une pratique artistique d’abord exclusivement féminine, sorte de revendication d’un espace propre aux femmes, me traverse l’esprit. Encore une fois, la réalité du terrain vient nuancer mes emportements :

MD : Si la pratique est principalement féminine, c’est parce qu’elle renvoie au soin de la maison, de l’habitat, chose traditionnellement dévolue à la femme. J'ai également rencontré des   hommes qui habitaient seuls et prenaient prennent plaisir à illustrer et enjoliver leur habitat.

Cette exposition au monde, cette ouverture artistique, n’ont-elles pas altéré, en quelque sorte, l’authenticité des oeuvres ?

MD: Je suis contre le procès d’intention concernant la production, cette sorte de clivage entre ce qui serait authentique et ce qui serait altéré. De manière subjective, je dirais que certaines choses sont très jolies… il est vrai que d'autres me paraissent vouloir plaire de manière trop évidente aux visiteurs. Des personnes sont sensibles et désirent encourager certains talents : reconnaître la dimension marchande ou l'influence d'une forme de mécénat n'enlève rien à la qualité et au plaisir associés à ces décorations. C'est une manière plus saine, à mon avis, d'aborder la question.

Poursuivez le voyage sur le blog de Manon Denoun.

* Cette exposition présente pour la première fois au public français l’art mural du village de Makwacha au sud de la province du Katanga en République démocratique du Congo (RDC).

A voir en Zambie : Le Moto Moto Museum, où sont conservées des traces de la pratique Kushiripa dans le cadre d’un rituel.