Un balcon sur le Nil

Habiter sur une péniche au Caire, c’est souvent le rêve ultime de tout expat’ désireux de mener une vie de bohème paisible et de s’isoler un peu du vacarme ambiant et de la pollution. Oui, mais seulement voilà, derrière la vision idyllique d’une vie sur le Nil, se cache la réalité quotidienne.

La plupart des péniches au Caire se situent près de la place Kit Kat, à Imbaba. La place étant accessoirement une station de minibus, le niveau de décibel rivalise avec celui de l’aéroport, sans compter que le trafic sur la corniche est toujours dense, sauf bien sûr le vendredi matin. Imbaba est un quartier populaire du Caire, qui fait face à Zamalek, île bourgeoise où se concentrent ambassades, expatriés, et familles égyptiennes fortunées. Le Nil sépare donc ces deux zones bien différentes, et c’est côté Imbaba que sont amarrées une dizaine de péniches. Ces dernières sont dans un plus ou moins bon état, selon le bon vouloir du propriétaire.Certaines péniches sont fraîchement repeintes, meublées avec goût, avec parquet et joli balcon, d’autres sont plus rustiques, et rafistolées avec des planches en bois. Une des péniches a d’ailleurs brûlé l’année dernière. Maalesh (pas grave), l’étage vient d’être reconstruit, avec de jolies planches. Ces péniches, « awamat » en arabe, sont en fait dépourvues de moteur, et disposent de toutes les commodités de la vie moderne: électricité, eau courante, téléphone fixe et satellite TV. Seule la bonbonne de gaz dénote la différence avec un appartement “en dur”.

Parmi les joies de la vie sur une péniche, outre la vue incroyable sur le Nil, on peut citer l’impression de tranquillité et la sensation d’être en dehors de la ville, un sentiment d’évasion bien agréable dans cette ville polluée et bruyante. En revanche, les désagréments sont tout aussi nombreux: une chaleur étouffante l’été (climatiser une péniche est aussi efficace que climatiser son balcon), la visite de nombreuses bestioles indésirables (cafards, fourmis géantes, rats, lézards, moustiques) et puis un léger sentiment d’insécurité: rien de plus facile que de cambrioler une péniche en venant du Nil !

Les péniches étaient initialement habitées par des intellectuels ou des artistes, désireux de mener une vie plus libre et de s’affranchir du regard moralisateur de la société. Elles abritaient aussi des cabarets au début du 20ème siècle (dont le célèbre cabaret Kit Kat, qui a donné son nom à la place) et d’autres lieux de débauche. L’écrivain égyptien Naguib Mahfouz décrit d’ailleurs cette ambiance dans son roman Dérive sur le Nil. Progressivement, crise du logement au Caire oblige, les péniches ont été habitées par des familles désireuses de trouver un logement plus abordables. L’engouement des étrangers pour ce type de logement exotique a fait flamber les prix, et la quasi totalité des péniches de Kit Kit sont désormais habitées par des Européens ou Américains en quête d’un logement original.

Malgré tous les désagréments du quotidien, vivre sur une péniche, ne serait-ce que quelques semaines, reste une expérience unique, d’autant que les péniches disponibles se font très rares.

Leïla Morghad

Vous pouvez suivre les pérégrinations de Leïla au Caire sur son blog : cairoinshallah