Qui sont les chefs d’Etat les plus populaires et les plus impopulaires d’Afrique ?

L’une des difficultés pour l’analyste du champ politique africain est de mesurer la popularité réelle des dirigeants auprès de leurs concitoyens. Une batterie d’indicateurs performatifs existent déjà, notamment des indices de bonne gouvernance ou de performance économique. L’équipe Terangaweb a elle-même mené une classification de chefs d’Etat à qui il faut dire dégage, sorte de classement des mauvais élèves africains, en retenant comme principal critère la longévité anormale ou l’autoritarisme confirmé ou supposé des dirigeants africains. Mais la démocratie ne s’est jamais résumée à des performances économiques ou de « bonne gestion ». Or, les sondages d’opinion, qui sont progressivement devenu l’oxygène de la scène politique des pays développés, non sans que ce phénomène suscite des critiques, sont quasiment absents de la scène publique africaine. Cette absence s’inscrit dans un déficit plus large de statistiques en Afrique.

Dans ce contexte, on ne peut que saluer l’entreprise de la société de sondage d’opinion américaine Gallup, l’un des leaders mondiaux du secteur, qui a mené en 2011 une enquête dans 34 pays africains sur la question : « Approuvez-vous ou désapprouvez-vous la performance gouvernementale de votre président (ou Premier ministre) ? » Les résultats de cette enquête ont été récemment rendus publics. Que disent-ils ? Le moins que l’on puisse dire est que ces résultats surprennent. Tout d’abord, le taux de satisfaction est très élevé. 26 des 34 chefs d’Etat bénéficient d’un taux de satisfaction de leur action de plus de 50%. Parmi eux, Paul Biya, Blaise Compaoré, Denis Sassou Nguesso, Mswati III, autant de piliers du classement Terangaweb des mauvais chefs d’Etat. Gallup explique ces résultats par le contexte favorable de l’année 2011 et plus largement des dix dernières années, qui se caractérise par le retour de la croissance économique (+5% en moyenne) et par une amélioration relative des conditions de vie des populations par rapport aux années précédentes.

Approval of country leader in 34 African countries

Face à ces résultats, le premier réflexe est de questionner la méthodologie et donc la « scientificité » de ce sondage. Gallup précise que son questionnaire a été soumis à 1000 personnes âgées de 15 ans et plus dans chacun des 34 pays. Les entretiens ont été réalisés de face à face, parfois dans des langues locales pour être sûr de toucher un panel représentatif de la région. Gallup reconnaît toutefois n’avoir pas pu accéder à certaines régions pour des questions de sécurité, ce qui réduit la représentativité des opinions collectées, d’autant plus qu’on peut supposer que les zones avec des problèmes sécuritaires ont une moins bonne opinion du pouvoir central. Gallup estime la marge d’erreur de ses sondages entre 3,3 et 4,3%. Comment expliquez dans ces conditions la bonne côte d’opinion des Biya et autres Sassou ? On peut, si l’on veut continuer à douter de la crédibilité du sondage, supposer que les sondés se méfient des sondeurs et que leur opinion est une réponse de sécurité, de peur de déplaire à des interlocuteurs dont on ne connait pas la proximité avec le pouvoir central. Mais personne n’est en mesure de quantifier l’impact de ce biais d’opinion, qui peut très bien être dérisoire.

Ce sondage est peut être aussi le reflet d’une société civile insuffisamment critique vis-à-vis de ses dirigeants. Comme le précise le tableau, Barack Obama bénéficie d’une côte de confiance dans son action de 50%, quand Andry Rajoelina est à 70% (alors que son gouvernement ne peut rien faire depuis 3 ans parce que toutes les vivres lui ont été coupées et que le processus de réconciliation politique est bloqué), François Bozizé à 84% (alors que la situation de la Centrafrique ne prête pas à l’euphorie). On peut expliquer cela par le fait que le niveau d’attente des citoyens africains est sensiblement inférieur à celui des citoyens dans les démocraties occidentales. La peur des crises, des guerres et de la gabegie généralisée étant tellement ancrée qu’on en vient à se féliciter de la stabilité, quand bien même celle-ci signifie stagnation et qu’elle est le produit d’un système sclérosé. Le haut niveau de popularité des chefs d’Etat africains est sans doute également un révélateur du rapport différent à l’autorité, une posture plus critique étant adoptée en Occident, de nombreux citoyens africains témoignant peut être plus de respect vis-à-vis des détenteurs du pouvoir de l’Etat.

Enfin, que dire du lauréat du classement ? Pierre Nkurunziza n'est pas le premier nom qui vient en tête lorsque l'on souhaite évoquer les dirigeants qui font avancer l'Afrique. La situation du Burundi est loin d'être rose. Mais quoi qu'on pense du personnage, le gouvernement de Pierre Nkurunziza représente une certaine forme de stabilité dans l'histoire récente du pays. Le président burundais symbolise aussi une nouvelle forme de leadership : jeune, sportif, proche des gens, à l'écoute des campagnes, remarquable politicien de terrain, il joue d'une certaine forme de populisme qui trouve incontestablement un écho favorable dans les campagnes vallonnées du Burundi. On notera l'absence dans ce sondage d'un autre leader de la région des grands lacs, Paul Kagamé. Il aurait été intéressant d'avoir un indicateur de la popularité réelle du président rwandais.

Quant au dernier du classement, Eduardo Dos Santos, on ne s'étonnera pas de lui voir porter le bonnet d'âne. La rapacité de l'homme est connue. Les Angolais ne peuvent plus le supporter. Le système politique angolais étant ce qu'il est, cela ne devrait pas empêcher le MPLA de remporter les prochaines élections, et Dos Santos de prolonger son règne pour 5 ans encore. Un signe que les sondages ne font pas encore la pluie et le beau temps des espaces politiques africains.

Emmanuel Leroueil

En photo : Pierre Nkurunziza, président du Burundi, chef d'Etat africain le plus populaire selon le sondage de Gallup.

Burundi : une Nation qui joue avec le feu

L’Afrique des Grands Lacs a souvent fait l'actualité au cours des dernières années, et trop souvent pour les mauvaises raisons (Génocide au Rwanda et guerre dans l’Est du Congo notamment ). Les conflits et drames qui l’ont frappée ont marqué les esprits et nul doute que ces traces sulfureuses resteront longtemps encore dans les mémoires. La géopolitique de cette partie du continent est cependant dynamique et la donne change progressivement (stabilité et “miracle” économique rwandais, fragile retour a la normale au Congo orientale ).

Comparativement à ses deux voisins que sont le Congo et le Rwanda, le Burundi fait rarement les gros titres de l'actualité internationale et les grands médias semblent peu s’y intéresser. On pourrait en conclure que le pays est relativement épargné par les fléaux qui ont si durement frappé les pays limitrophes (tensions ethniques, génocide, conflits inter-étatiques, pillage des ressources naturelles). Ce serait néanmoins pécher par empressement, ignorance et naïveté que d’en arriver à cette conclusion. La faute sans doute à une illusion d’optique qui, en focalisant les regards sur l’ampleur des tragédies rencontrées ailleurs dans la région des Grands Lacs, aura insidieusement éludé les propres drames du Burundi, moins spectaculaires mais plus durables. Et qui sont toujours latents dans l’actuelle configuration politique du pays. “L'abcès” burundais n’a jamais complétement crevé comme chez ses voisins et le processus de putréfaction est toujours à l'œuvre, ignoré du plus grand nombre et sans possibilité immédiate de catharsis.

L'impasse de la situation politique actuelle

Le dernier soubresaut en date fait suite aux élections législatives et présidentielles de l’été 2010. L'opposition, unie face au président Pierre Nkurunziza, décide de boycotter ces deux scrutins et de pratiquer la politique de la chaise vide. Calcul stratégique déplorable dans un système pourtant conçu de telle manière que la mutualisation du pouvoir, et donc son partage, soit obligatoire. Validées par les observateurs internationaux, les élections ont été un succès technique, mais un désastre politique. Le processus électoral n’était pas terminé que les principaux dirigeants de l'opposition se réfugiaient à l’étranger ou prenaient le maquis (c'est le cas d'Agathon Rwasa, dirigeant des Forces nationales de libération [FNL], premier parti d'opposition). La violence n'a depuis cessé de s'amplifier (le massacre récent de Gatumba venant compléter la longue série macabre des attaques par des éléments "rebelles"). Dans un pays sortant d'une guerre civile larvée qui aura perduré plus d'une décennie (1993-2005), ce contexte exécrable peut être lourd de conséquence pour l'avenir. Dans une récente tribune (intitulée "Au Burundi, les symptômes de la rechute") parue dans l'hebdomadaire Jeune Afrique (numéro 2656), Thierry Vircoulon, directeur Afrique centrale d'International Crisis Group dressait un tableau sombre de la situation politique actuelle du pays. Et terminait sur une note menaçante : " Tout le monde est prévenu. Le feu est en train de couver dans le sous-sol de la maison Burundi et il pourrait facilement embraser les maisons voisines". Les observateurs attentifs de l'histoire du pays ne pourront que reconnaitre la validité de cette présente menace qui pèse sur le Burundi.

Une histoire contemporaine mouvementée

Le Burundi et le Rwanda ont plus que des points communs. Mêmes ethnies (hutus, tutsis, twas), un État-Nation centralisé de part et d'autre et antérieur à l’arrivée des premiers européens, une langue unique pour chaque pays (Kirundi au Burundi et Kinyiarwanda au Rwanda) et une même foi ancestrale en un Dieu unique (Imana), mêmes colonisateurs (allemand, puis belge), même politique néfaste avant l'accession aux indépendances (notamment sous l’ère coloniale belge qui en favorisant la minorité tutsie pratiquait le "diviser pour mieux régner", source de bien des frustrations dans la majorité hutue) et même climat délétère de tensions consécutives.

Après l’indépendance en 1962, l'aristocratie tutsie parviendra à conserver le pouvoir au travers de l'action de son parti politique (UPRONA), force dominante à l’échelle de tout le pays et les mouvements défendant les revendications hutues seront le plus souvent mis de côté. La monarchie ne sera abolie qu'en 1966 et les régimes successifs de Micombero, Bagaza et Buyoya tenteront, souvent de bonne foi mais en vain, d'apaiser les exigences de la majorité hutue tout en préservant le subtile équilibre permettant la conservation des acquis de la minorité tutsie. Sans même parler de sa préservation physique ; l'exemple rwandais ayant montré que la majorité hutue arrivée au pouvoir avait cherché à se venger des tutsis désormais déchus de leur précédente hégémonie. Meilleure garante de l'ordre et de la stabilité du statut quo, l’armée burundaise aura longtemps été une chasse gardée tutsie. Seul moyen avéré de pouvoir prévenir toute tentative de déstabilisation qui pouvait aller à l'encontre de ses intérêts, si ce n'est de sa survie. Mais ce dispositif défensif n'a cependant pas empêché des massacres inter-ethniques de grandes ampleurs tout au long de l'histoire contemporaine du pays (1965, 1969, 1972, 1988, 1991, 1993). Le scenario est toujours le même : les populations hutues, instrumentalisées par les partis extrémistes, se mettent a attaquer leurs concitoyens tutsis. L'ampleur des tueries est telle que l'on pourrait parler à bon droit d'une volonté génocidaire dont la conclusion n'a pu être menée à son terme qu'en raison de l'intervention décisive de l’armée. Cette dernière exerce alors le plus souvent une répression impitoyable et meurtrière qui contribue à figer les groupes ethniques de la société burundaise en ennemis irréductibles.

En 1993, le président Pierre Buyoya (leader du parti historique UPRONA) organise les premières élections pluralistes dans le pays. Il perd la présidentielle face au candidat du FRODEBU (Front pour la Démocratie au Burundi) le hutu Melchior Ndadaye. Celui-ci est assassiné peu après par des éléments conspirateurs de l’armée. Le pays s'embrase et les massacres contre les tutsis reprennent de plus belle. L'armée réagit de nouveau très violemment. C'est le début d'une guerre civile impitoyable qui durera plus d'une décennie, ponctuée de quelques épisodes saillants (mort accidentelle du président Ntaryamira, coup d’État de Buyoya en 1996, accord d'Arusha en 2000, partage progressif du pouvoir, montée en puissance politique du mouvement rebelle du CNDD-FDD) et qui fera plus de 300.000 morts .

Pierre Nkurunziza, président du Burundi

Le CNDD-FDD, dirigé par Pierre Nkurunziza, s'impose progressivement comme la principale force politique au cours d'une série de batailles électorales. Les victoires successives de ce parti majoritairement hutu sont en elles-mêmes la preuve éclatante de la recomposition du paysage politique après douze années de guerre civile, et mettent un terme au long tête-à-tête entre l'UPRONA et le FRODEBU. Nkurunziza est élu président en août 2005 et son accession à la tête de l’État a suscité de grands espoirs. En donnant le pouvoir aux anciens rebelles qui avaient été la cause de tant d’instabilité, une majorité de burundais a probablement espéré instaurer une paix durable. Mais ce pari initial et optimiste sur l'avenir semble aujourd'hui tourner court. Et les élections de 2010 n'ont au final que cristallisé les différents opposants du CNDD-FDD aux autres groupes hutus (PALIPEHUTU-FNL notamment) qui se sentent lésés et délaissés dans la nouvelle configuration politique. La recrudescence de la violence est depuis manifeste et elle va s'amplifiant. La courte accalmie des dernières années semble de plus en plus menacée. Certes, cette tension latente ne signifie pas que le pays a déjà basculé dans une situation de guerre. Mais elle dénote néanmoins avec acuité un contexte de passions qui pourraient s'embraser rapidement. Le Burundi doit veiller à ne pas jouer avec le feu.

L'économie en berne

Cette précarité de la situation socio-politique se répercute sur les fondamentaux économiques du pays. Il ne pourra en effet prétendre à une croissance forte et soutenue aussi longtemps que son environnement politique sera instable. Et en dépit des encouragements des institutions internationales qui dressent un bilan positif des progrès enregistrés au cours des dernières années en matière de gouvernance économique (discipline budgétaire, libéralisation du commerce extérieur), le Burundi reste l’un des pays les plus pauvres du monde (au dernier rang mondial pour le PIB par habitant selon les données du FMI en 2010). L’économie reste basée sur une agriculture de subsistance et la principale source de devises provient des exportations de café et de thé, deux productions très sensibles aux aléas climatiques et aux variations de cours sur les marchés mondiaux. Le budget est financé pour plus de moitié par l’aide extérieure (300 millions de $ par an en moyenne), ce qui rend la marge de manœuvre quasi-inexistante et la moindre réduction significative de cet apport peut avoir de fâcheuses conséquences. L’espérance de vie reste peu élevée et les deux tiers de la population ne mangent pas a leur faim.

En définitive, après un demi-siècle d’indépendance, le Burundi se cherche toujours. Tiraillé de toutes parts par des passions antagonistes meurtrières qui l'ont souvent mené au bord du précipice. Aujourd'hui, une fois encore, le pays connait des regains de tension qui pourraient faire basculer les circonstances et rouvrir la boite de Pandore des démons du passé. C'est un sérieux avertissement qui ne saurait être éludé, notamment par la communauté internationale qui a si souvent détourné les yeux et bouché les oreilles s'agissant du Burundi.

 

Jacques LEROUEIL