Comment la Côte d’Ivoire compte financer son Plan National de Développement ?

presidentAu cours de la première semaine de décembre 2012, s’est tenue à Paris une réunion du Groupe Consultatif sur le financement du Plan National de Développement de Côte d'Ivoire. Cette réunion a vu la participation du Chef de l’Etat de ce pays accompagné d’une forte délégation ivoirienne qui comptait pas moins de 7 ministres. La majeure partie des organismes de financement internationaux (BM, BAD, Banque Islamique du Développement, etc..) ont aussi participé à cette rencontre. Il est utile ici de donner quelques chiffres de ce Plan National de développement sur la période 2012-2015 afin de présenter le contexte et l’objectif de cette réunion. Le tableau ci-dessous montre le plan d’investissement tel que programmé.

PND

En clair la Côte d'Ivoire a planifié des investissements qui, s’ils sont réalisés, permettraient au pays de devenir un pays émergeant à l’horizon 2020, selon l’expression consacrée par le Chef de l’Etat. Ainsi il est prévu 11 076 milliards FCFA d’investissements dont 4 644 milliards FCFA d’investissements publics. La mobilisation des investissements privés n’est pas l’objet de ce papier. La communication gouvernementale martèle qu’un important travail est abattu par le Chef de l’Etat dans ce sens, notamment lors de ces nombreux déplacements à l’étranger. Gageons que ce très intense lobbying porte ses fruits.

Ainsi pour les investissements publics, l’Etat ivoirien estime pouvoir dégager 2079 milliards FCFA en mobilisant les ressources internes sur la période 2012-2015. Le but de cette réunion était donc de rechercher auprès des bailleurs de fonds le financement (Aide Publique au développement) afin de combler la différence entre l’estimation (4644 milliards FCFA) et les ressources propres (2079 milliards FCFA). Cette différence s’élève à 2566 milliards FCFA. Des conclusions de cette réunion, il ressort qu’au lieu de 2566 milliards FCFA demandés par la CI, les bailleurs de fond internationaux ont promis de dégager des lignes de crédit de l’ordre de 4 319 milliards, soit environ 2 fois la somme demandée.

Au-delà de l’émotion entretenue autour du sujet et des vuvuzela de service sortis pour la circonstance, il est bon maintenant de poser quelques questions de fond dont les réponses éclaireraient les ivoiriens dans le but d’avoir un débat constructif sur le sujet : Que fera l’Etat de CI du surplus de crédit qu’il est possible d’utiliser ? Va-t-il l’utiliser ? Si oui, continuera t-il à mettre en place les réformes nécessaires à la mobilisation des ressources internes initialement prévues à cet effet ? Une fois ces sommes récoltées, à quelles dépenses seront-elles maintenant affectées ? Dans le cas où il est décidé d’utiliser la totalité de ces lignes de crédit, à combien s’élèverait la dette de la CI ? Les critères de convergence de l’UEMOA (notamment celui relatif au niveau de la dette par rapport au PIB), seront-ils respectés ? N’est-il pas souhaitable de n’utiliser ces sommes que pour les besoins identifiés aujourd’hui, soit 2566 milliards FCFA ?

Les différentes chapelles de la scène politique nationale doivent comprendre que les Ivoiriens ont le droit, eux aussi, d’avoir des débats de qualité sur des sujets aussi importants pour la destinée de la Nation. Au lieu de cela, aux violences et au culte de la personnalité servis par les supporters du Chef de l’Etat actuel, les partisans de l’ex-Chef de l’Etat répondent par des invectives et des incantations telles que « Gbagbo ou rien ». La stratégie du pouvoir actuel d’éviter tout débat contradictoire peut se comprendre, l’irrationalité de certains choix pourrait être mise à nue. Mais celle de l’opposition significative est assez trouble. Certes, battre le pavé des capitales européennes (surtout par ce temps hivernal) pour réclamer la libération de l’ex Président et se répandre dans les médias pour dénoncer la violence quotidienne constituent des éléments de la stratégie de reconquête pacifique du pouvoir mais celle-ci ne doit pas se cantonner à cela. L’opposition significative doit donner aussi aux ivoiriens son analyse sur les choix qui engagent l’avenir du pays. Elle doit pousser les tenants du pouvoir actuel à un débat sain et argumenté sur ces grands sujets. Et à notre humble avis, la conclusion de cette conférence rentre dans ce cadre.

Au delà de l’opération de communication, au demeurant réussie, de la part du gouvernement ivoirien, un débat constructif autour de ces questions permettrait à la fois d’éviter un nouveau surendettement du pays et de repenser la doctrine socialiste en Afrique.

 

Stéphane Madou