Que faut-il faire pour réduire le secteur informel ?

L’accroissement de la taille du secteur informel en Afrique pose le problème de la capacité des Etats à disposer des recettes fiscales nécessaires pour répondre aux énormes défis de développement. En dépit des stratégies de politiques publiques mises en œuvre jusqu’aujourd’hui, la taille du secteur informel continue d’augmenter. Il est donc grand temps d’adopter de nouvelles stratégies qui s’attaquent aux causes plutôt qu’aux conséquences de ce phénomène.

De façon générale, le secteur informel regroupe l’ensemble des activités économiques qui échappent à l’administration fiscale. Elles sont différentes des activités de contrebande qui s’exercent en dehors du cadre légal comme le trafic de stupéfiants. Avec plus 50% du PIB selon les estimations[1], le principal enjeu du secteur informel en Afrique réside dans le manque à gagner qu’il crée pour les recettes fiscales de l’Etat. Ce manque à gagner entrave la capacité de l’Etat à mettre en place des politiques publiques destinées à organiser la migration vers le secteur formel. Ainsi le secteur informel semble entretenir ses conditions d’existence. Face à ce cercle vicieux, la question qui se pose est de savoir s’il faut l’éradiquer ; et si oui, comment ?

Quoique la question est souvent éclipsée par la multitude d’urgences sociales et économiques de divers ordres, il n’en demeure pas moins qu’elle resurgit chaque qu’il est question de la soutenabilité des recettes fiscales, de l’organisation économique du marché, ou de la promotion des politiques de protection sociale dans les pays en développement. Ainsi, la plupart des pays Africains, notamment en Afrique de l’Ouest envisagent sérieusement des politiques appropriées pour réduire le poids du secteur informel dans l’économie nationale. Principalement, deux solutions sont envisagées.
D’une part, certains pays, comme le Bénin qui dispose d’un important secteur informel de la distribution des produits pétroliers, choisissent la chasse aux acteurs du secteur informel. Ainsi, des opérations de déguerpissement sont organisées pour détruire les boutiques de fortunes installées au bord des artères ou pour chasser les vendeurs à la sauvette. En dépit de ces opérations ponctuelles, les capitales économiques sont toujours occupées par un nombre de plus en plus important de travailleurs du secteur informel.
D’autre part, partant du fait que les travailleurs du secteur informel font preuve d’esprit d’entreprenariat face aux défaillances du secteur formel, certains pays privilégient la mise en place de politiques d'accompagnement comme par exemple le microcrédit, la micro-assurance, …, pour promouvoir la productivité du secteur et assurer des conditions de travail décentes aux travailleurs. Ces politiques sont notamment soutenues par la plupart des institutions internationales œuvrant dans le domaine du développement[2]. Cependant, il n’existe pas d’évidences suffisantes sur leur efficacité. La plupart des études empiriques qui évaluent ces politiques n’ont pas trouvé d’impact sur les flux vers le secteur formel[3].

Face à ces défaillances, une nouvelle approche de gestion du secteur informel s’impose. Elle se fonde sur l’idée qu’il est important d’éradiquer le secteur informel en s’attaquant aux causes plutôt qu’aux conséquences. La plupart des politiques citées plus haut s’attaquent aux conséquences du secteur informel plutôt qu’à ses causes. Dès lors, elles risquent de renforcer la croissance du secteur. En effet, l’existence du secteur informel caractérise le niveau de développement économique d’un pays et son évolution dépend de facteurs qui entravent une croissance économique endogène. Dès lors, les stratégies de mise en œuvre des politiques qui visent le secteur informel devraient chercher à lever les obstacles au développement des secteurs primaires et secondaires des économies nationales. A cette fin, l’importation massive de biens et services doit être remplacée par la production et la transformation au niveau local. Une récente étude de la Commission Economique des Nations Unions pour l’Afrique fait le parallèle entre l’accroissement du secteur informel et la libéralisation grandissante des échanges internationaux.

Il ne s’agit pas de pratiquer du protectionnisme, mais plutôt de s’atteler à développer les secteurs agricole et manufacturier. Le potentiel de développement de ces secteurs pourvoyeurs d’emplois formels est bien établi par le volume des importations qui vont sans cesse croissantes. La formation professionnelle et l’emploi des jeunes devraient être la priorité et non la promotion de politiques sociales destinées à entretenir le secteur informel sans aucune contrepartie, ni perspective dès lors que ces politiques ont tendance à encourager l’informalité comme le souligne l’article de Aterido et ali. cité précédemment. La seule enquête harmonisée sur le secteur informel conduite en Afrique de l’Ouest et dont un rapport a été publié par l’UEMOA[4] montre que le temps moyen de travail hebdomadaire est d’environ 47 heures avec un salaire horaire de 337 francs CFA. Ainsi, le temps de travail est plus important dans le secteur informel que dans le formel. De même, le salaire horaire est 5 à 10 fois plus faible que dans le secteur formel. Même en cas d’ajustement des salaires à la baisse suite à un passage au formel, les salaires dans le secteur formel restent attractifs et peuvent inciter des travailleurs du secteur informel à migrer vers le formel si des politiques macroéconomiques de création d’emplois et de formation professionnelle sont effectivement mises en œuvre.

En définitive, le secteur informel constitue un enjeu de développement majeur pour les pays en voie de développement, particulièrement en Afrique. Face à l’accroissement de sa taille, il est grand temps qu’une nouvelle approche soit adoptée. Celle-ci doit se départir à la fois de la répression des travailleurs du secteur et de l’assistance qui leur ait accordée pour se focaliser sur les stratégies de création d’emplois et de formation professionnelle. La mise en œuvre de telles stratégies conduira au rétrécissement du secteur sans qu’aucune politique ciblée ne soit nécessaire. Il y va de la capacité de l’Etat à disposer des ressources fiscales suffisantes pour répondre aux énormes défis de développement qui se posent.
 

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] Voir l’article de Friedrich Schneider sur le poids de l’économie informelle.

 

[2] Voir l’article suivant du site dédié au partenariat entre l’Afrique et l’Europe.

[3] Voir : Aterido, Reyes & Hallward-Driemeier, Mary & Pagés, Carmen, 2011. "Does Expanding Health Insurance Beyond Formal-Sector Workers Encourage Informality? Measuring the Impact of Mexico's Seguro Popular," IZA Discussion Papers 5996, Institute for the Study of Labor (IZA).

 

 

[4] L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) regroupe les huit pays francophones de l’Afrique de l’Ouest qui partagent une monnaie commune, le franc CFA.

 

 

 

 

 

Quelle politique de l’emploi au Sénégal dans un contexte d’accroissement démographique ?

Le Sénégal compte douze millions d’habitants dont la moitié a moins de 17 ans. Près de deux Sénégalais sur trois sont âgés de moins de 25 ans et l’espérance de vie à la naissance est de 59 ans. A ce rythme, l’effectif total double à chaque quart de siècle. L’accroissement naturel rapide et la jeunesse de la population sont caractéristiques d’un phénomène majeur : le processus de la transition démographique. A cause d’une natalité élevée et d’une mortalité en baisse, le Sénégal se situe dans la première phase de cette transition. Au cours de cette étape, les besoins en termes d’éducation, de santé, d’emploi et de consommation en biens et services croissent de manière vertigineuse. Pour un gouvernement, un faisceau de difficultés variées peut s’en suivre. C’est la raison principale pour laquelle certains qualifient de « bombe démographique » cette augmentation de la population. A l’opposé de cette position, d’autres perçoivent l’accroissement comme un « bonus démographique ».

Demande sociale, démographie et politique de développement : un jeu de mirage

Quand la population augmente, assurer les services sociaux de base devient plus compliqué. En effet, lorsque la prestation est gratuite ou fortement subventionnée, les habitants du territoire sont des usagers publics. Dans un contexte privé, ces usagers se transforment en clients. Si une clientèle en pleine croissance est une opportunité d’affaires, l’augmentation des usagers publics constitue par contre une lourde charge financière pour l’Etat, surtout quand ces derniers ont des revenus faibles. Sous l’éclairage de cette dichotomie, il apparaît que la démographie représente à la fois un goulot d’étranglement et un levier puissant, en fonction de la vision des hommes et des femmes devant animer le moteur du développement socio-économique. Avec une fécondité évaluée à cinq enfants par femme, le moment du choix a sonné pour le Sénégal. Subirons-nous les conséquences désastreuses de la « bombe démographique » ? Capitaliserons-nous les avantages avérés du « bonus démographique » ?

Les perspectives de l’évolution de la demande dans les secteurs de la vie économique et sociale du Sénégal apportent une clarification sur l’envergure des enjeux. En réalité, l’augmentation de la population engendre une hausse continue de la demande dans plusieurs domaines : eau potable, électricité, soins de santé, services éducatifs, emploi, logements, etc. Tant que la progression de la satisfaction adéquate de ces besoins fondamentaux n’est pas capable de supporter, voire absorber, le taux d’accroissement moyen annuel de la population, le gap risque de se creuser. Autrement dit, si un effort W est fourni pour réaliser un résultat R en une année t, il faudra pour l’année t+1 multiplier W par un facteur (au moins supérieur à 1) pour obtenir un résultat supérieur ou égal à R. A l’image d’un jeu de mirage, cette réalité joue souvent des tours aux décideurs politiques des pays en pleine transition démographique. En effet, pendant qu’ils se vantent du bilan positif d’une année et négligent la complexité des impératifs futurs, la situation se détériore l’année suivante parce que tout simplement il aurait fallu consentir beaucoup plus d’efforts que l’année précédente pour, au moins, maintenir le score vanté! Sous ce rapport, entre 2000 et 2011, la hausse significative des investissements dans les domaines de l’éducation, la santé, l’électricité et l’assainissement fut salutaire en ce sens que ces niveaux n’ont jamais été atteints auparavant. Cependant, la comparaison temporelle basée uniquement sur les enveloppes budgétaires ne peut être gage de satisfaction car l’ampleur de la demande est significativement différente : la population sénégalaise est passée de 6,8 millions d’habitants en 1988 à 9,8 millions d’habitants en 2002, avant d’atteindre 12,5 millions en 2010. Qui plus est, les coûts unitaires spécifiques des projets ont varié, pour plusieurs raisons.

Pression démographique et marché local de l’emploi

En 2010, la population sénégalaise potentiellement active était évaluée à 7,3 millions d’individus. En moyenne, il y a eu, chaque année, 202.000 demandeurs potentiels d’emploi entre 2002 et 2010. A ces effectifs, il faut ajouter les émigrants sénégalais diplômés, travaillant à l’étranger et qui désirent regagner leur pays. Les ressources financières de l’Etat et le nombre de postes à pourvoir étant limités, la fonction publique ne peut absorber tout ce capital humain. De plus, les entreprises en activité sur le territoire national ne sont pas non plus en mesure de satisfaire les demandes d’emplois qui ne cessent de croître, sous l’effet de la croissance démographique. On pourrait citer beaucoup de chiffres – parfois contestables – sur l’emploi et le chômage. En fonction des sources, le taux combiné de chômage et de sous-emploi variait entre 30 et 49% en 2010. Mais, au-delà de l’aridité des multiples indicateurs, la finalité porte sur la survie et le bien-être d’êtres humains vivant en famille.

Actuellement, lancer de « grands chantiers d'infrastructures à haute intensité de main d’oeuvre » semble constituer, en termes d’orientations budgétaires, la tendance majeure et la solution préconisée par l’Etat pour poser les jalons de l’émergence économique et, parallèlement, résoudre l’équation du chômage. Il est fréquent d’entendre les politiques promettre la création de milliers d’emplois générés par des grands travaux publics. Toutefois, ce discours porteur de promesses alléchantes ne parvient pas à soulager les populations, compte tenu des effets d’entraînement trop faibles. En réalité, avec le recours systématique aux importations, l’économie sénégalaise fait tourner des PME et PMI étrangères qui fabriquent la quasi-totalité des intrants de construction des infrastructures importés par les attributaires des marchés publics, ramollissant ainsi les potentialités industrielles nationales. Il en découle une nette altération de l’effet multiplicateur keynésien qui est pourtant une logique de base pour le lancement des grands travaux publics en période de morosité économique. Ainsi, dans ces conditions défavorables, l’apport intrinsèque des grands chantiers est fortement discutable car les emplois supplémentaires créés sont largement insuffisants par rapport au potentiel, en plus d’être le plus souvent temporaires, peu qualifiés ou précaires. Tout au plus, cette pratique peut, dans le court terme, augmenter les recettes douanières, sous réserve que les exonérations négociées ne soient pas trop importantes. Dans le long terme, la livraison des infrastructures, reconnaissons-le, peut avoir des effets positifs sur l’économie nationale.

Jusqu’à présent, l’Etat multiplie les initiatives de lutte contre le chômage. Le nombre d’institutions publiques créées et mandatées pour la promotion de l’emploi a dépassé la dizaine. Avant de se prononcer sur la volonté de bien faire, il est impératif de décrier leur foisonnement institutionnel parce que l’offre nationale d’emploi est largement inférieure à la demande annuelle estimée à plus de 200.000. Une question fondamentale mérite d’être posée. Peut-on aider un individu à trouver un emploi qui n’existe pas dans le système dans lequel il vit, sans paraître comme un vendeur d’illusions ? Libre à chacun de se faire sa philosophie !

Par ailleurs, en 2011, le taux d’émigration des diplômés de l’enseignement supérieur sénégalais est évalué à 17,7% par la Banque Mondiale. En 2006, 51,4% des Sénégalais titulaires de Doctorat ont émigré. La diaspora sénégalaise a envoyé, rien qu’à travers les circuits formels (banques, sociétés de transfert d’argent et poste), 594,9 milliards de francs CFA en 2010. Ce montant est supérieur aux droits de douane encaissés (422,2 milliards de francs CFA en 2010), aux impôts directs (339 milliards de francs CFA en 2010) et aux dons reçus par l’Etat (161,9 milliards de francs CFA en 2010). En d’autres termes, même loin du territoire national, la diaspora paie un lourd tribut aux conditions de vie des Sénégalais. Toutefois, l’émigration de quelques membres de la famille ne suffit pas pour préserver la dignité humaine soutenue par l’occupation d’un travail décent. De plus, dans le moyen terme, la situation économique des pays d’accueil laisse présager une forte variabilité des transferts des émigrés. La viabilité de l’émigration, comme facteur de développement, paraît donc compromise.

En définitive, les acteurs du processus de développement doivent fédérer leurs énergies afin de faire bénéficier au Sénégal un bonus démographique. Il est temps d’inviter les Sénégalais à entreprendre massivement dans des domaines à forte valeur ajoutée, en dehors de la commande publique (marchés ou contrats de l’Etat). C’est le prix à payer pour créer une masse critique de PME et de PMI, capable d’embaucher et de conquérir des marchés locaux, régionaux et internationaux. Dès lors, le changement de mentalités est devenu une nécessité au même titre que l’application stricte des principes de bonne gouvernance.

Khadim Bamba

bh-sn2012@hotmail.fr

NDLR : Les statistiques citées proviennent de la publication officielle : Situation économique et sociale du Sénégal en 2010, Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie – ANSD, décembre 2011. Cette version est la plus récente.

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