Comment pérénniser la nouvelle embellie économique africaine ? (I) : Agir sur la monnaie

L'Afrique se trouve pour la première fois en passe de changer son rôle dans l'économie mondiale et d'améliorer réellement le sort de ses habitants. Les taux de croissance que connaît le continent depuis près d'une décennie et son attractivité retrouvée sur les marchés internationaux sont autant de raisons d'espérer. S'y ajoutent les progrès réalisés en termes de gouvernance et de gestion des ressources naturelles. Pourtant, les signes de fragilité persistent. Des réformes doivent encore être mises en oeuvre pour consolider cette croissance. Dans cette suite d'arguments, l'économiste Sénégalais Sanou Mbaye revient sur quelques unes de ces réformes. La première : améliorer les politiques monétaires sur le continent, lui redonner son indépendance monétaire.


Pour la première fois, depuis un demi-siècle, l’Afrique est en passe de célébrer  un renversement des rôles. Le continent est le deuxième moteur de la croissance économique mondiale après l’Asie. Depuis 2000, les pays d’Afrique subsaharienne ont connu une croissance moyenne située entre 5 % et 7 %. Durant la récession mondiale de 2009, l’Afrique et l’Asie ont été les deux seules régions du globe où le produit national brut (PNB) s’est accru. En 2010, le continent est le deuxième moteur de la croissance économique mondiale après l’Asie.

Parmi les principaux facteurs derrière le renouveau du paysage africain on peut compter : les investissements directs étrangers (IDE), les transferts des émigrés, l’aide publique au développement (APD),  l’entrée en scène des pays émergents  et l’urbanisation alimentée et énergisée par l’émergence d’une classe moyenne et l’éclosion de la jeunesse. Le potentiel agricole et environnemental africain et un cadre politique progressivement démocratique sont également des réserves de croissance.

Consolider les acquis

0820_moodys-sp-fitch_380x278Pour mobiliser les fonds nécessaires aux  investissements massifs requis particulièrement dans l’agriculture, l’énergie et les infrastructures, les gouvernements africains, les sociétés publiques et privées auront  recours de plus en plus aux  emprunts sur les marchés des capitaux nationaux, régionaux et internationaux. La vingtaine de bourses africaines existantes ne pèsent au total que 2% dans la capitalisation boursière mondiale. Mais, fusionnées en une seule, elles se placeraient au quinzième rang mondial.

Plusieurs pays ont désormais reçu le sésame qui leur donne accès aux marchés financiers : le « rating » ou la notation financière qui leur a été attribuée par les agences de « rating ». Cette note s’est révélée, dans la plupart des cas, supérieure ou égale à celle de nations aussi industrialisées que la Turquie, le Brésil ou l’Argentine.

Il est admis qu’en mettant exclusivement l’accent sur la rentabilité et le profit, les investissements financés par des fonds privés encouragent les transferts de technologie et de compétence et favorisent la productivité et la compétitivité. La meilleure façon pour l’Afrique d’en tirer parti pour financer son vaste programme d’investissement sera  de continuer à renforcer ses systèmes bancaires, de développer ses marchés de capitaux et de mettre en place un cadre réglementaire approprié et un code d’investissement attractif. L’objectif doit être de faire que les flux de capitaux privés qui représentent actuellement 5% de ressources extérieures nécessaires aux pays africains passent au moins à 70%  dans l’avenir.

Endettement public et fuite des capitaux

Mais tout désirable que puisse être l’accroissement des flux financiers en direction du continent, il serait bon d’en orienter le débit pour financer en priorité des investissements productifs à moyen et long terme et non des placements spéculatifs à court terme. En effet, il ne sert à rien de mobiliser des ressources si c’est pour les voir s’exiler après s’être fructifiées. La CNUCED estime à 400 milliards de dollars le montant de la fuite des capitaux d’Afrique depuis les années 1970. La fuite des capitaux africains trouve ses origines dans le paiement des intérêts et de l’amortissement des dettes de l’APD; dans l’adjudication à des firmes étrangères de la quasi-totalité des contrats financés par ces dettes ; dans l’exemption de droits de douane, de taxes et d’impôts dont jouissent les biens et services financés par les Institutions financières internationales ; dans la détérioration des termes de l’échange (le différentiel entre les prix des biens manufacturés importés par les pays de la région et ceux des matières premières exportées par ces mêmes pays) ; dans les opérations spéculatives ; le libre transfert des profits réalisés sur place ; les réserves de change bloquées sur des comptes à l’étranger ; dans la propension des élites à exiler leurs capitaux et dans le détournement des recettes d’exportation, particulièrement celles du pétrole et les prébendes. Selon les estimations de la Banque Mondiale, entre 20 et 40 milliards de dollars placés sur des comptes en France, en Suisse, au Royaume-Uni ou dans différents paradis fiscaux proviennent des pots-de-vin payés à des dirigeants corrompus de pays pauvres, notamment ceux d’Afrique.

La priorité doit donc être donnée à la mise en place de politiques de contrôle de change pour favoriser l’investissement productif, juguler les opérations spéculatives et freiner la fuite des capitaux. Pour ce faire, il s’agira de renverser les mesures initiales de dérégulation et de libéralisation auxquelles les économies africaines ont été assujetties depuis des décennies à travers les programmes d’ajustement structurel des institutions de Bretton Woods – Fmi et Banque mondiale. Les Etats doivent recouvrer la pleine jouissance de leur rôle de planificateur et de régulateur du processus de transformation et de modernisation de leurs économies 6. Il s’agira notamment d’adopter des taux de change réalistes de manière à se constituer une ligne de défense dans la « guerre des monnaies » que se livrent les grands pays industrialisés à l’instar des Etats-Unis et des pays européens, et ceux en processus d’industrialisation accélérée comme le Brésil, la Chine ou la Corée du sud par exemple. Ils s’évertuent tous à intervenir sur le marché des changes pour maintenir au plus bas le niveau de leurs taux de change afin d’accroitre leurs échanges extérieurs et de revigorer la croissance de leurs économies.

Les parités irréalistes de taux de change

A cet égard, il fFranc_CFA_billet_3audrait éviter des parités irréalistes de taux de change. Ce problème est particulièrement d’actualité dans les pays de la Zone Franc qui ont le franc CFA comme monnaie commune. La politique de change de cette monnaie est du ressort du Trésor français. Contre le dépôt d’une partie de leurs réserves, leur monnaie commune,  le Franc CFA est librement convertible, à l’inverse de toutes les monnaies des pays émergeants ou en voie de développement à l’exception du rouble russe qui n’est convertible que depuis 2006. A l’aube des  indépendances le dépôt exigé était de  100 %. Il a été réduit à 65% en 1973, puis plafonné à 50% depuis le  mois de septembre 2005.

Le franc CFA est arrimé à l’euro à un taux de change fixe surévalué contrairement aux autres monnaies dont les cours sont non seulement flottants mais également maintenus au niveau le plus bas possible. La convertibilité permet aux firmes françaises et aux élites de transférer librement les fortunes qu’elles engrangent et un franc CFA fort les prémunit contre les dépréciations monétaires courantes.

Il importe de rappeler que cette convertibilité si chèrement payée est restreinte à l’euro et que le libre transfert du franc CFA est circonscrit à la France consécutivement au régime de contrôle de change qu’elle a fait mettre en place en 1993. Les francs CFA émis par les pays d’Afrique de l’ouest et ceux d’Afrique centrale ne sont même pas interchangeables. Les pays de la zone franc, bien que partageant une monnaie commune, ne commercent pas ensemble du fait des barrières douanières qu’ils ont érigées entre eux. Les conséquences désastreuses de la politique de change adoptée par les pays de la Zone Franc se mesurent à leur environnement économique impropre au développement. Leurs économies sont à la traine comparées à celles des autres régions du continent. Une mesure immédiate consisterait à mettre fin aux distorsions liées à la surévaluation du taux de change en abrogeant dès à présent la convertibilité, la libre transférabilité et le taux de change fixe du franc CFA.

Le meilleur cadre pour la mise en place des mesures devant viser à favoriser l’investissement et le commerce est celui de l’union.  Dans toute stratégie d’intégration politique, économique et monétaire, la priorité doit être donnée à la création d’unions régionales douanières et de zones de libre-échange pour faire du commerce et des investissements intra régionaux le premier levier de croissance économique pour le développement de la région. Il ne s’agit pas seulement de signer des accords et d’adopter sur le papier un tarif extérieur commun. Il importe de s’armer de la volonté politique de les rendre effectifs. L’intégration régionale ouvre la voie à un cadre d’échanges et d’investissement plus large et favorise les investissements et les échanges  intra régionaux. L’ouverture régionale  est la première étape sur la longue route du développement et du progrès.

 

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