Une amie, enfin une…, bref une connaissance, me reprochait, il y a quelques jours, un « intellectualisme aérien qui savait tout de même être concret parfois ». (Oui, je n’ai rien compris non plus).
Et le lendemain, j’apprenais qu’un jeune conseiller de Macky Sall considère Terangaweb, au mieux comme un enfantillage, un conglomérat d’enfants gâtés aptes à rédiger en français, et au pire une vile perte de temps sur fond d’intellectualisme abstrait.
Enfin, j’ai répondu ce week end à une invitation du Cercle diplomatique de l’Université de Dakar pour communiquer sur un thème, dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de l’OUA. De nombreux intervenants, après le rituel qui consistait à chanter les louanges des « Pères fondateurs » Kenyatta, Lumumba, Nkrumah, se lançaient dans de violentes diatribes contre « l’Africain ». Vous avez remarqué que le raccourci vers le fameux « l’homme africain » de Sarkozy n’est peut être pas loin.
Tour à tour, j’ai entendu que « l’Africain » était « hypocrite », « n’aimait pas son prochain », était « fainéant », « bordélique »… J’avoue que c’était saoulant à la fin.
Mais ce sont des inepties essentialistes qui ne valent vraiment pas que l’on s’y arrête trop longtemps. En revanche, un argument faisait aussi quelque peu l’unanimité, et il est important celui-là. En effet, j’ai, tout le week end, écouté les gens dire que nous (toujours les Africains) étions tout le temps dans le bavardage, le discours, sans aucune action concrète sur le terrain.
Au-delà de la fausseté de cet argument qui est devenu de fait un épouvantail à sortir pour tout et n’importe quoi, il est intéressant tout de même de s’y intéresser.
D’abord, ma conviction est que toute action politique doit être pensée et discutée, en un mot théorisée. Vous imaginez la victoire des alliés en 1945 sans les longues réunions nocturnes des stratèges des différents Etats-majors ?
Avez-vous une fois conçu l’adoption du Statut de Rome sans des centaines d’heures de discussions sur un alinéa ou une toute petite virgule ?
Il faut parfois sortir du fétichisme du concret qui prend les allures d’un activisme ridicule et sans impact aucun sur les populations africaines.
La question de l’unité du Continent est tellement sérieuse qu’elle ne peut faire l’objet d’activisme et de mouvements stériles sans grande réflexion à la base sur l’essence même de ce que nous voudrions réaliser.
Il est évidemment exclu de partir tout de go aujourd’hui vers une union symbolique qui serait l’exacte copie de ce syndicat de Chefs d’Etat que nous pourfendons.
Etre concret, c’est aussi parler et décliner une opinion sur sa vision de notre dessein commun en tant qu’Africains.
Etre concret, c’est transmettre des valeurs et des convictions qui iront au-delà des langues, des pays, des continents et des croyances et convictions.
Que serait Obama sans le fameux discours post-racial de Philadelphie ? La France aurait su être mobilisée en juin 1940 sans l’appel de "la France Libre" lancé de Londres par le général De Gaulle ? Le discours de Cheikh Anta Diop au Caire en 1974 a indéniablement et concrètement constitué un grand moment dans la lutte pour la valorisation de l’identité nègre.
La cause palestinienne a pris une tournure nouvelle avec les mots de Yasser Arafat devant l’Assemblée générale des Nations Unies en 1974.
Et c’est d’abord uniquement par la parole que Mandela a réussi à poser la première pierre dans l’édification d’une Afrique du Sud post Apartheid, dans un magistral discours le 10 mai 1994.
Enfin, surtout qu’il convient de ne point nier trop hâtivement notre passé. Djibril Tamsir Niane a montré la place qu’occupe la parole dans nos sociétés. La figure du griot, gardien des traditions certes, mais pas simplement, car gardien aussi des valeurs et de la mémoire collective, occupe dans Soundjata ou l’épopée mandingue une place prépondérante. A la limite, la mort de Balla Fassaké serait quasiment plus problématique que la disparition du souverain, car il est dépositaire d’un savoir et d’une histoire pluriséculaires.
Sur un plan beaucoup plus perso, pense t-on parfois à ces travailleurs chétifs qui pullulent dans les couloirs des administrations et des entreprises avec comme seule force la plume ?
Ils sont en effet nombreux, en Afrique, ceux qui ne sont ni athlète ni agriculteur, mais qui survivent en écrivant. Oui, il y a des gens qui sont payés pour écrire, analyser, discourir et qui pourtant demeurent tellement concrets…
Qu’ils soient à Terangaweb ou ailleurs, ils existent, ces intellos aériens et tellement utiles…C’est aussi pour cela que j’écris pour ce site.
Hamidou Anne