Au-delà de l’énergie solaire : la méthanisation et sa portée économique en Afrique

La méthanisation est un processus de décomposition des matières perissables par des bactéries permettant de générer une énergie renouvelable appelée, le biogaz. Les composantes du procédé se distinguent en deux types : les effluents liquides et les déchets solides organiques. Sont classés dans les effluents liquides, les eaux résiduaires, les effluents d’élevage, les boues biologiques et les effluents agroalimentaires. Quant aux déchets solides organiques, ils comprennent les déchets industriels, les déchets agricoles (substrats végétaux solides, déjections d’animaux) et les déchets municipaux (journaux, déchets alimentaires textiles, déchets verts, emballages, sous-produits de l’assainissement urbain).  Le passage en revue de ces composantes permet de déduire que la méthanisation est un procédé qui favorisera l’assainissement des villes africaines. Cependant, parallèlement aux gains écologiques évidents, quels sont les avantages économiques que peuvent tirer les pays africains d’un tel procédé ?

 

L’élevage : de l’autonomisation alimentaire à la production énergétique

 

L’Afrique est paradoxalement exportatrice nette de produits d’élevage alors même que sa population est en partie touchée par la malnutrition (Figure 3). En effet,  selon la FAO, une personne sur quatre souffre de sous-alimentation (déficience en calorie) en Afrique Sub-saharienne et  43% de la population, soit près de la moitié, vivent dans l’extrême pauvreté[1]. Certes il faut tenir compte des préférences des consommateurs, mais il faut aussi noter que l’ignorance des avantages de l’élevage par les consommateurs joue un rôle déterminant dans leur choix. Si l’on porte l’analyse sur la consommation, on peut tout simplement estimer que l’élevage permettrait aux ménages, surtout les plus démunis, de faire des économies sur leurs dépenses et de s’assurer dans le même temps une suffisance alimentaire. A cet avantage, peuvent s’ajouter de potentielles retombées issues de la vente des produits d’élevage.

La troisième finalité de l’élevage est celle de l’utilisation des défections des animaux comme composante pour la méthanisation et la production d’énergie, sachant que la production énergétique d’une unité de méthanisation traitant 15000 tonnes/an de déchets permet de garantir l’électricité de 1300 logements[2]. Selon la Banque africaine de développement, plus de 640 millions d’africains n’ont pas accès à l’énergie, soit un taux d’accès supérieur à 40%. L’élevage serait donc un moyen d’assurer à la fois l’auto-suffisante alimentaire en Afrique, l’autonomie financière des ménages et l’autonomie énergétique des zones rurales. Notons également que l’énergie est en elle-même un gage de développement, de création d’emplois et par conséquent, de réduction de la pauvreté.

 

La méthanisation pour une croissance de la production agricole en Afrique

 

Bien que la proportion d’agriculteurs ait baissé au cours du 20ème siècle dans toutes les régions du monde, l’agriculture reste le premier pourvoyeur d’emploi en Afrique, avec 52% de la population, soit plus de la moitié, employés par le secteur agricole[3].  L’agriculture occupe toujours une part très importante dans le PIB[4] des pays africains. Au Tchad et en Sierra Leone, par exemple, le secteur agricole représentait respectivement 52,6% et 54%, soit plus de la moitié, du PIB de chacun deux pays en 2014 (World Development Indicators).

Si la méthanisation permet une production énergétique,  les résidus du processus, appelés « digestat », peuvent être recyclés sous forme d’engrais. Ces engrais permettraient d’augmenter la productivité, ainsi que la production agricole. Notons qu’il ne s’agit pas ici de fonder le développement sur l’agriculture mais de raisonner dans le court terme en partant du postulat que, si le revenu des individus dépend de l’agriculture, alors toute augmentation de la production agricole engendrera une hausse du revenu des agriculteurs, toutes choses égales par ailleurs.  Le processus permettra également aux pouvoirs publics de baisser les coûts liés aux achats et subventions d’engrais et de consacrer les lignes budgétaires dédiées à ces achats à d’autres secteurs tels que l’éducation, la santé et les infrastructures.

 

Recommandations : encourager et assurer le développement de la méthanisation en Afrique

 

Bien que très peu développée, la méthanisation se pratique déjà dans certains pays d’Afrique. En Afrique du Sud, Elgin fruit utilise les pulpes de fruit, extraits du processus de production de jus, pour produire 500 kW d’électricité renouvelable[5]. Au Kenya, l’usine de biogaz de Power tropicale est capable de produire 2,6 MW d’électricité à partir des matières agricoles.  Il existe également des sources naturelles de biogaz en Afrique. Comme exemple, on peut citer la production naturelle du biogaz dans le lac Kivu au Rwanda et en République Démocratique du Congo (RDC).  On note également l’existence de certaines formes de production de biogaz dans des sites miniers d’Afrique du Sud.

Un autre avantage du biogaz est qu’il peut être substitué au gaz naturel, utilisé pour la production de chaleur et de carburant pour véhicules. Pour les pays non pétroliers d’Afrique, la méthanisation permettrait donc de réduire leurs importations de pétrole, ce qui permettrait de faire d’importantes économies.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hamed Sambo

 

 

Sources


[1]http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2015/10/16/africa-gains-in-health-education-but-numbers-of-poor-grow

 

 

[2]http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/methanisation

 

 

[3]http://www.momagri.org/FR/chiffres-cles-de-l-agriculture/Avec-pres-de-40%25-de-la-population-active-mondiale-l-agriculture-est-le-premier-pourvoyeur-d-emplois-de-la-planete_1066.html

 

 

[4] Produit Intérieur Brut

 

 

 

[5]https://www.clarke-energy.com/fr/2015/le-potentiel-biogaz-en-afrique/

 

 

Taxi ? Taxi ! Retour sur une success story au Caire

Au Caire, impossible de les éviter. Khaled Khamissi en a même fait un livre intitulé « Taxi » paru en 2009, où il relate les conversations qu’il a eues avec les chauffeurs de taxi lors de ses déplacements quotidiens. Seulement voilà, à cause (entre autres) des quelques 50 000 taxis qui circulent dans le Grand Caire, l’atmosphère  était devenue irrespirable. L’Etat a alors lancé un ambitieux programme de remplacement de taxis, appuyé par les bailleurs de fonds. Retour sur les différentes phases du projet et premières conclusions.

En 2008, est lancé le Plan national de remplacement de Taxis en Egypte. La ville qui sera désignée pour le projet pilote est l’agglomération du Caire, où les véhicules de transport urbain sont responsables de près de 90% des émissions au monoxyde de carbone. Plusieurs bailleurs de fonds soutiennent alors le projet : la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, l’agence de développement japonaise JAICA , l’Union européenne, ainsi que des fonds du Golfe. Il était urgent d’agir : la pollution au Caire devenait maximale, le nombre de véhicules étant en constante augmentation et plus prosaïquement, la productivité des travailleurs était impactée négativement , avec des temps de transport atteignant souvent deux heures par jour.

La première phase du projet  a consisté à remplacer les taxis du Caire datant de plus de 20 ans par des véhicules neufs. Le parc de taxis est en effet ancien en Egypte, avec une ancienneté moyenne de 32 ans, et plus de 60% des véhicules qui ont plus de 22 ans. Les chauffeurs de taxi, sur la base du volontariat, ont pu acquérir un nouveau véhicule avec une réduction de 25% sur le prix habituel et bénéficier d’une subvention publique et d’exonération de taxes. Un microcrédit de 7000 € à un taux raisonnable (7%) était proposé pour convaincre les plus réticents. L’objectif affiché était de remplacer près de 45 000 taxis  sur une période de 28 ans.  L’opération a été un succès : en 2009, près de 16 000 nouveaux véhicules avaient été livrés, et les données parlent d’elles-mêmes : réduction de 57 000 tonnes de CO2 et 30% d’économies d’essence. Lors de la deuxième phase du projet, 30 000 véhicules vont être remplacés, pour répondre à une forte demande, stimulée par des conditions d’accès au crédit très incitatives.

Au-delà des impacts directs et visibles de tous comme la réduction de la pollution et l’amélioration du trafic,  le projet comporte également des impacts indirects significatifs sur le long terme. La population ciblée est non seulement les chauffeurs de taxi eux-mêmes, mais aussi et surtout leurs familles, et les propriétaires des taxis possédant des véhicules de plus de 20 ans d’âge, dont au moins la moitié sont des femmes.  Les estimations de la BAD faisaient état d’une hausse du revenu moyen de 40% à l’issue du projet  grâce aux économies d’essence réalisées , à l’usage de gaz naturel au lieu d’essence, et à la baisse des frais d’entretien du véhicule. Le projet visait également à créer des emplois grâce au recyclage des anciens véhicules par des filières locales, mais également grâce à la construction des nouveaux véhicules : embauche d’ouvriers sur les sites de montage automobile, chez les fournisseurs de pièces détachées et chez les garagistes .

Au niveau des financements, le coût total du projet se chiffre à 270 millions de dollars. La BAD a contribué à hauteur de 90 millions de dollars via un prêt, le reste étant financé par le gouvernement Egyptien. Les prêts aux propriétaires de taxi sont octroyés par la Banque Sociale Nasser, une banque publique égyptienne. La subvention versée par l’Etat (660 €) à chaque propriétaire participant au programme doit être impérativement utilisée comme acompte du prêt, et afin de dissuader emprunteurs de ne pas honorer leur dette, la banque reste propriétaire du véhicule jusqu’au remboursement complet du prêt.

S’il est encore tôt pour dresser un bilan définitif du projet, force est de constater que ce méga projet  a tenu ses promesses en termes de véhicules remplacés  et de réduction de la pollution urbaine. Il suffit de se promener dans les rues du Caire pour constater que la plupart des anciens taxis, noir et blanc, omniprésents il y 5 ans, sont désormais en minorité. Les passagers des taxis ont également gagné en tranquillité : les nouveaux taxis blancs sont tous équipés d’un compteur , qui s’il n’est pas trafiqué et que le chauffeur accepte de l’enclencher, évite de négocier le prix de la course à l’infini.

Evidemment, la pollution du Caire n’a pas disparu, alimentée par les millions de véhicules qui parcourent la ville quotidiennement. Mais un projet d’une telle ampleur montre qu’il est possible d’agir à grande échelle et durablement : le projet sera d’ailleurs dupliqué à Alexandrie, deuxième ville du pays, et d’autres pays arabes (Maroc, Yemen) ont fait part de leur intérêt vis-à-vis d’une initiative de ce genre. D’autres projets de ce type sont actuellement en cours en Egypte, comme le remplacement de la flotte des bus publics. Le président élu cette semaine, qui avait fait des embouteillages au Caire un de ces axes de campagne, devra honorer ses promesses.

 Leïla Morghad