Qui pour diriger la Banque Mondiale ?

Robert Zoellick, l’actuel Président de la Banque Mondiale n’a pas sollicité un second mandat et quittera ses fonctions en Juin, soulevant ainsi de nouveau la question délicate de la direction des institutions de Bretton Woods  (la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International). En effet, le choix du Président de la Banque Mondiale est un enjeu de taille pour les pays sous-développés ou en développement qui, dépendent fortement des politiques de la Banque.

68 ans de statu quo

La Banque Mondiale a été créée en 1944 pour la reconstruction d’après guerre et pour le développement mondial. Ces dernières décennies, sa mission principale a été de réduire la pauvreté et de s’assurer que les politiques de développement soient respectueuses de l’environnement et socialement équitables. Dès la création de la Banque, John Meynard Keynes insiste sur la nécessité que cette institution (ainsi que le FMI) ait de bons dirigeants sous peine de « tomber dans un sommeil éternel ». Les politiques ont tendance à vanter la méritocratie dans le choix des dirigeants jusqu’à ce qu’un poste stratégique soit disputé. Dès lors, ils reviennent immédiatement à un bras de fer politique et par la même occasion, contredisent tout leur argumentaire sur les principes d’égalité, de souveraineté et de méritocratie. C’est exactement le cas pour la sélection des responsables de la BM et du FMI. En raison d'une «tradition» qui remonte à la fondation de ces organisations  un Américain a toujours servi comme président de la BM (11 présidents jusque là) et un européen comme directeur général du FMI. Pas un seul de ces présidents n’était un expert du développement économique  ou de la lutte contre la pauvreté  (la mission première de la Banque). En lieu et place, les États-Unis ont choisi à chaque fois des banquiers de Wall Street et des politiciens, sans doute pour s'assurer que les politiques de la Banque restent favorables aux intérêts politiques et commerciaux américains.

De vives voix s’accordent sur le fait que ce système doit changer. Mais les forces qui perpétuent le statu quo – la résistance européenne et américaine à céder ces instruments politiques qui sont les leurs et la passivité des pays émergents – restent puissantes, comme l’illustre le choix  de Christine Lagarde pour diriger le FMI l’année dernière. En cette année d’élection présidentielle aux Etats Unis, il est peu probable que les choses changent. Un non-américain à la tête de la Banque Mondiale, signifierait pour les républicains détracteurs d’Obama une fragilité de leadership de la part du Président américain.

Mais si les pouvoirs du statu quo ne cèdent pas le contrôle, le système de financement de la Banque établi par Bretton Woods sera de plus en plus fragmenté. Un pays comme la Chine sera renforcé dans sa conviction que faire cavalier seul est la meilleure option, avec des conséquences néfastes sur les échanges multilatéraux. Dans l'économie mondiale d'aujourd'hui, il n'y a aucune justification à "réserver"  à un pays donné la direction des institutions financées par les contribuables du monde entier. Non seulement ceci est discriminatoire mais cela discrédite également un président qui a été choisi pour des raisons politiques et non sur la base de ses qualifications  et de son expérience. L’Amérique ne doit pas manquer cette occasion unique d’innover sur une question  essentielle à la mondialisation. Il est temps de signaler, une fois pour toutes, que la Banque mondiale et le FMI ne sont nullement la propriété exclusive de l'Occident.

Le Président idéal

 Au delà des questions de gouvernance, il est nécessaire  d'identifier les qualifications requises pour diriger la Banque Mondiale à un moment où son rôle doit être adapté à de profonds changements de l’économie mondiale.

Le personnel de la Banque est très professionnel et permettrait d'atteindre de meilleurs résultats s’il était libéré de la pression des États-Unis. La Banque a le potentiel pour être un catalyseur du progrès dans des domaines clés qui vont façonner l'avenir. Ses priorités devraient inclure la productivité agricole, la mobilisation des technologies de l'information pour le développement durable, le déploiement de systèmes énergétiques à faible émission de carbone et une éducation de qualité pour tous notamment grâce aux NTIC.

Aujourd'hui, la communauté internationale devrait chercher un président de la Banque mondiale qui est à l'écoute des gens ordinaires et qui refuse d’ignorer les criantes inégalités. Un bon président, sera celui  qui comprendra que le développement est plus qu’une histoire  de croissance du PIB. Ainsi, le nouveau président de la Banque devrait avoir une première expérience professionnelle sur les  défis les plus urgents de développement. Le monde ne doit pas accepter ou subir le statu quo. Un chef de la Banque mondiale qui vient une fois de plus de Wall Street ou des sphères politiques des États-Unis serait un coup dur pour une planète qui a besoin de solutions créatives à des défis complexes. La Banque a besoin d'un professionnel accompli qui est prêt à s'attaquer aux grands défis du développement durable dès le premier jour. Un tel chef, quel que soit son pays d'origine va devoir réinventer la Banque mondiale pour ce 21eme siècle.

 Les candidats

 Le secrétaire d'état des Etats Unis et ex-première dame Hillary Rodham Clinton a souvent été mentionnée comme possible successeur du président Zoellick. Clinton a publiquement exprimé le désir de ne pas garder un poste politique dans le cas d’une éventuelle victoire de Barack Obama aux élections de 2012 et il se chuchote dans les couloirs de Washington qu’elle serait présélectionnée pour le poste. D’autre part, le retour de son mari Bill sur la scène politique comme président de la Banque mondiale a été suggéré un bref moment par les médias. Parmi les noms qui ont circulé à Washington comme successeur possible de  Zoellick, figurent aussi ceux de Larry Summers, ancien chef des conseillers économiques de Barack Obama, de Timothy Geithner, secrétaire au Trésor, Susan Rice, ambassadrice américaine auprès des nations unies, John Kerry, Président du comité des Affaires Étrangères du Sénat et de Michael Bloomberg, maire de New York.

D’autres personnalités des BRICS et du monde en développement, non candidats, sont considérées comme des présidents idéaux par les faiseurs d’opinions. Parmi elles, on peut citer Lula, ancien président du Brésil, Sri Mulyani, ministre des finances de l’Indonésie, Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili et  Ngozi Okonjo-Iweala, actuelle ministre des finances du Nigéria.

Enfin, Jeffrey Sachs, universitaire et conseiller spécial du Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki Moon est la seule personnalité à avoir déclaré sa propre candidature pour le poste de président de la Banque Mondiale. Cet expert du développement économique se distingue de ses concurrents par son expérience des pays pauvres et par le soutien que lui apportent d’éminents intellectuels et ministres de pays en voie de développement d’Amérique Latine et d’Afrique. Dans son article paru dans le Huffington Post et intitulé « How I would lead the World Bank » (« Comment j’aurais dirigé la Banque Mondiale »), Sachs déclare: « Mon combat pour lutter contre pauvreté m'a fait voyager dans plus de 125 pays, des grandes capitales aux  villages des sommets de montagnes, des habitations en forêt aux camps de nomades du désert. Maintenant, j'espère qu'il va m’emmener au 18th Street Pennsylvania, à la présidence de la Banque mondiale. Je suis impatient de relever ce défi. »

Abdoulaye Ndiaye