Tandis qu’ils agonisent… Le tabou sur la santé des chefs d’Etats Africains

 
« Monsieur Njawé, même si le président de la République est malade, vous devez écrire qu’il est en parfaite santé » L’avocat général près de la cour d’appel de la province du Littoral (Cameroun) durant le procès de Pius Njawé, Directeur du quotidien le Messager, en janvier 1998
 
dépouille du président Houphouet Boigny
 
 
L’Afrique subsaharienne ne détient pas, loin s’en faut, le record de dissimulation présidentielle. La Corée du Nord est aujourd’hui « dirigée » par un leader mort depuis 1998, Kim-Il-Sung, « éternel leader ». Difficile de faire mieux. Ou pire. Franklin D. Roosevelt s’échina – c’est le mot – durant deux décennies à cacher au public qu’il était paralysé. La presse française maintint un silence soldatesque sur la santé de Georges Pompidou, alors même que son visage boursoufflé par la cortisone  faisait les gorges chaudes de la presse internationale. François Mitterrand cacha au public son cancer de la prostate, diagnostiqué pourtant au tout début de son premier septennat.

Mais, la frontière est mince, poreuse même entre souffrance physique et équilibre mental. Si l’on peut raisonnablement affirmer que la paralysie de Roosevelt et ne l’empêchait nullement d’assumer ses fonctions, il est impossible d’oublier que son hypertension le priva probablement de la lucidité nécessaire durant les négociations de Yalta. John F. Kennedy, un de ses successeurs, poussa la dissimulation, l’imposture et l’hypocrisie jusqu’aux dernières limites concevables : l’escalade au Vietnam, la crise des missiles de Cuba et le mur de Berlin (rien que ça !) peuvent être directement reliés[i] à ses maladies vénériennes et à l’accumulation de drogues psychotropes que le président américain devait régulièrement absorber pour supporter les douleurs liées à ses multiples maladies.
 
Atta Mills, le célébré, le démocrate, le professeur est mort en juillet dernier, d'une crise cardiaque, conséquence prévisible de son cancer. Il s'était présenté aux primaires de son parti et fut désigné candidat pour les prochaines présidentielles alors qu'il savait pertinemment la gravité de sa maladie. Il est le dernier d'une longue liste de chefs d'Etats Africains ayant sciemment caché la gravité de leurs afflictions à la population (avez-vous remarqué que les hommes politiques africains n'utilisent jamais les si beaux termes que sont "électeurs" et "concitoyens", toujours "peuple", "population", parfois "compatriotes"… tout un symbole) 
 
Le dernier chef d’Etat Africain ayant quitté le pouvoir pour raison de santé est… Bourguiba – « démissionné » par Ben-Ali en 1987. En Afrique subsaharienne, cette obsession du secret autour de l’état de santé des chefs d’états serait risible si elle n’était pas aussi dangereuse et… révélatrice. Voici un sous-continent dont les responsables se portent à merveille… jusqu’au jour de leur mort.

Santé, mensonges et instabilité politique
Le Nigérian Umaru Yar’dua (mort en mai 2010 d’une péricardite aiguë), il apparaît aujourd’hui, a été soutenu par Olesegun Obasandjo, seulement parce que ce dernier conscient de la mauvaise santé de son probable successeur, espérait contourner la limite constitutionnelle de deux mandats présidentiels consécutifs. Le risque d’exposer un pays de 170 millions d’habitants, habitué aux coups d’états militaires, à une crise constitutionnelle et politique, n’avait de toute évidence, aucune importance.
 
Le journaliste Camerounais Pius Njawé fut condamné à 24 mois de prison, en janvier 1998, pour avoir osé s’interroger ouvertement sur l’Etat de santé du président Paul Biya, victime à l’époque d’un… malaise. Victime d’un autre « malaise » en 2006, le président se fendit d’un plaidoyer pro-domo des plus surprenants :
 
« Vous pouvez rassurer les gens autour de vous…C’est pas un malaise cardiaque ou une perforation intestinale ou, je sais pas moi, un ulcère de l’estomac…il faut lier ça aussi à ce qu’on a mangé, ou qu’on mange. Il y a des choses qu’on ne tolère pas. J’ai mangé le ‘’nnam ngon’’ (…) Moi je ne bois que l’eau depuis un mois ou deux, donc on ne peut pas dire que j’ai bu. Mais, le “nnam ngon …ça faisait longtemps. Maintenant ça va. ”
 
Cinq ans avant sa mort, Lassana Conté, président de la Guinée, se portait tellement bien que durant les élections présidentielles de 2003 (remportées avec 95,9% des suffrages exprimés), l’urne dut être déplacée jusqu’à la voiture présidentielle. En 2006, la presse internationale reporte qu’en plus du diabète, il souffre d’une leucémie. Lassana condé est ainsi resté en "bonne santé jusqu'à sa mort en 2008.
 
Omar Bongo alla jusqu’à narguer les journalistes « colportant des rumeurs » sur son état de santé avant lui aussi de s’éteindre brusquement des « suites d’un cancer intestinal ». C'est un mystère médical typiquement africain : la rapidité foudroyante des maladies frappant les chefs d’Etat du sous-continent. Houphouët-Boigny eut beau passer les cinq dernières années de sa vie, à moitié dément, sénile et cancéreux, entre sa résidence à Yamoussokro et un sanatorium en France. Officiellement, son cancer de la prostate ne l’emporta qu’au bout de… « six mois ». Mobutu s’enfuit du Congo en laissant son palais de Gbadolite parsemé de… couches-culottes, le mal qui devait l'emporter, l'avait déjà rendu incontinent.
 
Le tabou et la peur
Je crois à une spécificité subsaharienne dans cette propension à taire les maux dont souffrent ces chefs : la tentation mystique. Derrière les silences d'Houphouët, d'Enyadema, de Mills, de Mobutu, de Conté, de Mwanawasa, de Mutharika, de Yar'adua, de Zelawi ou de Bongo parmi les morts, ou de Wade et Dos Santos, parmi les vivants, il y a quelque chose qui reste en deçà d'une haine de la science moderne (laissons ça à Thabo Mbeki) mais va au-delà de l'obsession du pouvoir : un étrange syncrétisme entre culte de la personnalité et survivances animistes. J'en suis convaincu. Ceci explique peut-être la mansuétude des… "populations". Plus qu'ailleurs, la mort reste en Afrique subsaharienne l'ultime tabou.
 
Joël Té-Léssia


[i] “JFK: in sickness and by stealth”; Christopher Hitchens, Arguably p. 54