Commercialisation informelle des produits pétroliers au Bénin : quels impacts ?

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Le commerce informel des produits pétroliers constitue aujourd’hui un défi d’ordre socio-économique pour de nombreux pays africains. Cet article se propose d’étudier les acteurs des hydrocarbures béninois qui travaillent dans les secteurs formel et informel, avec pour objectif de mettre en évidence les enchaînements et l’attachement au système socio-économique de ces commerçants dans l'espoir d'expliquer d'une part, la permanence de ce système et d'autre part, son intégration croissante dans un nouvel ordre économique et monétaire. Il s’attachera donc davantage à la cohabitation entre ces deux secteurs et la constitution d'un lien social qui se traduisent à travers des réseaux et des actions collectives qui s’y mènent. Il est à signaler au passage que le même phénomène s’observe dans les pays frontaliers du Bénin tels que le Burkina Faso, le Niger et le Togo, et même au Cameroun et au Tchad.

Les points de vente informels ou « stations-services informelles » des produits pétroliers introduits du Nigéria au Bénin se situent aux abords des voies routières béninoises, voire dans certains domiciles habités. Il s’agit d’aménagements sommaires : un étal pour exposer les bouteilles d’un litre pour la vente au détail, un bric-à-brac de contenants et accessoires de toutes sortes, dames-jeannes ou bidons en plastique (servant à transporter de l’essence ou du gasoil du Nigéria), raccords, entonnoirs, bols en plastique, etc. Les bouteilles d'un litre sont généralement destinées aux motos. Trois sources d’approvisionnement sont identifiées :

  • La 1ère source : les stations-services formelles nigérianes installées tout le long de la frontière (environ 670 kilomètres) qui sépare le Bénin du Nigéria.
  • La 2ème source : le raffinage « précaire » de brut, dérobé au Nigéria sur les installations de raffineries au Nigéria. Ce brut est transformé par les Nigérians sur les lieux de traitement pour produire des carburants.
  • La 3ème source : des raffineries informelles installées au Nigéria.

Les acteurs béninois qui s’adonnent à ce commerce informel sont, pour la plupart, des diplômés sans emplois, des déscolarisés, des élèves, des étudiants, des personnalités politiques (Députés, Maires, Ministres) ou encore, des agents des forces de l’ordre, des agents de l’administration fiscale. Sur le plan logistique, les produits pétroliers sont convoyés au Bénin à l’aide des navires, des pirogues, des scooters, des voitures Pick-up et des motos par voie maritime, fluviale, routière au vu et au su des agents chargés de réprimer de telles activités. L’Etat Central a carrément délégué son pouvoir aux acteurs informels en tant que régulateur du marché des hydrocarbures.

La nécessité de s’intéresser à cette activité de vente des produits pétroliers (essence, kérosène, gasoil, lubrifiants, gaz domestique, etc.) dans le secteur informel est devenue de nos jours une préoccupation majeure dans l’environnement économique dans lequel les activités liées aux hydrocarbures se déroulent en Afrique subsaharienne en général et, au Bénin en particulier. Les commerçants informels des produits pétroliers occupent une place confortable dans les circuits économiques au Bénin à tel point que les sociétés agréées dans ce secteur d’activité ne disposent que d’une marge très limitée. Aussi, toutes les mesures mises en œuvre (arrestations, saisies, etc.) par les autorités publiques, pour  réprimer les commerçants informels ont échoué. Toute la vie économique et sociale de ces commerçants informels des produits pétroliers est bien structurée par des réseaux de relations qui mettent en jeu les populations nigérianes et béninoises. Sur le marché, les grèves de ces acteurs informels paralysent la vie socioéconomique du Bénin, le taux de pénétration[1] de l’informel étant de 80%.

Le marché des produits pétroliers au Bénin et dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui dominé par l’informel. Par exemple, les ventes informelles de l’essence satisfont près de 83% des besoins du marché national[2]. Les commerçants informels des pays voisins (comme le Togo, le Niger, le Burkina Faso) font transiter également leurs produits par le Bénin. Si cette activité permet d’occuper une majeure partie de la population, les jeunes et des femmes qui gèrent généralement les « stations-services informelles », elle occasionne une perte fiscale énorme à l’Etat. En effet, selon les travaux de DOUTETIEN, le secteur génère près de 80 milliards de FCFA[3] par an, dont aucune partie n’est versée à l’Etat. Les pertes de recettes fiscales liées au fait que l’Etat n’a aucun droit de regard sur ce commerce informel, s’élèveraient à une vingtaine de milliards de FCFA par an et aura une grande conséquence sur leur contribution fiscale (au Budget de façon générale). Selon les estimations des sociétés pétrolières ORYX et TOTAL, depuis l’année 2001, l’Etat perdrait chaque année entre 20 et 24 milliards de FCFA de recettes sur son budget national. Les différentes stratégies (communication, dissuasion, répression, reconversion des acteurs dans d’autres secteurs, etc.) utilisées par l’Etat afin de combattre cette activité informelle, se sont avérées inefficaces. Néanmoins cette activité constitue une opportunité économique pour une bonne partie de la population, surtout dans le contexte actuel marqué par un fort taux de chômage (taux de chômage au Bénin : 0,2% sur 9,1 millions d’habitants)[4] et de pauvreté. Le commerce informel des produits pétroliers est donc perçu comme un instrument de régulation sociale et économique parce qu’il permet aux acteurs de s’occuper et de se procurer un revenu. Selon une étude réalisée en 2004, cette activité commerciale procure une marge brute annuelle pour l’ensemble de la filière de 35 milliards de FCFA.

La pratique informelle de la commercialisation constitue un véritable danger pour l’environnement. Il faut signaler que le coût socio-économique de la pollution de l’air pour la seule ville de Cotonou représente 1,2% du PIB de l’ensemble du pays[5]. Depuis plusieurs années, les phénomènes de pollution atmosphérique commencent à prendre de plus en plus d’ampleur au Bénin, et notamment à Cotonou et dans ses environs, et dans les principales villes de l’intérieur du pays. La ville de Cotonou est surtout affectée par la pollution de l’air occasionnée par les transports puisqu’il y a peu de sources industrielles. La prolifération et la vente informelle de carburant qui se pratique librement à chaque coin de rue conduisent à des émissions de composés organiques volatiles dans l’atmosphère. Le commerce informel de l’essence, de par ses conditions de stockage et de vente (dépôts de fortune installés dans les habitations, dans les hagards aux abords des voies et ventes faites à l’air libre dans des bouteilles de 1litre, 2litres, 10litres ou 20litres), est à l’origine d’incendies dans tout le pays dont le coût matériel et humain est énorme. De plus, la plupart des commerçants informels transportent les bidons d’essence destinés à la revente sur des motos[6], transformant par là même les motos en véritables bombes ambulantes, pouvant exploser à n’importe quel moment. Par ailleurs, la pollution de l’air, auquel contribue fortement cette activité, a des effets sur la santé qui se manifestent par une augmentation de l’incidence d’un vaste spectre de maladies allant des maladies respiratoires au saturnisme (intoxication due à des concentrations élevées de plomb) en passant par les maladies allergiques et les maladies de peau. Les observations permettent de constater qu’après un certain nombre d’années d’exercice de ce commerce informel, les acteurs informels (surtout les détaillants) abandonnent leur « métier » pour raison de maladies et finissent par en mourir. Le coût des infections respiratoires a été évalué à Cotonou à environ 600 millions de FCFA par an et celui du saturnisme à 20 milliards de FCFA[7].

Sur le plan social, le commerce informel des produits pétroliers provoque la déscolarisation des enfants et l’exode rural des jeunes. Dans le contexte actuel marqué par une pauvreté généralisée, le commerce informel des hydrocarbures attire les jeunes du fait des revenus qu’il leur procure et les incite à quitter l’école. Ils débutent le plus souvent en tant que détaillants. Aussi contribue-t-il au travail des enfants. A différents points de vente informelle, il est aisé d’observer de jeunes filles et garçons (et même des enfants) recrutés pour assurer le service commercial contre une rémunération journalière qui varie entre 600 FCFA à 1000 FCFA (environ 0,92 euros et 1,53 euros). Ces jeunes, pour la plupart, délaissent les travaux champêtres pour s’adonner à la vente de l’essence.

Si la commercialisation informelle de produits pétroliers permet d’assurer un revenu à une tranche de la population, il est évident que cette activité, qui s’est imposée dans l’environnement socioéconomique du Bénin, est un véritable danger tant pour l’économie que pour le bien-être des populations. Face à ses différents maux et aux échecs des mesures prises par les autorités, il urge de rassembler toutes les compétences afin d’envisager un mode de gestion pouvant permettre un meilleur encadrement du secteur, afin de limiter ses impacts mais aussi d’en tirer le maximum en termes de « gains » socio-économiques.

Nicolas Olihide


[1] BOURBAO (Michel), 2006, Porto-Novo, http://gie84.pagesperso-orange.fr/kpayo.htm

[2] MORILLON (Virginie), 2005, Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise ?, LARES et COOPERATION FRANCAISE, mai 2005, p64.

[3] DOUTETIEN Henri, 2012, Et si nous osions formaliser le « kpayo » ?, Journal La Croix du Bénin N°1159 du 17 Août 2012.

[4] Site Web de l’Ambassade du Bénin en France mise à jour le 20 Novembre 2012 : ce taux de chômage est calculé au sens du BIT selon une étude réalisée en 2007 par la Banque Mondiale. Quant au nombre d’habitants, il est issu d’une étude réalisée en 2011 par le PNUD.

[5] Source : Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. Atelier national sur le passage à l’essence sans plomb au Bénin. Cotonou, le 1er et 2 juillet 2004.

[6] Certains commerçants informels transportent jusqu’à 6 bidons de 50 litres ou environ 12 bidons de 25 litres sur une moto..

[7] Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. « Etude sur la qualité de l’air en milieu urbain : cas de Cotonou », 2000.