« Black and yellow »

wunionLa scène se passe dans le 18è arrondissement parisien. Il est seize heures, le taxiphone de Niasse grouille d’une clientèle pressée et bruyante. Des voix résonnent à travers les boxes  accolés les uns aux autres – des cabines téléphoniques !  Et l’on peut, grâce aux paroles que laissent échapper leurs portes pourtant closes, deviner la teneur de ces conversations familiales pour la plupart. Une jeune femme fond en larmes après avoir hurlé des mots au téléphone et raccroché furieusement. Elle sort de la cabine qu’elle occupait et fouille son porte-monnaie en reniflant.

On a tous connu ça, lance alors un homme qui la regarde. Envoie l’argent qu’ils te demandent ! Tu n’as pas le choix, ma ‘’sœur’’.

J’en ai marre, fait alors l’intéressée en tirant une chaise sur laquelle elle s’affale.

Des larmes plus abondantes cette fois-ci la secouent. Niasse se rapproche de la cliente et lui demande d’une voix calme ce qui ne va pas. Il semble bien la connaître (une habituée de son commerce certainement). La jeune femme s’ouvre alors et raconte son malheur d’être née de parents cupides, qui tous les mois l’importunent avec leurs demandes d’argent incessantes. Ils ne sont pas pauvres, précise-t-elle : « Mon père enseigne à l’université, ma mère travaille… Mais c’est à moi… moi qui galère ici en France et me bats pour boucler des fins de mois difficiles de leur envoyer des sous…Ils sont sans pitié. Tout ça parce qu’ils t’ont élevée et mise à l’école…»

Nous l’écoutons tous en feignant le désintérêt le plus total, gênés par ces confidences qu’elle lâche. Des histoires de famille qu’elle ferait mieux de garder pour elle.  Non mais franchement, qu’est-ce qu’on en a à fou*** nous autres ?!

J’en ai marre …

Ça va aller, dit Niasse pour la réconforter, c’est rien ça.

Les enfants en Afrique sont un investissement ! Moi-même là, je suis fatiguée d’envoyer de l’argent, commente alors une autre cliente (une  Camerounaise à en croire son accent) Niasse, stp, je veux faire une photocopie. C’est combien… ?

Un investissement. Le mot est lâché. Il sonne fort mais exprime bien ce que de nombreux enfants ont le sentiment de représenter aux yeux de leurs parents.

Très jeunes déjà, on leur enseigne qu’ils doivent réussir afin de pouvoir à leur tour s’occuper  de leurs « vieux » : pourvoir aux besoins de ceux-ci, veiller à ce qu’ils ne manquent de rien.

C’est l’éternelle question du « rapport à l’enfant » en Afrique qui se pose ici. Elle suscite débat.

Les uns estiment qu’aider ses géniteurs est un devoir sacré, quand d’autres dénoncent cette culture de la « rentabilité ». Culture propre aux parents qui sont dans une posture d’attente perpétuelle, et exigent régulièrement de l’argent et des présents à leur progéniture.  De l’argent et des présents en récompense des efforts fournis pour élever des rejetons qui se montrent  décidemment bien trop ingrats de nos jours.

J’ai fait ceci pour toi, j’ai fait cela. J’ai payé tes études, … Tu me dois beaucoup.

C’est le discours que l’on sert régulièrement à ces milliers de jeunes qui leurs études terminées,  font à peine leur entrée dans la vie active. Et pas question qu’ils jouissent seuls de leur salaire. Il y a les parents à soutenir, les cadets à entretenir. Alors toutes les fins du mois (avant que la paye ne tombe) les sollicitations se font pressantes, les transferts d’argent sont vivement attendus. Et l’agacement… l’agacement et un sentiment d’asphyxie ne tardent pas à remplacer la joie que l’on éprouve à faire plaisir à ses parents de façon spontanée et délibérée.  L’on assiste alors à des scènes comme celle dont je suis le témoin involontaire dans ce taxiphone parisien, quelque part dans le 18ème arrondissement, où je suis venue me procurer une carte de recharge téléphonique.

Ralphanie Mwana Kongo

Expulsion des Kinois au Congo Brazzaville

Expulsion Congo Bzv

Tout est parti, d’une sombre affaire de Kulunas. Des ressortissants de la RDC, brigands de grands chemins qui, après avoir semé la terreur à Kinshasa, se sont repliés sur Brazzaville où ils s’illustrent en  vols, braquages, viols, meurtres et autres exactions. Causant ainsi un climat d’insécurité dans les rues de la capitale : « Il ne fait pas bon de traîner dans certains quartiers à la tombée de la nuit » peut-on entendre alors.

Les autorités policières locales ont décidé d’agir fermement pour enrayer le phénomène au moyen de la mise en œuvre d’une politique répressive: arrestations, expulsions du territoire, …

Mais très vite, et on l’a bien vu venir, l’amalgame a été fait entre ces voyous et tous les ressortissants de la RDC (communément appelé Zaïrois ou Kinois) présents à Brazzaville ; des raccourcis ont été trouvés pour mettre tout le monde dans le même panier,  tout zaïrois étant un Kuluna potentiel

C’est l’immigration clandestine que l’on pointe du doigt désormais. De véritables rafles ont lieu dans les quartiers populaires pour mettre la main sur ces indésirables et les reconduire au Beach de Brazzaville, où des ferries (sur lesquels ils s’entassent au péril de leur vie) les attendent et les ramèneront au plus vite chez eux, à Kinshasa.

Papiers ou pas papiers, dehors ?!

Plusieurs témoignages font état de personnes en situation régulière, qui se seraient vues sommer de plier bagage et de quitter le territoire Congolais.

«  Des policiers ont fait irruption chez nous, déplore la mine déconfite une dame dans un reportage diffusé sur un web TV. Tout de suite nous leur avons présenté nos papiers et les actes de naissance de nos enfants nés à Brazzaville. Ils les ont tout simplement déchirés et nous ont demandé de partir après nous avoir brutalement malmenés. »

Il semblerait cependant, et il est utile de le souligner, que des ressortissants de la RDC, détenteurs d’une carte consulaire l’aient assimilée à un titre de séjour et se soient crus en situation régulière ….

Il n’en reste pas moins vrai que cette opération de « nettoyage » baptisée Mbata ya ba kolo (en français : la gifle des aînés) par les forces de l’ordre a donné lieu à une libéralisation de la parole et de l’acte xénophobe : Injures, humiliations, passages à tabac, viols …

 « C’est une mesure salutaire ! Peut-on lire sur les réseaux sociaux. Nos autorités ont raison de réagir fermement pour mettre un terme au désordre. Il y a peut-être des débordements dans la manière dont l’action est menée, c’est regrettable. Mais les Zaïrois en situation illégale doivent partir ! »

Congolais de Brazzaville et Congolais de Kinshasa, frères ou ennemis ? Quelles relations entretiennent ces deux peuples qui n’en formaient qu’un avant la conférence de Berlin de 1885 et le partage de l’Afrique par nos chers bons colons ? Pourquoi en dépit de liens culturels très étroits et de ce passé historique commun, sont-ils incapables de vivre en bonne harmonie ?

expulsion_congo1Les raisons du désamour

C’est sous le règne du Maréchal Mobutu Sese Seko (1965-1991), que la RDC alors « Zaïre » connait une importante vague d’émigration. La mal gouvernance et la corruption des élites dégradent la situation économique du pays, rendant ainsi précaires les conditions de vie d’une écrasante majorité de la population. La république du Congo, sœur voisine, parait dès lors comme une terre d’accueil idéale pour beaucoup de Zaïrois qui espèrent y trouver un gagne pain et accéder à un niveau de vie décent. C’est dans les petits boulots qu’ils s’y illustreront principalement, les basses besognes dédaignées par les locaux (ramassage des ordures ménagères,  vente à la sauvette …), les métiers manuels (maçonnerie, cordonnerie, couture, …)

Mais gagner sa vie en « terre étrangère » n’est pas toujours chose aisée, alors quelques-uns ont recours à des moyens moins avouables : la prostitution, la petite criminalité …

Peu à peu, le mot « Zaïrois » prend une connotation péjorative et même injurieuse dans la conscience collective locale. Au Congo Brazzaville comme partout ailleurs en effet, l’immigré est jugé en fonction de son pouvoir économique. Est-il investisseur, créateur d’emplois et de richesse ? On le respecte, on l’honore. Est-il à la recherche d’un moyen de subsistance et prêt à se contenter du peu que l’on consent à lui donner ? On le traite avec condescendance, il devient un sujet de raillerie… Nulle surprise donc !

Méfiance et mépris

Ne dites jamais à un congolais de Brazzaville qu’il est un zaïrois ! Vos mots sonneront à ses oreilles comme une offense. Il n’a rien à voir avec ces gens-là, c’est un intellectuel lui, un érudit qui manie avec aisance la langue de Molière. Et puis il n’est pas voleur comme l’autre… Comment diable osez-vous ?

Du Brazzavillois, le Kinois dira pour sa part, que celui-ci est pétri d’orgueil, hautain, amoureux du costard, dépourvu de tout sens de l’initiative ; il n’apprécie que le travail de bureau et refuse à tout prix de se salir les mains.

« Quand tous les zaïrois auront quitté Brazzaville lesquels assureront le ramassage de vos ordures ménagères ? »  murmurent quelques-uns.

La question a lieu d’être posée.

En bon débrouillard l’immigré Kinois a su se montrer inventif, et a très vite proposé ses services dans des domaines d’activités encore inexploités au Congo Brazzaville : La collecte des ordures ménagères par exemple. Celle-ci est plus qu’indispensable dans un pays où il n’existe aucun service de voirie…

A-t-on seulement songé aux conséquences de ces « départs forcés » ?

Les ressortissants de la RDC : Au cœur de l’économie formelle et informelle

Ils sont maçons, tailleurs, menuisiers, cordonniers, coiffeurs, …. établis au Congo Brazzaville depuis plus de vingt ans parfois. Ils s’acquittent (la plupart du moins) de la patente que les agents des impôts leur exigent, et font ainsi tourner l’économie locale.

Pourquoi les expulse-t-on alors qu’ils n’ont à leur charge aucun acte répréhensible ?

expulsion-de-congo-brazaUn dispositif répressif pour masquer les lacunes d’une politique d’immigration défaillante

Boucs émissaires ! Ce sont là les mots qui me viennent tout de suite à l’esprit quand j’analyse la situation. Boucs émissaires. Point barre !

Qu’advient-il de la chasse aux Kulunas ? Car c’est bien de cela qu’il s’agissait au départ : arrêter ces bandits qui sèment la terreur dans nos rues. A-t-on pu les identifier de façon certaine grâce aux témoignages de leurs victimes ?  Ont-ils été interpellés ? Séjournent-ils dans nos prisons ou a-t-on préféré la solution de facilité, c’est-à-dire expulser tout le monde, tous les ressortissants Zaïrois, il y aura forcément des Kulunas dans le lot.

Tout le zèle déployé autour de cette opération « Mbata ya ba kolo » me laisse pantoise. En l’espace de quelques semaines l’immigration clandestine est devenue une priorité nationale alors que jusqu’ici aucun effort n’avait été fait dans ce sens.

Il n’existe pas de politique d’immigration clairement définie au Congo Brazzaville. Les frontières sont poreuses, les flux migratoires échappent totalement au contrôle des autorités compétentes. Et les Zaïrois sont loin d’être les seuls à y résider de façon illégale…

Et la corruption ! La corruption des fonctionnaires du Beach de Brazzaville, principal point d’entrée des migrants de l’autre rive du fleuve, pourquoi l’occulte-t-on ?

A l’heure actuelle les expulsions se poursuivent massivement, dans la violation totale des droits de l’homme. On rapporte plusieurs pertes en vies humaines (des nourrissons morts par asphyxie dans les ferries, des individus tombés à l’eau et noyés, …). Une situation grave mais jusqu’à ce jour ni Denis Sassou Nguesso ni Joseph Kabila, présidents respectifs du Congo Brazzaville et de la RDC, ne se sont officiellement exprimés sur la question.

Au regard de ce vent de xénophobie qui souffle sur Brazzaville, force est de constater encore une fois que les mots intégration, régularisation, droit du sol, naturalisation, … véritables revendications des Africains en Europe, constituent un paradigme qui peine encore à trouver un écho favorable dans nos pays d’Afrique. 

Vous restez un étranger, en dépit de la durée de votre séjour. Vos enfants restent des étrangers, même s’ils sont nés sur votre terre d’adoption. Vivez en toute discrétion et vous parviendrez peut-être à vous fondre dans la masse … Peut-être… Mais gare à vous si un jour l’un des vôtres (un frère, un cousin, et même votre animal domestique pourquoi pas) est l’auteur d’un forfait.  Comme lui vous serez mis au banc des accusés et l’on vous rappellera alors que vous êtes un étranger !

Ralphanie Mwana Kongo