« Ma fille a été très choquée du fait que son maître a giflé un élève qui s’était assoupi en classe. Dès le lendemain elle ne souhaitait plus retourner à l’école. » confie Amélie une jeune mère Congolaise qui après un long séjour en Europe est rentrée s’installer à Brazzaville. Et c’est dans une école privée qu’elle a fait le choix d’inscrire sa gamine de cinq ans, au CP1.
« La méthode chicotte continue et c'est intolérable, poursuit-elle, très remontée. J'ai pu rapidement assister à la manière dont sont dispensés les cours. Le maître est plus que sévère. Il a une façon intolérable de s'adresser aux élèves, son ton est froid et haut. Il veut faire appliquer la discipline par la peur. »
Amélie qui a pourtant grandi et fait ses classes au Congo, porte aujourd’hui un regard assez critique sur les méthodes d’apprentissage qui y sont appliquées. Avoir séjourné quelques années dans une société occidentale où les punitions corporelles sont depuis longtemps proscrites à l’école, semble avoir modifié sa conception de ce que devrait être l’éducation.
Il ne s’agit pas pour nous d’établir ici une comparaison entre le modèle éducatif Européen et les procédés en vigueur dans nos pays d’Afrique noire. Conscients que chaque société doit relever ses propres défis, évoluer à son rythme et en fonction de ses réalités, notre démarche s’inscrit plutôt dans une volonté d’analyse de la violence physique et psychologique dans les milieux familial et scolaire en Afrique. L’emploi de la chicotte est-il justifiable ? N’est-ce pas là un héritage colonial comme l’allèguent quelques-uns ? Peut-on efficacement éduquer sans recourir aux punitions corporelles ?
Enfant aimé, enfant châtié
Qui n’a pas un jour été « corrigé » par les adultes en charge de son éducation (père, mère, etc.) ? Gifle, taloche, fessée, oreille tirée, flagellation au moyen d’une lanière ou d’un bâton, etc. Autant de punitions corporelles répandues et ancrées dans nos mœurs qui s’inscrivent dans une démarche dite « éducative ».
La répression permet au parent qui l’exerce de sanctionner une faute, d’inculquer des valeurs, mais également d’affirmer son autorité. Les règles énoncées par les adultes dans le cercle familial, le respect de celles-ci, préparent l’enfant à la vie en société, à ses exigences de morale et de probité. Les punitions qu’on lui inflige font écho aux condamnations ou sentences prévues par le législateur en cas d’infraction ou délit. C’est donc pour son bien d’abord qu’on lui impose une discipline.
Sur dix parents africains interrogés, huit estiment que l’usage des punitions corporelles est efficace en matière d’éducation – la menace de la chicotte aurait un effet dissuasif ou persuasif, selon le résultat visé. Deux, ont confié ne pas juger utile de frapper un enfant pour se faire obéir de celui-ci et mettent en garde contre le recours systématique aux « représailles physiques ».
« Il y a des parents qui exagèrent, dit Célestin qui a bien voulu nous donner son avis sur la question. On tape souvent les enfants pour tout et n’importe quoi. Certaines punitions sont injustes et carrément disproportionnées, elles dépendent de l’humeur de la personne qui les inflige. Et puis il y a le mythe du père « méchant » que l’on entretient encore beaucoup dans nos sociétés Africaines, certains parents préférant visiblement être craints que d’être aimés par leurs enfants. Ils font preuve d’une sévérité excessive et instaurent la distance pensant à tort qu’une relation de proximité pourrait nuire au respect qui leur est du ».
Aux punitions corporelles s’ajoutent très souvent les abus verbaux, ces insultes et autres propos dégradants qu’essuient certains enfants dans leur milieu de vie : « Tu es bête ! », « Idiot ! », « Tu ne fais jamais rien de bien ! ». Propos lâchés sous le coup de la colère ou de l’agacement… des mots qu’on ne pense pas toujours mais qui répétés s’inscrivent dans le subconscient du petit être à qui on les adresse. Les enfants ayant la tendance naturelle à se définir en fonction du regard et du jugement que portent sur eux leurs parents, finissent par accepter ces injures, à les intégrer comme des « vérités ». Plusieurs études menées en ce sens ont démontré qu’un enfant rabaissé et humilié en permanence développe un sentiment de mésestime de soi . Pourtant certaines croyances maintiennent que les traitements durs infligés à l’enfant aussi bien sur le plan physique que moral, façonnent son caractère et le préparent aux dures épreuves que lui réserve la vie en société.
« Il sera toujours difficile de persuader des hommes mûrs, que les enfants gagneraient à être élevés autrement qu’eux-mêmes ne l’ont été.»
Les parents reproduisent l’éducation qu’ils ont eux-mêmes reçue. Remettre en cause la manière dont on a été élevé peut pour certains constituer une sorte d’offense faite aux géniteurs, à ce père cette mère que l’on sacralise et vénère. Coups, insultes, humiliations… cela se transmet aussi d’une génération à l’autre.
La chicotte, indispensable en milieu scolaire ?
C’est par un ouvrage que nous souhaitons aborder cette question qui fait débat, un livre paru en 2012 aux éditions Edilivre ‘’Seule, face au destin’’ de Laura Guliamo Luyeye. Inspiré de faits réels, c’est le récit d’une enfance marquée par la violence physique et psychologique exercée dans le milieu familial et scolaire, un témoignage poignant écrit avec des mots simples mais qui n’en restent pas moins dérangeants. L’histoire qui se déroule à Kinshasa est celle de Dita, une gamine de 10 ans, témoin des coups réguliers portés par son père à une mère sans défense. La détresse de l’enfant est telle que ses résultats scolaires s’en trouvent affectés. Pourtant à l’école c’est à une autre forme de violence qu’elle doit faire face également, celle infligée par le maître au moyen de son « Ngondo » – un morceau de tuyau dur en caoutchouc qui lui sert de fouet. La moindre inattention des petits écoliers, une réponse fausse à un exercice proposé, un assoupissement, sera pour l’instituteur l’occasion de les rabaisser, de les rudoyer violemment: « Tu as toujours des mauvaises notes, tu ne sers à rien » et PAN !
C’est la « pédagogie par les corps », l’apprentissage par la menace du fouet. Châtiment toujours équitable ? Frapper un élève sur la base d’un devoir mal compris, d’une leçon non apprise ou même au motif qu’il s’est endormi en classe, n’est-ce pas parfois occulter les facteurs liés à son environnement immédiat, facteurs qui fragilisent son apprentissage ? Un enfant qui ne mange pas à sa faim, qui vit dans un climat familial délétère aura beaucoup de mal à se concentrer en classe. Le cas de Dita, petite héroïne de « Seule, face au destin » en est l’éloquente illustration.
Certains professionnels de l’enseignement à l’instar de Myriam, jeune institutrice en cours élémentaire en Côte-D’ivoire, jugent la chicotte nécessaire et très efficace.
« C’est le seul moyen pour un enseignant de maintenir l’ordre, soutient-elle. Nous sommes souvent désemparés face à des élèves turbulents et irrespectueux ; des élèves que l’on ne parvient pas toujours à faire obéir avec des simples paroles. »
La chicotte, seule arme disciplinaire ? Les fervents opposants de son usage la qualifient pourtant d’ « héritage colonial », argument de taille qui devrait – estiment-ils – suffire à la bannir définitivement de nos milieux scolaires. Héritage colonial, allusion faite à son utilisation pour la répression des indigènes qui enfreignaient le règlement en vigueur.
Chicotte et colonisation
Si le châtiment de la chicotte a été « institutionnalisé » sous la colonisation Belge par exemple au Congo, il est important de souligner que la flagellation comme punition corporelle était vraisemblablement déjà pratiquée dans l’Afrique traditionnelle par les adultes sur les jeunes qui transgressaient les lois de la communauté. C’est du moins ce que laisse supposer le sociologue Emmanuel Amougou, dans son livre ‘’Symboles et châtiments, regard sociologique sur l’inconscient scolaire colonial en Afrique Noire francophone’’ :
« Dans ces univers sociaux de « tradition », nul doute qu’il existait des châtiments physiques (…) punitions et sanctions dont la fonction sociale essentielle consiste à assurer la cohésion, la solidarité et l’honneur du groupe tout en responsabilisant ses membres (…) Mais au delà de cette grille de sanctions et avec les transformations qu’ont connues ces sociétés, toutes les fautes commises par le petit africain l’exposent à des punitions et sanctions de ses géniteurs. Ici, le corps constitue le lieu privilégié des sanctions qui relèvent d’une pédagogie extrêmement rigoureuse. Ainsi par exemple révèle Pierre Elny : ‘’Dans le Laba Tchadien, chez les Massa et les Toupouri, le jeune est couché dans les épines (…) De dures sanctions marquent chaque transgression. La brimade et l’injure sont systématiques. Certains moments de la journée sont réservés aux fustigations et flagellations.’’»
La chicotte et les punitions corporelles en général, ont été en vigueur dans les écoles métropolitaines Françaises jusqu’à leur interdiction en 1833 par la loi Guizot. Ces traitements punitifs seront ensuite transposés dans les colonies francophones mais « avec beaucoup de nuance, écrit Emmanuel Amougou, compte tenu de la conception que la métropole se faisait de la démarche coloniale. »
Vers la fin des punitions corporelles à l’école ?
Les organismes des droits de l’Enfant militent activement pour que cesse la violence physique en milieu scolaire. De nombreux pays Africains à l’instar du Cameroun, du Tchad, du Sénégal ou de la Guinée ont adopté des textes pour interdire le recours aux châtiments corporels à l’école. Grandes avancées qui peinent cependant à être effectives sur le terrain avec un personnel enseignant confronté à une surcharge des effectifs et ne bénéficiant d’aucune formation aux méthodes disciplinaires alternatives qui ne nécessitent pas un emploi de la force ou de la violence.
Chicotte nécessité ou abus d’autorité ? Le débat n’a pas fini de diviser. Une chose est certaine cependant : entre le laxisme d’une éducation sans punition et l’outrancière sévérité qui frise la maltraitance, il nous faudra trouver un juste équilibre.
Ralphanie Mwana Kongo