RD Congo : accord probable, paix impossible ?

nord kivu negociationAprès Lusaka, Windhoek, Pretoria et Kampala, Addis-Abeba est devenue ce dimanche 24 février 2013 la cinquième capitale africaine à accueillir la signature d’un accord de paix en République Démocratique du Congo (RDC). Réunis dans la capitale éthiopienne à l’invitation du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, 11 chefs d’Etat de la région ont approuvé un « Accord-Cadre sur la Paix, la Sécurité et la Coopération pour la RDC et la région » préparé par les Nations Unies. Ban Ki-moon a réussi à rassembler autour d’une table toutes les parties prenantes du conflit dans les Grands Lacs, ce qui en soi n’est pas une mince affaire. Mais au-delà du titre pompeux et des cérémonies fastueuses, que peut-on attendre de cet énième texte visant à trouver une solution négociée à « l’insoluble question congolaise » ? 

La réunion d’Addis-Abeba inaugure une nouvelle période d’activisme international, qui fait suite à la faillite évidente des efforts régionaux pour la résolution du conflit. Bien que reléguée au second plan par les évènements en Syrie et au Mali, la rébellion initiée en avril 2012 par le M23 dans le Nord-Kivu, a tout de même retenu l’attention de la communauté internationale, et s’est même propulsée sur le devant de la scène pendant quelques jours de novembre, lorsque les rebelles ont brièvement occupé la capitale régionale Goma. Dans la lignée des précédentes tentatives de paix dans la région, c’est d’abord une solution régionale qui a été privilégiée, à travers la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIGRL). 

Les négociations de Kampala : la faillite d’une solution régionale

Le M23 et le gouvernement congolais se sont ainsi retrouvés début décembre à Kampala pour des pourparlers officiels sous la médiation du ministre de la Défense ougandais Crispus Kiyonga. Des négociations qui, aux yeux de beaucoup d’observateurs, étaient dès le départ vouées à l’échec. L’Ouganda n’avait certainement pas les traits du médiateur idéal neutre, capable de peser de tout son poids sur les deux parties, et de combiner de manière équitable encouragements et menaces de sanctions : directement impliqué dans les rébellions anti-Kabila du début des années 2000, il a été pointé du doigt par le Groupe des Experts de l’ONU pour son soutien humain, financier et matériel au M23… Difficile dans ces conditions d’instaurer la confiance entre les négociateurs. D’autant plus que les délégations sont arrivées dans la capitale ougandaise sans agenda clairement défini : alors que le gouvernement de Joseph Kabila voulait restreindre les négociations au problème sécuritaire initial – l’occupation militaire du Nord-Kivu par un groupe rebelle – le M23 a rapidement cherché à transformer le processus de Kampala en une tribune contre le régime de Kabila, et ainsi à revendiquer des réformes politiques radicales à l’échelle nationale. Résultat : les deux parties ont passé la plupart des mois de décembre et janvier à débattre du programme des discussions ultérieures plutôt qu’à aborder les véritables points de désaccord. 

Un seul document a finalement émergé, début février, de ces deux longues et laborieuses négociations : une évaluation de l’accord de paix du 23 mars 2009, qui mettait fin à la précédente rébellion du CNDP (duquel est largement issu le M23), long document technique reconnaissant que certains points du traité n’avaient pas été mis en œuvre, mais n’offrant aucune avancée pour le problème présent. Après que le gouvernement congolais ait proposé d’intégrer les officiers de bas rang du M23 en échange de la reddition de son leadership militaire – proposition bien évidemment inacceptable pour les rebelles -, les négociations sont maintenant au point mort. 

Négocier pour négocier : les dividendes de la paix

Une fois de plus, le processus de Kampala aura montré l’inefficacité d’une solution bilatérale étroite, menée dans un cadre régional. Pour le gouvernement congolais comme pour les rebelles, être présent aux côtés d’un médiateur et offrir aux yeux de tous une posture de négociation semblait être plus important que de traiter des sujets de discorde : on en vient alors à se demander si les bénéfices à récolter de la négociation ne leur importeraient pas plus que les avantages de la paix elle-même…

A ce titre, ce qui s’est joué ces derniers mois dans l’est de la RDC n’est que la nouvelle version d’une partition plusieurs fois déroulée au cours de ces dernières années. La dynamique cyclique est la suivante : des leaders locaux aux intérêts menacés se constituent en groupe armé, avec le soutien plus ou moins explicite des voisins rwandais et ougandais ; s’en suit des affrontements armés entre le nouveau groupe de rebelles et les forces armées congolaises (FARDC), affrontements qui se soldent souvent par un retrait de ces dernières, sous-équipées, mal entraînées et rongées par la corruption ; après quelques mois (et parfois l’occupation de villes importantes comme Goma ou Bukavu), les rebelles se déclarent prêts à négocier, tandis que le gouvernement congolais, soucieux d’éviter de nouvelles humiliations militaires qui pourraient mettre son pouvoir en danger, est lui aussi favorable à des négociations ; un accord est alors signé, qui offre aux rebelles certains avantages immédiats (intégration dans les FARDC, positions de pouvoir, démobilisation financièrement avantageuse…) ; un semblant de stabilité (trompeur) revient alors dans la région, jusqu’à ce que les « dividendes de la paix » offerts aux rebelles par l’accord perdent de leur valeur ; alors un nouveau cycle est susceptible de s’enclencher. 

Le M23, au-delà de son plaidoyer public pour un renversement du régime de Kabila à Kinshasa, se situe clairement dans cette stratégie des « dividendes de la paix » : la conquête territoriale ne l’intéresse qu’à des fins d’obtenir une meilleure position de négociations, et ainsi des avantages plus conséquents dans les accords de paix. C’est dans cette logique qu’il faut comprendre sa décision – a priori surprenante – de n’occuper Goma que pendant quelques jours avant de se retirer sur les hauteurs de la capitale régionale du Nord-Kivu. 

L’internationalisation du dossier congolais

On observe ainsi dans l’est de la RDC un mécanisme d’auto-reproduction de la violence, ô combien difficile à enrayer. La communauté internationale semble en tout cas avoir pris conscience que dans les conditions actuelles, un cadre bilatéral de résolution de conflit (gouvernement contre rebelles) semble plutôt contribuer à perpétuer cette dynamique conflictuelle. En « internationalisant » le dossier congolais en main à travers l’Accord-cadre signé dimanche à Addis-Abeba, elle peut peut-être lui insuffler un nouveau souffle, et l’on ne peut que se réjouir qu’un certain volontarisme international succède enfin à des années d’indifférence à l’égard de la région. 

Rien n’est toutefois garanti en RDC, cimetière des idéalistes de la paix depuis plus de quinze ans, et on ne saurait attendre des miracles d’une simple déclaration de principes. Car tout rempli de bonnes intentions qu’il soit, l’Accord-cadre pourrait bien n’être qu’une nouvelle coquille vide : avec seulement trois pages faites de mesures très générales (« poursuivre la réforme structurelles des institutions congolaises », « ne pas interférer dans les affaires intérieures des Etats voisins »…), la phase d’implémentation sera cruciale pour mettre en œuvre ce document, et nécessitera un suivi actif des quatre garants identifiés par l’accord : l’Union Africaine, la CIRGL, la SADC (Communauté des Etats d’Afrique australe) et l’ONU.

Alors que l’investissement international dans la résolution du conflit congolais a été jusqu’alors uniquement réactif, la formule 11+4 (onze parties, quatre facilitateurs) ne pourra tenir ses promesses qu’avec un changement d’approche radical. Plusieurs axes d’intervention requièrent en effet un engagement constant et permanent, et non seulement du « management de crise » tel qu’il a été pratiqué ces dernières années : réforme des institutions congolaises, traitement de la violence locale, amélioration des relations entre RDC et Rwanda… Mais sur ce dernier point, si déterminant dans la résurgence des rébellions dans l’est de la RDC, les mauvaises relations entre les présidents Kabila et Kagame semblent constituer un obstacle sérieux à tout effort de résolution de conflit. 

Du côté de Kigali, il ne faut s’attendre à aucun bouleversement majeur : le Rwanda a montré sa capacité à naviguer subtilement sur un chemin diplomatique étroit, qui lui permet d’avancer ses intérêts dans les Kivus sans pour autant se mettre à dos la communauté internationale. L’aide au développement s’interrompt, puis reprend, au gré des déclarations habiles de Kagame et des visites dans les capitales occidentales de sa ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo. 

En revanche, en RDC, le pouvoir de Joseph Kabila apparaît de plus en plus fragilisé depuis les élections frauduleuses de novembre 2011. Un changement de régime à Kinshasa : voilà sans doute, à côté d’un véritable engagement international, le deuxième évènement susceptible de rebattre les cartes dans la relation RDC-Rwanda… pour le pire ou le meilleur. 

Vincent Rouget

Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (Fin)

Un calendrier de reformes pour la RDC

Le lien patriarcal conserve un sens très important dans l’arène politique congolaise. Les alliances politiques se font au gré presque exclusif des appartenances ethniques et familiales. Joseph Kabila n’hésita pas à se lier à Nsanga Mobutu, fils de l’ancien Président. De même, Antoine Gizenga, qui a réuni autour de lui des fidèles de Patrice Lumumba, se fit remplacer par son propre neveu, Adolphe Muzito, qui ne fit pas mieux que lui au poste de Premier ministre. Obtenir la délivrance d’une pièce d’état civil, d’un permis de conduire, ou d’autres documents administratifs, est beaucoup plus facile lorsqu’on a un « bon » patronyme. Les liens familiaux, au sens large, régissent la vie politique et administrative, et sapent la réforme.

La corruption qui passe par les dirigeants des firmes multinationales accentue le retard. L’effondrement en 1990 d’installations minières de Kamoto (Katanga), important pan de la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines), qui assure en grande partie les fonds du Trésor de la RDC, témoigne de la négligence qui gangrène le secteur minier. Y passent argent, cuivre, or, cobalt, diamant, et des centaines de milliards de dollars. Le régime Kabila, d’une manière ou d’une autre, a réussi la malicieuse prouesse de la restauration des privilèges consentis aux cartels transnationaux qui gravitent autour des richesses minières sous Mobutu.

La Barrick Gold Corporation, L’Anglo-American Corporation, l’American Diamond Buyers, De Beers, etc. n’ont rien perdu de leur superbe en ce qui concerne l’opacité de leurs opérations financières, et continuent de sucrer éperdument les politiciens et fonctionnaires véreux pour acheter leur silence. En filigrane, apparaît un véritable nouvel ordre politique et économique voulu et entretenu par les dirigeants de ces multinationales, qui n’est pas sans rappeler une certaine Conférence tenue à Berlin, en 1885. La RDC, grande comme l’Union Européenne, frontalière de neuf Etats, est toute désignée pour de telles pratiques.

Assainir le secteur minier

Une redéfinition des termes d’exploitation qui prenne mieux en compte les besoins sociaux, notamment en termes d’emplois autochtones et de considérations environnementales, s’impose, en effet, en République Démocratique du Congo. Elle doit être protégée au plan politique et administratif. Il faudrait tout d’abord exiger une prise en compte systématique des méthodes de gestion qui permettent une transparence absolue dans les documents comptables de chaque entreprise pour parvenir à un assainissement de la vie privée. Il serait ensuite très opportun d’inclure des objectifs sociaux dans les conditions d’octroi d’agrément ou d’autorisation aux firmes multinationales, pour arriver à une exploitation optimale des ressources naturelles.

L’inclusion d’une forte dose de mesures revêtant un caractère de responsabilité sociale à l’octroi de licences d’exploitation accompagnera ces entreprises dans leur recherche d’assentiment de la part des populations autochtones. Ces mesures pourraient prendre la forme d’une augmentation du nombre d’emplois de type cadre, qui soient en tout cas importants et/ou bien rémunérés, aux populations locales.

Mieux, une priorité devrait être donnée aux Congolais disposant des qualifications requises pour accroître sensiblement les effectifs nationaux dans les grandes entreprises opérant dans le pays. Cette préférence nationale devra être étroitement surveillée, et intégrée au besoin dans les textes, afin de donner aux administrations compétentes la possibilité de la faire respecter.
Beaucoup plus de mesures participatives de la part des entreprises pourraient également se décliner sous forme d’actions régulières en faveur des associations ou groupements de certaines catégories sociales (jeunes, femmes, personnes âgées) pour les accompagner dans leurs activités citoyennes. Par ailleurs, il est plus que jamais utile d’augmenter la dose écologique dans les activités d’exploitation des ressources naturelles, qui fasse en sorte que l’activité industrielle ne se nuise pas à elle-même et profite également aux générations futures.

Mieux identifier les priorités des populations

Dans le même esprit, il serait utile de mieux prendre en compte les besoins des destinataires ultimes des réformes institutionnelles et administratives. Il s’agira pour les responsables politiques et les fonctionnaires d’inclure dans leurs prévisions et actions ultérieures le besoin criant de bien-être social qui s’est installé en République Démocratique du Congo. Au lieu de lamentablement suivre les orientations des bailleurs de fonds internationaux, notamment FMI et Banque Mondiale, les responsables politiques congolais, puisqu’ils disposent de la légitimé du suffrage universel, devraient plutôt s’enquérir au préalable des réelles priorités de leur peuple. Celles-ci ne sont pas inscrites dans des théories classiques internationalement admises, elles se trouvent à peu près dans chaque localité du pays.

Dans cette optique, les compétences des fonctionnaires formés à l’exécution de chaque tâche déterminée doivent dorénavant être mobilisées pour identifier les urgences sociales qui sévissent dans chaque partie de la RDC. Une certaine harmonie devrait se mettre en place dans les différentes actions entreprises par les administrations territoriales, les organismes publics destinés à l’accompagnement des initiatives locales, et les organes politiques locaux, pour atteindre une rationalisation des initiatives publiques en faveur du développement local.

Ce dernier pourrait utilement s’inspirer ou se faire aider par les mécanismes déjà mis en place au niveau national pour attirer les investissements privés internationaux et les financements des institutions publiques internationales. En d’autres termes, la coopération décentralisée, si elle est pensée en des termes plus soucieux des priorités du peuple congolais, pourra contribuer de manière décisive à l’essor économique de la RDC. Le programme de décentralisation, inscrit dans la Constitution et qui donna lieu à des heurts violents en 2009, pourra ainsi mettre à profit l’expertise internationale en la matière pour éviter toute sclérose. 

 

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Rwanda – RDC: les dessous d’une guerre larvée

La récente admission du Rwanda au Conseil de Sécurité de l’ONU en tant que membre non permanent a ravivé les tensions entre Kigali et Kinshasa. En effet, la République Démocratique du Congo a activé, en vain, tous ses leviers diplomatiques pour que son encombrant voisin ne puisse bénéficier de pareille reconnaissance sur le plan international. Cet échec de la RDC confirme une fois de plus le grand bon diplomatique réussi par le Rwanda depuis près de deux dernières décennies. A coté d’une situation économique de plus en plus fleurissante, Kagamé est en passe de faire de Kigali une capitale diplomatique qui compte en Afrique.

Retour sur un conflit qui dure depuis près de deux décennies et dont les effets continuent à être dévastateurs pour cette zone géographique au potentiel énorme.Massacres, viols, mutilations, non accès à l'assistance humanitaire, destruction d’écoles et d’hôpitaux, enlèvements d’enfants incorporés de force aux groupes armés… Les conséquences dramatiques du différend entre frères ennemis rwandais et congolais sur la population civile sont légion. Ce conflit dont l’origine est au croisement de considérations ethniques, de raisons économiques et de calculs géostratégiques impliquant d’autres pays, voisins ou non, fait de l’immense terrain de chasse qu’est devenue la RDC, une zone d’instabilité chronique.

Tout part du génocide rwandais de 1994 qui a vu le massacre organisé de la population d’ethnie tutsie par des membres de l’ethnie hutue. Après l’arrêt du génocide et la prise du pouvoir par les Tutsis sous la houlette de Paul Kagamé, des centaines de milliers d’Hutus fuyant les représailles des nouveaux hommes forts de Kigali se sont réfugiés dans l’Est de ce qui était à l’époque le Zaïre avec la bienveillance de Mobutu.

A Kigali on est très vite convaincu que les camps de réfugiés nés de cette situation sont sous la coupe des milices hutues Interahamwe et de membres hutus de l’ancienne armée rwandaise, donc de génocidaires. Sous prétexte qu’ils préparent une invasion, la nouvelle armée rwandaise convoque la nécessité de défendre son intégrité territoriale pour occuper cette partie orientale du Zaïre. Mais derrière cette raison militaire se cache une autre beaucoup moins avouable, corroborée notamment par un rapport de l’ONU à l’époque : le dessein de Kigali est aussi, à terme, de faire main basse sur une partie des richesses du Zaïre. Comme pour donner du grain à moudre aux tenants de cette thèse, le Rwanda, qui rejette pourtant les accusations de l’ONU, arme d’abord les rebelles tutsis zaïrois Banyamulenge puis, avec l’Ouganda, l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila.

Ce dernier, avec l’aide de ces deux pays, parvient à évincer Mobutu du pouvoir en 1997. Il rebaptise le pays République Démocratique du Congo (RDC). Un an plus tard, en 1998, il décide de tourner le dos à ses alliés après en avoir trouvé d’autres jugés moins encombrants. Ainsi se sépare t-il de son chef de cabinet rwandais James Kabarebe, celui là même dont le général tutsi congolais Laurent Nkunda, entré en rébellion, dira quelques années plus tard, alors qu’on lui reprochait son allégeance à Kigali, qu’il a été le mentor de Joseph Kabila – héritier de son père à la tête de la RDC. Par conséquent, à en croire ces allégations, Kabila fils était lui aussi quelque part membre de l’armée rwandaise car formé dans le maquis par Kabarebe. Un raccourci hâtif certes mais qui en dit long sur l’influence que le Rwanda cherche à cultiver chez les dirigeants congolais.
Influence dont Laurent Désiré Kabila tenta toujours de se départir. Ses deux alliés traditionnels jugèrent alors opportun de le renverser mais c’était sans compter avec l’intervention de ses nouveaux alliés (Angola, Zimbabwe, Namibie, Libye, Tchad, Soudan) qui ont vu tout l’intérêt, d’ordre militaire parfois (démantèlement des bases de l’UNITA au sud de la RDC pour l’Angola) mais surtout économique qu’ils pouvaient chacun tirer de la situation compte tenu des trésors que renferme le sous-sol congolais. Cette démarche de Kabila père produira ce qu’on a appelé la deuxième guerre du Congo ou la première guerre continentale africaine. Elle dura quatre années (1998-2002).

Les accords de paix de Lusaka d’abord en 1999, puis Pretoria et Luanda en 2002, sont venus stabiliser relativement la région avec notamment le départ des 20 000 soldats rwandais présents dans l’Est de la RDC. Cependant, en dépit de tous ces accords, de ceux qui ont suivi (Nairobi 2006), de la présence de casques bleus et de l’organisation d’élections nationales qui ont conforté Joseph Kabila, de nombreux groupes armés souvent sponsorisés par des gouvernements étrangers continuent à opérer sur le territoire congolais. Cette instabilité chronique anéantit toute possibilité de développement du pays et de normalisation des relations entre Kinshasa et Kigali.

Une bonne partie de la population civile congolaise ne voit ainsi toujours pas la fin de cette guerre qui, de par sa durée, la multiplication de ses acteurs, le caractère à la fin illisible des revendications, des alliances et des parties prenantes, résiste à toute forme de bilan chiffré. En effet, nul ne sait exactement le nombre de victimes directes et indirectes engendrées par le chaos qui prévaut depuis des décennies dans le Kivu

Le Rwanda que plusieurs rapports de l’ONU, dont il vient d’accéder au Conseil de Sécurité, ont pointé du doigt ces dernières années quant à sa responsabilité conjointe avec l’Ouganda dans le pillage des ressources congolaises, continue de clamer sa légitimité sur toute une partie orientale de la RDC sous prétexte que cette zone, riche en ressources minières, serait « historiquement rwandaise ». Autant le dire sans nuance : tant que ce point de vue sera défendu par Kigali, la guerre larvée entre ces deux pays ne connaitra pas son épilogue.

Racine Demba

Diplomatie et hégémonie régionale en Afrique subsaharienne (2)

La géographie du Congo ou l'économie du Gabon : à qui le Centre ?

RDC
« L’Afrique est un revolver dont la gâchette est le Congo », disait Frantz Fanon. Cette assertion sonne comme un vœu pieux tant la RDC, à l’image de l’ensemble des Etats d'Afrique centrale, semble loin de l'émergence politique et économique. L’instabilité chronique dans cette région en est la cause principale. Le Congo, territoire immense aux ressources naturelles abondantes semble victime d'une malédiction. Son décollage aux premières lueurs de l'indépendance a été altéré par l'épopée de Mobutu ; les années qui suivirent son éviction du pouvoir furent marquées par un changement de direction politique qui n’a toutefois pas permis de rompre avec les vieux démons de la violence et d’une exploitation prédatrice des ressources nationales. L'est de la RDC est une zone poudrière qui est, à elle seuls, un nœud diffus de problèmes et d'enjeux multiples. En effet, sur ce territoire frontalier du Rwanda, cohabitent une multitude de groupes armés avec tous des agendas et des structurations différents. On y retrouve les Maï Maï, les Interhamwe, les FDLR, les rebelles du M23, les dissidents du RCD-Goma, etc.

Rwanda
A coté de cette kyrielle d'organisations militaires, le voisin rwandais est aussi une donnée à analyser avec grand intérêt. Paul Kagamé, président du Rwanda est constamment accusé de fragiliser et déstabiliser la RDC en accordant son soutien aux groupes armés qui opèrent sur le territoire congolais, avec comme base arrière le sol rwandais. Son but serait de disposer ainsi d'un levier de pression sur son puissant voisin. C'est une stratégie hélas courante sur le continent, utilisée par la Gambie qui s’est longtemps servie de la Casamance comme un moyen de pression sur le Sénégal ou de l'Algérie, qui s'appuie sur le Front Polisario pour contrarier le Maroc, etc.
L’impulsion derrière la diplomatie de Paul Kagamé est d’assumer un rôle de premier plan dans la région des Grands Lacs et, au delà, en Afrique de l'Est. Le Rwanda s'est donné les moyens de cette politique de retour après les tragiques épisodes du génocide de 1994 par le biais d'une diplomatie active et d'une économie en forte croissance.. Ce retour s’effectue avec le soutien des Etats Unis et de la Grande Bretagne qui accueillent avec bienveillance ce pays dans leur giron. Faut-il rappeler que le Rwanda post-génocide a tourné le dos à la France, allant même jusqu'à renier son identité francophone. Le rôle joué par Paris durant le génocide de 1994 reste controversé.

Gabon
Par ailleurs, dans la région centrale de l'Afrique, le Gabon occupe une place particulière malgré la modestie de sa taille et de sa population. Ainsi, ce pays joue un rôle de premier plan au sein de la CEMAC dont il est la locomotive, eu égard à sa puissance économique et financière. Le Gabon a pu s'appuyer sur ses richesses issues du pétrole pour acquérir une importance et une notoriété qui dépassent au-delà des frontières du continent. Cette importance du Gabon sur la scène internationale est aussi le fait d'une diplomatie généreuse surtout vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale. En effet, Omar Bongo a fini par symboliser, à lui seul, les méfaits et travers de la « Françafrique ». Sa loyauté vis-à-vis de la France a fait du Gabon un pays privilégié du pré-carré et une sorte de prolongement de l'ancienne métropole en Afrique. Omar Bongo a été fidèle à la France, que celle-ci soit de gauche ou de droite. Et elle le lui a bien rendu, notamment avec la présence de Nicolas Sarkozy à ses obsèques et l’acquiescement de l'Elysée à la transmission quasi-filiale du pouvoir à Ali Bongo, en porte-à-faux avec ses imprécations au respect de la démocratie et à la transparence dans les processus électoraux en Afrique.

Malgré elle, la Somalie plaque tournante d'une lutte d'influence féroce

La Somalie
L'Afrique orientale est sans doute la zone la plus troublée du continent avec une instabilité notoire entre les deux voisins Soudanais, les troubles frontaliers entre l'Ethiopie et son voisin érythréen, les visées rwandaises sur une partie du territoire congolais et la désagrégation de la Somalie qui est aujourd’hui, peut-être plus que l’Afghanistan, le modèle du failed state.
Aux côtés de Kigali, Nairobi et Addis-Abeba veulent aussi se positionner, voire se maintenir comme les acteurs majeurs de la zone. Curieusement, la Somalie constitue une zone d'exercice de l'influence que ces pays cultivent en Afrique orientale. La faillite de ce pays, divisé de fait en plusieurs micro-entités aux mains de chefs de guerre, de fondamentalistes shebabs et de pirates opérant dans le golfe d'Aden, inspire de la part de ses voisins une entreprise de normalisation qui cache mal un dessein hégémonique régional.

Le Kenya
Le Kenya, d’ordinaire réservé sur le plan militaire, a envahi le territoire somalien afin de combattre les milices islamistes qui ont procédé à des enlèvements de touristes et de travailleurs humanitaires étrangers sur le sol kenyan. L'Ethiopie a suivi en investissant la Somalie afin de combattre aussi les shebabs et d’éviter ainsi une jonction avec les populations autonomistes de l’Ogaden à majorité musulmane. Ces opérations, accompagnées d’un soutien logistique nécessaire au gouvernement provisoire somalien plus que dépendant de l'étranger, cachent mal une volonté des deux pays d’affirmer une puissance régionale dont le terrain de jeu est la Somalie.

Les luttes d'influence font rage en Afrique à l'instar des autres continents. Et il est intéressant de les appréhender selon une grille de lecture faisant appel à différents paramètres. Comment les intérêts nationaux peuvent-ils diverger, se croiser ou se compléter dans un grand ensemble qui est fortement tributaire des décisions et orientations prises hors de son sein ? En effet, il est courant de voir le continent africain indexé comme la cible d'une compétition hégémonique entre d'autres acteurs du jeu mondial. L'Europe qui veut préserver l'antériorité de son influence acquise par le biais du colonialisme. La Chine, qui se réveille et dont les besoins énergétiques orientent nécessairement vers le continent. L'Amérique qui veut intégrer l'Afrique dans son combat à visée universelle contre le terrorisme. C'est à oublier parfois qu'il existe une diplomatie intra africaine qui se pratique avec des leviers classiques de la politique étrangère dont dispose chaque Etat. Cette diplomatie est intéressante, notamment dans la mesure où elle se heurte aux difficultés structurelles qu'imposent souvent le caractère limité des moyens humains et matériels, mais également par la présence continue et influente des puissances occidentales à qui souvent revient le dernier mot sur des questions essentiellement afro-africaines. C'est ça aussi le paradoxe de l'Afrique, et cela ne fait que rendre la course hégémonie encore plus importante.

Hamidou Anne

Quelle est la place de la Francophonie en Afrique ?

A la veille de l’ouverture du sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie en République Démocratique du Congo, pays aux multiples imbrications politiques et militaires, il est important d’analyser les enjeux de ce grand rendez-vous diplomatique en Afrique.

Il n’est pas fortuit de confier l’organisation de ce sommet à la RDC qui, il faut le rappeler, est le plus grand pays francophone au monde, avec ses 69 millions d’habitants.
 

Ce sommet pourrait être celui d’un nouveau tournant pour une organisation qui, tant bien que mal, ne cesse d’essayer de compter dans le jeu diplomatique mondial. Cela, du fait de l’intérêt croissant qu’elle accorde dorénavant aux problématiques liées à la paix, la démocratie, l’Etat de droit et la préservation des droits de l’homme.
 

Ce sommet en Afrique centrale comporte une importance capitale eu égard à l’importance du continent dans la préservation de l’identité francophone. L’Afrique est encore le dernier rempart de l’avancée massive de l’anglais sur les bases francophones. Faut-il rappeler que sur les 56 pays membres de plein exercice de l’OIF, 30 sont africains. En outre, selon les chiffres de l’organisation, 96 sur les 220 millions de locuteurs francophones dans le monde vivent en Afrique.
Dès lors, l’on ne peu négliger la place que devrait occuper l’OIF en Afrique et l’ambition qui devrait être sienne de toujours y solidifier ses bases.
 

La place de la francophonie en Afrique ne peut être analysée seulement à l’aune de la consolidation de la présence et de l’influence de la France sur le continent. Ce serait tout de même faire preuve d’une grande naïveté de faire fi de cet aspect. Mais les relations entre le continent et la langue française découlent d’un passé qui a vu des chefs d’Etat africains prôner, défendre et construire une entité regroupant tous les locuteurs de cette langue au lendemain des indépendances. Léopold Senghor, Habib Bourguiba, Hamani Diori…furent les pionniers de cette unité organique des francophones qui, au début, jouait le rôle de lien entre la France et ses anciennes colonies.
 

Si au départ, le sentiment d’appartenir à une même communauté cimentée par la langue a prévalu à la création de l’OIF, d’autres enjeux plus politiques ont rejoint le chapelet des principes, missions et objectifs qui délimitent le champ d’intervention de l’organisation.
Ainsi, l’OIF est de plus en plus présente, depuis la Déclaration de Bamako, sur les questions de démocratie, de paix et de droits de l’Homme.
 

C’est cette orientation, plus ou moins récente donnée à l’OIF qui a prévalu à l’établissement de plusieurs mécanismes avec des résultats encore relatifs sur le terrain. Ainsi, Abdou Diouf avait pris des positions tranchées lors de la crise ivoirienne en demandant à Gbagbo de quitter le pouvoir après son refus de se conformer au verdict des urnes.
D’ailleurs, trois pays ont encore subi les foudres de la communauté francophone. Le Mali, la Guinée Bissau et le Madagascar sont suspendus de l’OIF à la suite des crises qui ont vu le fonctionnement normal de leurs institutions rompus. Ces pays ne seront pas représentés au ballet diplomatique de Kinshasa et ne pourront réintégrer les structures de l’organisation que lorsque la démocratie y sera rétablie.

Mais malgré ses positions régulièrement déclinées sur le continent, l’OIF peine à s’imposer en Afrique comme un géant politique et diplomatique capable de peser un poids énorme dans la résolution des crises institutionnelles nombreuses encore sur le continent. Ainsi, lors de plusieurs conflits intra ou inter pays du continent, elle ne s’en remet souvent qu’aux laconiques et répétées déclarations de principe et autres appels souvent peu entendus et suivis.

La situation conflictuelle qui demeure entre la RDC et le Rwanda, et qui a contribué au « boycott » du sommet de Kinshasa par le président Kagamé, (il sera finalement représenté par sa ministre des affaires étrangères) malgré les pressions amicales d’Abdou Diouf sont symptomatiques de la faiblesse diplomatique de l’organisation.
Kinshasa devait pourtant valablement servir de cadre de dialogue propice entre les deux pays qui s’accusent mutuellement de déstabilisation par groupes armés interposés. On se souvient que Dakar servit de cadre, la veille du sommet de l’OCI, de signature d’un accord de paix entre le Tchad et le Soudan.

Cette absence de poids diplomatique réel en Afrique constitue une tare assez incompréhensible du fait du nombre conséquent de pays africains membres de l’OIF, du leadership qu’incarne depuis 2002 Abdou Diouf à la tête de l’organisation et des nombreux fonctionnaires issus du continent qui servent dans toutes les sphères de l’organisation.
En effet, il suffit d’effectuer un tour au 19-21 de l’avenue Bosquet, siège de l’OIF, pour se rendre compte de la place que cette organisation devrait occuper sur le continent eu égard au nombre important de ressortissants africains qui y travaillent.
 

Il faut maintenant observer le déroulement de Kinshasa 2012, attendre ses conclusions afin de voir ce qui va sortir de ce grand rendez-vous transcontinental. L’OIF exploitera t-elle enfin le fort potentiel qu’elle détient sur le continent ? La réponse, elle est en anglais, un crime de lèse-organisation, wait and see !
 

Hamidou Anne

Les défis de la circulation des idées et des textes en RDC

L'année 2010 a permis de célébrer le cinquantenaire des indépendances de l'Afrique et a été l'occasion d'une série de manifestations lors desquelles plusieurs personnes ont été amenées à interroger cette supposée indépendance, qui cacherait de nouvelles formes de dépendance. Une dépendance légitime puisque c’est dans le cadre du Centre Wallonie-Bruxelles que s’est déroulé courant mars, les rencontres Congophonies Cha-Cha, traitant de la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui au travers du regard des artistes, cinéastes, écrivains, dramaturges, musiciens congolais ou étrangers. Il s’avère que par un concours de circonstance, l’occasion m’avait été offerte de pouvoir visionner le coffret de films de Thierry Michel consacré à la R.D.C qui a eu lors de ces rencontres l’opportunité de s’exprimer sur son travail.

C’est gonflé de toutes ces images, de mes lectures de Jean Bofane ou de Marie-Louise Mumbu, abreuvé par les chroniques des blogueurs de Congoblog ou d’Alex Engwete que je me suis rendu à la rencontre intitulé « de la circulation des oeuvres et des idées en RDC d'aujourd'hui». Avec l’ambition secrète de pouvoir rencontrer les écrivains Nasser Mwanza et In Koli Jean Bofane, mais également la volonté de comprendre la place de la littérature dans cette mécanique. Je dois dire que cette rencontre a été particulièrement édifiante et déroutante. On est partagé par une forme d’émerveillement et d’un profond abattement au sortir d’une telle soirée. Parce que les repères sont complètement autres. La vision du monde est en rupture avec la vision occidentale dans laquelle nous baignons. Sur la consommation par exemple.

de gauche à droite Julien Kilanga Musindé, Jean Bofane, Nasser Mwanza, Colette Braeckmann

Marie Soleil Frère par exemple a introduit les débats sur la diffusion de la presse écrite en RDC. Tout relève de l’acrobatie à ce niveau. La consommation classique, cartésienne, individuelle de la presse n’a pas lieu de citer à Kinshasa. Trop chère. Elle est contournée par des subterfuges comme les « parlements debout » (où les badauds se postent devant les étals des vendeurs pour leur lecture rapide de l’actu), les photocopies de journaux, la location de journal, les lectures multiples. L’usage d’un journal est avant tout collectif. Les revues de presse sur les ondes hertziennes parachèvent le travail de sape de la diffusion lucrative des journaux. A cela vient se greffer l’impossibilité de diffuser les journaux de la capitale vers l’intérieur du pays vu l’absence de solvabilité des intermédiaires. La chercheuse note toutefois l’impact positif de la presse sur Internet à l’intention principalement de la diaspora congolaise.

Se pose cependant la question sur la pratique même du journalisme en RDC. En particulier celle de la crédibilité et de l’indépendance de certains journalistes congolais à l’égard des hommes politiques ou des opérateurs économiques. La commande d’articles par ces derniers est monnaie courante souligne le cinéaste Balufu Bakupa-Kanyinda. Naturellement, on se demande comment il pourrait en être autrement vu la fragilité de la posture des journalistes et des organes de presse quand on considère le mode de diffusion de leur travail.

Le cinéaste s'étend sur le rapport complexe qu’entretiennent les congolais de la rive gauche du fleuve Congo avec le livre. Il donne l’occasion aux personnes présentes peu averties par les effets collatéraux du mobutisme de prendre conscience de l’instrumentalisation et du contrôle que ce système a exercé sur les auteurs (en particulier de fictions). Le livre sous le mobutisme incarne la ligne du parti unique, c’en est un prolongement. « Les idées circulent là où il y a un désir de production et de réflexion. Le potentiel est énorme ». Le paradoxe d’un pays dynamique : l’absence d’infrastructures relais pour la diffusion de la culture. Pas de librairies à Kinshasa. Pas de salle de cinémas. La culture est véhiculée par les brasseurs et les musiciens (sponsorisés par les premiers). Mais peut-être que le vrai problème selon Balufu est le suivant : « Les premiers besoins sont-ils ceux du ventre ou de la tête ? »

de gauche à droite Nasser Mwanza, Colette Braeckmann, Balufu Bakuba-Kipyanda, Marie Soleil Frère

Nasser Mwanza revient sur son expérience de jeune auteur à Lubumbashi. L’occasion de revenir sur ce qu’il appelle la rupture de Lubumbashi avec la francophonie. Les années 90 ont donné lieu à des pillages de centres culturels francophones dans cette région excentrée de la RDC. Absence de correspondances. Pourtant, le jeune auteur congolais se bat dans ce contexte pour diffuser ses textes sur place en procédant à des lectures publiques, par des affichages dans les lieux de rencontres comme les salons de coiffure, par le porte à porte ou par les réseaux estudiantins intéressés. Il regrette l’absence d’une politique culturelle identifiable de l’état congolais. Il souligne toutefois, que le mobutisme a permis au jeune lushois de profiter des cercles culturels de la Faculté de lettres de Kinshasa délocalisée stratégiquement par Mobutu dans la capitale du Katanga.

Jean Bofane revient sur son expérience en tant qu’éditeur au début des années 90 avant son exil. Avec le sourire que l’on retrouve chez ses personnages de fiction, il énumère malgré les promesses de liberté de ce secteur d’activité formulées par le régime mobutiste aux abois, les faits de terreur et d’oppression à l'encontre des éditeurs. Pillage et dynamitage du matériel. Autres espiègleries. Il raconte l’aventure des bandes dessinées qu’il a diffusées par le canal d’un réseau alimentant le grand marché de Kinshasa. Il décrit le processus de création dans ce contexte corrosif. Il constate que les produits tels que son roman « Mathématiques congolaises » auraient du mal à circuler dans le format congolais actuel. Mais il envisage les choses avec optimisme.

Julien Kilanga Musinde, directeur des langues et de l’écrit à l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.) revient sur la variété de l’édition qu’elle fut de nature confessionnelle, étatique, universitaire. Il constate son cloisonnement et son aspect principalement local. S’il fait le constat du retard de la production littéraire congolaise sur la scène africaine, il souligne l’émergence de l’essai politique dans les années 90. Il revient sur la stratégie de diffusion dans l'espace francophone qui se met progressivement en place pour établir des ponts entre l'Europe et le continent africain en général, la RDC en particulier en termes de diffusion des oeuvres. Il cite notamment Afrilivres (constitution de trois pôles de diffusion – Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Afrique centrale) et Espace Afrique International.

Les questions de l'auditoire ont donné lieu à des éclairages intéressants. Je retiendrai en particulier la sentence de Jean Bofane : "Parler, écrire, cela reste des actes dangereux en RDC". Les assassinats de journalistes congolais sont là pour en témoigner.

Lareus Gangoueus

Crédit photo : Elodie Boulonnais

Pour aller plus loin sur ce sujet, un article de Leila Morghad : L'Afrique a-t-elle peur de la page blanche ?

 

RDC : 10 ans de croissance fallacieuse

Les performances accomplies en RDC, en termes de positivité des taux de croissance et de maîtrise du niveau d’inflation depuis début 2000, sont devenues un vrai motif de fierté pour les autorités politiques, qui sont dorénavant bons élèves des institutions de Bretton Woods. Ils ne jurent plus que par les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : atteindre des taux de croissance à deux chiffres et les maintenir pendant 8 ans pour réduire la pauvreté de 50 %. Mais peut-on réellement émettre des prévisions fiables de réduction de pauvreté sur la base d’une croissance du type congolais ? Selon la Banque Centrale du Congo (BCC), entre 2001 et 2011, le PIB et l’emploi ont connu des taux réels de croissance de 5,5 et de 5,85 respectivement. Les secteurs primaire, secondaire et tertiaire ont été multipliés par 7,23 ; 5,60 et 44190,58 avec des taux de croissance de 24,58 % ; 21,09 % et 228,21 % respectivement. L’Indice de Production Industrielle qui se rapporte au secteur dit secondaire (usines, chantiers, mines et carrières) a varié de 2,61 % par an.

Ces statistiques sont apparemment impressionnantes, mais regardons-les sous un angle différent : le PIB étant la somme des Valeurs Ajoutées (VA), considérons la structure de celles-ci. La VA se répartit essentiellement entre les salaires, les cotisations sociales, les impôts, et les profits, dont l’augmentation traduit celle du PIB, et la qualité celle de la croissance. Mais il ne sera question, ici, d’analyser que l’emploi et la part revenant aux entrepreneurs, ainsi que les effets d’entraînement. La demande du travail est fonction de la production prévue par les entreprises. Le corollaire est qu’en période prospère l’emploi augmente, les prévisions restant positives, et la masse de salaire suit le même mouvement.

En RDC, de 2001 à 2011, le taux de chômage n’est passé que de 90 % à plus de 70 %. En terme réel, le PIB a été multiplié à peine par 2, le PIB/tête par 1,26 et plus de 71 % des congolais vivent avec moins d’un dollar américain par personne par jour selon le rapport mondial sur le développement humain 2011. La lenteur dans l’augmentation de l’emploi s’explique par le fait que la croissance ait été déclenchée et soutenue par le secteur tertiaire (qui a été multiplié par 44190,58),essentiellement constitué des sociétés de télécommunication et des banques qui n’ont pas besoin d’une grosse main d’œuvre. L’évolution du secteur industriel qui engloutit un travail abondant, n’égale pas son potentiel alors que l’emploi est un déterminant fondamental de la pauvreté. Une croissance non créatrice d’emplois massifs dans une économie à taux de chômage très élevé biaise les prévisions de réduction de pauvreté. Un autre aspect important de la création de richesses intérieures est la part revenant aux entreprises, les profits. Malheureusement ces profits ne sont presque pas réinvestis dans l’économie. Il y a donc un effet d’optique dans cette richesse.

Selon la BCC, la RDC perd chaque année, autour de 10 % du PIB suite aux transferts vers le reste du monde. Mais il est fort plausible que l’économie congolaise ait été transformée en une sorte de grenier où les investisseurs puisent pour réinvestir dans leurs pays d’origine. Et les richesses réinjectées dans l’économie ne représentent pas grand-chose par rapport à celles créées. Au regard de ces faits, nous sommes convaincus que les transferts vers le reste du monde sont de loin supérieurs à 10 %.

A présent parlons des effets d’entraînement. Supposons que suite à la production des sociétés étrangères installées dans un pays, le taux de croissance atteigne deux chiffres. Ces sociétés emploient une petite quantité de main d’œuvre dont les cadres sont étrangers et bien rémunérés, et les subalternes sont nationaux avec des salaires médiocres. La grande partie de leurs consommations intermédiaires est étrangère pendant qu’elles peuvent uniquement provenir de l’intérieur du pays, et pour tout couronner, leurs comptes bancaires sont logés à l’étranger, et la grande partie de ce qu’elles gagnent est rapatrié dans leurs pays. Dans leur incapacité à canaliser l’économie vers des objectifs bien définis, les autorités congolaises se contentent de l’installation d’une nouvelle société qui augmente le PIB, parce que dans ces conditions elles restent bons élèves des institutions de Bretton Woods, alors qu’elles devraient garantir les effets d’entraînement au sein de l’économie nationale. Une croissance qui n’occasionne presque pas d’effets d’entraînement et qui ne laisse que peu de moyens pour l’économie nationale biaise les prévisions de réduction de pauvreté. Les réformes doivent donc être d’actualité en RDC s’il faut espérer une croissance plus introvertie.

Avant tout, il convient de savoir que le libéralisme n’exclut pas l’orientation de l’économie vers un objectif. La canalisation de l’économie vers l’industrialisation sera un vrai moteur de création d’emplois massifs. L’amélioration des systèmes bancaire et financier est indispensable à la minimisation de la préférence des investisseurs vers l’étranger, ce qui pourra améliorer la disponibilité des ressources nécessaires au réinvestissement dans des secteurs à forte intensité de main d’œuvre. Et la mise en place d’un environnement favorable aux effets d’entraînement favorisera la croissance dans plusieurs secteurs. L’amélioration du cadre institutionnel économique propice à l’essor des PME à intensité en main d’œuvre doit préoccuper la RDC au premier degré.

La croissance du type congolais est donc fallacieuse, elle manque de consistance. Elle est basée sur des secteurs non créateurs d’emplois massifs, qui n’occasionnent presque pas d’effet d’entraînement. Elle enrichit plus les investisseurs tout en occasionnant des rapatriements massifs des richesses vers leurs pays d’origine, et donc ne laissant que peu de moyens pour l’économie nationale. Avec une telle croissance la réalisation des OMD devient une illusion.

Kyayima Muteba Franklin, économiste à l’Université de Kinshasa

Article initialement paru chez notre partenaire Next-Afrique

La RDC dans l’oeil du cyclone

La République démocratique du Congo va bientôt être au centre de toutes les préoccupations géopolitiques en Afrique. Les Congolais seront bientôt appelés à élire leur président de la République. Si le calendrier électoral n'est toujours pas définitivement fixé, la Constitution considère la date du 5 décembre 2011 comme l'échéance pour organiser une nouvelle élection présidentielle.

Selon une note du think tank International Crisis group (http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-centrale/rd-congo/175-congo-le-dilemme-electoral.aspx), dans les conditions actuelles, la future campagne électorale ne pourra être que bâclée: " Confrontées au dilemme de respecter les échéances constitutionnelles et d'organiser des élections bâclées, ou d’ignorer ces échéances et plonger dans une période d’inconstitutionnalité du pouvoir, les autorités congolaises ont choisi la première option." Mais cette option comporte également un certain nombre de risques: perte de légitimité du gouvernement qui sera sans doute accusé de fraudes massives ; embrasement des antagonismes politiques si les conditions minimales d'équité entre les candidats ne sont pas respectées, qui pourrait déboucher sur une résurgence des conflits internes. Du fait des retards dans l'organisation des préparatifs électoraux (la loi électorale, la liste des électeurs et le budget ne sont pas prêts), l'ICG  recommande un report de l'élection, une plus grande implication financière et technique de la communauté internationale, et un general agreement entre les différentes forces politiques sur le bon déroulement de la campagne électorale.

La République démocratique du Congo est un sujet de préoccupation grandissant de la presse anglo-saxonne, le magazine d'analyse internationale foreign policy  consacrant à la RDC un long article sur le sujet:  //www.foreignpolicy.com/articles/2011/05/12/rediscovering_congo?page=0,0. Jason Stearns y explique que le regain d'intérêt de l'opinion américaine pour Congo se cristallise autour de deux thèmes phares: la protection des femmes violées et le commerce des métaux précieux qui alimente au noir les bélligérants du conflit congolais. Malgré une certaine accalmie du conflit, notamment dans sa dimension internationale, puisque le Rwanda, l'Ouganda, le Zimbabwe et l'Angola ont largement retiré leurs troupes du territoire congolais, la violence perdure dans l'Est du Congo. Cette violence s'acharne particulièrement sur les femmes, 400 000 d'entre elles étant chaque année victimes de viol. Des rapports d'étude et des mobilisations citoyennes d'ONG tentent de sortir cette problématique inacceptable de l'indifférence dans laquelle elle est confinée.  

Concernant les métaux précieux, à savoir l'étain, le tungstène et le tantale, qui sont des composants notamment pour les téléphones portables,  l'organisation "Enough Project" tente de conscientiser les consommateurs sur le thème "Vous ne voulez pas que votre téléphone cellulaire alimente la guerre au Congo ? Dites le à Obama !". C'est ce genre de campagne de presse qui avait notamment amené à  réglementer le commerce des diamants, pour endiguer le commerce des diamants de sang. Les problèmes de la République démocratique du Congo gagnent en visibilité internationale. C'est bien. Mais ce sera en définitive aux Congolais eux-même de trouver les solutions qui leur assureront un avenir meilleur.

Emmanuel Leroueil

L’origine des mots: le Zaïre

Je savais depuis quelques années à quel point le temps peut jouer des tours à l’usage des mots, surtout quand on y mêle de l'incompréhension linguistique. Bien souvent en Afrique, il suffit d’une discussion à bâton rompu avec un ancien pour prendre conscience que les mots ont une vie et que comme la nôtre, de vie, elle change et connait bien des péripéties :

Le Zaïre

Quand les explorateurs portugais (sous l'égide de Diogo Cão) débarquèrent sur le territoire de l’actuel RDC (15e siècle), ils cherchèrent à connaitre le nom de la contrée sur laquelle ils avaient mis le pied. En pointant du doigt leur environnement, ils demandèrent aux autochtones : « Comment s’appelle ce pays, comment nomme-t-on ce fleuve ? ».
Leurs hôtes ne comprirent pas ce que désiraient les étrangers car pour eux, un fleuve, c’était un fleuve. Donc ils répondirent en désignant le fleuve : « Nzadi ». Ce qui voulait dire dans l’un des dialectes du royaume KONGO : rivière ou fleuve.
Résultat ? Mauvaise compréhension, du fait d'une intonation qui n’existait pas dans leurs langues d’origine… Les explorateurs décrétèrent que ce pays s’appellerait désormais le « ZAÏRE ».

Croyez-vous que l’histoire s’arrête là ? Que nenni. Les mots ont une vie trépidante vous ais-je dit. Quelques siècles plus tard (19e), après que Savorgnan de Brazza se soit fait berné par Henry Morton Stanley, (ceci est une autre histoire savoureuse qui vous sera contée un de ces 4 !) ; le roi des Belges Léopold II, après que lui fut remit officiellement la propriété du territoire, rebaptisa le pays en référence à l’un des plus grand royaume autochtone en « Congo Belge ». A l’indépendance du pays (30 juin 1960), le pays devint « République du Congo », sûrement pour bien faire comprendre aux Belges que le pays n’était pas leur propriété… Il faut croire que là encore les Européens ne comprirent rien !

Quand en 1966, Mobutu Seseseko Kukuwendo Wazabanga (j’adore prononcer ce nom en entier !!) prit le pouvoir, il voulu imposer sa patte sur le pays. Outre sa « philosophie » sur l’authenticité, le changement de noms de différentes villes du pays (Léopoldville devient Kinshasa) ; il rebaptisa le pays du nom qui, selon lui, représenterait le mieux l’unité ethnique  et qui était le nom d’origine que les Belges avaient changé : le Zaïre ! … Le serpent se mord la queue et il n’a pas fini de se faire mal.

Au début des années 90, une « conférence nationale » se tient à Kinshasa qui a pour but de mettre à plat les années de dictature pour aller dans le sens du « vent de la démocratie » (sic !) qui balaie l’Afrique. A cette occasion, pour montrer la fin des années de joug dictatorial, les conférenciers décident de débaptiser le pays, d’effacer des tablettes le nom « ZAÏRE » symbole de la mégalomanie de Mobutu et ils reviennent à ce qu’ils estiment être l’essence du pays : le mot Congo. Mais l’appellation «République du Congo» prôné dans les années 60 est déjà trustée par le pays voisin. Ce sera donc… RDC ou République Démocratique (re-sic !) du Congo !!

Si j’en crois mes illustres anciens, telle est une des probables vie du nom « CONGO ». Est-ce la bonne ? Peut-être pas. Mais ce parcours chaotique me plait car il sort de la banalité d’une « trouvaille » d’un individu unique dans son coin. Ça donne au mot une allure plus « sexy » non ?

Joss Doszen