Pourquoi le redémarrage économique de la Tunisie se fait-il encore attendre ?

Il y a quelques jours, une grande manifestation avait lieu à Sidi Bouzid, où la révolution avait démarré en 2011. Parmi les revendications, les problèmes économiques étaient en bonne place : chômage, pauvreté et absence de politique de développement économique. Au même moment, le FMI publiait son nouveau rapport sur la stabilité du système financier tunisien. Le rapport souligne la faiblesse de l’économie nationale, et la fragilité de l’équilibre financier, après des années sans supervision financière rigoureuse.

La Tunisie, après une transition politique sur le point de s’achever, doit maintenant s’atteler à des chantiers colossaux : la création d’emplois, en particulier pour les jeunes, le soutien à l’investissement privé et le développement des régions intérieures qui ont été délaissées  par le régime précédent. Conséquence de la révolution de 2011, le PIB tunisien aurait reculé de 1,8% en 2011, selon les estimations du FMI. Les principaux facteurs de cette contraction ont été la forte chute de la fréquentation touristique (-30%) et l’effondrement des investissements directs étrangers (-20%). Le chômage a fortement augmenté, conséquence du ralentissement économique et du retour des travailleurs tunisiens qui travaillaient en Libye, atteignant 19% de la population active, et plus de 40% des jeunes. Les prévisions du FMI tablent sur une croissance de 2% en 2012, soit nettement moins que la moyenne de 4-5% enregistrée par la Tunisie de 2000 à 2010. Pour relancer la croissance, plusieurs défis économiques devront être relevés.

1) La réforme du secteur bancaire

Le secteur bancaire représente l’une des principales vulnérabilités du système financier tunisien. Alors que le précédent rapport de stabilité financière du FMI paru en 2006 recommandait au gouvernement tunisien de réformer le secteur en profondeur, rien n’a été fait par le précédent régime. Le rapport 2006 préconisait notamment de réformer les banques publiques en améliorant la gestion du risque de crédit, via la notation des contreparties, et de mettre en place un système de restructuration des créances douteuses. L’inaction du gouvernement précédent s’est traduite par un accroissement du risque de crédit et la nécessité d’augmenter le taux de provisionnement, ce qui a impacté négativement le niveau de capitalisation des banques publiques. A cet égard, le FMI recommande dans son rapport d’augmenter le ratio de solvabilité minimum de 8 à 10%. Une meilleure évaluation du risque est également essentielle : à fin 2011, le niveau officiel des prêts non performants était de 13%, auquel il convient d’ajouter 5% de crédits « rééchelonnées » suite à la révolution de 2011. Il faudra aussi prendre en compte des créances publiques, supposées être garanties par l’Etat, dans l’évaluation des risques. Le gouvernement tunisien actuel a d’ores et déjà renforcé la supervision bancaire et redéployé les effectifs selon les besoins, mais des efforts importants restent à faire.

 2) La maîtrise du risque de liquidité

La Banque centrale tunisienne (BCT) a jusqu’à présent contenu le risque de liquidité des banques  en injectant régulièrement des liquidités, ce qui a permis aux banques de ne pas recourir à des financements extérieurs pour pouvoir octroyer des crédits, qui ont fortement progressé en 2011. Les tests de liquidité ont montré que les banques sont dépendantes du refinancement  de la BCT, et seraient fragilisées en cas d’un retrait massif des dépôts par les clients. Les multiples injections de la BCT ont en outre fait diminuer les réserves de change du pays, ce qui n’est pas tenable à moyen-long terme. Le ratio crédit/PIB a ainsi atteint 70% en 2011 (contre 60% en 2006), et la hausse du volume des crédits a entraîné une accélération de l’inflation. Le FMI recommande donc que la BCT développe le marché interbancaire en relevant le coût de refinancement, afin de diminuer ses injections de liquidité et maintenir un niveau de réserves en devise acceptable.

 3) La relance des secteurs moteur de l’économie : IDE et tourisme

 Afin de relancer l’investissement direct étranger dont la Tunisie a besoin, une réforme des marchés de capitaux est indispensable. Les rendements incertains du marché obligataire et du marché actions freinent actuellement les investisseurs, ce qui s’est traduit par un repli des IDE en 2011 (0,9% du PIB) contre 3% du PIB en 2010 (données FMI). Comme le montre un rapport publié par la Banque africaine de développement intitulé Tunisie : Défis Economiques et Sociaux Post-révolution paru en 2012, le pays ne dispose pas de mécanismes juridiques incitatifs pour attirer des types d’investissements tels que les joint-ventures, les fusions-acquisitions transfrontalières, ou encore l’expansion géographique d’une société étrangère. Seuls les investissements liés à une délocalisation sont aujourd’hui facilités. La promotion des IDE doit également s’accompagner d’une incitation au transfert de connaissances et à l’innovation industrielle au niveau local, via des mesures fiscales par exemple.

Un deuxième relai de croissance de l’économie tunisienne est le secteur touristique, qui s’est effondré en 2011 (recettes en baisse de 40%), en raison de l’instabilité politique. Les difficultés du secteur ont eu un impact significatif sur l’emploi, mais ont aussi participé à la dégradation du portefeuille de prêts et de garanties des banques publiques tunisiennes, très exposées à ce secteur. L’enjeu consistera à encourager une montée en gamme progressive du tourisme tunisien, jusqu’à présent avec un positionnement low-cost, afin d’augmenter les recettes touristiques, à l’instar de ce qu’à fait le Maroc avec succès.

 Le potentiel de l’économie tunisienne est indéniable, mais des réformes structurelles sont indispensables pour assurer une stabilité financière durable et retrouver la confiance des investisseurs étrangers. Les prévisions de croissance pour les prochaines années sont encourageantes, reste à savoir si le contexte politique permettra ce redémarrage économique tant attendu.

Leïla Morghad