Hendrik Witbooi, résistant namibien

Peut-être que je me trompe, mais il me semble que l’on a très peu de témoignages écrits de guerriers, de résistants africains à l’invasion puis à l’occupation du continent par les troupes européennes. Les grands faits de la résistance africaine sont passés sous silence faute d’être passé de la tradition orale à une retranscription sur papier. L’histoire est donc contée par les chasseurs, inculquée à des générations d’élèves africains qui grandissent en se disant que les traités de paix et de protectorat signés par des monarques analphabètes ont été la norme, l'unique norme. Aussi, les lettres de guerre d’Hendrik Witbooi, puissant capitaine de la communauté nama des oorlams (Namaqualand) contre la pénétration allemande dans le Sud-Ouest Africain – future Namibie – nous donne un éclairage intéressant sur la résistance qu’il a opposé aux allemands pendant une quinzaine d’années, jusqu’à sa mort en 1905 sur un champ de bataille à 74 ans.

Hendrik Witbooi est le leader de la communauté des oorlams, mélange de peuples rouges s’étant affranchis de l’asservissement des boers et de voleurs de bétail qui au cours du 19ème siècle vont constituer un peuple puissant et guerrier de Namibie. C’est une communauté dont les leaders ont été christianisés, comme ce fut le cas d’Hendrik Witbooi, instruit et lettré, qui va avoir une vision messianique de son leadership sur les peuples de la région, en particulier des héréros dont il méprise la culture et l’inhumanité des actions. Alors que Witbooi guerroie avec ses ennemis séculaires, les allemands pointent leur nez sur ce vaste territoire et imposent des traités de protectorat aux différentes communautés blanches, rouges ou noires de la région. Witbooi qui ne comprend pourquoi il devrait céder sa souveraineté s’oppose à cette démarche, jusqu’à défendre sa posture par les armes.

Votre paix sera la mort de ma nation est donc un recueil de lettres écrites par Witbooi en temps de guerre ou de paix à l’endroit de ses principaux interlocuteurs, adversaires, alliés, traitres. On y trouve des échanges avec Samuel Maharero, le chef des héréros, avec le médiateur H. Van Wick, des demandes à l’endroit de Cecil Rhodes avec lequel il a été en affaire, avec les anglais dont il cherche le soutien pour obtenir des armes et lutter contre les allemands, et enfin les autorités militaires allemandes incarnées principalement par Carl Bruno Van François, le Capitaine Leutwein.

Ce qui me frappe chez Witbooi, et dans ses échanges extrêmes et racés avec ses interlocuteurs, et que j’ai d’abord mal interprété, c’est son sens politique. Avant d’aller à l’affrontement, il tente de flatter les anglais et de les renvoyer à leurs responsabilités, de les opposer aux allemands en lui fournissant des armes à lui que ne comprend pas le fondement du partage de Berlin. S’il s’oppose aux héréros au départ, il relativise énormément le conflit ancien par rapport au danger d’une collaboration avec les nouveaux occupants. Je l’ai trouvé parfois bavard, mais finalement pertinent et j’avoue que la franchise de ces échanges avec le Capitaine Leutwein sont riches d’enseignement quand on veut engager des pourparlers en ayant la possibilité de se regarder dans un miroir.

Agacé au départ, je me suis pris au jeu de ces lettres, avant d’être ému par l'un des derniers courriers de cet homme original qui ne voulait pas abdiquer sa souveraineté pour un sou. Vous l’aurez compris, je recommande cette lecture qui, pour les occidentaux, interpellera sur la violence et la barbarie de la colonisation célébrée par Victor Hugo et pour les africains frappera par la clairvoyance rare, trop rare d’un leader qui a compris ce qu’est le prix à payer de la privation de la liberté, de l’identité, de la sécurité d’un peuple. Bonne lecture et passez nous donner votre avis sur cette lecture.

 

Lareus Gangoueus, article initialement paru Chez Gangoueus

 

Edition Le Passager clandestin, 174 pages, 1ère parution en 2011
 
Voir également les chroniques de Raphaël Adjobi sur son blog, de Fiolof dans la Marche aux pages, de la revue web Lectures, sur le site de la Fondation de la poste ou encore sur Des petits riens.

Chacune de ces chroniques est dense et elle réflète la qualité de ce témoignage de ce chef du Namaqualand.