Annoncée en février 2007 par le président George Bush, la mise sur pied effective de la United States Africa Command (Africom) Africom intervient en octobre de la même année. Sa direction fut confiée au général afro-américain William « Kip » Ward jusqu’en mars 2011, date à laquelle le général Carter Ham a pris la relève, avant que ce dernier ne soit remplacé en 2012 par – sous réserve de confirmation par le Sénat – par le général David Rodriguez.
Doté d’un siège à Stuttgart, au sein de la United States European Command (EUCOM), Africom fonctionne comme le commandement unifié pour l’Afrique. Ainsi, toutes les structures militaires qui s’occupaient de questions africaines sont dorénavant subordonnées à l’État-major d’Africom. Il s’agit de :
U.S. Army Africa (USARAF), Vicence, Italie
U.S. Naval Forces, Africa (NAVAF), Naples, Italie
U.S. Air Forces, Africa (AFAFRICA), Ramstein Air Base, Allemagne
U.S. Marine Corps Forces, Africa (MARFORAF), Stuttgart, Allemagne
Combined Joint Task Force-Horn of Africa (CJTF-HOA), Camp Lemonnier, Djibouti
Special Operations Command-Africa (SOCAFRICA), Stuttgart, Allemagne
Pourquoi une présence américaine sur le continent ?
La création de l’Africom répond à plusieurs objectifs stratégiques de la politique diplomatique américaine depuis qu’elle s’intéresse de façon plus attentive à l’Afrique. La chute du mur de Berlin et la guerre du Golfe de 1991 ont entraîné un remodelage de la carte géopolitique du monde et ont poussé les Américains à opérer un retour retentissant en Afrique. L’Administration Clinton a été à l’avant-garde de ce retour, matérialisé notamment par la tournée que le Président Clinton y a effectué du 23 mars au 2 avril 1998. Ce fut la première visite d’un chef d’Etat américain en subsaharienne après 20 ans.
Au delà du besoin américain d’étendre son influence sur toutes les parties du globe, des intérêts plus stratégiques ont poussé le pays de l’oncle Sam à prendre en compte l’Afrique dans son agenda international.
La dépendance énergétique de l’Amérique est un de ces éléments stratégiques. L’implication de plusieurs saoudiens dans les attentats du « World Trade Center » et du Pentagone, la seconde guerre du Golfe ont fait prendre conscience aux Etats Unis que leur dépendance au pétrole du Moyen Orient constituait un risque pour leur économie. Il fallait donc trouver un moyen de sécurisation de son accès au pétrole dans le Golfe de Guinée. L’instabilité du Moyen Orient pousse ainsi les États-Unis à diversifier de façon plus accrue ses sources de fourniture du pétrole et amoindrir les risques liés à son acheminement. D’ailleurs, d’ici 2015, 25% de l’importation américaine de pétrole proviendra d’Afrique. La présence militaire américaine sur le continent a ainsi un grand soubassement économique. Et ce n’est guère surprenant.
Deuxièmement, l’échec de l’«Operation Gothic Serpent », durant la bataille de Mogadiscio en Octobre 1993 qui vit la mort d’une vingtaine de soldats américains, les attentats de Nairobi et de Dar es Salam en 1998, le « 11 septembre 2001 » et la constitution de mouvements terroristes affiliés à Al Qaeda ont montré que l’Afrique était, elle aussi, un terrain de bataille dans la « War on Terror » et méritait une attention militaire plus accrue de la part de l’Amérique. L’attentat manqué du Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, à noël 2009 et la création d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) n’ont fait que renforcer ce point. Les États-Unis ont investi des sommes colossales et des moyens humains considérables dans leurs guerres au Moyen Orient. Les troupes combattantes y côtoyant l’appareil mis en place pour le renseignement et la prospection des nouveaux foyers de tension. L’aiguille du terrorisme islamiste oscille de plus en plus vers l’Afrique avec des terrains favorables à son éclosion. Il s’agit des pays favorables aux groupes djihadistes (Soudan), ou en faillite (Somalie) voire fragiles économiquement et militairement (Mali). Les stratèges du Pentagone ont compris, sur la base de prévisions, qu’on ne pouvait combattre le fléau du terrorisme en faisant fi de l’Afrique, notamment de sa bande sahélienne. D’ailleurs, les missions de l’Africom, détaillées par Georges W. Bush lors de sa création, confirment cet état de fait : lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le trafic de drogue et la piraterie. L’Africom a aussi comme ambition de constituer une réponse aux crises humanitaires qui frappent le continent africain tout en renforçant la coopération militaire avec les pays d’Afrique.
Enfin, la création de l’Africom intervient également en pleine redistribution des cartes d’influence en Afrique. Les anciens pays colonisateurs achèvent le retrait de leurs forces militaires sur le continent. L’Afrique longtemps « sous-traitée » aux anciennes puissances coloniales, et objet d’interventions « intermédiées » durant la Guerre froide, redevient un jeu ouvert à tous. La Chine et l’Inde ne s’y sont pas trompées, qui ont intensifié investissements et projet de coopération avec les pays Africains. L’Amérique reste l’une des rares puissances occidentales délestée du stigma colonial, et elle entend jouer sa partition.
L’Africom, une présence mutuellement avantageuse ?
Si l’intérêt de l’Amérique pour l’Afrique est clair. Qu’y gagne l’Afrique ? Le jeu (au plan budgétaire et humain) en vaut-il vraiment la chandelle ? Cette force peut-elle être considérée comme un profit au regard des enjeux actuels qui se dressent devant les pays souvent désarmés face aux défis sécuritaires ?
Pour les pays africains, au motif de développer une coopération renforcée avec les Etats Unis, notamment qui serait un excellent bailleur pour la réalisation d’infrastructures de développement, l’idée d’accueillir Africom peut être à première vue séduisante. Le terrorisme d’inspiration politico-religieuse, parti du Moyen Orient, est en train d’étendre ses tentacules en Afrique. Et il y trouve un terrain propice d’éclosion eu égard à la faiblesse structurelle des Etats, mais aussi de la pauvreté qui constitue un moyen de trouver plus facilement des individus prêt à mourir à la solde d’une idéologie, même la plus rétrograde.
La situation dans la corne de l’Afrique et dans le Sahel impose nécessairement une réponse coordonnée et de grande envergure. Les États africains ne possèdent pas, nécessairement, les moyens de relever les défis qui s’imposent à eux et ne peuvent pas à eux seuls, venir à bout de ces mouvements de plus en plus armés et bien formés souvent dans des terrains qu’ils maitrisent mieux. Conscient de ces enjeux et des réalités logistiques sur le continent, l’Africom décline dans ses missions un important volet relatif à la coopération militaire avec les pays du continent.
Le risque est tout de même grand de reproduire des schémas qui ont eu cours après les indépendances, avec le maintien des bases militaires des anciennes puissances coloniales sur le continent. Les opinions publiques africaines sont d’ailleurs complètement réticentes à accueillir des GIs sur leur sol. Autoriser une sorte d’ « œil de Washington » permanent sur le sol africain est périlleux à la longue eu égard au principe de souveraineté des Etats très important en matière de relation internationale.
Plus encore, quelle garantie existe-t-il que l’Amérique, après « sa mission civilisatrice » au Moyen-Orient, ne sera pas tentée « d’exporter la démocratie » en Afrique? Le fait que l’Africom ne dépende pas du Pentagone, mais du Département d’Etat en fait un instrument politique et diplomatique contrairement a un outil strictement militaire rendant compte au Secrétaire à la Défense. Cela confirme ses visées essentiellement politiques et pourrait donc faire craindre qu’elle soit un appareil de la politique étrangère américaine susceptible, un jour, d’imposer une vision particulière de la « démocratie » par le biais de d’un rapport de forces largement favorable.
A terme, une course vers la militarisation des puissances étrangères avec l’Afrique comme aire de « jeu » ?
Enfin, il est impossible encore de cerner l’Africom et de dire exactement ce qu’elle sera/fera en Afrique. Le gouvernement américain, malgré des tournées récurrentes des différents commandants de l’Africom dans les pays d’Afrique, ne décline pas encore une communication explicite sur son fonctionnement. Comment s’organisera sa coopération avec les armées nationales et régionales du continent ? Sera-t-elle le bras armé d’un contournement du Conseil de Sécurité de l’ONU ? En application des décisions de ce Conseil ?
Plus inquiétant encore, l’Africom ne va-t-elle pas accentuer la course à l’armement, déjà en œuvre, en Afrique ? Ne va-t-elle pas pousser les pays émergents, eux aussi fortement dépendant de l’approvisionnement en matières premières, pour leur croissance, à militariser leur présence économique et commerciale ? À terme, l’Africom ne va-t-elle pas déclencher une course vers la militarisation avec des bases brésiliennes, turques, indiennes ou chinoises en Afrique ?
L’impérialisme britannique est né du besoin de sécuriser la route des Indes…
Hamidou Anne