Charlotte Libog : « L’entrepreneuriat agricole en Afrique est une opportunité pour tous»

La plateforme AGM – Afrique Grenier du Monde fondée par Charlotte Libog s’attache à promouvoir l’énorme potentiel agricole de l’Afrique qui est, selon elle, un puissant levier pour le développement économique.

Afrique Grenier du Monde

Terangaweb : Pourriez-vous nous décrire brièvement votre parcours et la raison pour laquelle vous avez créé la plateforme AGM?

Charlotte LibogC.L. : Je suis consultante e-business et entrepreneur, mariée et mère de trois enfants. Suite à un parcours chaotique se rapportant à la création d’une structure de production de cultures vivrières au Cameroun il ya deux ans, j’ai décidé de mettre sur pied un outil d’accompagnement dédié à l’entrepreneur agricole en Afrique subsaharienne. C’est pour cette raison que j’ai créé début 2012  la plateforme AGM (Afrique Grenier du Monde) avec le concours d’un collectif de cadres et d’entrepreneurs d’horizons divers. Le but de cette plateforme est d’œuvrer modestement mais efficacement pour la relance de l’agriculture africaine via l’entrepreneuriat.

La plateforme AGM constitue également un outil de promotion du potentiel agricole en Afrique dont l’exploitation efficace permettrait de répondre à divers enjeux liés au développement du continent, mais également de représenter une solution efficace pour la donne alimentaire mondiale. En effet, nous sommes dans un contexte d’insécurité alimentaire avec une offre largement inférieure à la demande et l’Afrique, continent agricole par excellence avec plus de 60 % des terres arables mondiales reste aujourd’hui le seul continent encore importateur net de denrées alimentaires. Il faut absolument inverser cette tendance.

Terangaweb : Le coût des machines, ainsi que celui des intrants et des semences améliorées voire des semences hybrides F1 qui vont de pair avec une utilisation intensive d’intrants chimiques a jusqu’ici été considéré comme le principal obstacle au développement de l’agriculture africaine. Pensez-vous que l'agriculture en Afrique puisse se développer sans l'apport d'énormes investissements?

C.L. : Divers experts en la matière dénoncent le caractère dangereux des semences OGM qui appauvrissent le sol tout en obligeant les agriculteurs à investir massivement dans les produits chimiques coûteux et néfastes à leur santé. C’est la raison pour laquelle nous optons pour la promotion de l’agro-écologie en matière de production.

En Afrique, nous avons intérêt à vulgariser ce concept, tout d’abord parce que les coûts de production sont plus intéressants puisque tout est présent dans l’environnement gratuitement et de façon abondante. Ensuite, c’est un moyen pour tout agriculteur de gagner en productivité. Par ailleurs, c’est l’opportunité donnée aux uns et aux autres d’œuvrer pour la protection de l’environnement. En résumé, on récupère tout, on réutilise tout, on ne jette rien et on devient plus productif. On est gagnant sur toute la ligne.

A l’heure actuelle, bien que  nous en parlions très peu, l’agro-écologie est un concept à développer car le modèle agro-industriel actuel a un impact négatif sur l’environnement. Il est par conséquent impératif d’agir dès maintenant en mettant à disposition du public de l’information, en proposant des sessions de sensibilisation et en soutenant la création d’entreprises sur l’ensemble de la chaîne de valeur (production, logistique, commercialisation, transformation, formation agricole, financement et assurance). En effet, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, l’offre alimentaire mondiale est inférieure à la demande. Ceci est d’autant plus urgent en Afrique avec l’importante  croissance démographique sans précédent que connaît le continent.

Terangaweb : L’agro-écologie est effectivement le modèle vers lequel tendent de plus en plus de grandes puissances agricoles telles que le Brésil (qui a condamné la firme Monsanto en 2012)  pour publicité mensongère) et la France. Paradoxalement, on assiste actuellement à la hausse des investissements en Afrique pour l’introduction des semences hybrides et OGM par les principaux industriels de l’agrobusiness, lesquels sont soutenus par certains gouvernements, mais aussi par le programme alimentaire mondial, l’USaid, la fondation Bill et Melinda Gates (cette dernière est actionnaire de Monsanto). Face à toutes ces initiatives, pensez-vous tout de même réussir à promouvoir les pratiques agro-écologiques en Afrique ?

C.L. : Avec de la bonne volonté et l’implication de tous, nous pouvons y arriver. Effectivement, l’Afrique connaît aujourd’hui une croissance réelle et durable et devient le nouvel eldorado des investisseurs peu scrupuleux. Nous n’avons pas le choix, nous devons réagir avec les bonnes manières et faire comprendre à tous que le développement de l’Afrique doit aussi se faire au profit du bien-être des Africains malgré le fait que nous vivons dans un monde capitalistique qui ne cesse de dominer les plus pauvres.

Pour cela, la plateforme AGM a besoin de l’adhésion de tous pour construire les bases du développement de l’entrepreneuriat agricole, œuvrer pour revaloriser l’image de l’entrepreneur agricole et résoudre le problème du chômage des jeunes. Par ailleurs, nous avons déjà commencé à déployer nos activités en Afrique, à travers la plateforme pilote que nous venons de lancer au Cameroun, l’idée étant d’y installer un bureau permanent. Nous commençons par l’Afrique francophone, avec les prochains déploiements prévus très prochainement au Congo et au Mali.

Terangaweb : Une campagne de sensibilisation a débutée en février avec le Cameroun. Quel a été le retour des populations concernées?

C.L. : Cette campagne est en fait le déploiement du dispositif ISAP (Informer, Sensibiliser, Accompagner, Plaider) sur le terrain. Il s’agit principalement de former et de sensibiliser sur l’urgence et la nécessité d’investir dans l’entrepreneuriat agricole. Nous avons deux cibles : les entrepreneurs ruraux parrainés par les coopératives agricoles partenaires de la plateforme AGM d’une part, et des entrepreneurs et porteurs de projets d’autre part. En un mot, nous visons le secteur privé en général afin de l’amener à s’intéresser de plus en plus au domaine agricole.

Dans le cadre de cette première étape, nous avons mis en place des partenariats avec deux coopératives agricoles, une coopérative constituée de femmes et une autre de jeunes. Nous avons pour ambition la mise sur pied d’unités de transformation avec ces coopératives en vue de la commercialisation de leurs produits. La transformation est également une réponse au phénomène de pertes post-récoltes qui représente entre 30 et 40% des produits agricoles au Cameroun. Ce chiffre est bien trop important et il résulte du manque d’infrastructures et des faiblesses structurelles du secteur agricole. A terme, nous souhaitons créer des partenariats étroits avec le secteur privé et créer des passerelles entre le monde rural qui est très difficile à approcher et le secteur privé.

En outre, nous menons des actions de plaidoyer destinées à nos dirigeants pour favoriser les échanges au sein même du continent car il est aberrant de constater que sur le continent africain il est plus facile de commercer avec la Chine qu’avec les pays voisins. Il est temps de mettre en place des politiques sous-régionales et régionales pour faciliter l’entrepreneuriat agricole en Afrique afin de voir enfin émerger l’agriculture africaine.

Les Moissons du Futur de Marie-Monique Robin

 

 

Interview réalisée par Awa Sacko


Pour plus d’informations :

– La Plateforme AGM : www.afriquegrenierdumonde.com

Les Moissons du Futur de Marie-Monique Robin :

http://www.youtube.com/watch?v=RM7XovfFiUM

http://www.arte.tv/fr/les-moissons-du-futur/6815836.html

Le développement de l’Afrique passe t-il par une révolution agricole ? (2ème partie)

Un vrai débat existe sur les priorités et les étapes à suivre pour le développement. Il parait naturel de penser qu’elles sont différentes suivant les régions et les pays du monde et suivant les époques. L’on est cependant tenté de se demander s’il y a des constantes ou des règles immuables pour le développement et si l’essor du secteur agricole en fait partie. Plus modestement, nous nous intéresserons ici à la question de l’importance d’une révolution verte pour le développement de l’Afrique. Mais avant de nous focaliser sur le continent africain (3ème partie de la saga), il nous parait intéressant et instructif d’avoir en tête des exemples de révolution du secteur primaire et de voir la place que celle-ci a eu dans l’amorçage du développement de pays aujourd’hui considérés comme économiquement développés (1ère partie) ou émergents (2ème partie).
 
Si la Révolution Agricole est le nom que les historiens ont donné à la série d’innovations et de changements qui, du XVIIème au XIXème siècles, ont remodelé et modernisé le secteur primaire de l’Angleterre et de tout le vieux continent, le terme « Révolution Verte » désigne le bond agricole qui a été réalisé au cours de la deuxième moitié du XXème siècle dans les pays émergents. Ce dernier phénomène s’est manifesté par la mise au point de nouvelles variétés à haut rendement, l’utilisation des engrais minéraux et des produits phytosanitaires, la mécanisation de l’agriculture et la pratique accrue de l'irrigation. Il a eu pour conséquence un accroissement spectaculaire de la productivité agricole même si les estimations de cette augmentation restent encore controversées.
 
Tout commence au Mexique en 1943 avec la création de l'Office of Special Studies, né de la collaboration entre l'administration du président Manuel Ávila Camacho et la Fondation Rockefeller. En effet, Ávila Camacho, soucieux de rendre l'agriculture mexicaine capable de soutenir l'urbanisation et l'industrialisation croissantes du pays, va trouver dans ses voisins américains de solides soutiens à ses ambitions. Le vice-président américain Henry Wallace, qui perçoit dans cette volonté de Camacho une chance pour l'économie et les intérêts militaires américains, convainc la Fondation Rockefeller de travailler avec le gouvernement mexicain. L'Office of Special Studies réunit des généticiens et phytopathologistes américains et mexicains dans le but de développer des variétés de maïs et de blé à haut potentiel de rendement. Dans le même temps, le gouvernement mexicain investit massivement dans des infrastructures pour l'irrigation des plaines et plateaux semi-arides. L'adoption de nouvelles semences de blé se répand, principalement parmi les gros agriculteurs du Nord. Pendant toute cette période, un organisme public, le Conusapo, protège l'agriculture mexicaine des variations de prix du marché mondial.
 
L'augmentation de la production de blé due à la fois à l'augmentation des rendements et à celle des surfaces cultivées figure parmi les effets les plus spectaculaires de la révolution verte au Mexique. En effet, le Mexique devient auto-suffisant en blé en 1951 et commence l'exportation de cette céréale l'année suivante. Les succès relatifs de la révolution verte ne signifient pas pour autant la disparition de la malnutrition au Mexique. Le coût des semences et des investissements en matériel, prohibitif pour un grand nombre de paysans, conduit à une intensification de l'exode rural. L'industrialisation, fortement mécanisée et donc peu demandeuse en main-d'œuvre, que connaît parallèlement le pays ne peut absorber une population rurale qui vient grossir les rangs des bidonvilles. C'est de cette époque que date l'accélération de l'émigration en direction des États-Unis.
 
L’Inde est le deuxième pays à expérimenter la révolution verte. Grâce à la collaboration entre la Fondation Ford et l'État indien, le ministre de l'agriculture Chidambaram Subramaniam met en œuvre une politique d'incitation à l'irrigation, à la recherche agronomique locale et à l'utilisation de semences à haut potentiel de rendement. A la fin des années 1970, le rendement du riz augmente de 30% permettant à l'Inde de faire face à la croissance de sa population sans subir les famines récurrentes qu'elle a connues dans les années 1960. L'Inde multiplie par 10 sa production de blé, et par 3 sa production de riz. La révolution verte assure des récoltes abondantes dans les États semi-désertiques tels que le Pendjab. Ce dernier, qui était dans les années 1950 un état aride et pauvre, est aujourd'hui l'un des plus riches d'Inde.
C’est ensuite le tour de l’Asie du Sud-Est, région du monde qui va enregistrer la meilleure progression de la production céréalière dans les années 1970 et 1980. Des pays comme l'Indonésie et les Philippines, alors considérés comme structurellement déficitaires, sont quasiment devenus autosuffisants en l'espace de deux décennies ; le Vietnam est devenu le troisième exportateur mondial de sucre alors qu'il ne possédait que quelques champs de canne dix ans plus tôt. Dans la majorité des pays de la région – exception faite de la Thaïlande – la révolution verte ne s’est pas traduite par un accroissement massif des surfaces exploitées mais par une augmentation sensible des rendements rendue possible par l’emploi de nouvelles  variétés couplé à une modification complète des systèmes de production agricole : drainage, fertilisation minérale, traitement chimique.
 
L'intervention étatique appuyée financièrement par des organisations internationales comme la Banque mondiale et la Banque asiatique pour le développement a été une condition importante du succès de la révolution verte. Les politiques de subvention à l'achat des intrants (notamment aux Philippines et en Indonésie) ont été indispensables pour permettre l'accès des agriculteurs locaux à ces produits. Participe aussi du développement du secteur, la protection des prix de cession des produits locaux des variations du marché international qui garantit un revenu régulier aux agriculteurs confrontés à de lourds investissements.
La révolution verte a donc été le fruit de la recherche scientifique et d’une forte volonté politique. Partout où elle a été menée avec succès, elle a nécessité une politique étatique volontariste qui s'est généralement traduite par des subventions à l'utilisation des intrants chimiques (pesticides, fertilisants), un aménagement du territoire en matière de maîtrise de l'eau (irrigation), des subventions à l'achat des semences et une protection des prix des matières agricoles. Cependant, cette révolution a montré ses limites dans bien des domaines.
 
Le passage d'une agriculture vivrière à une agriculture tournée vers l'exportation ou la nourriture animale a eu des effets négatifs. Dans certaines régions d'Inde, la révolution verte a substitué la culture du blé, qui n'entre pas directement dans le régime alimentaire des paysans, à celle des légumes secs. De même, les intrants chimiques, largement utilisés dans la mise en œuvre des nouveaux systèmes de production agricole, ont indirectement affecté l'alimentation des catégories de populations les plus fragiles. Pour ne citer qu’un exemple, les pesticides employés dans la production du riz en Inde ont éliminé le poisson et certaines plantes sauvages du régime alimentaire des paysans locaux.
Les lourds investissements nécessaires à cette transformation de l’agriculture ont conduit au développement du crédit rural, facteur de fragilisation financière pour de nombreux petits agriculteurs. Au Mexique, les dettes contractées par ces derniers les ont contraints à vendre les terres qu'ils avaient reçues lors des réformes agraires, créant une dynamique de re-concentration de la terre. D’autre part, certaines régions ont, pour des raisons climatiques, géographiques ou politiques, adopté plus aisément les principes de la révolution verte. Ainsi, elle a souvent conduit à une accentuation des disparités sociales, économiques et régionales et parfois à une accélération de l'exode rural. Si ce dernier n’a pas été observé comme conséquence de cette révolution en Inde et au Pakistan, c’est parce que la mécanisation a permis d'accélérer la préparation des sols, autorisant plusieurs cycles de récolte par an et une intensification de la culture, fortement consommatrice de main-d'œuvre.
 
Du fait de cette révolution, les productions requièrent beaucoup d'eau, d'engrais, de pesticides, ce qui entraîne des sols moins fertiles, et très pollués. La révolution verte a par ailleurs été accusée de contribuer à la déperdition du savoir agricole traditionnel, à la réduction de la biodiversité et à la dépendance des agriculteurs de l'industrie agro-pharmaceutique.
Pour revenir à l’Afrique, il nous parait certain que les pays de ce continent gagneraient à s’inspirer de ces exemples de révolution verte, s’ils veulent eux-mêmes devenir des pays économiquement émergents. Il s’agira aussi d’en considérer les points positifs mais aussi négatifs dans le but de reproduire les mêmes succès sans tomber dans les mêmes pièges. Voici qui fera l’objet de la troisième partie de cette saga.
Tite Yokossi