L’immeuble Yacoubian

Dans un immeuble qui porte à lui seul une partie de l’histoire contemporaine du Caire, Alaa El Aswany dresse le portrait sans concession de plusieurs destinées égyptiennes. Pauvres, nouveaux riches, aristocrates déchus, homosexuel, maîtresse de ponte, chrétiens, musulmans et d’autres profils, l’écrivain dentiste nous plonge dans une société qui se questionne. Les uns squattent la terrasse de cet immeuble célèbre qui fit les beaux jours du Caire, alors que les autres, nouveaux riches et anciens dignitaires partagent les beaux appartements, illustration certaine d’un pays où les nantis affermissent leurs positions alors que les plus pauvres tentent tant bien que mal de récolter les quelques miettes restantes.

Après la révolution nassérienne nationaliste et socialiste, la volte-face sous Sadate pour un rapprochement vers l’Occident, l’Egypte de Moubarak le Grand Homme s’enfonce dans une dictature à peine voilée avec une corruption généralisée des élites, un musellement des islamistes et surtout l’appauvrissement du petit peuple.

La qualité du roman d’Alaa El Aswany réside dans la pluralité des personnages et la précision dont il use pour faire évoluer, croiser ces personnages dans le drame mais également les petites joies du quotidien. Le lecteur est donc pris par cette narration haletante, passionnante sans perdre son fil d’Ariane dans les rues cairotes. Il décrit avec une certaine maîtrise la montée de l’islamisme radical et les mécanismes d’endoctrinement d’une jeunesse pauvre, livrée à elle-même. D’une certaine manière, on arrive à comprendre l’évolution tragique du jeune Taha Chazli. Dans une société fataliste qui s’est de tout temps soumise au bon vouloir de ses dirigeants, la réaction face à l’injustice sociale, la corruption des élites, la barbarie d’un pouvoir cannibale, la réaction disai-je, de la société civile semble ne pouvoir s’exprimer que par le biais des islamistes.

Ainsi est pris le lecteur par les itinéraires magnifiquement décrits des petites gens, les rêves brisées de Boussaïna suite au décès de son père, la plongée dans l’extrêmisme du brillant élève de condition modeste Taha , les embrouilles des deux frères coptes Malak et Abaskharoun, la tendresse violée de Soad, la colère du saïdi Abdou à l’endroit de son bienfaiteur et amant, Hatem bey. On piaffe de rage en découvrant la fourberie et la corruption de Kamel El-Fwali ou du hadj Azzam barons du régime, la violence des services de sécurité et une certaine allégeance de certains responsables religieux vicieux. L’écrivain évite cependant le piège d’un manichéisme primaire et apporte un regard plein de tendresse sur sa société. Un peu comme le ferait un dentiste devant un patient apeuré par sa terrible fraise.

Quelques extraits : Les femmes de la terrasse

Elles n'aiment pas seulement le sexe pour éteindre leur envie, mais également parce que le sexe et le besoin pressant qu'en ont leurs maris leur font ressentir que, malgré toute leur misère, leur vie étriquée, tous les désagréments qu'elles subissent, elles sont toujours des femmes belles et désirées par leurs hommes. Au moment où les enfants dorment, qu'ils ont dîné et remercié leur Seigneur, qu'il reste assez de nourriture pour une semaine ou peut-être plusn un peu d'argent épargné en cas de nécessité, que la pièce où ils habitent tous est propre et bien rangée, que l'homme rentre, le jeudi soir, mis de bonne humeur par le haschich et qu'il réclame sa femme, n'est-il pas alors de son devoir de répondre à son appel, après s'être lavée, maquillée, parfumée, ne vont-elles pas, ces brèves heures de bonheur, lui donner la preuve que son existence misérable est d'une certaine façon réussie, malgré tout. Il
faudrait un artiste de talent pour peindre l'expression du visage d'une femme de la terrasse, le vendredi matin, quand son mari descend prier et qu'elle lave des trace de l'amour puis sort à la terrasse pour étendre les draps qu'elle vient de nettoyer. A ce moment-là, avec ses cheveux humide, sa peau éclatante, son regard serein, elle apparaît comme une rose mouillée par la rosée du matin qui vient de s'ouvrir et de s'épanouir.

 

P.25

Lareus Gangoueus

 

Un piège sans fin

Comment commenter un ouvrage ? Quand la lecture s’est avérée passionnante, surprenante. Quand on s’est laissé séduire par les personnages, leurs cheminements, leurs ruminations, leurs désillusions, leurs déchéances. On a envie de rendre une copie suscitant questionnement et peut-être intérêt sans trop défricher la trame afin que le futur lecteur puisse partager les mêmes péripéties, les mêmes angoisses, la même gêne sans que tout cela soit desservi par un commentaire trop " bavard ". Voilà les questions que je me pose en commençant cet article.

Olympe Bhêly-Quenum se définit comme un écrivain chercheur. Un piège sans fin est son second roman et il fut publié en 1960 aux Editions Présence Africaine. Son site Internet très étoffé permet d’avoir une idée de cet intellectuel béninois, notamment les interviews qui y sont consignés. Ce roman retrace la tragique histoire d’Ahouna, un jeune béninois du nord de ce pays pendant la période coloniale. Fils d’un notable de la région, sa famille possède des terres mises en valeur et du bétail. Tout n’est pas rose. Les épidémies frappent le bétail, les sauterelles massacrent les plantations, les travaux forcés imposés par l’administration coloniale affecte même cette famille aisée et dont le père refuse cette humiliation en se suicidant. La vie n’est pas un long fleuve tranquille mais Ahouna arrive à se reconstruire et faire fructifier avec son beau-frère les biens familiaux quand il rencontre la belle Anatou.

Cette relation sublimée apportera à Ahouna le meilleur mais surtout le pire. Olympe Bhêly-Quenum condamne le lecteur, par le biais de sa plume experte et avisée, à assister à l’avilissement d’un être innocent, au déploiement de la bête qui sommeillait en lui. Il y a une mise au piloris d’une innocence béate et l’enfermement dans un piège sans fin du jeune Ahouna. D’autant qu’on a l’impression, même sur un arbre haut perché avec la vision panoramique du lecteur, que rien ne peut extraire Ahouna de sa triste condition.
On espère secrètement en lisant les pages de ce roman ne pas être confronté un jour à l’absurdité, à la folie de l’expérience du personnage central. En toile de fond, Olympe Bhêly-Quenum dépeint avec une maîtrise de la langue française la société coloniale, le monde rural, le bagne. Un coup de coeur dont le souvenir ne risque pas de s’estomper.
Bonne lecture

Lareus Gangoueus

Olympe Bhely-Quenum, Un piège sans fin
Edition Présence Africaine, 284 pages
1ère parution en 1960

 

Fatou Diome : Celles qui attendent

Il existe des textes comme cela où vous vous demandez si l’auteur va tenir le rythme, la cadence, la qualité qu’il a distillé au début de son roman. Si la pertinence de son analyse, l’exploration profonde de l’âme humaine à laquelle il s’est engagé ne va pas être remise par un scénario incohérent. Alors vous continuez votre lecture, de surprise en surprise, pris par le style relevé, la langue célébrée, dans un univers qui vous échappe complètement même quand vous pensez en connaître un bout. C’est dans cet huis clos passionnant dans sa forme, douloureux sur le fond que je me suis enfermé avec Fatou Diome. Dans ce long roman où la voix, non, les voix de celles qui attendent quelque part en Afrique un homme, un mari, un fils parti à l’aventure pour l’Europe s’exprime. Ici, ce sont des jeunes sénégalais d’une île sérère qui bravent l’Atlantique pour rejoindre l’Espagne, pour sombrer ensuite dans la clandestinité.

Fatou Diome pose deux personnages centraux. Deux femmes. Bougna et Arame. Elles sont amies, avec des tempéraments différents et elles évoluent dans des contextes matrimoniaux très spécifiques. Bougna est une co-épouse dans un foyer polygame où elle tente de s’imposer par tous les moyens. Inconsciemment, elle n’a sûrement jamais intégrée les valeurs de partage de ce système. Elle est égoïste, centrée sur ses propres hantises, concernée par son désir d’être reconnue face à une première épouse peu disserte mais dont la réussite de la progéniture par pour elle et renforce jalousie et rancœur dans l’âme de Bougna. Arame, elle, a été mariée de force à un rescapé des guerres coloniales, grognon, irascible, stérile. Cet homme ne déverse que bile amer et insultes sur son entourage, enfermé dans l’enfer de sa déchéance physique et de secrets enfouis. Le fils aîné d’Arame est mort en haute mer dans le cadre de la pêche. Et son fils cadet, Lamine, le seul qui lui reste, est au chômage sans aucune perspective d'avenir.

Alors que chaque jour est un challenge pour nourrir la ribambelle de gamins aimants que sont ses petites-filles et petits-fils ainsi que son mari grabataire, sa comparse animée par des intentions retorses, lui propose un deal délicat en lui vantant les possibilités d’une réussite possible pour leurs garçons par le biais d’une traversée vers l’Espagne… Ce qu’il advient de nos clandestins, on ne le sait que très tard dans le déroulé du roman. C’est l’attente de ces femmes, de ces mères qui ont réussi à marier leurs fistons. C’est aussi l’attente de ces épouses modelées dans ce système qui vivent l’absence mythique de cet homme émigré censé faire fortune et apporter espoir à sa famille. Sauf que les chimères ne se concrétisent pas, les appels se font rares et les mandats sporadiques…

De toutes ces attentes, qui diffèrent pour chacune de ses femmes, celle de Coumba, épouse de Issa, le fils de Bougna est la plus pathétique. Épouse aimante et fidèle, mère dévouée, sa voix est celle qui porte le mieux la détresse de ces femmes car elle est la seule dont la démarche est complètement désintéressée. La charge de son discours est l'une des plus belles réussites de ce roman. C'est aussi le personnage sur lequel s'acharne le destin avec une cruelle efficacité. Enfin le destin, suivez mon regard…

Les coups de fil s'étaient largement espacés. Les femmes accusèrent le coup. Mais on finit toujours par s'inventer une manière de faire face à l'absence. Au début, on compte les jours puis les semaines, enfin les mois. Advient inévitablement le moment où l'on se résout à admettre que le décompte se fera en années; alors on commence à ne plus compter du tout. Si l'oubli ne guérit pas la plaie, il permet au moins de ne pas la gratter en permanence. N'en déplaise aux voyageurs, ceux qui restent sont obligés de les tuer, symboliquement, pour survivre à l'abandon. Partir c'est mourir au présent de ceux qui demeurent.

Page 195, éditions Flammarion

Par ce roman, je découvre un texte magnifique de Fatou Diome. Un propos critique mais complet sur une petite communauté sénégalaise, sur les rapports complexes entre le nord et le sud, l'illusion de l'eldorado européen, sur la vanité du paraître, sur l'amour, sur les femmes, sur l'attente de celles qu'on ne voit pas, le tout porté par une très belle plume. Celle de Fatou Diome.

Débat mené par Joss Doszen avec Lareus Gangoueus sur "Celles qui attendent" dans le cadre du cycle "Palabres autour des arts" :


Palabres autour des arts – 26 Juillet -… par Culture_video

 

Lareus Gangoueus

« Demain j’aurai vingt ans »

Nous sommes dans les années 70 en république populaire du Congo, du coté de Pointe-Noire, la capitale économique de ce pays. C'est un régime marxiste-léniniste qui s'applique. Michel a entre neuf et dix ans. Il est le fils unique de maman Pauline et il fait partie de la grande famille de papa Roger qui l'a choisi pour fils. Son oncle René est un marxiste exalté donnant une place importante à Marx, Engels et Lénine dans son salon et qui n'hésite pas en parallèle à spolier son entourage familial de tous les biens matériels issus des héritages successifs.
Michel nous conte les personnages hauts en couleur de son enfance dans un quartier populaire de Pointe-Noire et l'apprentissage de la vie d'un mome. Par l'amitié de Lounès, le fils du tailleur du quartier. Par l'amour de Caroline, la soeur de Lounès. Par la rivalité de Mabélé, un prétendant de Caroline, footballeur, castagneur et lecteur de Marcel Pagnol. Par le sens des responsabilités de papa Roger. Par la folie de Petit Piment, qui fut dans un autre vie un étudiant en philosophie et un cadre d'entreprise. Par la détresse de sa mère dans son désir de concevoir d'autres enfants. Par maman Martine, sa deuxième mère…

Ce que le regard de Michel restitue, c'est à la fois l'atmosphère de ce quartier, l'ambiance d'une époque où etre traité de "capitalistes!" ou "impérialistes!" au Congo était la pire des insultes. Mais Alain Mabanckou brosse également par les nouvelles que papa Roger écoute de La voix de l'Amerique, les hauts faits de l'actualité internationale de l'époque, comme les frasques d'Idi Amin Dada, la chute et les pérégrinations du Chah d'Iran, la neutralisation de Jacques Mesrine ou les otages du Liban…

Je trouve très interessant la manière avec laquelle il rappelle combien cette actualité façonne l'imaginaire de la jeunesse de ce que l'on appelait le Tiers monde. Michel écoute avec la meme attention que son père, ce poste radio ainsi que les interprétations passionnées de papa Roger. Ce roman alterne à la fois entre la réalité de ce que Michel voit autour de lui et cette intrusion du lointain. Mabanckou utilise une écriture qui permet d'exprimer le ressenti de Michel, de mieux rentrer dans l'imaginaire en gestation de cet enfant. De comprendre ses mécanismes de défense face l'absurdité des choix des adultes ou encore dans une lutte féroce pour gagner le coeur d'une fille. Par les mots plutot qur par les poings.

L'interet de ce roman réside dans ces petites étincelles d'émotion que nous transmet Michel, dans son désir d'etre accepté et d'etre aimé. Pour terminer, il est difficile d'évoquer un texte du romancier congolais sans les références littéraires qu'il sème avec extase dans ses livres. Il y a en une qui traverse tout l'ouvrage : celle à Arthur Rimbaud. dont le visage sourit à Michel. C'est assez amusant de voir cet enfant se débattre pour tenter de rentrer et comprendre un texte de ce poete.

Un roman qui m'a replongé dans une époque où je rêvais d'avoir 20 ans jour. Ce titre, Demain j'aurai vingt ans, est inspiré d'un vers de Tchicaya U Tam'si, celui qu'on appelait aussi le Rimbaud noir. Un très beau roman.

A table, chez tonton René, on me fait asseoir à la mauvaise place, juste en face d'un vieux Blanc qui s'appelle Lénine et qui n'arrete pas de me regarder alors que moi, je ne le connais pas et que lui ne me connait pas. Moi aussi, comme je ne suis pas d'accord qu'un vieux Blanc qui ne me connait pas me regarde méchamment, eh bien je le regarde droit dans les yeux. Je sais que c'est impoli de regarder les grandes personnes droit dans les yeux, c'est pour ça que je regarde en cachette sinon mon oncle va s'énerver et me dire que je manque de respect à son Lénine que le monde entier admire.

Page 16, Editions Gallimard
 

Lareus Gangoueus

Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans
Editions Gallimard, 382 pages, paru le 19 aout 2010

 

Interview de Kangni Alem sur « Esclaves »

Suite à la recension de son roman "Esclaves", l'écrivain togolais Kangni Alem a accepté de répondre aux questions de Lareus Gangoueus.

Kangni Alem, on ne vous présente plus. Enseignant de littérature et de théâtre à l’université, romancier, nouvelliste, dramaturge, vous avez obtenu le Grand Prix de la littérature d’Afrique noire en 2001 pour Cola cola jazz. "Esclaves" est votre dernier roman paru en mai 2009. Quel ressenti, quel retour avez-vous eu suite à cette parution?
K A : Si je m’en tiens à l’enthousiasme de mon éditrice chez Lattès, il n’y a pas à craindre pour la carrière de ce livre. Il vivra sa vie. Les ventes sont régulières, vu que beaucoup de librairies, dont la Fnac, l’ont présenté en coup de cœur. Mais fondamentalement, le lectorat africain a été présent au rendez-vous, car le sujet du livre, l’esclavage, pouvait difficilement le laisser insensible. Paraît-il que j’ai ouvert une brèche dans un mur de silence, défloré un tabou de la littérature africaine. Rien que pour cela, je suis en paix avec moi-même et satisfait, puisque je savais dès le départ à quoi je m’exposais.

La sortie de ce roman s’est faite avec un buzz autour la thématique du roman, fait suffisamment rare dans la blogosphère africaine pour être relevé. Comment l’expliquez-vous ? A-t-il suscité le débat que, je suppose, vous espériez ?
K A : Tout est parti d’une recension par le romancier béninois Florent Couao-Zotti sur son blog. L’article, repris dans la presse béninoise, a attiré plusieurs lecteurs vers le blog de l’écrivain, puisque c’était le seul endroit où le dialogue était facile. L’échange autour du sujet du roman, l’esclavage dans le Danhomé du 19e siècle, a vite tourné au vinaigre. Il faut savoir que l’actuel Bénin, ex Danhomé, est réputé avoir été un des plus grands profiteurs de la traite négrière ; et beaucoup de zones d’ombres persistent sur le rôle que ses monarques auraient eu dans l’expansion de ce commerce entre le Golfe de Guinée et le Brésil, vu que le Portugal possédait un fort à Ouidah, la ville portuaire du royaume. Etant donné que le roman mettait en scène les rivalités entre le directeur du fort portugais, l’aventurier Francisco Chacha de Souza et deux des souverains les plus connus du royaume, Adandozan et Guézo, le public béninois s’est le premier senti interpellé. Après, le débat s’est étendu aux panafricanistes de tout poil qui ont cru déceler dans mon récit une tentative de révisionnisme, vu qu’il serait indécent de raconter les complicités africaines dans un commerce qui a éparpillé les fils d’Afrique dans les Amériques. Dans l’ensemble, je trouve riche le débat suscité sur la blogosphère autour d’Esclaves. J’y ai d’ailleurs participé un peu, pour répondre à quelques attaques sur le Net, mais dans l’ensemble il s’agit plus d’établir le dialogue avec les internautes que de tenter de me défendre.

Ce roman historique a, selon les différentes sources, été écrit en sept ans. Pouvez-vous nous décrire votre travail de recherche sur les données historiques et dans quelle condition vous avez pu produire ce roman ?

K A : Dans le détail, j’ai mis 4 ans à me documenter et 3 ans à écrire le roman. Les années de documentation furent riches. Deux ans à voyager sur la côte atlantique, du Nigeria au Ghana et à tenter de comprendre pourquoi cette chape de silence sur un passé qui fut pourtant nôtre, et qui nous a constitué qu’on le veuille ou non. J’avais aussi remarqué que le plus gros des stocks d’esclaves prélevés sur notre côte finissaient au Brésil, ou à Cuba. J’ai alors cherché à comprendre comment les esclaves dans le Nouveau Monde ont vécu le servage sur place. Le Brésil s’est imposé par le nombre important de tentatives de révoltes d’esclaves, j’ai alors décidé d’y aller. Quelques cours rapides de Portugais plus tard, je me suis retrouvé à fouiner dans les archives à Recife, Rio de janeiro et Salvador de Bahia. Les rapports de police m’ont surtout comblé. On y trouve des détails qui font les délices d’un romancier. Mais il a fallu trier dans la masse d’informations et construire la fiction patiemment. J’avoue avoir pris du plaisir à créer cette alchimie entre le fait vrai et les personnages fictifs, tout en restant attentif au sens final des actes des esclaves. La fiction historique n’a de sens que si elle s’en tient aux conclusions des archives, et non à la logique des personnages inventés.

N’avez-vous pas eu le sentiment de stigmatiser une certaine couche des populations béninoises et togolaises désignés sous le terme d’Afro-brésiliens, et en particulier les descendants de Chacha Da Souza ?

K A : Stigmatiser ? Non. Vous savez, les faits sont têtus. Beaucoup de Togolais par exemple s’étonnent que je puisse raconter qu’une famille aussi illustre que la famille Olympio du Togo ait eu pour ancêtre un esclavagiste, lui-même né en servage à Rio de Janeiro et revenu pratiquer la vente d’esclaves sur la côte ! Sauf que, cette vérité qui existe dans les articles des historiens togolais, personne n’a jamais osé la dire ouvertement sous peine de se voir taxé de vendu au pouvoir en place, qui entretient une rivalité avec ladite famille depuis 1963, date de l’assassinat de Sylvanus Olympio, père de l’Indépendance togolaise. On oublie que les gestes de l’époque n’avaient de sens que dans un contexte, et que la honte des pères n’est pas celle des fils. Quant aux descendants de Chacha de Souza, disons que je refuse d’entrer dans leur argumentaire qui tend à faire de leur ancêtre un « esclavagiste positif » ! D’ailleurs le débat continue, je présenterai le roman au Bénin le 16 Octobre et le 26 Octobre à Lomé (en compagnie de mes amis Sami Tchak, Couao-Zotti et Philippe Dalembert, je m’attends à des passes d’armes mémorables avec les descendants des familles « incriminées ». Je suis décidé à répondre aux simplifications par une approche plus complexe des mentalités d’époque qui ne justifient pas qu’on relativise les actes posés par les uns et les autres. Il est temps d’accepter aussi ce que nous avons été ! 

Votre personnage principal tente un baroud d’honneur lors d’une mutinerie sur le navire qui le conduit aux Amériques. Par une invocation de ses croyances magico-religieuses, il tente de faire dévier la trajectoire du bateau. Une scène difficile à interpréter où le lecteur que je suis a eu l’impression que vous n’y croyez pas vous-même. Cette scène n’est-elle pas une sorte de remake d’un monde de croyances qui s’effondre, faisant penser ainsi à celui du célèbre roman de Chinua Achebe? Avez-vous eu du mal dans l’écriture de cette rupture, de cet épisode ?

K. A : J’avais en tête le scepticisme d’Achebe, en effet, décrivant l’effondrement des valeurs traditionnelles dans Things Fall Apart. Je ne sais pas si c’est nécessaire de croire ou de ne pas croire à la puissance des divinités invoquées par l’esclave Miguel, je voulais décrire le doute du détenteur de pouvoir quand soudain il perd ses repères. D’ailleurs, techniquement, la route du bateau a bel et bien été déviée, ce qui était l’objectif recherché. Le résultat n’est ni immédiat ni conforme au souhait de Miguel, mais il s’est passé quelque chose. Les dieux avaient-il la carte géographique du Nouveau Monde ? Remarquez, le Vodou est devenu le Candomblé au Brésil, en s’adaptant aux rituels de la religion catholique. Il y a une blague au Togo qui dit que les fétiches ne traversent pas l’océan. A méditer.

Vous décrivez dans la seconde partie de votre roman, le parcours du Prêtre vaudou devenu Miguel au Brésil et surtout la préparation d’une des plus grandes révoltes d’esclaves d’Amérique du sud. On a le sentiment que malgré l’esclavage qu’il subit, votre personnage semble avoir beaucoup plus de marge de manœuvre au Brésil qu’en Afrique. Est-ce votre propos ?

K A : Oui. Acculé, il n’avait d’autre choix que la révolte. Mieux, converti à l’islam, il a intégré un nouvel imaginaire où le sacrifice de soi prend une dimension révolutionnaire. Son ancienne religion ne lui aurait jamais permis cela, qui relativise l’affrontement physique et donne trop la prééminence aux pouvoirs des esprits. Ce sont deux visions du monde qui s’affrontent à l’intérieur du même homme. Ce n’est pas minimiser le rôle du Vodou dans le Nouveau Monde, il a permis spirituellement aux esclaves de tenir debout et de ruser ; mais l’islam a fourni aux esclaves, en sus d’une idéologie, un moyen puissant de roublardise, l’écriture. Dans les archives de la police de Bahia, j’ai ri quand j’ai lu que les maîtres croyaient tous leurs esclaves illettrés, jusqu’au jour où ils ont découvert que les talismans qui circulaient parmi eux étaient des messages qu’ils se passaient en arabe. Belle leçon, n’est ce pas ? Le naïf n’est pas toujours celui qu’on croit, et il a fallu du culot aux esclaves musulmans de Bahia pour élaborer leur stratégie de révolte qui a failli réussir.

La suite de l'interview est disponible sur le blog de Lareus Gangoueus: http://gangoueus.blogspot.com/2009/09/interview-de-kangni-alem-sur-esclaves.html

 

Interview de Sami Tchak sur son roman « Al Capone le Malien »

Sami Tchak, de son vrai nom Sadamba Tchakoura, est un écrivain togolais lauréat en 2004 du Grand prix littéraire d'Afrique noire. A la suite de la critique de son 7ème roman, Al Capone Le Malien, Sami Tchak répond aux quesitions de Lareus Gangoueus. En gras, les questions de Gangoueus, en clair les réponses du romancier.

Vous avez habitué vos lecteurs à des excursions en Amérique latine dans vos dernières parutions (Hermina, La fête des masques, Paradis des chiots ou Filles de Mexico). Qu’est-ce qui a déterminé, voir dicté ce retour en Afrique ? Est-ce que pour l’auteur que vous êtes, il y a eu des difficultés à écrire dans cet univers ?

Sami Tchak : Je pars de l’idée que chaque créateur s’inspire de tout ce qui, à un moment, l’interroge avec une sorte d’urgence. Parfois, c’est la nouveauté (la découverte) qui le stimule. Je n’ai jamais pensé qu’en tant qu’auteur togolais, il y ait un terrain ou un territoire qui s’impose à moi d’emblée, même si, contrairement à certains commentaires sur moi, je n’ai jamais laissé entendre que mon pays, ou le continent africain, était exclu de mes sources d’inspiration. Pour chaque livre, un événement, un prétexte, une situation, une expérience. L’Amérique latine m’en avait fourni et m’en fournira sans doute encore. Mais le dernier roman est né, lui, d’un moment précis dans ma vie : lorsque je me suis retrouvé à Niagassola (Guinée), dans le compte du magazine Géo, pour un reportage sur le balafon mythique de Soumaoro Kanté, classé par l’UNESCO comme patrimoine mondial immatériel de l’Humanité. D’autres éléments, puisés surtout dans l’histoire récente du Cameroun se sont par la suite introduits dans mes expériences à partir de mes voyages. Le roman est né de là. Et d’autres viendront, si la vie m’en laisse le temps et les moyens, sur ces mêmes sujets dont je tenterai de rendre davantage la complexité.

On retrouve plusieurs éléments déjà présents dans Filles de Mexico. Le premier auquel je pense est la géographie. Ce roman se déroule successivement en Guinée et au Mali avec un épisode assez long au Cameroun. La France est présente aussi. Est-ce votre côté globe-trotter qui influence cette construction géographique de vos histoires ? Ou plutôt un besoin de ne pas zoomer sur une seule cible ?

Sami Tchak : Ces éléments étaient déjà présents dans tous mes autres romans, depuis Place des Fêtes. Je dirais que pour le moment mes personnages sont des êtres assez mobiles, dont les expériences traversent des frontières. Cela ne renvoie pas à un besoin de ne pas « zoomer une cible », mais au fait assez simple que pour le moment c’est de cette manière que je trouve plus adapté de rendre compte des expériences de mes personnages. Un jour, je pourrais écrire aussi un roman dont les actions se déroulent par exemple dans une piaule ou dans une voiture. L’essentiel étant de tenter de jeter un regard relativement personnel sur le monde dans lequel on vit, sur la condition humaine, les sujets littéraires de tous les temps.

Le 2ème élément est ce personnage narrateur, René Cherin, qui fait beaucoup penser à celui de Djibril Nawo de votre précédent roman. Tous deux sont des personnages un peu pommés, se laissant porter par les situations, permettant la libération de la parole et/ou celle de l’action des personnages qu’ils observent. S’agit-il d’un artifice littéraire uniquement ou d’un discours sur la passivité et la rencontre de l’autre ?

Sami Tchak : Là aussi, il s’agit de traits qu’on retrouve chez le héros de Hermina, chez celui de La fête des masques, chez le narrateur principal du Paradis des chiots. Pas forcément des personnages paumés, mais plus des gens qui se laissent emporter, qui suivent, pour certains par une sorte de résignation, pour d’autres par curiosité ou inconscience, mais dans tous les cas c’est de cette manière qu’ils se retrouvent au cœur des secrets des autres, qu’ils voient et restituent le monde devant eux, dont l’impact sur eux devient peut-être l’élément qui les rend originaux. Leurs manières de réagir les singularisent mais aussi dévoilent, peut-être, ce qui en eux, chez eux, est universel.

Une petite différence entre Djibril Nawo et René Cherin. Djibril a des origines togolaises comme vous, alors que René est blanc et il sort de sa campagne bien française, même s’il a vécu dans une de ces banlieues très mondialisées d’Ile de France. A-t-il été difficile pour vous de vous glisser dans la peau de ce personnage ?

Sami Tchak : Entre Djibril Nawo et René Cherin, la différence va au-delà de ces aspects soulignés. Mais cela n’est peut-être pas le plus important. Prenons en compte juste René. Il n’a pas vécu dans une banlieue, mais dans le vingtième arrondissement de Paris, dans un immeuble où en effet il croise des hommes et des femmes venus, pour la plupart d’entre eux, d’ailleurs. Il ne m’a pas été plus difficile, ni plus facile, de me mettre dans la peau d’un journaliste blanc se retrouvant dans des pays africains qu’il ne l’avait été pour moi lorsque j’écrivais dans les années 1980 mon premier roman en faisant parler une femme. C’est le même travail pour tenter de rendre crédibles les voix des gosses d’un quartier difficile d’une capitale latino-américaine ou la voix d’un jeune Français fils d’immigrés africains. Même pour un roman dit autobiographique, je crois que le travail de l’écrivain consiste, entre autres contraintes, à se mettre sous la peau de ses personnages. La véritable question, à mon avis, c’est s’il le réussit toujours !

Il y a comme une sorte d’inversion des rôles – du rapport dominant/dominé – qu’on a du mal à concevoir parfois dans le contexte africain actuel, notamment ce rapport de fascination qui le lie à tous les personnages qui gravitent autour d’Al Capone ?

Sami Tchak : Je ne sais pas si on peut parler de rapport de dominant/dominé, mais il est, en effet, moins fréquent qu’on mette en scène des Blancs, quels qu’ils soient, qui, dans un pays africain, découvrent des personnages qui les fascinent, qui ne viennent pas vers eux comme des mendiants de situation, mais comme des « maîtres » qui les aspirent dans leur monde. Mais la personnalité de René, mieux que la couleur de sa peau, explique la situation qui s’est créée, le rapport vertical entre Al Capone et lui. Le photographe n’a pas éprouvé la même fascination, on peut même parler, de son côté, d’une sorte de répulsion pour le faux prince et ses mœurs. Il est donc resté totalement à l’écart de cet univers, il n’a éprouvé de l’intérêt que pour les paroles de Namane Kouyaté. Peut-être parce que lui, le photographe, était un habitué du terrain, avait déjà établi des liens avec beaucoup de sociétés africaines qu’il interroge pour comprendre leurs vérités les plus ancrées.

Al Capone le Malien est un feyman, un escroc camerounais d’envergure internationale. Comment avez-vous été conduit à créer ce personnage ténébreux, complexe, charismatique, très moderne ?

Sami Tchak : Je me suis inspiré des histoires de feymen qui ont réellement existé, au premier rang desquels Donatien Koagne, celui qu’Al Capone considère comme son dieu. Comme dans mes autres romans, il me faut du concret, à partir duquel ma liberté d’écrivain a un sens. 

Une autre figure introduit ce roman, celle de cet ancien diplomate guinéen ; Namane Kouyaté. Homme dévoué passionnément à son épouse et à son art de joueur de balafon et de griot mandingue. Enraciné dans l’histoire, dans la tradition orale, il est antithèse d’Al Capone. Avez-vous souhaité reproduire, en confrontant ces deux personnages, le choc de deux mondes tel que Chinua Achebe, version 2010 ? Une collision frontale entre le matérialisme bling-bling d’Al Capone et l’« archaïsme » d’une culture millénaire incarnée par un balafon enfermé dans une vieille case ?

Sami Tchak : J’ai tenté de montrer la complexité des éléments qui composent nos identités. Bien sûr, il y a une véritable opposition entre les visions du monde de Namane et d’Al Capone, mais ce qui me semble encore plus important, c’est la façon dont ces mondes si antagoniques cohabitent, font la modernité, le dynamisme de nos sociétés. Si on prend le cas de Donatien Koagne, le plus célèbre des feymen, on verra que c’est sur les symboles des sociétés anciennes de son pays qu’il a construit son mythe. Il s’est autoproclamé roi du Cameroun et on le voit habillé comme un roi, avec sa canne, tous les symboles extérieurs qui vont avec, dont l’or. Al Capone, avant qu’on ne sache qui il est, se présente aussi comme un prince venu à Niagassola pour voir un symbole du pouvoir ancien, le balafon. Namane Kouyaté, l’homme toujours en veste et cravate, incarne sans doute une certaine identité, fondée sur ce que le passé a de plus glorieux. Mais c’est aussi un homme de son temps. Les choses sont relativement plus complexes dans la réalité, elles ne peuvent être simples dans les livres qui s’en inspirent.

On pourrait vous reprocher de regarder cet effondrement des valeurs avec une pointe de sarcasme quand vous mettez en scène cette photo avec ces notables de Niagassola qui veulent être immortalisés devant la limousine du feyman… Qu’en pensez-vous ? Y-a-t-il des choses à rattraper ?

Sami Tchak : Pour me reprocher une sorte de sarcasme, il faut me prêter ce sarcasme. C’est ce que je viens de dire : les choses ne sont pas aussi simples, ni dans la réalité, ni dans le livre. Si vous vous référez à un autre moment du livre, vous le remarquerez encore plus aisément : Namane Kouyaté parle d’un féticheur, Moustapha Diallo, assez riche dont l’une des passions consiste à acheter des voitures de luxe. Moustapha Diallo existe réellement, et ce que je dis de lui est authentique. Il vous suffit de chercher sur Internet le féticheur Moustapha Diallo du Mali pour découvrir ce personnage. Ce n’est donc pas parce que les vieux sont bien ancrés dans leurs valeurs qu’ils demeurent insensibles aux symboles actuels de la puissance, de la richesse, du pouvoir. Et il me semble que je regarde l’effondrement de certaines valeurs avec une pointe de tristesse. Je ne sais s’il y a des choses à rattraper, mais il est possible, au moins sur un plan individuel, de ne pas céder facilement à la fascination de tout ce qui brille.

(La suite de l'interview est consultable sur le blog de Gangoueus : http://gangoueus.blogspot.com/2011/02/interview-de-sami-tchak-sur-al-capone.html)

Interview réalisée par Lareus Gangoueus

Sami Tchak : Al Capone le Malien

L’auteur togolais nous avait habitués à plus de sobriété dans le choix de ses titres : La fête des masques, Place de fêtes, Hermina, Paradis des chiots, Filles de Mexico. On pourrait parler de rupture en pensant à ce titre clinquant qui ne manquera pas d’émoustiller la curiosité du lecteur… à juste raison.
En effet, Al Capone le Malien est le personnage de ce roman. Il est le noyau d’un atome d’Uranium autour duquel gravite une myriade de personnages-électrons, tous sous l’emprise de son champ de force qui empêche toute fuite possible. Il est des personnes dont il n’est pas souhaitable d’entendre la simple voix. Tout est dérèglement autour de ce feyman, entendez par là escroc international d’origine camerounaise. L’homme est un hédoniste accompli, il vit chaque seconde de sa vie comme c’était la dernière, il aspire l’air de ceux qui l’entoure, les abreuve selon son bon vouloir à coup de champagne Veuve Cliquot.

C’est au travers d’un de ces électrons insignifiants qu’on observe le charme qu’opère le malfaiteur africain. René Chérin est un journaliste français venu à Niagassola réalisé en compagnie d’un photographe un photo-documentaire sur l’art du Manding pour un très grand magazine, en particulier sur le fameux Sosso-Bala, balafon ancestral lié à l’épopée mandingue. Il rencontre tout d'abord Namane Kouyaté, un notable guinéen devant l’aider dans le cadre de sa mission. L'homme a été diplomate, mais il est surtout un très grand griot et un fin connaisseur des cultures mandingue et occidentale, un défenseur d’une Afrique se rassérénant de son passé glorieux dont il ne reste cependant que des traces orales dans l’histoire.
C'est au cours de la cérémonie traditionnelle que René Chérin, sorte de personnage éponge, figure récurrente de la prose tchakienne, se prend d’intérêt pour cet Al Capone, figure concrète et charismatique de l’Afrique contemporaine dans tout ce qu'elle a de retors et de moderne. Il le retrouve à Bamako.

Disons-le tout de suite, Sami Tchak réussit là un très beau portrait de cette Afrique des coulisses, des arcanes du pouvoir. Celles du Cameroun principalement, quand est exploré le passé d’Al Capone, ce qui le définit. Comme à son habitude, Sami Tchak explore les fossés jonchés de détritus, d’histoires scabreuses, les scandales dont certains sont liés à des faits réels qui ont secoué le Cameroun. Son terrain d’exploration n’est plus l’Amérique latine. Bamako que le livre de Valérie Marin La Meslée présentait sous un aspect positif est revisitée dans son aspect ténébreux, loin des valeurs ancestrales clamées par les djéli, plus proche de cette course matérialiste et égocentrique de l’individu et de la faillite des moeurs.

Plus que le personnage de Djibril Nawo, dans le roman précédent de Sami Tchak, René Chérin agace par sa passivité. Elle n’est pas seulement un artifice littéraire pour permettre une libération totale de la parole des personnages observés. Personnages qui malgré l'extravagance de leurs actions, avancent masqués. L’emprise d’Al Capone est réelle. Il donne une direction, à des personnages en quête de spiritualité, en quête d’eux-mêmes. Que ce soit une bell française d’origine malienne, spécialiste de littérature. Que ce soit une fille à papa initiée à la luxure. Que ce soit une certaine malienne malicieuse. Que ce soit un français en perte de repère, préfiguration d’un pays sur le déclin ?

Quand on remonte, le temps d'une confession, sur le parcours de Joseph Tawa dit Al Capone, sur sa fascination pour Donatien Koagne, prince disparu des feyman, on saisit une part de la personnalité de ce comédien né. Enfin, on croit le saisir… Le reste est à découvrir.

Bonne lecture,

Lareus Gangoueus

http://gangoueus.blogspot.com/

Editions Mercure de France, 1ère parution en 2011, 298 pages.

« Pars mon fils, va au loin et grandis »

Terangaweb soutient la création littéraire d'auteurs africains. Nous portons à votre connaissance le deuxième roman d'un jeune auteur franco-congolais, Joss Doszen. Bonne découverte !

Joss Doszen par lui-même: " Franco-congolais (Congo Brazza et RDC) mais citoyen du large monde avant tout, j'ai toujours été passionné de lecture et d'écriture. Gribouilleur sur Internet de différents textes depuis plusieurs années, à mes heures perdues, des billets d'humeur, aux textes de slam, des récits de vie aux nouvelles totalement de fiction ; tout est pour moi sujet d'inspiration.

Totalement ancré dans mon temps et dans ma culture multiforme, mon inspiration vient directement de mon univers riche en personnalités et en histoires extraordinaires. J'aime à me définir, modestement, comme un griot qui aime la langue française dans toute la richesse qu'elle tire des apports culturels différents."

Pars mon fils, va au loin et grandis, Joss Doszen, Loumeto autoédition, septembre 2008

Synopsis : Le carnet de route d’un immigré perpétuel pur produit du 21e siècle mondialisé. Emouvant, plein d’humour et de passion, ce parcours se veut être un reflet de la vie d’étudiants africains d’aujourd’hui pris en permanence par plusieurs cultures entre lesquelles ils doivent naviguer.

Extrait de Pars mon fils, va au loin et grandis :
"Hormis la découverte du sens du mot « accueil », une autre de mes idées reçues tomba dès la seconde semaine de présence au Sénégal. Le 31 décembre, jour des feux d’artifices géants sur la place de l’Indépendance, fut pour mois comme une révélation. Une révélation de beauté. 

J’arrivais d’Afrique centrale avec de gros préjugés sur la femme Sénégalaise musulmane, donc voilée et dénuée de tout charme. Quelle connerie ! 

Quand pour la première fois j’ai vu ce rassemblement de beautés fardées avec un vrai sens artistique, même si parfois outrancier, habillées des plus belles tenues traditionnelles ou des dernières robes à la mode sur Fashion TV, tellement sexy que les belles de Brazzaville auraient pu passer pour des nièces d’ayatollah iraniens en plein ramadan, j’ai compris que s’ouvrait à moi un potentiel futur de délicieuses jouissances. Pour la première fois de ma vie je voyais de visu des filles tout droit sorties des clips américains les plus sélectifs. C’était magnifique. Et quelle diversité ! Des boubous traditionnels les plus riches en dorures, aux jeans Diesel super stretch en passant par les robes moulantes, façon tapis rouge de Cannes ; tous les looks se mélangeaient pour faire un arc-en-ciel de styles. Les yeux m’en sortaient de la tête de même que tous mes amis congolais, gabonais, camerounais ou ivoiriens qui constituaient déjà mon entourage pour les trois années qui allaient suivre.

Cependant tous les mâles d’Afrique centrale qui arrivaient au Sénégal avaient un souci commun. Une fois réglées les préoccupations nutritionnelles et résidentielles, se posent les questions d’ordre hormonal. Il ne faut pas oublier que dans un groupe de jeunes étudiants, dont le moins âgé a environ dix neuf ans, il y a une vraie guerre d’indépendance des hormones reproductrices.

Je l’ai dit, le Sénégal est un pays à quatre vingt pour cent musulman ; bien que les jeunes y vivent comme dans le monde entier, ils vont en boîte, font des boums, draguent, couchent, etc. Les mœurs officielles y sont plutôt à l’abstinence et à la jachère avant le mariage. Il y a donc des codes de discrétion qu’il faut posséder pour espérer un « relationnel » harmonieux. De plus, traditionnellement les filles ne « sortent » pas avec les garçons ; elles se marient. Ce qui implique de sérieux projets d’avenir ou de sérieuses promesses ; et des arguments très solides pour un éventuel flirt.

Comme vous le savez, en Afrique centrale, les pays sont à forte majorité chrétienne et animiste. Bien que, comme toutes cultures africaines les mœurs y soient officiellement assez pudiques, une certaine liberté régnait tout de même dans les relations entre jeunes. Officiellement, les parents n’étaient jamais au courant de rien avant le mariage de leurs fils et filles, mais dans les faits les amours foisonnaient ainsi que la « baisaille ». La drague y était une seconde nature, un challenge.

Mis ensembles, les us et coutumes très antagonistes entre Afrique de l’Ouest et Afrique centrale pouvaient causer des dégâts lorsque les différents protagonistes n’était pas préparés à gérer la rencontre. Et ce fut mon cas associé à mes acolytes de la          « génération corsaire »."

La page personnelle de Joss Doszen, où vous pourrez en apprendre plus sur son oeuvre et acheter son livre: http://www.doszen.net/Doszen%20site_lundi02_files/page0004.htm