Entretien avec Pierre Célestin Rwabukumba, coordinateur du Rwanda Stock Exchange

PCRFormé aux Etats-Unis à la New York State University de Buffalo (Bachelor of Economics), Pierre Célestin Rwabukumba a démarré sa carrière dans le monde de la Finance comme courtier en bourse à Wall Street. Il revient en 2004 à Kigali et rejoint la Banque nationale du Rwanda qui lui confie la mission de créer de toutes pièces un marché des capitaux. Une tâche ardue et ambitieuse, mais 9 ans plus tard l’objectif a été pleinement atteint. Coordinateur du Rwanda Stock Exchange, et à ce titre directeur opérationnel de l’institution, Pierre Célestin Rwabukumba évoque pour Terangaweb les défis et perspectives de la jeune place boursière rwandaise. A 39 ans, il sait que l’aventure ne fait que commencer. 

Terangaweb : Bonjour M. Rwabukumba. Pourriez-vous nous décrire brièvement la genèse du Rwanda Stock Exchange. 

 Pierre Célestin Rwabukumba : Le RSE a été officiellement lancé en janvier 2011, au moment de l’introduction en bourse de la Bralirwa (brasserie), la première société nationale à faire appel à l’épargne publique sur le marché des actions. Auparavant, il existait une structure de transactions de gré à gré appelé le Rwanda Over the Counter Exchange qui avait pour sa part été mise en place dès janvier 2008. Les échanges portaient principalement sur des titres de NMG et KCB, deux sociétés étrangères faisant l’objet d’un cross-listing, ainsi que sur quelques émissions obligataires. Une période initiale qui nous aura permis de nous rôder et de monter progressivement en puissance jusqu’à proposer aux investisseurs une structure boursière complète, l’actuel Rwanda Stock Exchange

Terangaweb : Justement, où en est aujourd’hui le RSE ?

Pierre Célestin Rwabukumba : C’est une jeune bourse en pleine ascension qui bénéficie de la dynamique positive actuelle du Rwanda, tout en devant bien entendu relever les défis qui sont propres aux nouvelles institutions. Depuis le 1er janvier 2012, le tout nouveau RSE share index a ainsi enregistré une progression de plus de 60 %. Quant au volume global de transactions l’année dernière, il a quasiment été égal à celui enregistré en 2011, année pourtant faste avec deux introductions en bourse (Bralirwa et BK). Et 2013 devrait confirmer cette tendance. Au niveau des introductions en bourse, plusieurs sociétés tant rwandaises que provenant de la sous-région (Kenya, Ouganda, Tanzanie) ont d’ores et déjà prévu d’ouvrir leur capital prochainement, ce qui accroîtra mécaniquement la profondeur du marché. La cotation des titres sera de plus entièrement automatisée et électronique d’ici juin 2013 et avec l’intégration régionale en cours dans le cadre de la Communauté de l’Afrique de l’Est, nous travaillons à la mise en place d’un système commun de bouclement des opérations qui permettra à tout investisseur d’acquérir des titres dans toute la sous-région avec la même facilité et la même rapidité que sur son propre marché domestique. 

Rwanda-Stock-ExchangeTerangaweb : Vous évoquez les défis auxquels doit faire face une jeune institution telle que le RSE. Quels sont-ils ?

Pierre Célestin Rwabukumba : Les challenges sont sans conteste nombreux et prendront du temps avant d’être pleinement relevés. A court terme, l’activité de marché reste peu étoffée ; le volume quotidien moyen de transactions passées demeure relativement faible (environ 115.000 dollars par jour en 2012) même s’il progresse. De même, peu de valeurs sont encore cotées, ce qui limite pour l’heure les possibilités d’investissement. Le grand public qui dispose encore d’un taux d’épargne faible, reste peu éduqué en matière boursière et les entreprises restent le plus souvent prisonnières de schémas de financement traditionnel (autofinancement et emprunt bancaire). Une situation qui explique pourquoi il nous faut accroître encore nos efforts en matière de communication et de pédagogie. De même, le vivier des compétences locales dans le domaine de la finance de marché reste encore étroit. Pour combler en partie ce déficit, le RSE offre ainsi régulièrement des stages qui permettent à de jeunes diplômés de se familiariser avec la bourse et il existe depuis peu un institut de formation à l’échelon régional (Securities Industry Training Institute ou SITI) basé à Kampala (Ouganda). Dans l’ensemble, il s’agit là de défis qui correspondent à une phase de croissance initiale et le RSE a d’ores et déjà démontré depuis son lancement en 2011 qu’il progressait rapidement. Des défis qui sont d’abord et avant tout des opportunités de croissance pour l’avenir. Plus que jamais, il s’agit de faire de la place de Kigali un centre financier au rayonnement régional. 

Terangaweb : Place à la prospective. Comment envisagez-vous les perspectives du RSE à moyen terme ?

Pierre Célestin Rwabukumba : Nous venons de loin. Beaucoup a déjà été fait et beaucoup reste encore à faire. Les efforts actuels convergent néanmoins vers une direction unique : faire du RSE une place financière respectée à l’échelle de la sous-région, et pourquoi pas au-delà. A moyen terme, le RSE sera devenu une place boursière régionale aux cotations entièrement automatisées et qui comptera alors un éventail fourni de sociétés venant de tous les horizons. Un marché alternatif réservé aux PME aura été mis en place et la hausse du volume d’activité permettra un meilleur développement de l’intermédiation financière et partant un intérêt renforcé du grand public. Un optimisme qui se justifie tant par l’évolution jusqu’à présent favorable du RSE que par les perspectives à long terme du Rwanda. La stabilité, la croissance, une planification judicieuse et un environnement juridique favorable continueront encore de porter leurs fruits au cours des années à venir. Un cocktail gagnant sur lequel le RSE pourra pleinement capitaliser. 

Entretien réalisé pour Terangaweb – l'Afrique des idées par Jacques Leroueil

 

Pour aller plus loin : http://terangaweb.com/bilan-detape-sur-la-place-boursiere-de-kigali/

Bilan d’étape sur la place boursière de Kigali

Le Rwanda Stock Exchange (RSE) a été officiellement lancé le 31 janvier 2011 avec l'introduction en bourse de la brasserie Bralirwa. Cette première cotation d'une entreprise nationale aura été une belle réussite. Avec une demande très supérieure à l’offre de titres proposée (taux de souscription de 274 %), les investisseurs se sont pressés pour acquérir les actions mises en vente. Un optimisme partagé par M. Pierre Célestin Rwabukumba, coordinateur en chef des activités au RSE lorsqu'il souligne que "la bourse du Rwanda est celle qui se développe le plus vite au sein de la sous-région". La Banque de Kigali (depuis le 1er septembre 2011) a depuis rejoint la Bralirwa à la cote, et d'autres entreprises nationales devraient prochainement suivre le mouvement.

Un an plus tard, quel premier bilan tirer de cette expérience inédite, notamment du point de vue actionnarial (environ 10.000 comptes-titres enregistrés) ? La performance exceptionnelle enregistrée par la Bralirwa, dont le cours de l'action est passé de 136 Frw [environ 0.23 $] au moment de la souscription à plus de 320 Frw [environ 0.53 $] aujourd'hui, a tout naturellement généré dans son sillage un intérêt spéculatif grandissant.

Un premier bilan actionnarial en demi-teinte

Très suivie, l'introduction en bourse de la Banque de Kigali aura été là aussi un franc succès. Mais depuis sa mise sur le marché il y a plus de 5 mois, le titre de la seconde société rwandaise cotée en Bourse fait du surplace autour de 125 Frw [environ 0.21 $], son cours d'introduction. La valeur avait pourtant clôturé à 190 Frw le 1er septembre 2011, son premier jour de cotation, en raison de la forte demande initiale pour les actions BK. Certains actionnaires de fraîche date ne peuvent cacher leur désappointement. Un employé d’une institution financière étatique résidant à Rwamagana indique ainsi avoir acquis 12.000 actions de la Banque de Kigali (BK) au moment de la souscription pour un montant de 1.5 millions Frw (environ 2.500 $). Comme d'autres, il reconnaît avoir acheté des actions BK en raison notamment du précédent Bralirwa. A ce titre, il se déclare "bien entendu déçu, car s'attendant à un résultat tout autre". Il ajoute toutefois que cette contrariété temporaire ne remet aucunement en cause "sa conviction d'avoir acquis des titres d'une institution solide" et conclue en assurant "qu'il continuera toujours à recommander l'investissement en Bourse comme un moyen de placement profitable sur le long terme".

Jean de Dieu Sekibibi, entrepreneur actif dans la construction à Kigali, abonde dans le même sens. Client de longue date à la Banque de Kigali et également instruit du succès initial de la Bralirwa, il s'est aussi décidé à parier sur l'avenir du premier établissement bancaire du pays en achetant 40.000 actions pour une mise de 5 millions de Frw au moment de l'introduction en bourse de la BK (environ 8.300 $). Il aurait lui aussi espéré un autre dénouement, mais aucune trace de regret ne transparaît dans sa voix. "Qui ne risque rien n'a rien" dit-il, et il poursuit en expliquant "qu'en tant que chef d'entreprise, il est sensible à la notion de cycles, au fait qu'il y a toujours des hauts et des bas. En Bourse, comme partout ailleurs". Il note aussi que "la culture de l'épargne au travers de placements en actions est totalement nouvelle au Rwanda", de même "qu'il faudra du temps pour que le grand public soit familiarisé, et que le marché gagne en maturité". Il conclue par la nécessité selon lui pour les professionnels du secteur de "fournir un effort important en matière de pédagogie et de communication".

Un marché en maturation et des perspectives solides

Interrogé sur ces différents points, M. Pierre Célestin Rwabukumba du Rwanda Stock Exchange, qui considère l'institution "comme une activité relevant du service public", convient que les réserves émises par certains investisseurs depuis le lancement officiel de la bourse l'année dernière sont tout à fait compréhensibles (peu de valeurs encore cotées, faible volume de transactions, nécessité de mieux éduquer les actionnaires et de plus communiquer, performances boursières erratiques) et qu'elles traduisent bien les difficultés rencontrées par une place financière naissante. Des désagréments passagers qui selon M. Rwabukumba "seront progressivement résorbés, au fur et à mesure de la maturation de la place boursière rwandaise. Le compartiment des valeurs va être amené à s'élargir progressivement, plusieurs sociétés souhaitant rejoindre à terme la cote, ce qui augmentera mécaniquement l'activité du marché. Et la vulgarisation progressive de l'investissement en Bourse amènera une amélioration et une sophistication accrue des prestations proposées aux épargnants. Avec à la clé plus de communication et de transparence", détaille ainsi M. Rwabukumba. Quant à la désillusion relative de certains actionnaires, le coordinateur principal du Rwanda Stock Exchange se veut pédagogue en insistant sur "la nécessité de remettre les éléments en perspective". Il indique ainsi qu'il serait "prématuré de prononcer un jugement définitif sur la performance boursière d'une action après seulement quelques mois, et que le succès rencontré a contrario par le titre Bralirwa devrait permettre à tout un chacun d'avoir une vision plus juste et nuancée de ce qu'est l'investissement en Bourse, avec ses attraits et ses risques".

Le revers et l’avers d’une même médaille, celle du placement financier. Une méthode d’épargne qui doit encore gagner ses lettres de noblesse au pays des mille collines. Les parcours boursiers divergents de la Bralirwa et de la BK constituent en tous les cas une bonne illustration de la nature aléatoire et incertaine des marchés financiers ; lieux de rencontre permanents entre acheteurs et vendeurs où les cours sont déterminés par l’intemporelle loi de l’offre et la demande. Que les acheteurs soient avides d’acquérir des titres et surclassent leur contrepartie vendeuse, le cours des actions montera. Que les vendeurs veuillent se défaire de leurs titres pour diverses raisons (besoins pécuniaires pressants, crainte de dévalorisation future de leurs actions…) et dépassent en nombre les acheteurs potentiels, une spirale baissière des cours sera mécaniquement enclenchée. Une logique boursière implacable qui n’est pas toujours comprise par les nouveaux actionnaires. S’agissant de la dissimilitude des performances entre les deux sociétés nationales cotées, les différentes sources professionnelles sollicitées (autorités boursières et courtiers) s’accordent en règle générale à avancer les éléments suivants : La brasserie Bralirwa est dans son domaine d’activité en situation de quasi-monopole, alors que la Banque de Kigali doit faire face à un environnement bancaire plus dur et compétitif, comparativement moins profitable. De même, la communication institutionnelle du brasseur vis-à-vis de ses actionnaires est vue comme plus efficace et claire, notamment s’agissant de la politique liée au versement des dividendes (parts des profits reversés aux actionnaires). Des éléments factuels qui expliquent probablement en grande partie l’évolution respective des deux valeurs jusqu’à maintenant.

Une chose est sure néanmoins : Il y a une réelle volonté de disposer à terme d'une place financière active. La bourse de Kigali devrait dès cette année passer à un système de cotation entièrement automatisé et électronique, et la régulation boursière du pays met déjà celui-ci au diapason des standards internationaux. Sur un laps de temps aussi court, les progrès sont évidents. Mais il reste encore beaucoup à faire. "Mettre en place un marché de capitaux digne de ce nom prend du temps et nous n'en sommes qu'à la phase initiale. Le défi est de taille, mais l'environnement économique au Rwanda est bon, les opportunités nombreuses et les perspectives prometteuses" conclue M. Rwabukumba. Une opinion qui fait écho à celle de M. Sekibibi qui indique en définitive "qu'acheter des actions de sociétés rwandaises, c'est simplement parier sur le développement futur de notre pays". "Et de ce point de vue, je suis plus que jamais optimiste !", achève t'il avec le sourire.

 

Jacques Leroueil

A lire du même auteur sur ce sujet : Rwanda, un marché boursier naissant : partie 1 et 2