Points de vue croisés: Le Mali en transition

Cet article présente les positions de deux analystes de Terangaweb – L'Afrique des Idées sur le Mali en transition et les évènements qui ont agité le pays, aussi bien au Nord qu'au Sud, depuis l'investiture d'Ibrahim Boubacar Keïta en septembre. Même si l'opération "Saniya" semble marquer une reprise en main des forces armées par l'Etat malien, les défis qui se présentent à IBK restent nombreux, notamment au Nord. 

Ousmane Aly Diallo & Racine Demba


Opération "Saniya": La fin de la transition au Mali

Opération SaniyaLundi 30 septembre 2013 au camp Soundiata Keïta de Kati. Trois militaires maliens s’avancent devant les locaux du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité (CMSRFDS). Ils ouvrent le feu à l’arme lourde et signent par cet acte la fin de la période de transition au Mali.

Fissures au sein de la junte 

Ces évènements mettaient à nu les fissures au sein d’une junte qui s’était jusqu’ici montrée soudée face aux pressions, politique comme militaire. Que ce soit lors de la « cession » du pouvoir au président de l’Assemblée nationale malienne, que ce soit face à la tentative de contre-coup d’état menée par Abidine Guindo et ses bérets rouges, les membres du comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) ont toujours affiché un front uni et ont pu résister à ces différentes épisodes.

La saute d’humeur de Kati, saute d’humeur puisque l’État malien n’était pas visé mais bien le fraichement galonné Amadou Haya Sanogo, montrait à la face du monde les divergences au sein du groupe de sous-officiers qui a  renversé  le gouvernement légitime quoiqu’impopulaire d’ATT. Amadou Haya Sanogo et son second Amadou Konaré, qu’on accuse d’être derrière ces évènements, étaient les éminences grises sous la transition politique et se sont  montrés déterminés à ne pas affronter les barbus d’AQMI et les partisans du MNLA pendant 9 mois. Ils représentent deux tendances distinctes au sein de cette junte, tendances devenues manifestes ce 30 septembre. Si Sanogo s’est vu gracieusement offrir sous l’égide de la CEDEAO un statut d’ancien chef d’État et la promotion au titre de général de corps d’armée, Amadou Konaré, deuxième homme fort et porte-parole de la junte est lui, passé de lieutenant à capitaine.  Une bien maigre consolation me diriez-vous. D’autres promotions ont eu lieu : celles de Sada Samaké et de Moussa Sinko Coulibaly, deux responsables proches de la junte et membres de l’actuel cabinet ministériel du Mali. IBK avait déjà imprimé sa marque dès son investiture, en promouvant les officiers qui s’étaient distingués au front, El  Hadji ag Gamou, Didier Dacko et Abderrahmane Ould Meydou, rétablissant ainsi une certaine justice au sein de l’armée malienne.

Mais la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase a été les dons que Sanogo aurait offerts au chanteur traditionnel Sékoubani Traoré lors d’une soirée dozo. Une Toyota Land Cruiser et des dons en espèces. Des dons de trop. Les mutins tirèrent à l’arme lourde ce 30 septembre sur les locaux du CMSFRDS pour exprimer leur ras-le-bol et leurs revendications, avant de l’occuper et d’attendre IBK de pied ferme.

 « Saniya » ou le retour de Koulouba comme centre du pouvoir

La mutinerie de Kati contre l’autorité de Sanogo a été l’un des premiers troubles sous le magistère du Kankélétigui ("homme qui n'a qu'une seule parole", le surnom d'IBK). Elle constituait en outre un coup d’arrêt, un vrai appel à la réalité, montrant l’impact du putsch du 22 mars 2012 sur les processus de communication interne au sein de l’armée malienne et de la toute-puissance de ce corps sur l’État malien.  Les mutins, principalement des sous-officiers maliens, réclamaient des promotions militaires et une revalorisation de leurs émoluments. Le retrait de la liste des bénéficiaires des promotions annuelles lors de la fête d’indépendance du Mali (22 septembre), de sous-officiers ayant contribué au putsch du 22 mars, retrait supposé ou actuel, a sans doute généré des frustrations au sein de ce corps.

Ibrahim Boubacar Keïta, qui a souvent été qualifié de « candidat de la junte » (on se souvient de la proclamation de la victoire d’IBK lors du premier tour de la présidentielle par le Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et membre de la junte, ce qui avait déclenché des vives protestations chez les partisans de Soumaïla Cissé) par ses opposants avait l’occasion de montrer ce qu’il en était de ses assertions. Et il faut admettre que la réponse de l’État malien a été expéditive. De Paris où il se trouvait, le Kankélétigui déclare que « Kati ne ferait plus peur à  Koulouba ». La réaction et les engagements de son gouvernement attestent qu’il a été digne de son surnom.

L’opération « Saniya» marquait, plus que les élections présidentielles, la fin de la période de transition au Mali. La junte toisait toujours l’État malien même si elle n’existait plus « de jure ».  À travers ce déploiement de force, l’État malien a restauré l’ordre et son autorité dans un Kati aux mains de la junte pendant 18 mois, mettant fin à cette excroissance et à tous les amalgames qu’elle causait. En effet, l’arrestation et le désarmement des mutins  et le retour des arsenaux privés de certains sous-officiers et officiers, sous l’autorité de l’Intendance, montraient à souhait la nouvelle réalité qui se profilait. L’éviction de Sanogo hors du camp Soundiata Keïta de Kati; la dissolution du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité qu’il présidait et l’arrestation des anciens hommes forts de la junte tels que le capitaine Amadou Konaré et le colonel Youssouf Traoré (présumés instigateurs du coup de main avorté du 30 septembre) sont autant de signaux forts annonçant le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’armée malienne. Malgré la médiation de la CEDEAO, Dioncounda Traoré a dû composer pendant toute la transition avec l’autorité parallèle illégale mais toute-puissante du CNRDRE.

Avec une junte autant décrédibilisée par son inaction  au nord et par ses rivalités avec les autres structures militaires maliennes (comme les bérets verts de la garde présidentielle d’ATT), l’opération « Saniya » a été la conclusion de ce chapitre de l’histoire politique malienne. La mise en place au mois d’octobre d’un nouveau commandement militaire au camp Soundiata Keita signale bien la fin de la  partie. Mais non des défis pour IBK.

Rétablir la justice et mettre fin à l’impunité

Si l’État malien a apporté une réponse rapide et expéditive à ces troubles pour éviter tout débordement, les défis n’en demeurent pas moins énormes au septentrion. L’opération Serval a permis de disperser les troupes d’AQMI et d’intimider le MNLA sans pour autant détruire toute capacité de nuisance totale de ces organisations.  Déjà les troubles ont repris dans le nord avec les attentats-suicides à Tombouctou et la destruction d’un pont à Gao revendiqués par le MUJAO. Ces évènements signalent assez fort que la situation dans le Nord est loin d’être réglée et que l’armée malienne a aujourd’hui plus que jamais un rôle à jouer dans la stabilité du pays.

De même, des disparitions forcées et des exécutions sommaires  ont eu lieu durant la mutinerie de Kati  et durant le cadre de l’opération Saniya. Plusieurs sous-officiers coupables d’avoir défié l’autorité de Sanogo ont ainsi disparu durant les jours suivants, au fond des puits ou dans les morgues des hôpitaux environnants. Il ne suffit pas d’arrêter les mutins et d’installer une nouvelle hiérarchie militaire à Kati, répondant directement à Koulouba. La légitimité de l’État malien ne pourrait être établie sans que justice ne soit faite sur ces évènements. La volonté manifestée de tirer au clair les nombreux cas d’exécution est de bonne augure. L’impunité qui a marqué la période de transition ne saurait être cautionnée par déni ou par complaisance. Il faut croire que la récente convocation de Sanogo par la justice malienne constitue une manifestation de la fin de cet état de fait  et la « mort politique » d’un militaire qui s’est hissé au pouvoir en se faisant le porte-voix des frustrations de ces camarades.

Il faudra certainement du temps  pour que la culture républicaine puisse se réimposer à tous les niveaux de l’armée malienne. Le coup d’État du 22 mars 2012 avait créé une autorité parallèle, excroissance indépendante de l’État malien. La reprise en main par l’État malien de la chose militaire et la volonté de justice qui se manifeste ne sont que des préalables à l’établissement de sa souveraineté totale sur l’intégralité de son territoire. Le MNLA se cantonne à Kidal et les militants islamistes annoncent leur vivacité à travers des attentats dans le nord. Ce qui est certain, c’est qu’il faudra plus que des frustrations sur les promotions pour venir à bout de ces défis.

Ousmane Aly Diallo


Mali: L'effet IBK à l'épreuve des faits

MNLA KidalAu lendemain de l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita nous disions (ici) qu’il serait, dans un premier temps, attendu principalement sur trois fronts : Kati, Kidal et le statut du Nord-Mali. Si sur le premier point évoqué, le nouveau président a rapidement imposé son autorité en reprenant la ville-garnison et en isolant le général Sanogo, pour les deux autres la tâche semble plus ardue.

Le président Keita était en visite d’État en France lorsqu’a éclaté, à Kati, une mutinerie. Sous prétexte d’avoir été oubliés lors de décisions ayant notamment abouti à la promotion du capitaine Sanogo au grade de général, des éléments ayant participé au putsch du 22 mars venaient de reprendre les armes. Dans la foulée, ils prenaient en otage un colonel de l’armée venu négocier avec eux. Le spectre d’un nouveau bain de sang et par la même un nouveau coup porté à l’autorité de l’Etat malien planait ainsi sérieusement.

De retour au pays IBK annonce, le 18 septembre dernier, lors d’une adresse solennelle à la nation : le désarmement de tous les éléments de la garnison, la dissolution du comité censé restructurer l’armée malienne que dirigeait le général Sanogo et le retour à l’orthodoxie par le respect stricte de la hiérarchie militaire. Des déclarations suivies d’effets puisque depuis lors l’armée est au garde à vous et les éléments de l’ex-junte ont été soit tués dans ce processus de reprise en main, soit mis aux arrêts, soit menacés de poursuites.

Avec l’assassinat, samedi 2 novembre, des deux journalistes de RFI, Gislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal, cette ville est revenue au-devant de l’actualité. Le jeu trouble de la France dans la gestion du cas de cette localité du nord depuis le début de l’opération Serval avait déjà commencé à alimenter la polémique.

Comme l’a rappelé, pour le déplorer, le ministre malien de la Défense Soumeylou Boubèye Maïga, les  forces maliennes (au nombre de 200, le nombre maximum autorisé par le MNLA) « n’ont pas une marge d’action, qui leur permettrait d’être en permanence présentes sur les différents axes »    De plus le contingent de la Minusma (200 soldats également) est plus ou moins cantonné avec des effectifs insuffisants ainsi que des problèmes logistiques liés à l’immensité du territoire à couvrir.

Le drapeau du MNLA flotte sur le palais du gouverneur de Kidal qui est obligé de squatter une chambre de la mairie et des ministres en visite dans la ville se sont récemment fait chasser par des jets de pierres. Le MNLA a obtenu avec la bienveillance de la France que lui soit confié, dans le cadre des accords d’Ouagadougou signés par les autorités de la transition, la sécurité de la ville au grand dam du président Keita. Ce dernier, depuis son élection, réitère  chaque fois qu’il en a l’occasion, sa conviction que la situation à Kidal est inadmissible. Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française vient d’ailleurs d’annoncer l’arrivée de 150 militaires français sur place pour renforcer la force Serval alors que dans le même temps il n’est nulle part question d’un déploiement des forces maliennes dans la ville. Les éléments de la Minusma se font eux très discrets. Kidal ressemble de plus en plus à une cité-État à l’intérieur de l’Etat malien.

Les négociations de paix avec le MNLA ne semblent, quant à elles, pas très bien parties malgré les récents États généraux de la décentralisation et autres Assises du Nord organisées par le gouvernement. Les dissensions entre gouvernement et groupes rebelles paraissent insurmontables, les deux parties se renvoyant la responsabilité de l’impasse dans les négociations entamées sur la base d’un pré-accord signé en juin. Leurs points de vue divergent aujourd’hui plus qu’hier sur le futur statut du Nord. Les rebelles réclament une autonomie dont IBK ne veut entendre parler. Un analyste local résume la situation ainsi : « au Sud, l'opinion publique est très majoritairement opposée à un statut spécifique pour le Nord et n'accepte qu'une décentralisation poussée. Au Nord, les rebelles pressés eux aussi par leur base, réclament "un minimum d'autonomie", Autant dire qu’on n’est pas loin de l’impasse.

Ibrahim Boubacar Keita laisse le chantier de la relance de l’activité économique à son Premier ministre, le banquier Oumar Tatam Ly, pour se consacrer à ses promesses phares de campagne : le retour de l’autorité de l’Etat et la paix dans le Nord. Toutefois bien qu’ayant réussi un premier pari avec un début de normalisation dans l’armée, il lui faudra plus que la bonne volonté affichée jusqu’ici pour reprendre Kidal au MNLA et à la France et pour obtenir, de l’ensemble des mouvements rebelles du Nord, une paix durable.

Racine Demba

L’Adieu aux (hommes en) armes

Dans l'introduction du 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852), Karl Marx écrit : "Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce"

(Cette phrase est ressortie depuis, pour un oui, pour un non, qu'il s'agisse des "deux François, socialistes Français" ou des deux "Bush"; même si dans dans ce dernier cas, les termes ont probablement été inversés)

On pourrait aisément appliquer le même adage à l'Afrique contemporaine. Dans la catégorie prisonnier politique, leader de la lutte contre le suprématisme racial en Afrique australe devenu président de la République, Nelson Mandela et Robert Mugabe sautent directement à l'esprit. Dans le sous-genre leader pan-arabe et pan-africain, les images de Nasser et Khadafi s'imposent douloureusement en tête.

rawlingsandthomassankaraMais s'il y a une tradition solidement ancrée dans l'histoire du continent qui aujourd'hui s'affaisse rapidement dans la farce, c'est celle du capitaine-président. Malgré leurs défauts, les capitaines Thomas Sankara et Jerry Rawlings ont laissé dans l'imaginaire africain – ou à tout le moins, ouest-africain – de belles caricatures de jeunes hommes en colère, révoltés et superbement idéalistes, debout contre les rentes et l'exploitation des pauvres. Sankara a été sauvé par la mort. Rawlings bénéficie cahin-caha de cette image de réformateur, mais s'évertue avec une incroyable persévérance à affiner son image de vieux grognon. C'est la tragédie.

 

sanogoPour la farce, l'histoire nous a offert d'autres capitaines : Moussa Dadis Camara en Guinée et Amadou Haya Sanogo au Mali. A la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement qui prit le pouvoir à la mort de Lansana Conté en décembre 2008, Dadis Camara se fit remarquer par sa volonté initiale de lutter contre le trafic de drogue, par l'intempérance de ces décisions et ses discours-fleuves, à la Chavez, mais surtout par le massacre de septembre 2009 où sous (ou malgré?) ses ordres, les forces armées guinéennes exécutent plus de 150 manifestants et organisent le viol d'un centaine de femmes.

On connaît la suite, Dadis Camara essaiera d'arrêter son aide-de-camp Aboubacar Diakité, accusé d'avoir supervisé ces crimes. Diakité tirera sur Camara. Camara sera expédié d'urgence au Maroc, d'où il rejoindra le Burkina, sous la protection d'un autre capitaine, Blaise Compaoré. Puis Moussa Dadis Camara rencontrera le Dieu des Chrétiens. Et Moïse Dadis Camara devint exilé au pays des hommes intègres.

L'épopée de Sanogo est, pour elle, probablement terminée. Une partie des journalistes maliens continue de lui servir du "mon capitaine", avec une servilité jamais vue depuis Michel Droit. Et si Sanogo continue de bénéficier d'un véritable pouvoir de nuisance au Mali, son aventure est terminée. Il restera quelque part, comme une note de bas de page dans la grande histoire de l'insurrection islamiste au Sahel.

Mais l'analyse de Marx allait au delà du contraste tragédie/farce. Il écrivit également que "la tradition de toutes les générations mortes pès[ait] d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants."

Je crois que cette conception de la tradition, de son poids dans l'histoire se-faisant est l'aspect le plus important. Il y a quelque chose d'inéluctable dans l'établissement d'une forme de tradition démocratique en Afrique subsaharienne. Je me rend peut-être otage du hasard en écrivant ceci, mais j'y crois fermement : le temps des capitaines-présidents est révolu.

Plus jamais. Plus jamais l'Afrique subsaharienne ne connaîtra ce type d'épopée. L'anachronisme de ce recours est évident. Sanogo et Camara n'ont bénéficié de "l'engouement des foules" que suite à une crise exceptionnelle : la mort de Condé, leader éternel et éternellement agonisant de la Guinée, et la foudroyante percée du MNLA dans le Nord-Mali. Et même dans ces circonstances originales, le retour à une sorte de légalité constitutionnelle se fit en moins de deux ans.

Quelque chose dans l'air du temps, certainement. Le poids de l'histoire et le souvenir des expériences catastrophiques du passé, probablement. L'aspiration profonde des "peuples" et des hommes à la liberté, aussi. Ce que Saul Bellow dans les "aventures d'Augie March" appelle "l'éligibilité universelle à être noble".

Mais bien plus que cela : le rôle joué par cette maudite "communauté internationale".

C'est son assentiment et sa réprobation, sa puissance militaire, économique et financière, le pouvoir qu'elle possède aujourd'hui d'ostraciser et détruire les régimes récalcitrants, ses cours criminelles et ses droits fondamentaux. C'est toute cette architecture internationale, le rêve de Wilson en voie de réalisation, qui a finalement gagné. C'est la hantise de la Haye qui a vaincu Dadis, c'est la grogne de la CEDEAO et le risque d'une banqueroute financière qui ont éloigné Sanogo du pouvoir.

L'Afrique a dit adieu aux hommes en armes. Sankara est mort. Le Franc CFA l'a probablement tué.

Sanogo, No Go…

Avec un peu de chance, je finirai l'année 2012 en ayant eu raison sur le Mali. Je ne sais si on se souvient de la fièvre qui saisit "l'intelligentsia" en juillet dernier, lorsque tombes et monuments funéraires de Tombouctou furent détruits par les Islamistes d'Ansar El Dine, comme si les populations civiles, brutalisées des semaines durant par ces terroristes avaient moins d'importance que de vulgaires bâtisses en terre cuite. Je ne crois pas qu'on se rappelle correctement les manifestations à Bamako, appelant à la violence contre les Touaregs et l'envie de pogrom qui enflamma les populations de Bamako en février 2012. J'avais crû détecter là, le signe d'un malaise plus profond et plus lointain, dû au fait que le Mali était, depuis le départ, une "mauvaise idée" qui avait plus ou moins pas mal réussi, mais une mauvaise idée quand même.

J'avais été dégoûté par l'incroyable passivité, la permissivité de la classe politique malienne lorsque la clique du Capitaine Sanogo et ses sous-fifres du CNRDR s'empara du pouvoir en mars. J'avais soupçonné, dès les tous premiers jours de cette aventure, la volonté réelle de Sanogo de se battre. Installé à Kati avec ses troufions, il s'était fait bâtir une sorte de palace/bunker au milieu du camp, exigeant qu'on lui accorde le respect dû à un ancien chef d'Etat et gesticulant pour que d'autres y aillent à sa place une intervention étrangère: ce n'était certainement pas l'attitude d'un soldat attendant impatiemment l'occasion de retourner au combat. La décision même d'interrompre l'ordre constitutionnel dans un pays menacé de sécession était peut-être l'idée la plus sotte qu'on ait jamais eue depuis cent ans dans cette Afrique Occidentale, pourtant experte dans le domaine. Mon compagnon de barricade, Moustapha Mbengue avait eu lui, la hardiesse de recommander… la négociation devant les difficultés pratiques de l'intervention et les risques pour les populations civiles. Recommandations ayant reçu un accueil plutôt tiède.

J'ai toujours eu pour ma part, une position plutôt réservée par rapport à ces populations, ses forces armées et sa classe dirigeante. Les souffrances des premières sont réelles, le désarroi des secondes au plus fort de l'offensive du MNLA étaient compréhensible et palpable, la désunion de la classe politique prévisible. Ce qui, en revanche, est inacceptable c'est l'absence de conviction démocratique et la lâcheté. S'être rendu relicta non bene parmula à la clique de Sanogo est une débandade injustifiable. Que des soldats de la CEDEAO aient à sacrifier leurs vies pour aider ces soldats et défendre la "démocratie malienne" est un mal, pas nécessairement nécessaire. La récente démission forcée de Modibo Diarra, "premier ministre de consensus", lâché par une partie du gouvernement, dénoncé par une partie de l'appareil militaire, arrêté sur ordre du capitaine Sanogo, contraint à annoncer qu'il se retirait, presque sous la force des baïonnettes est une infamie — et le signe que le Mali n'est pas encore prêt à être aidé.

Avant que le moindre franc soit dépensé pour le Mali, bien avant que le moindre début de commencement d'intervention militaire soit décidé il faudrait absolument que Sanogo, les militaires le protégeant et les hommes politiques le soutenant soient écartés des discussions; qu'un gouvernement solidement démocratique et reconnaissant, sans faux-semblant, le besoin d'une intervention armée au Mali et la soutenant entièrement, soit en place. Et que la société civile malienne choisisse son camp.

Le Capitaine Sanogo n'est pas Thomas Sankara. Il n'est plus "capitaine", ni même soldat. Sanogo est un politicien. Et Sanogo doit partir.

 

 

**** Promis, j'arrête les titres en anglais.

Les Forces Armées Maliennes ont-elles (déjà) perdu le Nord?

 

 

 

Le moins que l’on puisse dire est que les Forces Armées Maliennes ne semblent pas pressées de reprendre le combat contre les forces rebelles du MNLA et les ismalistes d’Ansar el DIne– à considérer qu’elles l’aient jamais commencé.
 
Des quelques 7000 soldats que comptait l’armée de terre malienne en Janvier 2012, 1000 sont aujourd’hui réfugiés au Niger. Au total, après moins de deux mois d’affrontements, le Mali a perdu 1500 (désertion, rébellion, mort au combat) des 15.000 hommes en armes (infanterie, « Marine », armée de l’air, gendarmerie, police, garde républicaine et milices plus ou moins officielles). Dans le même temps, la 1ère région Militaire et le Régiment interarmes de Gao sont tombés aux mains des rebelles, La 5ème région militaire définie autour de Tombouctou est occupée par la rébellion, le commandement militaire de Kidal a d'abord rejoint les rangs du MNLA avant de s'exiler, armes et munitions en mains au Niger.

 

Le roman du coup d’état monté en mars 2012 par quelques officiers subalternes, sous-officiers et hommes de rang des forces armées maliennes et qui aboutit à la destitution du Président Amadou Toumani Touré est bâti sur l’idée que les hommes en armes se seraient révoltés contre l’incurie, la mollesse et l’incompétence du pouvoir politique, ATT en tête. L’idée étant que les armes, les minutions et le soutien aérien dont les FAM auraient eu besoin pour repousser les avancées du MNLA auraient été bloqués à Bamako, par la faiblesse du gouvernement.

 

Or, les câbles de l'ambassade américaine à Bamako révélés par Wikileaks montrent que dès 2008 désertions, exactions et dénonciations (puis exécutions) de militaires maliens étaient phénomènes déjà connus. L'administration ATT présentée par la Junte militaire malienne comme apathique et désintéressée, s'est démenée – ces mêmes cables l'attestent – pour obtenir l'installation du commandement militaire intégré des forces américaines en Afrique au Mali et a rejoint, dans les premiers moments, la force de lutte contre le terrorisme installée par les Etats-Unis dans la région.

 

Depuis trois semaines qu'elle a pris le pouvoir à Bamako, les réponses proposées par la junte militaire, sont des plus confuses et la théorie censée guider sa stratégie militaire est illisible. Il a d'abord été question de contention : les forces armées maliennes se retiraient, selon la junte, pour constituer des points forts et imprenables. C'était avant la perte de Kidal. Par la suite, le Capitaine Sanogo faisait appel à l'intervention des forces occidentales – si l'OTAN est intervenu en Libye, elle peut bien intervenir au Mali. La fin de non-recevoir opposée par le Quai d'Orsay à cette proposition déclenchait presque aussitôt, les débuts d'une mobilisation de 3000 hommes par la CEDEAO. Deux semaines après cette mobilisation, la junte militaire refuse l'intervention de troupes étrangères. Entre temps, elle a perdu Gao et Tombouctou, deux bases aériennes et le contrôle de la moitié du pays, la république de l'Azawad a été proclamée par le MNLA et le drapeau noir du Djihad est imposé à Tombouctou. Et contrairement aux premières infos reçus, la junte militaire menée par le Capitaine Sanogo n'a pas cherché à "arrêter" Amadou Toumani Touré. Les tirs d'artillerie lourde qui visaient le palais présidentiel et menèrent à la fuite d'ATT n'étaient pas des tirs de sommation… Même quand elle semble préparer sa sortie – avec l'adhésion au plan de sortie de crise proposé par la CEDEAO – la junte militaire au pouvoir en Mali reste indécise : elle se garde le droit d'intervenir à l'issue des 40 jours d'intérim qu'assurera le Président de l'Assemblée Nationale. On en viendrait à croire que rien n'effraie plus les officiers du CNRDR que de devoir retourner au front.

Doit-on rappeler que les "redoutables" forces rebelles qui contrôlent la moitié du Mali ne comptent que 3000 hommes?


Joël Té-Léssia

 

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