Rôle des Chambres de Commerce : Interview avec Sylvestre Didier Mavouenzela

OLYMPUS DIGITAL CAMERALes personnalités qui font tout pour garder les pieds sur terre ne sont pas répandues. Didier Mavouenzela fait partie de ces hommes qui préfèrent faire avancer leur cause plutôt que de s’attarder sous les projecteurs. Président de la Chambre de Commerce, d’Industrie, d’Agriculture et des Métiers (CCIAM) de Pointe-Noire depuis 1999, il revendique avant tout le dialogue pour améliorer le climat des affaires et le dynamisme du secteur privé au Congo. Une rencontre tout en simplicité.

L’Homme

Quel est votre parcours et depuis quand vous intéressez-vous aux entreprises congolaises ?

J’ai fait une License de gestion à l’université de Brazzaville. Nous avions alors un chef de département qui avait à cœur de développer les PME congolaises et nous avons été trois étudiants qu’on avait envoyés en stage auprès de ces PME. Voilà où se situe mon premier contact avec les entreprises. Dès ce moment-là, m’est venue l’envie d’aider les PME congolaises parce que je me suis rendu compte qu’elles avaient des problèmes que ne rencontraient pas les grosses entreprises gérées par des occidentaux.

Toutes ces difficultés sont liées à l’Histoire. Trois ans après l’indépendance, notre pays avait fait le choix du marxisme-léninisme, où la propriété privée n’était pas autorisée et seuls entreprenaient ceux qui n’avaient pas réussi à faire d’études. Il n’y a pas longtemps encore, si on avait fait de belles études, la voix royale c’était la fonction publique. Personne ne parlait d’entrepreneuriat. Les chefs d’entreprises ne savaient pas lire ni écrire, compter sûrement parce qu’il fallait compter les sous. Une bonne partie des chefs congolais se sont donc faits sur le tas.

Ensuite, je suis allé à l’université d’Orléans, où j’ai fait une maîtrise de sciences économiques et un DESS en contrôle de gestion des organisations.

Après mes études, j’ai intégré une PME gérée par un congolais de 1987 à 2004 où j’occupais les fonctions de Directeur Général Adjoint. En 2004, j’ai décidé de voler de mes propres ailes et j’ai créé ma première société, Nord-Sud Conseil et Réalisation, qui fait du contrôle et qui fait des travaux de bâtiments. L’année dernière, nous avons monté avec des partenaires l’entreprise MAYI[1], la première holding verte du Congo pour produire de l’eau minérale et la rendre accessible à tous les congolais. Les premières productions devraient voir le jour d’ici la mi-juillet.

Et comment êtes-vous arrivé à la Chambre de commerce ?

Disons que je suis arrivé à la CCIAM par accident. En 1997, le gouvernement de l’époque avait décidé de réformer les Chambres de commerce qui ne rendaient pas les services qu’on attendait d’elles. Quatre chambres autonomes ont vu le jour : Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie et Ouesso. Pour parachever l’autonomisation, il fallait procéder à des élections, mais comme personne ne savait ce qu’était une Chambre de commerce et que les Chambres n’avaient pas une bonne image, ils ont vraiment cherché les quelques bonnes volontés pour être candidat à l’Assemblée générale. C’est d’ailleurs sous cette fonction que je suis rentré à la Chambre. On a mis en place un Bureau, qui a été rapidement dissous en raison de mésentente entre les membres. Une commission ad hoc a alors été mise en place, où j’ai pris le poste de Trésorier. Deux mois après, j’ai été élu Vice-président. Malgré tout, nous étions un certain nombre à ne pas être satisfait de ce qui se faisait, nous trouvions que ceux qui dirigeaient manquaient de vision. Nous avons commencé à démarcher des Présidents mais malheureusement nous n’en avons pas trouvé.  Puis, ceux qui voulaient changer les choses m’ont dit qu’il fallait que je me présente, ce que je ne voulais pas au départ. Finalement j’ai accepté et c’est comme ça que je suis devenu Président en 1999. Depuis lors, je préside aux destinées de la CCIAM.

En 2002, nous nous sommes engagés avec d’autres structures d’appui et les grandes entreprises locales dans le projet Pointe-Noire Industrielle. Le but, c’est de favoriser l’émergence des PME à Pointe-Noire et dans le département du Kouilou. La méthode a commencé par l’identification des problèmes et la proposition d’actions. Rapidement, nous avons opté pour la création d’une association qui mette en place ces projets. J’ai été élu Président de l’Association Pointe-Noire Industrielle (APNI) en 2003.

En tant que Président, comment concevez-vous votre rôle ?

Mon rôle, c’est d’être au service des entreprises, conformément au mandat de la Chambre. Je conçois mon rôle comme quelqu’un au service de la communauté des affaires. Je ne me suis jamais considéré comme un Président. Je crois que le jour où ça arrivera, ce sera la fin, ça va me couper de la réalité. J’essaye simplement de favoriser l’environnement dans lequel les entreprises évoluent et je sers d’aiguillon pour inciter les entreprises à se mobiliser autour d’un intérêt commun. C’est le sens de nos engagements, notamment en matière d’économie verte et de l’organisation du Forum International sur le Green Business qui va connaître cette année sa quatrième édition[2].

CCIAM

La Chambre de Commerce, d’Industrie, d’Agriculture et des Métiers de Pointe-Noire

Etre enregistré à la Chambre de commerce locale est une obligation légale pour toute entreprise au Congo. Le montant des cotisations à la CCIAM est fixé en fonction du secteur d’activités, un système que Didier Mavouenzela considère comme encore imparfait mais plus pragmatique que le montant du Chiffre d’Affaires – souvent tronqué. La CCIAM gère aujourd’hui un budget variant de 500 à 650 millions de Francs CFA.

Pour revenir à la Chambre de commerce, quelles sont ses missions?

Les Chambres de commerce congolaises sont calquées sur le modèle français, elles ont les mêmes missions : représentation, formation, information, promotion, interface entre le public et le privé, défense des intérêts. C’est à partir de nos missions traditionnelles que nous mettons en œuvre des actions qui nous permettent de répondre aux problèmes des entreprises à Pointe-Noire et dans le Kouilou.

Comment s’organise la CCIAM?

L’organe suprême, c’est l’Assemblée générale qui compte 55 membres, issus des 7 sections (industrie, commerce, eau forêts pêche, agriculture, métiers, travaux publics, services). Tous les membres des sections élisent un représentant qui devient Vice-président. L’AG élit le Trésorier et le Président, ce qui fait un bureau de 9 membres pour mener la politique de la Chambre, laquelle est autonome aussi bien administrativement que financièrement. Pour mettre en œuvre cette politique, un secrétariat général a en charge l’administration qui compte environ trente salariés.

Quelle est votre relation avec les autres Chambres consulaires ?

Au Congo, nous informons chaque Chambre de nos actions.

En Afrique, il y a ces Chambres avec lesquelles nous avons des partenariats : pour accueillir des délégations, pour échanger des informations, pour participer à des actions de promotion. Nous le faisons avec la Chambre du Burkina et du Gabon.

Nous bénéficions souvent aussi de l’appui des Chambres consulaires Européennes, notamment pour la formation. Nos agents effectuent par exemple des stages d’immersion. Le Centre de mécanique dont nous sommes responsables a vu le jour avec le soutien de la CCI de Seine St-Denis et l’Ambassade de France. Nous avons récemment conclu avec la CCI Versailles val d’Oise pour la création de l’Ecole Supérieure de Commerce et d’Industrie de Pointe-Noire qui aura des masters reconnus en Hygiène Qualité Sécurité Environnement (HQSE) et contrôle de gestion.

 Notre réseau de Chambres Consulaires Africaines et Francophones (CPCCAF) permet également d’organiser des projets communs, dans lesquels nous cherchons à être acteur, pas spectateur.

africa-business-7Le secteur privé au Congo

Quelle est votre lecture du climat des affaires au Congo ?

Elle ne va pas être différente du classement Doing business de la Banque Mondiale. Il y a énormément de choses à faire. A notre échelle, nous continuons à discuter avec les autorités. L’amélioration du climat des affaires est un processus dynamique. Il faut du dialogue et de la pédagogie pour faire comprendre aux autorités que ce sont les entreprises qui créent de la richesse et qu’il faut donc mettre en place les conditions de la création de ces richesses.

Quels rapports les PME congolaises entretiennent-elles avec les entreprises étrangères présentes à Pointe-Noire?

Il faut savoir qu’il y a quelque temps encore, les PME congolaises n’avaient pratiquement pas de contact avec les entreprises étrangères. Le sens de notre engagement à l’APNI est de mettre en place un cadre de dialogue. Cela revient à la définition que je donne du secteur privé au Congo. Il y a le secteur privé expatrié qui est structuré, le secteur privé émergent qui est généralement constitué par les entreprises congolaises qui essayent de se structurer. Puis il y a le secteur privé informel, avec des entreprises qui essayent de faire leur place. L’APNI a permis aux uns et aux autres de mieux se connaître, et je crois que c’est dans cette direction qu’il faut persévérer. Nous cherchons à ce que les entreprises congolaises connaissent aussi mieux les entreprises étrangères et leurs pré-requis pour travailler avec elles. Nous menons par exemple une action au bénéfice de grappes d’entreprises dans les secteurs de la logistique portuaire et de la sous-traitance pétrolière.

La CCIAM, quelque soit sa volonté ou sa capacité, ne peut pas répondre directement aux difficultés de tous ses membres. C’est pourquoi, nous avons soutenu la mise en place d’associations professionnelles, que nous appuyons du mieux possible.

Au terme de cette rencontre, il ressort que la CCIAM joue un rôle clé dans l'organisation et le développement du secteur privé à Pointe Noire et plus généralement au Congo. Il existe certainement d’autres Chambres de commerce Africaines qui sont à son image. Cependant, beaucoup reste à faire pour que l’entreprenariat soit à la portée de tous en Afrique. Entre autres, l’accès aux crédits bancaires et aux marchés internationaux sont indéniablement des axes d’actions sur lesquels les Chambres de Commerce ont un rôle à jouer pour l’émergence du secteur privé en Afrique.

Véra Kempf

 

 

 

 

 

 

 


[1] L’eau en lingala

 

 

 

 

 

 

[2] Forum International Green Business, les 28, 29 et 30 juin 2013 : greenbusinesscciampnr@yahoo.fr