Sécurité alimentaire : de la nécessité de lutter contre les maladies pour végétaux

Nouvelle image (56)Alors que l’Union Africaine a célèbré en 2014, l’année de l’Agriculture  et de la Sécurité Alimentaire dans un contexte de guerre civile au Soudan du Sud et d’épidémie de virus Ebola à l’ouest du continent, cette fameuse sécurité alimentaire apparait menacée et il faudra se lever de bonne heure pour faire face à la prochaine véritable guerre qu’il faudra mener : une guerre contre les maladies s’attaquant aux végétaux.

Commençons par évoquer l’Italie. L’exemple italien peut paraître éloigné, mais devrait être scruté avec plus d’attention par les gouvernements africains. Une bactérie, nommée Xylella Fastidiosa, que l’on a d’abord retrouvée présente dans les Amériques, attaque désormais les arbres par centaines de milliers à une allure inquiétante : 800 000 arbres ont ainsi été déjà contaminés dans les Pouilles, une région célèbre pour ses nombreuses plantations d’oliviers.

Cette bactérie, véhiculée par des insectes, a fortement perturbé les chercheurs et agronomes du pays, mais aussi en Espagne, ne leur laissant comme unique solution que celle de couper les arbres infectés pour ralentir la propagation. Un pis-aller qui ne satisfait évidemment pas la communauté scientifique.

A l’instar de l’Ouganda et de bien des pays d’Afrique de l’est, l’économie de la région des Pouilles, où l’on produit l’une des meilleures huiles d’olive d’Italie, repose en grande partie sur la production et les services liés à l’agriculture. Alors que la demande pour « l’or jaune » qu’est l’huile d’olive a augmenté de 60% ces vingt dernières années, les prix du marché devraient souffrir davantage de la prolifération de la bactérie, et pourraient augmenter de 30 à 40% prochainement. Ainsi, en l’espace de quelques semaines, les prix du marché pour un litre d’huile d’olive en Espace sont passés d’une moyenne de 2,40 EUR à 2,70.

Quand on voit les ressources mises à la disposition des scientifiques et agronomes italiens, il y a lieu de s’inquiéter pour l’Ouganda notamment, qui serait sans défense face au danger d’une telle bactérie. Le pays a notamment connu une attaque de Xanthomonas sur les plans de bananes entre 2001 et 2004, un drame qui a causé entre 30 et 50% de pertes sur les exploitations dans le centre du pays. Bien que l’épidémie ait été correctement jugulée selon des analystes reconnus, on peut se demander : que ferions-nous en cas d’apparition d’une bactérie inconnue ?

Le cas du Mozambique, dont les plants de bananes souffrent depuis peu d’une maladie nommée Foc TR4 et encore peu connue, est à cet égard inquiétant.

Si aucune stratégie cohérente n’est mise en place, c’est la sécurité alimentaire nationale qui serait en jeu dans ce cas-là, notamment en Ouganda, dont la population est celle qui consomme le plus de bananes au monde, avec une moyenne de 0,7kg consommé par jour par habitant. Le pays est également le deuxième producteur mondial de bananes, devant la Chine et derrière l’Inde, avec 11 millions de tonnes produites en 2011. 120 variétés différentes de bananes produites dans le pays ne sont d’ailleurs présentes nulle par ailleurs dans le monde.

A l’échelle mondiale, le secteur de la banane permettrait de nourrir environ 400 millions d’habitants dans les pays en développement, et la production africaine de la denrée a doublé ces trente dernières années. L’Afrique consomme d’ailleurs principalement les bananes produites sur le continent, puisque seulement 15% de la production est exportée. On imagine donc bien un scénario catastrophe et des situations alimentaires aggravées en cas de bactérie affectant la production. Pour 70 millions d’Africains, la banane répond même à plus de 25% des besoins alimentaires quotidiens.

Une piste de solution pourrait être d’appliquer dans l’agriculture les stratégies employées dans le secteur de la santé, en développant des dispositifs d’anti-attaques bactériennes à l’instar de celles actuellement employées en Afrique de l’ouest pour le virus Ebola. Une étude approfondie de la faune et de la flore des milieux visés permettrait ainsi de consolider les méthodes déjà mises en œuvre.

Une stratégie plutôt préventive concernant les pathologies végétales et les biotechnologies dans les pays du continent africain permettrait ainsi de prévenir au lieu d’avoir à guérir, et de réduire par-là même les risques de carences alimentaires et de famines sur le continent. Plusieurs plateformes comme le  Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture ont un rôle crucial à jouer dans la prévention de ces risques. Il est nécessaire et urgent que les continents dialoguent davantage et à une échelle globale pour faire face à ces menaces sous-estimées et potentiellement ravageuses.

Solomon Kalema Musisi, président de la section ougandaise de la Société Panafricaine des Etudiants en Agriculture

Garantir la sécurité alimentaire en Afrique

Securite alimentaire2Le paradoxe africain est saisissant. Quinze des vingt deux économies qui ont connu la croissance la plus rapide dans le monde sont en Afrique. Et le continent lui-même affiche une croissance dépassant 5% en moyenne. Mais l’Afrique reste la région la plus vulnérable et la plus fortement soumise aux risques liés à la faim et à l’insécurité alimentaire. Pourtant les solutions ne manquent pas. Tous les chefs d’Etat africains qui se sont réunis à Malabo, dans la capitale Équato-guinéenne à l’occasion de la 23 ème session ordinaire du sommet de l’Union africaine savent parfaitement ce qu’il faut faire après les grandes déclarations. Et s’ils passaient enfin aux actes ? 

La volonté de faire de l’agriculture le moteur du développement en Afrique est encore réaffirmé. En janvier dernier déjà, lors de la 22ème session ordinaire du sommet de l’UA, une feuille de route a été adoptée par les Chefs d’Etat pour lancer formellement le plan d’action de l’année de la sécurité alimentaire. La transformation de l’agriculture africaine pour créer les conditions de la croissance et du développement durable sur le continent ne doit pas être un simple slogan politique mobilisateur. Les défis alimentaires auxquels les pays africains font face actuellement et ceux auxquels ils pourraient être confrontés dans le futur pourraient compromettre tous les progrès réalisés dans différents domaines du développement si les mesures idoines ne sont pas prises sans délai. En 2050, la population mondiale devrait passer à 9.6 milliards de personnes. Le monde aura alors besoin d’augmenter la production alimentaire de plus de 60% pour nourrir cette population. Sous l’effet d’une croissance démographique parmi les plus rapides au monde, de l’urbanisation rapide et de la croissance économique, le continent africain verra une augmentation exponentielle de ses besoins alimentaires. La demande alimentaire devrait tripler, avec une augmentation de l’ordre de 178%, alors que celle de la Chine et de l’Inde par exemple devrait augmenter respectivement de 31% et 89%. On voit donc bien que ce qui semble se présenter aujourd’hui comme un défi pourrait bien se transformer en opportunité si des politiques agricoles efficaces sont mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie de développement fondée sur la modernisation des systèmes de production, la transformation industrielle et l’organisation des marchés. 

Chaque année, plus de 45 à 50 milliards de dollars US représentant la facture des importations alimentaires africaines sortent du continent pour enrichir d’autres pays et créer de la valeur et des emplois ailleurs. L’investissement de cette manne financière considérable dans les secteurs de production peut changer complètement le visage de l’Afrique et accélérer sa marche vers le développement économique et social durable. Face à une telle situation, on ne peut que se réjouir de l’intérêt que les Chefs d’Etat africains portent à ce dossier impératif. La prise de conscience de l’intensité du problème de l’insécurité alimentaire est la première étape pour appliquer une thérapie appropriée.
 

Pour un continent dont le premier moyen de subsistance est l’agriculture (17% du PIB), investir durablement dans ce secteur est la meilleure option pour lever le défi de l’alimentation, mais aussi celui de l’emploi, de la pauvreté rurale ou urbaine et du développement en générale. La Présidente de la Commission de l’Union Africaine, Dlamini Zuma, a affirmé que des ruptures importantes devront êtes opérées aussi bien au niveau des pays que des communautés économiques régionales pour actualiser le potentiel de l’agriculture africaine. On ne peut cependant manquer de s’interroger sur la capacité réelle des pays africains à aller au-delà des simples déclarations d’intention pour traduire leurs décisions en acte concret. La transformation économique d’un pays requiert des politiques et des actions structurées et durables, un leadership fort et engagé et des ressources souveraines pour mettre en œuvre des politiques adaptées aux besoins et conformes aux intérêts de ce pays. Or de nombreux pays africains, pour ne pas dire la majorité, n’ont ni ce leadership ni les ressources. Alors que leurs maigres ressources publiques nationales sont constamment dilapidées ou investies dans des projets peu productifs, nombre de pays africains se tournent vers l’extérieur pour trouver les moyens nécessaires au développement de l’agriculture. Les discours prononcés à Malabo ont déjà été entendus, même si de nombreux africains se sont accrochés à la lueur d’espoir qu’ils ont laissé transparaitre. A Malabo, au moment même où ils prenaient de nouveaux engagements, les Chefs d’Etat africains ont aussi constatés que très peu d’entre eux ont tenu leur engagement à consacrer au moins 10% leur budget national au secteur agricole. Moins d’une quinzaine de pays ont en effet atteint l’objectif de Maputo déterminé en 2003 dans la capitale Mozambicaine. Et la majorité de ces bons élèves sont des PMA (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Ethiopie, Malawi). L’évaluation de la mise en œuvre du Programme détaillé de développement de l’agriculture Africaine (PDDAA), dont l’ambition était de porter la croissance du secteur agricole à 6% par an, a aussi montré que de nombreux efforts sont encore à faire. Même si certains pays ont fini d’aligner leurs politiques agricoles nationales au PDDAA, il reste que la croissance attendue du secteur agricole est loin d’être atteinte. 

L’insécurité alimentaire et la malnutrition ne sont pas une fatalité. D’autres pays ont eu le courage de lancer une véritable révolution agricole et sont parvenus à des résultats impressionnants. La révolution verte indienne a permis à ce pays d’opérer des transformations radicales dans sa situation alimentaire alors que l’Inde faisait l’objet des projections les plus pessimistes au début des années 60. Même si les défis alimentaires restent encore très préoccupants en Inde, ce pays ne cesse de montrer que son engagement en faveur de la sécurité et la souveraineté alimentaire est plus que jamais résolu. Il suffit de voir comment l’Inde a défendu son droit « inaliénable » de recourir à des achats publics pour constituer des stocks de sécurité alimentaire lors de la Conférence ministérielle de l’OMC à Bali pour se convaincre de sa détermination. 

Plus récemment, le Brésil, grâce à l’initiative Fome Zero (faim zéro), a réussi à tirer près de 28 millions de personnes de la faim. 

Le Brésil comme source d’inspiration pour l’Afrique

Lors de la cérémonie d’investiture qui inaugurait son premier mandat à la tête du Brésil, le Président Lula affirmait son engagement à mener une guerre sans merci à la faim et à la malnutrition : « Nous allons créer les conditions nécessaires pour que chacun dans notre pays puisse manger convenablement trois fois par jour, tous les jours, sans avoir besoin de dons de quiconque. Nous devons vaincre la faim, la misère et l’exclusion sociale. C’est d’une guerre qu’il s’agit – non pas d’une guerre pour tuer, mais une guerre pour sauver des vies ». Une dizaine d’années plus tard, plusieurs dizaines de millions de Brésiliens ont été objectivement tirés des affres de la faim et de la malnutrition. Certes le Brésil ne ressemble en rien à la plupart des Etat africains et les conditions socioéconomiques de ce géant Sud américain n’ont rien à voir avec celles des pays africains. Mais ce qui reste constant, quelque soit le pays, c’est la détermination et la constance des leaders dans la poursuite des objectifs fondamentaux du développement qui peut faire la différence. Au moment du lancement de l’initiative Faim Zéro, près de 44 millions de personnes, soit près de 28% de la population, souffraient de la faim au Brésil. La politique agricole brésilienne a articulé les besoins et l’agrobusiness avec les particularités des exploitations familiales. Ces dernières fournissent 60 à 70% de l’alimentation au Brésil.

L’accès à l’alimentation a fait l’objet d’un encadrement juridique à travers la Loi nationale sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. A partir de 2010, le droit à l’alimentation a été constitutionnalisé. La mobilisation sociale et le caractère ouvert et inclusif des politiques ont permis de réunir les franges les plus représentatives de la société brésiliennes autour des initiatives gouvernementales. La reconnaissance de l’importance des exploitations familiales a permis d’en faire des réservoirs d’expérimentation d’initiatives agricoles endogènes qui ont été par la suite étendues sur de grandes échelles. La dualité du secteur agricole brésilien caractérisé par l’existence concomitante d’exploitations familiales de petite taille et d’entreprises agricoles de grande envergure a amené le gouvernement brésilien à créer un ministère pour chaque catégorie d’exploitation et d’assurer la cohérence de leurs interventions à travers une même politique agricole. Ces ministères sont épaulés par le Ministère du développement social et du combat contre la faim et tous travaillent en synergie avec une quinzaine d’autres ministère sur toutes les questions touchant la sécurité alimentaire. 

Dans de nombreux pays africains, c’est la coordination de l’action gouvernementale dans le domaine agricole et alimentaire qui est le ventre mou des politiques contre la faim. Il n’est pas rare de voir dans un même pays une panoplie de programmes et de projets exécutés par des ministères différents et qui font presque la même chose. Le chevauchement de ces programmes engendre un gaspillage de ressources et des problèmes de coordination, de suivi et d’évaluation qui réduisent la portée des résultats. Un autre défi dans ces pays est le caractère souvent « court-termiste » des politiques qui sont changées au gré des changements de gouvernement ou de Président dans les rares pays où l’alternance politique est une réalité. 

En dépit de l’engagement récurrent des Chefs d’Etat africains, peu d’entre eux ont donné un caractère constitutionnel au droit à la l’alimentation. En Afrique de l’Ouest par exemple, seuls le Niger et la Côte d’Ivoire ont atteint ce niveau. Il ne faut pas pourtant beaucoup d’efforts pour inscrire le droit à l’alimentation dans les constitutions. Certes, cela ne suffit pas pour régler le problème de la faim en Afrique. Mais ce sera déjà beaucoup plus fort que les déclarations creuses faites lors des sommets sans lendemain. 

Article proposé par notre partenaire Enda/Cacid