Le Sénégal dans la guerre des autres

Sénégal_YemenLa décision d'envoyer 2 100 hommes pour participer à l'opération Tempête décisive est dangereuse, irresponsable, inopportune et condamnable. Ce n'est pas la guerre du Sénégal. Nos troupes n'ont rien à faire au Yémen. Malgré toutes les palinodies du gouvernement, aucun enjeu ne saurait justifier l'envoi de fils de ce pays dans le bourbier yéménite.

Dans la lecture du message du président de la République devant l'assemblée nationale, le Ministre Mankeur Ndiaye donne deux arguments pour justifier l'envoi de Jambaars au Yémen : la défense des lieux saints de l'islam et la lutte contre le terrorisme.

Le premier argument n'est pas convaincant Les lieux saints de l'islam, la Mecque et Médine, ne sont nullement menacés par le conflit au Yémen. Aucune menace de qui que ce soit ne pèse sur ces deux villes que du reste l'armée saoudienne peut défendre avec son armée et ses immenses moyens logistiques. D'ailleurs, le Sénégal est un pays laïc. L'article premier de notre Constitution consacre le principe de la laïcité de l’État. Dès lors, en quoi serions-nous mobilisable à tout moment pour défendre des lieux saints de l'islam et non de la chrétienté ou du judaïsme ? 

Le gouvernement a aussi brandi l'argument de la lutte contre le terrorisme. Ce niveau d'incompétence et de faiblesse dans l'analyse de la géopolitique de l'Orient est dangereux à ce niveau de responsabilité. Ce n'est pas une guerre entre les bons et les méchants qui est en train de se dérouler au Yémen. Il s'agit d'une guerre civile sur fond de divergences entre deux puissances régionales. Le terrorisme est au Nigéria et dans toute la bande du Sahel, sans que notre pays ne fasse preuve d'une si grande excitation à y envoyer des soldats. Pour rappel, lors de la constitution de la Minusma, le Sénégal avait envoyé 500 soldats, quatre fois moins que le contingent qu'on est en train de louer à Sa Majesté le roi Salman.

Or, des symboles très forts, historiques et géographiques, nous lient au Mali. Les deux pays sont partis à l'indépendance ensemble dans le cadre de la Fédération du Mali. Le Sénégal et le Mali sont les deux seuls pays au monde à partager la même devise : « Un peuple – Un But – Une Foi ». Dakar devait prendre le leadership du contingent qui devait rétablir la souveraineté malienne, au lieu de sa maigre contribution consentie.

Enfin, selon l'analyse d'un spécialiste au Washington Post, partagé par de nombreux observateurs dans le pays et au-delà, l'argument économique motive aussi cette décision de Dakar. Le financement du Plan Sénégal Émergent (PSE) par l'Arabie Saoudite serait une contrepartie à la participation sénégalaise à la guerre. Cet argument (justifié?) est pernicieux, voire honteux pour un pays souverain. Décider d'envoyer 2 100 soldats dans une guerre qui n'est pas la nôtre pour en retour recevoir des pétrodollars saoudiens constitue une honte nationale. Le gouvernement est en train d'expliquer aux citoyens sénégalais qu'au lieu d'une armée nationale, l'on dispose d'un groupe de mercenaires à la solde du plus offrant. L'armée sénégalaise serait donc un bataillon de supplétifs mobilisable et corvéable, payé pour des missions ponctuelles.  Si la logique du gouvernement est suivie, après l'Arabie Saoudite, la Russie peut s'arroger les services des Jambaars dans sa guerre en Ukraine ? La Colombie aussi pourrait-elle louer un bataillon de Sénégalais dans son combat contre les FARC ? 

Au Yémen, on est en face d'une guerre civile, entre deux conceptions de l'islam, sunnite et chiite. L'on est aussi en face de convulsions d'un État qui n’a pas encore su trouver un modèle de construction nationale après sa réunification en 1990. L'Arabie Saoudite a pris la décision d'aller au Yémen pour freiner la marche des rebelles Houthis vers Sanaa et pour rétablir le président déchu Mansour Hadi.  La diplomatie saoudienne veut à tout prix éviter qu'un régime de chiites inféodé à l'Iran ne prenne le pouvoir à sa frontière. Avec ses partenaires du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ils ont commencé une guerre ;  qu'ils la finissent.

Que feront les Sénégalais au Yémen ?  La vocation d'une armée est d'abord la protection des populations et la garantie de l'intégrité territoriale d'un pays. Ensuite la défense de ses intérêts vitaux.  Or vu la place de notre pays dans la géopolitique mondiale, notre priorité est la Casamance, où sévissent des individus qui menacent l'intégrité territoriale du Sénégal. Nous n'avons pas la capacité de projection nécessaire pour nous impliquer dans une guerre en Orient en dehors de notre champ de compétence et de déclinaison de notre outil diplomatique.

La vocation du Sénégal est d'être d'abord un géant sous-régional. Les constantes provocations de Yahya Jammeh, l'envoi de seulement 500 soldats au Mali et l'importance prise ces dernières années par Ouagadougou dans la CEDEAO montrent à suffisance que nous avons perdu notre leadership régional. En outre, la Côte d'Ivoire revient en force au plan économique et recouvrera son poids diplomatique, le Nigéria après la brillante élection de Buhari assumera bientôt le rôle qui est le sien dans l'espace ouest-africain. Face à toutes ces réalités géopolitiques, où se trouve la place du Sénégal ? Sûrement pas au Yémen pour soutenir une monarchie réactionnaire, rétrograde, misogyne où se met en œuvre la version la plus fondamentaliste de l'islam.

Les retombées de cette guerre pour notre pays peuvent être dangereuses.  Si des Jambaars meurent au combat, la responsabilité morale et personnelle du Chef suprême des armées est directement engagée. En outre, il est déjà illusoire pour le Sénégal de penser que notre pays peut échapper à des attaques terroristes sur notre sol quand on est entouré du Mali et de la Mauritanie et qu'on n’est pas loin du Nigéria, dans un espace de libre circulation des personnes avec ses frontières plus que poreuses.  Mais avec cet envoi de soldats au Yémen, le risque s'élève d'avoir des représailles sur notre sol. Il convient de rappeler au gouvernement qu'une guerre contre le terrorisme est longue, surtout dans des États structurellement faibles comme les nôtres.

Les conseillers diplomatiques du palais de l'avenue Senghor semblent ignorer que les attentats à Charlie Hebdo de janvier ont été revendiqués par al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) dont le siège est justement au Yémen.  AQPA peut être considéré comme la résultante de la fusion d'al-Qaïda « canal historique » et de sa succursale yéménite d'alors. Circonstance aggravante : le groupe voue aux gémonies l'Arabie Saoudite dont nous venons de soutenir l'entreprise au Yémen. La cartographie des dangers se précise pour notre pays surtout que les attentats de paris montrent la capacité fulgurante de projection d'AQPA dans des zones très éloignées de son foyer yéménite.

Il faut que le Sénégal renonce à l'envoi de troupes au Yémen. Même si les déclarations à la télévision de Mankeur Ndiaye semblent indiquer que le sinistre mouvement est irréversible.

D'ailleurs, en plus d'être l'auteur de faux arguments devant les médias, l'irresponsabilité du chef de la diplomatie sénégalaise n'a d'égal qu'à son incompétence. Le ministre a annoncé qu'aucun président sénégalais « ne peut dire non à une demande du souverain d'Arabie Saoudite ». Le Sénégal serait-il une province saoudienne ?  

Pis, le ministre, répondant à une question sur la base légale de l'opération « Tempête décisive », affirme : « quand deux chefs d’États échangent dans un bureau sur une opération de cette nature, c'est de fait une base légale ». Au-delà du caractère faux de l'argument, qu'un ministre des Affaires étrangères, diplomate de carrière de surcroît, puisse ignorer à ce point le droit international renseigne très justement sur l'état de notre pays et surtout du niveau de certains hommes qui le dirigent.

Hamidou Anne

 

Immersion au CTIC de Dakar : Challenge

YannAu cours d’un cours séjour au Sénégal, j’ai eu la chance de me plonger au cœur du CTIC Dakar, le premier incubateur TIC en Afrique Francophone. Aussi, je vous propose une série d’articles pour découvrir le CTIC, ses facteurs clés de succès, ses défis et enfin ses entrepreneurs.

Cet article est une interview de Yann Le Beux, Catalyst à CTIC Dakar, qui nous explique les stratégies de développement du CTIC et les défis à surmonter.

ADI : Pourriez-vous nous raconter brièvement votre parcours et le contexte dans lequel vous évoluez au CTIC ?

YLB : Je suis Yann Le Beux, je suis Français résidant au Sénégal depuis trois ans pour le CTIC. J’ai eu la chance de bénéficier d’une bourse de la coopération allemande qui recherchait un startup advisor pour l’incubateur. Au départ, j’ai fait des études d’ingénerie matériaux avec une spécialisation en management de l’innovation. Après des expériences en Belgique, en Angleterre et aux Etats-Unis, je souhaitais en apprendre davantage sur l’évolution et l’impact des technologies en Afrique. L’idéal pour moi était de travailler dans un incubateur afin d’entrer rapidement en contact avec tout un écosystème et mieux comprendre comment les choses se passent. Je ciblais toutes les sciences mais les TIC m’intéressaient plus particulièrement. Au niveau des pays, je ciblais le Kenya, le Ghana et le Sénégal qui offraient il me semblait un environnement plus propice au développement de l’entrepreneuriat Tech.

J’ai donc rejoins l’équipe de CTIC Dakar quelques mois après son lancement en 2011, en tant que « Catalyst ». Nous avions à l’époque une petite équipe et étions donc tous très polyvalents. Pour ma part, en dehors du suivi quotidien des entreprises bien sûr, je me suis intéressé à la conception et la mise en place de nouveaux programmes tels que notre accélérateur de startup, et d’événements, faisant ainsi en sorte que ces derniers participent à la structuration de l’écosystème. Par ailleurs, nous avons réalisé pas mal d’actions sur la question des Business Angels et du financement en général, du lien avec les universités, et nous avons fait en sorte de mieux structurer nos programmes d’accompagnement pour pouvoir les améliorer et intéresser des partenaires. Enfin, je suis parfois l’interface pour les relations internationales. Le fait que je sois étranger peu aussi faciliter les échanges avec l’extérieur.

ADI : Pourriez-vous nous expliquer les particularités du CTIC ?

YLB : Bien que CTIC Dakar soit issu d’un partenariat public-privé, l’idée de l’incubateur provient au départ du secteur privé, notamment du patronat (OPTIC – Organisation des Professionnels des TIC) et la présidence de notre comité de gestion revient d’ailleurs au secteur privé. Au départ, une quarantaine d’entreprises informatiques plutôt traditionnelles (revendeurs de PC, développeurs ou intégrateurs de logiciels, etc.) qui composaient le secteur privé ont ressenti le besoin de créer un incubateur pour créer de l’innovation. C’est pour cette raison que le secteur privé est beaucoup plus influent au niveau de CTIC et que nous sommes beaucoup plus axés business. Légalement, nous sommes une association mais nous ne le disons quasiment jamais ; nous nous percevons davantage comme un cabinet de conseil.

Nous sommes également membre d’un réseau qui s’appelle Afrilabs, le réseau des incubateurs et hubs africains. Nous sommes 32 au total dont seulement 5 francophones (malheureusement). Ce réseau nous apporte beaucoup car il permet de partager des informations pertinentes ainsi que nos expériences, de constater les méthodes qui fonctionnent le mieux et d’adopter les meilleures pratiques pour être plus performant.

Au Sénégal, pour le moment il n’y a qu’un seul incubateur dédié aux entrepreneurs TIC, alors qu’il y en a déjà plusieurs milliers aux Etats-Unis et en Chine. Dans les années à venir, nous en aurons sûrement de plus en plus qui se spécialiseront par secteurs technologiques. C’est pour cela que je trouve fascinant d’être parmi les pionniers de ce domaine en Afrique francophone et d’être dans un centre qui dispose de ressources relativement importantes (10 employés, locaux de 500m2, financement pour les startups, etc.) pour accompagner les entrepreneurs Tech.

ADI : Etant donné que le secteur privé à une place importante dans la gouvernance du CTIC, est-ce que le profil des entrepreneurs sélectionnés est fonction du type d’innovation recherché par les entreprises partenaires ?

YLB : Il n’y a pas de lien entre les deux. Au départ, les entreprises du secteur ne savaient pas exactement quel type d’innovation elles souhaitaient trouver dans l’écosystème. Il s’agissait davantage de leur image et de voir l’émergence de jeunes start-up. Aujourd’hui, nos entreprises incubées sont parfois concurrentes  de celles qui composent le secteur privé, et c’est une bonne chose. Cela prouve que nos entreprises grandissent vite et bien. Dans d’autres cas, certaines entreprises plus grandes sont intéressées par acquérir certaines startups innovantes et c’est une très bonne chose également.

ADI : Quelle est l’implication des entreprises privées dans les activités de l’incubateur ?

YLB : La plupart des grands groupes essaye d’une manière ou d’une autre d’entrer dans une dynamique d’écosystème. Mozilla Firefox, par exemple, a présenté récemment le lancement d’une nouvelle plateforme à nos entrepreneurs afin qu’ils anticipent et adaptent leurs applications à ce type de plateforme. Avec Microsoft, nous fournissons des formations gratuites en développement mobile. Orange également s’implique de plus en plus, notamment via leur nouvelle division «Relations avec l’Ecosystème Numérique » à laquelle nous sommes rattachés. Cette relation met beaucoup de temps à se construire et commence enfin à porter ses fruits avec des initiatives proposées par le groupe telles que le « Data for Development Challenge » dans le cadre de laquelle Orange a ouvert toutes ses données pour la communauté de développeurs. Ce type d’initiative est pour nous très intéressant. Ils soutiennent également certains projets, sont en mesure de fournir des mentors, ils essaient d’ouvrir des portes malgré les nombreux freins qui demeurent encore aujourd’hui. A titre d’exemple, nous aimerions qu’Orange ouvre ses technologies de paiement mobile à nos startups de e-commerce, ou au moins qu’ils offrent des numéros verts ou des numéros courts SMS aux startups du Sénégal, mais à ce niveau-là, il n’y a aucune concession pour le moment bien que plusieurs discussions soient en cours.

ADI : En occident, les entreprises délocalisent énormément les services informatiques en Inde. Atos a annoncé récemment vouloir investir au Sénégal et faire du pays un fournisseur de services informatiques pour l’Europe. De votre côté, avez-vous tenté de positionner vos entrepreneurs sur ces marchés ?

YLB : En tant qu’étranger, il m’arrive d’être sollicité par des entreprises étrangères pour les aider à comprendre l’écosystème dans lequel nous évoluons. Cependant, pour le CTIC, il n’est pas intéressant d’accompagner ce type d’entreprise car notre grande valeur ajoutée se trouve sur le business development local. Nous sommes très forts pour trouver des clients locaux, Sénégalais et, de plus en plus, Ouest-Africains. Donc si l’objectif est de former des développeurs pour servir des clients européens, nous ne pouvons pas être d’une grande aide.

A long terme, ce type d’entreprise peut nous apporter car ils forment très bien les développeurs Sénégalais et leur offrent de très bonnes expériences professionnelles grâce à leurs gros moyens. Mais, à très court terme, ces groupes « pillent » toutes les ressources humaines de nos entreprises. Atos en l’occurrence est arrivé et a embauché la totalité de la dernière promotion de l’ESP – qui est la meilleure école de développeurs au Sénégal – avant même que les étudiants aient quitté l’école. Et maintenant que nos entreprises grandissent, nous nous rendons compte du manque criard d’ingénieurs sur le marché sénégalais : People Input compte une cinquantaine d’employés, Byfilling une vingtaine, Nelam Services une vingtaine également. Atos veut embaucher 200 développeurs la première année et 3 000 sur 3 ans alors que des deux meilleures écoles, l’ESP et l’UGB, ne sortent que 40 ingénieurs compétents chaque année. Ce décalage représente un gros risque pour notre écosystème. Malgré tout, le Sénégal dispose d’un réel potentiel et il serait très bénéfique pour l’image du pays que les groupes étrangers réussissent leur intégration sur le marché.

Yann_de piedADI : Au niveau de l’investissement privé, comptez-vous parmi vos partenaires des Business Angels ?

YLB : Oui nous en connaissons quelques-uns, mais ceux intéressés par les TIC se comptent sur les doigts d’une main au Sénégal. Nous avons essayé de développer un club de Business Angels mais cela n’a pas du tout fonctionné. Nous pensions au départ que de riches hommes d’affaire du Sénégal – car notre première cible était les Sénégalais – auraient été intéressés par le fait d’investir dans des jeunes talents TIC de leur pays. Ce n’est malheureusement pas encore le cas ; ils préfèrent investir dans le bâtiment ou des industries qu’ils maitrisent mieux ; et laissent des groupes tels que Rocket Internet s’accaparer tout le marché du e-commerce. Nous trouvons cette situation dramatique : il y a un vrai manque d’investissement local et de la diaspora. A l’inverse, des investisseurs étrangers tels que Rocket Internet ou Ringier comprennent le vrai potentiel du e-commerce en Afrique et le prouvent depuis deux ans via leurs investissements.

Mais ce n’est qu’une question de temps, plus nous aurons d’entrepreneurs à avoir réussi dans le secteur des technologies, plus ils réinvestiront  et accompagneront des startups donc je  reste confiant. Notre ancien directeur au CTIC, vient d’ailleurs de lancer un fonds d’investissement doté de plusieurs millions d’euros. Par ailleurs, la diaspora représente un gros potentiel, mais nous n’avons pas encore trouvé canal idéal pour la toucher.

ADI : Quelle est votre position sur le projet de ville numérique de Diamnadio ?

YLB : Nous sommes impliqués dans ce projet qui est effectivement très intéressant et il est prévu que notre incubateur soit au centre de cette cité. Pour nous, il s’agit d’une très bonne opportunité. Cela dit, cela fait déjà près de 10 ans que l’on parle de villes numériques au Sénégal et même si le projet est en bonne voie, il ne sera surement pas finalisé avant 3 ou 4 ans. Avec nos modestes moyens et nos 500 m2 nous avons accompagné plus de 60 entreprises et bâti un modèle qui est viable à 75%. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre avant de grandir, la demande est trop forte. Nous travaillons donc sur une extension de 1 500 m2 et l’ensemble de nos partenaires s’est engagé à nous soutenir dans cette démarche.

Propos recueillis par Awa SACKO

Sénégal : 2017 aksi na !

Sénégal : 2017 aksi na ![1]

Macky-Sall-au-moment-de-sa-prestation-de-serment-300x200S’il suffisait de vouloir changer un pays pour que les progrès attendus soient réalisés, le Sénégal serait sans doute l’un des pays les plus prospères au monde. Les initiatives en faveur du développement économique et social se multiplient, par l’action (les politiques publiques) comme par la réflexion (conférences, séminaires, débats) au quotidien, à qui mieux mieux. Les politiques publiques en faveur de l’émergence contenues dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) sont appliquées depuis le Groupe consultatif tenu à Paris les 25 et 26 février 2014 entre le gouvernement sénégalais et ses partenaires internationaux, malgré les obstacles rencontrés : chômage, grèves dans le système éducatif, campagne agricole tardive, tensions politiques… Les groupes de réflexion et d’échange sont légion à Dakar, la capitale, tout comme les ONG. Il se pose donc un problème immédiat : pourquoi le Sénégal reste-t-il encore un pays pauvre? Nulle prétention d’apporter ici des recettes miracles qu’il suffirait d’appliquer pour s’en sortir. Il est possible cependant d’expliquer la persistance de quelques freins au progrès économique.

Pour rappel, le Président Macky Sall a été élu en mars 2012 avec plus de 65% des suffrages. Il a formé des gouvernements avec 3 Premiers ministres (Abdoul Mbaye, Aminata Touré et Mohamed Dionne) qui ont tous une grande expérience professionnelle en matière économique derrière eux. La réalisation des engagements du Président Sall (sur l’agriculture, l’éducation, la santé, l’énergie, l’emploi) est donc certainement un objectif faisable. Beaucoup d’actions ont été faites : Couverture maladie universelle, Bourses de sécurité familiale, ports, routes, aéroports, Acte 3 de la décentralisation, modernisation du système éducatif (daaras[2], universités, écoles), FONSIS, FONGIP, BNDE, PAQET, baisse des prix (loyers, du carburant, du gaz, denrées)… Les projets sortent de terre tous les jours, appuyés ou réalisés par le gouvernement sénégalais, de la Casamance (Aguène et Diambogne) à Diamniadio (CICAD, 2e université de Dakar), du Fouta (valorisation des cultures de la vallée du fleuve Sénégal) à au Sine-Saloum (Université). Ces changements sont observables aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan quantitatif. Le Sénégal a nettement progressé dans le classement Doing Business de la Banque mondiale pour l’Afrique en 2014. Le régime a même pour ambition l’autosuffisance en riz en 2017. Il existe cependant quelques résistances au progrès économique et social qu’il faut vite effacer.

  1. Les oppositions aux réformes dites « consolidantes »[3]

Le gouvernement a fait depuis 3 ans un ensemble de réformes d’envergure et prépare d’autres. Outre celles qui changent les institutions (avant-projet de Constitution de la CNRI[4] à adopter), et celles économiques citées plus haut (fonds), il faut aussi compter celles du système éducatif (association d’acteurs économiques aux décisions des universités, voir aussi plus haut) et celles du système de santé (Couverture maladie universelle), qui doivent servir dans la durée. Ces programmes sont trop importants pour un pays comme le Sénégal, pour concerner un mandat ou un régime seulement. La pauvreté ne peut pas s’effacer du jour au lendemain, il faut continuer à exécuter les réformes pour qu’elles puissent porter leurs fruits dans la durée.

  1. Les tensions sur le front social et le débat politique

Le Sénégal est aussi connu pour son front social bouillonnant avec des syndicats toujours en grève (éducation, santé, justice) ainsi que pour la tension du débat entre opposition et pouvoir. Dans l’absolu c’est un indicateur de la vitalité démocratique du pays ; mais ce n’est pas une raison pour entretenir ces tensions qui peuvent entraîner des violences si elles débordaient. Il y a donc un effort de la part des gouvernants comme des responsables politiques et syndicaux pour apaiser le climat social, apaisement qui pourrait faciliter la mise en œuvre des réformes. Des expériences dans d’autres pays (Afrique du Sud et République démocratique du Congo) ont montré que les grandes réformes institutionnelles et économiques sont mieux comprises lorsqu’elles sont partagées avec les citoyens à qui elles s’adressent. C’est une leçon capitale. La charge négative que le procès Karim Wade, fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade, a charriée est un exemple patent du degré néfaste des tensions politiques pour la société entière. A sa condamnation à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite le 23 mars 2015, après deux ans de poursuites judiciaires, les réactions du Parti démocratique sénégalais (qui l’a choisi deux jours avant comme candidat à la prochaine élection présidentielle) ont été très vives à Dakar. Il faut souhaiter que le débat politique porte plus sur les programmes économiques que sur les situations personnelles des hommes politiques, comme dans toute bonne démocratie apaisée. Et que le cours soit libre aux tribunaux de gérer les contentieux juridiques qui surviennent. Ce paramètre sera essentiel pour sauvegarder la stabilité du Sénégal dans les prochaines années.

  1. L’attentisme par rapport à l’Etat

Aucun Etat n’est capable de résoudre seul tous les défis (économiques ou sociaux) d’un pays. L’Etat est un facilitateur du progrès social, mais il n’est pas le seul moteur du développement. Il est affligeant de constater à quel point les grandes entreprises, les grandes banques, nationales comme internationales, sont parfois oublieuses de leur responsabilité sociétale. Certes, le but premier de ces groupes est de réaliser des profits. Mais en 2015, on ne peut plus ignorer son apport vis-à-vis des populations riveraines lorsqu’on investit dans une localité. Ce paramètre est malheureusement trop souvent oublié, secondaire, ou mal pris en compte. Il y aurait certainement moins de difficultés à développer un pays pour l’Etat, si les grands groupes privés qui opèrent sur son sol l’aidaient (emplois locaux pour le territoire concerné, entretien de l’environnement, construction d’écoles ou d’hôpitaux, soutiens aux associations). Cette remarque est valable pour les citoyens, qui doivent plus aller vers les missions de services publics dans le cadre d’initiatives sociales (assainissement, éducation,   prévention). Le monde rural devrait également mobiliser plus de ressources internes (eau, terre, cheptel) et solliciter moins de produits (intrants, semences) et de services (commercialisation) de l’Etat.

Ainsi, il existe beaucoup de volonté et d’actions en faveur du progrès économique et social, de la part de l’Etat comme du secteur privé et associatif, mais il importe encore d’éradiquer certains facteurs de résistances qui peuvent tomber en mettant en synergie les efforts de tous. Et cela, il ne faut pas l’attendre d’un quelconque bienfaiteur, il faut toujours aller le chercher.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 


[1] Traduire par 2017, c’est demain !

[2] Ecoles traditionnelles où sont enseignés l’Arabe et l’Islam en phase de modernisation

[3] Ismaila Madior Fall, Les réformes constitutionnelles consolidantes et déconsolidantes

[4] Commission nationale chargée de la réforme des institutions dirigée par A. Makhtar Mbow

Karim Wade, de l’arrogance à la trahison des siens

 

Photo+Karim+WadeLe prononcé du verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite contre Karim Wade et ses complices, ce lundi 23 mars 2015, a été accueilli par une immense clameur de désolation dans la salle 4 du Palais de justice Lat Dior de Dakar. Celle des partisans de l’ancien ministre d’État, finalement condamné à six ans de prison ferme, une amende de 138,293 milliards de francs Cfa, la confiscation de tous ses biens identifiés par l’enquête, mais gardant ses droits civils et politiques.

A dire vrai, cette sentence n’a surpris personne en dehors de ceux qui avaient la naïveté de croire que la machine judiciaire, sur ce dossier de la traque dite des biens mal acquis, avait les moyens de « négocier » quelque arrangement spécifique au statut du fils de l’ancien président de la république. Patatras ! Quoique modérée, la main des juges du tribunal de la Crei n’a pas tremblé, même si le président Henri Grégoire Diop a paru s’essouffler au terme de deux heures de lecture d’une sentence historique.

En soi, nous ne nous réjouissons pas de la condamnation de monsieur Karim Wade à six années de prison. Simplement, nous avons le devoir de saluer la détermination politique du pouvoir sénégalais à aller, pour une fois, au bout d’une logique saine et salutaire : la protection des ressources de la collectivité nationale contre les criminels économiques et financiers de passage dans les hautes (ou basses) sphères de l’État.

Karim Meïssa Wade, ancien tout-puissant ministre d’État aux responsabilités stratosphériques, paie aujourd’hui les pots cassés d’une ascension irréfléchie, brutale, sans commune mesure avec le vécu réel qui était le sien au moment de l’accession de son père à la magistrature suprême. Plastronnant sous une littérature directement extraite d’un conte de faits pour enfants, l’ex-ministre d’État s’est vu trop beau trop tôt, trop fort trop vite, ignorant volontairement ou naïvement les ingrédients de base constitutifs de la carapace d’un vrai homme d’État. 

Sans base ni éducation politique, dépourvu de charisme, sans relais structuré dans le Sénégal des profondeurs, il avait fait le choix de vivre sur l’énorme capital politique et humain de son père, Abdoulaye Wade. Or ce dernier, faut-il le rappeler, s’est assujetti à endurer vingt six ans de carrière dans l’opposition avant de toucher le Graal de son engagement et de ses sacrifices. Le fils, lui, se forgeant des ambitions phénoménales avec la complicité irresponsable des ascendants, s’est laissé embarquer dans ces réseaux inextricables d’intérêts et de magouilles que seule l’immersion dans le pouvoir permet. 

Novice dans la manipulation du principe de puissance, imprudent face aux conséquences imprédictibles permises par la volonté démocratique des peuples, Karim Wade s’est aveuglé avec l’aide des siens, intransigeant contre ceux qu’il considérait à tort ou à raison comme des ennemis bruts de son ascension, n’écoutant que ceux qui lui contaient sornettes pour tirer profits et avantages de son propre éclosion, autour d’une tasse de thé ou de café, quelque part entre Dubaï et Monaco, mais aussi dans Dakar intra muros. 

L’échec d’une défense

Wade Jr. n’a pas été seulement victime de faux-amis qui, incapables d’assumer par eux-mêmes leurs propres ambitions, avaient fini de dissoudre leur destin politique dans le sien. Il l’a été également d’un père devenu dieu de ses obligés mais qui avait envisagé que seule une double succession monarchique dans « son » parti et dans un État capturé depuis 2000 était en mesure de lui assurer la postérité qu’il revendiquait à la hauteur de son égo. De fait, il ferma peut-être les yeux – s’il était au courant – sur tous les stratagèmes que son fils développait à partir de ses positions de pouvoir au sommet de l’Etat. Abdoulaye Wade était-il informé des pratiques peu orthodoxes auxquelles se livrait Karim Wade et que l’énoncé du verdict de la Crei a mises en lumière ce 23 mars ?
Victime, Karim Wade l’a aussi été de ses avocats et conseils. La plupart de ceux-ci, donc pas tous, sont reconnus comme des professionnels aguerris des prétoires. Des hommes d’expérience aux capacités tactiques qui peuvent être utiles à leurs clients. Mais ne se sont-ils pas trompés de procès au bout du compte ? Le caractère exceptionnel de la Crei, ses procédures aux antipodes des juridictions classiques, sa résurgence en ces temps de la maturité des peuples et des exigences morales liées au principe de la reddition des comptes, ne suffisaient-ils pas à leur imposer une démarche plus efficace pour sauver leur client ? Comment expliquer que des manquements inhérents à ce type de procès aient pu servir de motif pour déserter ainsi le prétoire ?

On peut respecter leur stratégie, cela n’empêche pas d’avancer le propos qui fâche : ils ont opté pour la facilité, plaidant plus dans les médias que devant le tribunal, arc-boutés à des principes universels de droit qui ne font pas tout le droit, finissant par boycotter un procès que la lourdeur des charges contre Karim Wade rendait ingagnable à leurs yeux, oubliant même que, « en matière pénale, la preuve est libre », ainsi que leur rappelait un de leurs confrères.

Le principal concerné n’a pas été exemplaire non plus ! Emmuré dans le silence face aux accusations précises et accablantes de ses contradicteurs, Karim Wade ne s’est pas révélé courageux, en droite ligne d’ailleurs de l’ascension couvée dont il a bénéficié durant sa (brève) carrière politique. Son mutisme, il le voulait sélectif : en extase quand il fallait parler du fameux compte de Singapour et des bijoux de sa défunte femme, deux dossiers sur lesquels il savait qu’il aurait gain de cause ; aphone lorsqu’il était question de AHS, ABS, Blackpearl Finance, etc.

Et maintenant ?

Dans notre entendement, si ce procès historique ne devait pas être l’amorce d’une transformation radicale des modes de gouvernance en vigueur dans notre pays depuis cinquante cinq ans, il n’aura servi à strictement rien, sauf à donner bonne conscience à des politiciens professionnels. C’est le moment pour les politiques au pouvoir de confirmer leur détermination à promouvoir un Sénégal en lutte perpétuelle contre la corruption. Les Sénégalais les ont à l’œil, patients.

Mais le nœud gordien de notre salut à tous réside dans l’émancipation du pouvoir judiciaire, garant de nos libertés, arbitre de nos turpitudes. Car, si nous laissons les politiciens de ce pays conduire seuls nos destinées selon leurs agendas, des centaines d’énoncés de verdict comme celui de ce 23 mars 2015 nous sont d’ores et déjà promis. Encore que, dans l’attente, il y en a qui méritent le sort de Karim Wade.

 

Momar Dieng

Article initialement paru sur le blog http://momardieng.blogspot.fr/

 

L’affaire Petro-Tim : Pour un usage des voies de droit au Sénégal

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Le Sénégal est un pays où les voies de droit sont peu utilisées par les citoyens pour résoudre leurs problèmes. Qu’il s’agisse de litiges entre particuliers ou de différends opposant les citoyens aux institutions, le recours est beaucoup plus prompt à l’endroit des médias ou autres canaux publics. Or, l’espace public ne devrait pas être le lieu de résolution des affaires publiques. Cela est peut-être dû à la place que ces médias ont dans la vie démocratique (radios, télés, presse écrite) mais une nation qui se targue de sa vitalité démocratique doit en premier lieu prouver l’efficacité de ses voies de droit. L’importance des affaires portées sur la place publique alors qu’elles concernent précisément  des différends à portée juridique dont les tribunaux doivent être saisis est un déficit de démocratie.

En témoigne l’affaire Petrotim/Arcelor Mittal, qui est devenue un imbroglio où des affaires distinctes sont portées dans l’espace public alors qu’elles concernent des institutions importantes de l’Etat. Il y a dans cette affaire un méli-mélo d’accusations (conflit d’intérêts, corruption, détournement de deniers publics) faites au meeting du Parti démocratique sénégalais (PDS, le principal parti d’opposition) tenu le 21 novembre 2014. L’ancien Président Abdoulaye Wade (2000-12) a tout simplement « joint » deux litiges différents : celui opposant la société Mittal (devenue ArcelorMittal) à l’État sénégalais, et un autre litige dans lequel est cité Aliou Sall, le frère de l’actuel Président Macky Sall (2012-).  Aliou Sall est accusé d’avoir usé de ses relations et de sa fonction diplomatique de l’époque dans un contrat où Petro-Tim Limited (devenue Timis Corporation), une compagnie pétrolière de l’homme d’affaires roumain Frank Timis est privilégié, et même d’avoir touché des rétro-commissions, pendant que beaucoup d’argent public aurait été versé dans les comptes d’avocats personnels du chef de l’État. Ces accusations taisent plusieurs faits essentiels pour comprendre le dossier :

  1. Le fait qu’Aliou Sall a agi en qualité d’agent de l’Etat sénégalais en poste à Pékin ;
  2. Le fait que des avocats personnels d’un chef de l’Etat peuvent agir en qualité du chef de l’Etat intuitu personae et recevoir leurs honoraires sur un compte ouvert à cet effet ;
  3. Le fait qu’ArcelorMittal, s’étant retiré du contrat qui le liait à l’État du Sénégal pour l’exploitation de gisements miniers dans l’est du pays, a versé des dommages-intérêts à l’État après une décision du tribunal arbitral de Paris ;
  4. Le fait que c’est le régime d’Abdoulaye Wade qui a causé ce préjudice de l’État envers Mittal

Le flou qui a entouré la présentation de l’affaire Petro-Tim ces dernières semaines a donné l’impression qu’il y a eu « beaucoup de précipitation au début et peu de clarté à la fin », pour citer l’ancien ministre Alioune Badara Cissé. Mais lorsqu’elle a été examinée de façon sérieuse, les autorités sénégalaises ont eu vite fait de démontrer que le flou a été volontairement entretenu par Wade. Cette tentative de semer la confusion dans l’esprit des citoyens et, comme fréquemment, de divertir l’opinion par des sujets polémistes, ne va pas dans le sens de l’apaisement de la vie publique.

Car l’espace public n’est pas le lieu où les affaires d’une telle portée juridique doivent être résolues. Ce n’est bon ni pour la quiétude de l’opinion publique, ni pour l’exécution des programmes publics, ni pour le bon fonctionnement des institutions. Pour cette affaire, comme pour tant d’autres, les Sénégalais devraient se tourner vers les cours et tribunaux  pour éviter la pollution du débat public. Le débat politique doit porter sur les programmes économiques, l’opportunité des choix opérés, et non sur une lutte entre clans destinés à « détruire » des politiciens pour les intérêts d’une famille. Crier sous tous les toits qu’on détient des preuves et disséminer des rumeurs sans fondement ne sert pas la stabilité des institutions dont se targue le Sénégal. Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux : le porter devant les tribunaux dans un pays où la justice est garantie ainsi que les droits. C’est valable pour cette affaire comme pour beaucoup d’autres qui faussent le débat démocratique.

Sauf à remettre en question l’indépendance des tribunaux ou la sécurité du système judiciaire, ce qui serait troublant pour des personnalités politiques qui étaient en fonction jusqu’il y a peu, il y a un danger à consacrer des meetings politiques à porter ces accusations devant le tribunal de l’opinion. Le système judiciaire sénégalais permet à tout citoyen d’attaquer les autorités administratives, y compris l’Etat, les collectivités décentralisées et les entreprises publiques : garantie constitutionnelle. Les actes des personnes morales de droit public peuvent être attaqués devant la Cour suprême et, même si les délais sont réduits, il y a toujours possibilité de provoquer une décision implicite de rejet (silence de l’administration après une requête). Et lorsqu’on estime que ce sont des actes non administratifs, il y a toujours les tribunaux régionaux et cours d’appels qui sont compétents. Mieux, le règlement non juridictionnel est possible (Médiateur de la République, Parlement, etc.).

Il est dommage que les tribunaux soient submergés presqu’exclusivement de différends liés aux mœurs (vol, viol, agressions, escroquerie) et très rarement saisis pour des questions de gouvernance. Beaucoup d’hommes politiques préfèrent s’exprimer devant les médias et devant les militants pour invectiver leurs adversaires au lieu d’agir avec responsabilité en utilisant les tribunaux du pays, alors même qu’ils ne manquent pas de moyens pour commettre des avocats spécialisés sur ces questions. Dès lors, comment expliquer cette propension à recourir aux médias et à l’espace public pour résoudre des problèmes politiques ayant une portée juridique ? Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux et gagner la bataille de l’opinion est d’obtenir un règlement juridictionnel de ces litiges. Lorsque le Président actuel, Macky Sall, alors dans l’opposition, a fait l’objet d’une procédure judiciaire pour un patrimoine appartenant à l’État sénégalais (les fameux « fonds taïwanais »), un non-lieu fut rendu. Lorsqu’Ibrahima Sène, le leader du Parti pour l’indépendance et le travail, a été attrait en justice pour diffamation, il a été relâché au bénéfice du doute. Lorsque Karim Wade est soupçonné d’enrichissement illicite, c’est encore la justice qui doit trancher, qu’elle passe par la CREI, la Cour de justice de l’UEMOA, etc.

A l’heure où le gouvernement est dans une phase cruciale de mise en œuvre des programmes contenus dans le Plan Sénégal émergent, avec la gestion quotidienne des problèmes des ménages, les étudiants, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les transporteurs, et même les journalistes, ont certainement plus besoin d’être informés des efforts fournis par le gouvernement – baisse des loyers, des produits pétroliers, des prix des denrées, octroi de moyens aux collectivités territoriales, mise en place d’instruments comme la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), le Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS), la Couverture maladie universelle (CMU) ou le Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET) – que d’écouter des accusations aussi légères que celles relatives à l’affaire Petro Tim/Arcelor Mittal.

Il serait bien que le débat public soit moins vicié. Fournir des efforts pour cogiter sur les programmes est en soi beaucoup plus bénéfique pour la vie publique que des accusations aussi légères qui ont leur place, encore une fois, dans les instances judiciaires financées exclusivement pour ces questions. Quel est l’apport marginal des attaques personnelles portées dans les médias à longueur de journée pour le pouvoir d’achat des Sénégalais ? Ces derniers méritent un débat public plus informé et plus structuré.

Mais on est en droit de croire que les électeurs sont moins enclins à écouter ces polémiques stériles qu’à évaluer le bilan des responsables qu’ils ont porté au pouvoir (local comme national). La bonne tenue des élections (locales en 2014, nationales en 2012) montre l’importance des résultats concrets. La maturité des électeurs prouvée lors des consultations électorales doit entraîner un meilleur débat public. L’Etat de droit vivra mieux lorsque les bons programmes économiques seront soutenus ; lorsque les résultats seront salués ; lorsque les attaques personnelles finiront devant les tribunaux. 

Nafissatou Dia Diouf ou la délicieuse utopie d’un nouvel accompagnement du patient

Posons le décor, évitons les introductions rébarbatives, décrivons les vibrations en nous générées par ce roman étonnant forgé par la très belle plume de la sénégalaise Nafissatou Dia Diouf. Posons le décor. La Maison des épices est un fort, un ancien comptoir bâti sur une haute falaise en pays sérère. Nous sommes au Sénégal. Dans un lieu chargé par l’Histoire, où par vagues successives des aventuriers, des militaires, des commerçants hollandais, anglais, français ou portugais y ont entreposés pacotilles, épices, esclaves en partance pour les Amériques, une équipe de médecins sénégalis décident, sous la férule d’une jeune femme déterminée, de reconstruire ce site à l’abandon pour y soigner des malades. Le docteur Aïssa N’Daw a pris le parti de réunir des philosophies de restauration physique et psychique différentes : la médecine traditionnelle sénégalaise et la médecine moderne. Ce cadre expérimental est un lieu où le malade, le sujet ne se résume pas à un lit, à un chiffre, à une donnée rentable.

C’est dans ce contexte qu’un chirurgien de renom, ayant fait ses classes en Loire-Atlantique, débarque avec un patient amnésique. Le docteur Yerim Tall. Quand commence le roman de Nafissatou Dia Diouf, ce médecin découvre l’équipe et l’esprit de la Maison des épices. Il est préoccupé par l’état de son patient. Ce chirurgien est dans une phase de rupture. Pourquoi est-il là, dans ce coin certes exotique, mais loin des grandes salles de chirurgie où, à coups de scalpel, il pourrait développer une carrière prometteuse. Le lecteur sent qu’il revient de loin et qu’il est lui même en reconstruction. Toute l’intelligence de la romancière sénégalaise va être de dévoiler progressivement, subrepticement les zones d'ombre et l'entêtement de cet intellectuel dont des éléments de vie lui échappent.

Vol au dessus d'une falaise

Etrangement, ou par un formidable concours de circonstance, j’ai revu hier le remarquable film du

cinéaste tchèque Milos Forman, Vol au-dessus d’un nid de coucou. Et il est difficile de ne pas faire le lien entre les deux oeuvres artistiques. Certes, la maison des épices n’est pas, à proprement parlé, un asile psychiatrique. Mais, on retrouve dans ce roman la thématique de l’enfermement, les thérapies innovantes pour traiter les patients. Là s’arrête la comparaison. Nafissatou Dia Diouf propose une réflexion portée par un idéalisme prenant où médecins et guérisseurs travaillent dans une harmonie relative pour le bien être des patients. Harmonie relative, car, et c’est là toute la force du roman de la sénégalaise, elle arrive à brider ses personnages pour ne pas trop parfaire leurs rapports et rendre envisageable cette utopie. Ce roman pose des questions sur l’implication du médecin et, par de là l’individu, celle de l’institution dans le traitement du malade et la possibilité de créer un cadre cathartique pour la libération de l’individu. Et cette question passe au-delà de l’absence de finance qui est brandi par nombre de pouvoirs publics africains pour expliquer la déliquescence des hôpitaux hérités de la période coloniale.

Thérapie et mémoire

Au centre de notre roman, il y a ce personnage amnésique. Sans prénom. Sans nom. Sans histoire. Enfin, si. Une histoire dermique puisqu’il est métis. Qui est-il? Lui. Lui… Louis. Il vous appartient de découvrir la reconstruction délicate de ce jeune homme ayant perdu la mémoire en lisant l'ouvrage. Il est difficile de ne pas avoir une seconde grille de lecture. L’amnésie de Louis dans un lieu chargé d’histoire tue, ignorée, passée sous silence a quelque chose de délicieux. En lisant l’enfermement puis la possible renaissance du personnage, il est difficile de ne pas s'interroger sur le rapport qu’a le Sénégal aujourd’hui, mieux le Sénégalais, avec le passé. La Traite négrière et ses comptoirs. L’Ile de Gorée. Quels rapports ont les Sénégalais avec ce lieu d’histoire? Quel rapport ont-il avec le passé colonial? Avec Saint-Louis? Avec la soldatesque sénégalaise au service de la conquête coloniale du continent et de Madagascar? Louis est possédé. L’amnésie finit par être un refuge. Affronter les monstres, les crimes est trop douloureux. L’intervention d’un personnage inattendu, improbable, un peu comme Jack Nicholson dans le film cité plus haut, va permettre des possibilités nouvelles pour le jeune homme.

C’est quoi le bonheur?

Nafissatou Dia Diouf conduit le lecteur dans une quête existentielle. Pour ranimer la mémoire de Louis, l'entourage tente de donner un sens à la vie. Les développements qu’elle propose sont intéressants et sans aucune prétention. Elle déploie de très beaux échanges entre Louis et un personnage « joker » sur la spiritualité et le bonheur. Des questions extraites de l'adolescence qui font terriblement sens quand on réalise comment certains, aujourd'hui, profanent la vie, d’autres ont perdu tout goût à la vie. C’est un formidable roman écrit dans un style certes classique mais également parfaitement léger. La profondeur donnée à certains personnages est vraiment un plus. Je retiendrai particulièrement de cette lecture, le bonheur et la passion du Dr Aïssa N'Daw acquis dans son acharnement à remettre le patient au coeur d'un système de santé alternatif.  Belle découverte, je vous souhaite en pays sérère, la terre de Senghor. 

LaReus Gangoueus

La maison des épices, Nafissatou Dia Diouf  – Editions Mémoire d'encrier – Première parution en 2014

« Nafi Photo » par Pascal Boissiere — Travail personnel. Sous licence GFDL via Wikimedia Commons – 

Crise à l’université sénégalaise : les réformes nécessitent de la pédagogie

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La survenance d’une crise lors de la mise en œuvre de réformes publiques augmente toujours les difficultés qui justifient les réformes. Les réformes introduites dans le système de l’enseignement supérieur sénégalais étaient destinées à résoudre de façon déterminante les problèmes du secteur. La réforme L-M-D devait permettre d’échelonner la progression académique selon une démarche qui vise à doter les étudiants de qualifications en adéquation avec les exigences du monde du travail. Elle s’est déclinée dans l’octroi de crédits à chaque année d’étude, elle-même divisée en deux semestres.

Le système LMD est construit dans une logique d’améliorer la qualité de l’enseignement supérieur. Dans le même esprit, l’octroi de bourses qui allient des critères d’excellence et des critères sociaux s’est fait dans le souci du respect de l’équité et de la transparence dans le milieu universitaire. Il a donc été question de revenir sur le caractère généralisé et inconditionnel de la bourse, en plaçant le mérite au cœur de l’attribution des allocations d’études. Mais comme pour toute réforme, ces mesures du gouvernement sénégalais qui visaient à assainir le milieu universitaire, proposées par la Commission nationale de réflexion sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNRAES), ont heurté sur des résistances, du conservatisme, et quelques difficultés liées à leur mise en œuvre.

Parmi elles il y a eu en particulier la présence de forces de l’ordre dans l’espace universitaire, qui a longtemps été décriée. Les réformes prévoyaient la création d’une police universitaire pour sécuriser les universités publiques qui connaissent un phénomène de no man’s land indicible par endroits. Des activités qui échappent à toute régulation sont développées dans l’enceinte universitaire malgré leur caractère très dangereux. C’est le cas de plusieurs commerces non déclarés ou non autorisés, d’activités de groupes culturels, politiques ou autres qui y sont menées et qui sont susceptibles de causer des troubles à l’ordre public. Il y a également la récurrence de manifestations violentes d’étudiants réclamant bourses ou cours. Autant de risques de violences qui ont justifié aux yeux du gouvernement la présence de la police.  Même si elle répondait à un besoin de sécurisation, notamment à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle a finalement produit l’effet inverse car elle y a installé la psychose, la peur, et la révolte.  

Il y a eu une spirale de réforme-révolte-répression qui a débouché sur des faits malheureux : la mort par balle de l’étudiant Bassirou Faye (inscrit au Département de mathématiques) le 14 août 2014 lors d’affrontements entre étudiants et forces de l’ordre, la mise à sac de chambres et outils appartenant aux étudiants (livres, cahiers, ordinateurs…) et des coups et blessures injustifiés sur les étudiants.  Cette situation déplorable a résulté d’un long acharnement des forces de l’ordre sur les étudiants.

Il convient dès lors de reconsidérer la nécessité de la présence des forces de l’ordre dans l’espace universitaire qui bénéficie, depuis l’origine, de franchises qui interdisent une telle présence. Cela ne signifiera nullement la remise en cause du besoin d’assainir l’espace universitaire qui a justifié les réformes en cours. Cependant, une réforme, quelle qu’elle soit, doit prendre en compte l’avis de ses destinataires ultimes, et celles qui concernent le système éducatif sénégalais doivent également le faire.

Il serait donc judicieux de consulter les étudiants, les enseignants, les parents, ainsi que tous les personnels du système éducatif pour mieux identifier les besoins de réformes dont celui-ci a besoin. A l’image de la commission sur l’éducation dirigée par le Pr Abdou Salam Sall, ces consultations devraient aboutir à une véritable refonte du système éducatif. Les maux qui bloquent ce système sont nombreux (sureffectif, déficit en infrastructures et en personnel enseignant, insuffisance de moyens financiers, manque de formation de certains enseignants, offre de formation obsolète, retard dans le paiement des bourses d’études, non-respect du calendrier pédagogique…). C’est un ensemble de problèmes nés et aggravés par une gestion  inadéquate par le passé (installation d’abris provisoires, véritables leurres face au déficit en infrastructures, recrutements basés sur la corruption à certains niveaux du système, leur corollaire : baisse du niveau des élèves/étudiants due au manque de formation, échec scolaire etc.) Cette gestion négligente a causé beaucoup de tort à des milliers d’enfants en âge de scolarisation.

Les maux du système éducatif sont autant de dangers pour le développement socio-économique du pays. Pour les adresser, il faudra éviter d’adopter des recettes  sans les confronter avec les réalités économiques du Sénégal (pauvreté des ménages, rareté de l’emploi, précarité et pression sociales…). C’est pourquoi la pédagogie est nécessaire pour la réussite des réformes publiques en général, et dans le système universitaire en particulier, afin d’éviter des confrontations inutiles qui les bloquent. Il faut espérer qu’après les Assises de l’éducation, et des outils comme le Programme d’amélioration de la qualité de l’enseignement proposé aux écoles, qui ont pris en compte cette dimension inclusive, notamment par la gestion communautaire et des fonds nouveaux, le système éducatif se portera mieux. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

La diaspora, le Saint-Graal de l’Afrique

Le défi du retour

Nombreux sont les esprits brillants qui ont quitté le continent africain à la recherche d'une meilleure éducation ou de meilleures opportunités professionnelles. Il n'est guère difficile de comprendre ce choix et il est tout à fait normal et acceptable lorsque le but final est d’acquérir un savoir solide et utile pour revenir l'appliquer dans son pays et au service du développement économique de celui-ci. Il est cependant très fréquent de constater parmi les étudiants allés poursuivre leurs études à l’étranger, un complexe avéré, une hésitation, lorsqu'il s'agit de retourner dans leur pays d’origine au terme d'études achevées avec succès. Pourtant, peu importe ce que l'on puisse dire, le moyen le plus certain de développer l'Afrique est par le biais de ses fils et filles qui sont allés acquérir un savoir à l’étranger mais qui, ensuite, osent relever le défi du retour pour créer et développer leur pays. Le continent africain a besoin de sa diaspora-qui-revient.

Pour faciliter son retour et ainsi accélérer sa participation à la création de richesses, il est important de favoriser l’émergence d’opportunités véritablement attirantes. Il est impératif d'insister sur l'aspect «création de nouvelles richesses», car la dernière chose dont l'Afrique a besoin est un afflux de personnes sur-qualifiées dont la seule motivation de retour serait de trouver facilement un emploi sécurisé, stable, et qui s'y accrocheraient dur comme fer, contre vent et marrées. Un tel état d'esprit ne résoudra certainement pas les problèmes auxquels l'Afrique fait face aujourd'hui.

 

Insuffler l’esprit d’entreprendre

Ce dont le continent a réellement besoin pour son développement est sans aucun doute l'innovation et la créativité : la capacité à repérer un problème important dans la société et trouver une solution pour le résoudre. En Afrique, des idées considérées comme simples dans des écosystèmes plus matures peuvent devenir de véritables innovations dans la mesure où elles arrivent à être adaptées au contexte local et à prendre en compte les besoins de base des communautés.

Dans cette optique, l'entrepreneuriat serait la voie la plus évidente vers une explosion de la croissance économique du continent. Il n'y a rien de tel que la création d'entreprises et de start-up innovantes pour améliorer le quotidien des populations et par la même occasion créer des emplois sur le continent. Ceci, non seulement réduit le chômage, mais amène également d'autres membres de la diaspora à constater qu'en Afrique aussi, il est tout à fait possible de faire la différence avec un peu de consistance et un brin de créativité. Fort heureusement, il semblerait qu'il y ait progressivement une prise de conscience au sein des diasporas africaines. Bien que le mouvement soit encore plutôt timide, nous assistons à une augmentation considérable des initiatives entrepreneuriales mises en place par des jeunes diplômés de la diaspora: nous ne pouvons qu'en être fiers, et encourager au mieux ces comportements qui serviront de modèles à ceux qui hésitent encore à rentrer au pays pour se lancer.

 

Des entrepreneurs issus de la diaspora-qui-revient

Abdoulaye Touré, jeune ingénieur sénégalais diplômé de l'école Polytechnique – France en expertise énergétique a fondé, avec six autres jeunes diplômés pour la plupart sénégalais, diplômés de diverses institutions françaises, la startup Baobab Entrepreneurship; une jeune startup qui a pour mission de promouvoir l'entrepreneuriat au Sénégal à travers les TICs. Il confie que l'avantage indéniable dont dispose l'Afrique réside dans le fait que le continent présente beaucoup de problèmes à résoudre et de besoins non satisfaits faisant de ce dernier une terre d’opportunités pour tout entrepreneur. Par lui, le fait d’être ancré dans des standards professionnels occidentaux représente le frein majeur pour le retour de la diaspora en Afrique. Il dit aussi que cela pourrait être réglé en rendant beaucoup plus accessibles les opportunités de carrières et d'entrepreneuriat, depuis la France.

 

 

Olabissi_AdjoviOlabissi Adjovi est d’origine béninoise. C’est un autre entrepreneur de la diaspora, basé en France mais faisant des affaires au Sénégal. Il a fondé, avec des associés sénégalais, OuiCarry, une startup qui permet d’envoyer et de réceptionner des colis entre Paris et Dakar. D’après lui, l’énorme potentiel qu’offre l’Afrique en termes de croissance constitue son principal avantage. Il avance également que l’un des facteurs qui stoppent considérablement le retour de la diaspora dans leur pays respectif, est, la plupart du temps le fait que ces jeunes quittent leur pays sans une ferme intention d'y retourner au terme de leurs études à l’étranger. Il est convaincu que plus de jeunes montreront l’exemple, plus  ceux qui hésitent sauteront enfin le pas.

 

Malick DioufMalick Diouf, un autre entrepreneur sénégalais, est le Co-fondateur de la startup LafricaMobile qui offre des solutions de communication entre les entreprises africaines et la diaspora à travers le monde. D’après lui, la flexibilité des clients, fournisseurs, employés etc. est l’avantage le plus saillant lorsque l’on décide d’entreprendre en Afrique, parallèlement à une main d’œuvre de plus en plus qualifiée et embauchable à prix compétitif. En revanche, il pense que le facteur principal de frein au retour de la diaspora est sans nul doute le manque d’infrastructure. Il nous confie également que pour les inciter à rentrer, il faudrait challenger les jeunes de la diaspora et clairement leur signifier le rôle qu’ils ont à jouer pour le développement économique de leur pays. Enfin, il est persuadé que l’Afrique ne se développera que par les africains eux-mêmes, d’où l’importance pour lui d’apporter sa pierre à l’édifice.

 

En somme, il est vraiment encourageant de voir autant d’initiatives mises en place par des d’entrepreneurs de la diaspora africaine qui daignent regarder au-delà des difficultés logistiques présupposées de l’Afrique et lancer leurs activités malgré les conditions du Doing Business parfois très contraignantes. On ose espérer que cette génération d’entrepreneurs inspirera un grand mouvement d’innovation à travers tout le continent.

 

Ibrahima Gabriel Mall, Sénégal

 

Un racisme maghrébin ?

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Manifestation contre le racisme (Rabat – 11/09/2014). Credit photo: AFP PHOTO/FADEL SENNA

 

 

Il y a peu, je me suis réjouie, à l’occasion d’une conversation avec  Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe de Paris, d’entendre dire que le  Maroc est un des rares pays qui valorise constitutionnellement ses héritages et arbore fièrement les couleurs de la mosaïque arabe, berbère, subsaharienne et hébraïque qui le compose.  Si je persiste à croire que tout cela est vrai, les événements dont le Maroc a récemment été le théâtre m’ont laissé un goût amer. 

29 août 2014, Tanger. Une bataille entre subsahariens et marocains portant des armes blanches dégénère dans  le quartier populaire de Boukhalef. Le bilan est de  3 morts, l’un d’eux, sénégalais, a été sauvagement égorgé.  Plus inquiétant encore, ces événements  sortent des profondeurs d’autres informations concernant les problèmes rencontrés par les populations subsahariennes vivant au Maroc, aussi bien avec  la société civile qu’avec les autorités. De quels problèmes est-il exactement question ? De quoi découlent-ils ? Le terme racisme est-il réellement pertinent ?

Une migration transitoire qui finit par s’inscrire dans la durée.

Revenons-en au contexte des faits. Depuis quelques décennies maintenant, le Maroc connait une migration transitoire en provenance d’Afrique subsaharienne, en direction de l’Europe. A elle seule, la région de Tanger compterait plus d’un millier de migrants subsahariens, dont environ 800 résidant dans le quartier Boukhalef.

Rêvant d’une vie meilleure de l’autre côté de la Méditerranée, ces migrants africains se heurtent à la réalité des frontières hermétiques et finissent par jeter l’ancre au Maroc. Ainsi, une migration, qui était initialement transitoire, finit par s’inscrire dans la durée en imposant, d'elle même, la question de la régularisation des sans-papiers. D’après les chiffres officiels, le Maroc compterait au moins 30.000 sans-papiers sur son territoire.

Ce qu’il ne faut pas oublier est que cette problématique n’est qu’une goutte d’eau parmi toutes celles qui agitent le pays et qu’aucune politique d’immigration claire n’a, jusqu’ici, été mise en place. Les sans-papiers sont donc doublement rejetés, pris en étau entre un gouvernement qui les délaisse – quand il ne les expulse pas – et une société civile dont les réflexes sécuritaires se déclenchent au contact de cet élément nouveau qui n’a pas politiquement obtenu « droit de cité » dans l’espace public.

Un conflit latent entre les communautés?

Mais, plus que le problème de la régularisation, ce qu’il y a d’alarmant, dans la situation des subsahariens en terre marocaine, est le caractère identitaire sur lequel se base le double rejet que nous évoquions précédemment. 

« Alcoolisme, concubinage, squattage », cette énumération, loin d’être exhaustive, regroupe cependant certains des traits culturels prêtés aux populations subsahariennes et constituant le principal argumentaire du rejet de la population civile – les promoteurs immobiliers, par exemple. Le problème est que la liste en question ne semble nullement exclusivement imputable aux migrants, ce sont des problématiques récurrentes pour toutes les personnes qui ne sont pas insérées socialement, y compris dans les pays musulmans. Quelle différence alors ? La différence est qu’ils sont noirs, et que, par facilité, on préfère mettre cela sur le dos de leur culture.  Ce qui est curieux, c'est que ces accusations semblent familières. Elles rappellent étrangement les propos racistes tenus envers les maghrébins en Europe. Il suffit donc d’un léger décentrement idéologique pour faire resurgir un racisme qu’on condamne pourtant furieusement chez le voisin.

Pour autant, le parallèle avec l’intégration des maghrébins en Europe a des limites. Le Maroc, pays en voie de développement, hérite en effet a posteriori d'une immigration qui n'a pas été politiquement et économiquement programmée et qui ne le visait pas initialement. Aussi, le Maghreb et l'Afrique subsaharienne partagent une identité commune dont le Maroc s'est récemment mis en quête en la célèbrant dans des festivals et autres expositions, je vous en parlais ici.  L’exercice périlleux consiste, en fait, à trouver un juste milieu entre la dénonciation légitime des actes racistes et l’évocation systématique de l’identité des subsahariens même lorsque ce n’est pas justifié. En effet, cette attitude contribue paradoxalement  à essentialiser cette population dans son identité d’étranger et dessert le processus d’intégration plus qu’autre chose. C’est pourquoi il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de vigilance quant aux informations rapportées, ici et là, et veiller à ne pas confondre délinquance et conflits identitaires.

Le racisme, un débat occidental ?

D’aucuns poussent, cependant, le raisonnement précédent jusqu’à dire que le racisme est tout bonnement étranger à notre culture, justifiant, par un habile tour de passe-passe, l’absence d’évocation de la composante identitaire africaine dans le débat politique comme l’indice de l’assimilation tacite de cette population dans le creuset maghrébin. Ici et là, certains s’emparent ainsi de l’occasion pour voir, dans le débat sur le racisme, l’importation d’une problématique occidentale. Cet argument de base, d’un dogmatisme puissant et annihilateur, est valable pour tous les sujets qui posent problème (la femme, la modernité, la liberté, la démocratie…) et se révèle somme toute assez pratique pour faire avorter toute velléité de débat public. S’il est vrai qu’il faut tenir compte de l’histoire du Maroc, où les populations d’origine et de confessions diverses ont longtemps cohabité en paix, et se garder d’établir des parallèles avec un Occident dont l'immigration résulte d'autres facteurs ; on ne peut cependant pas fermer l’œil sur de telles expressions de barbarie. 

Ce que prouvent ces affrontements récurrents et les réactions qu’ils provoquent est qu’il est urgent d’intégrer la communauté noire comme un élément du débat politique. La régularisation ne suffit pas, une vraie politique d’intégration s’avère nécessaire.  Cette dernière permettrait d’inscrire politiquement les subsahariens dans l’espace public, leur donnant ainsi un  « droit de cité » qui les fait exister aussi bien dans l’espace, d’apparition, public que dans la psyché maghrébine.

Régénérer le génie de l’Islam

mosquee_Dakar_SenegalPour faire dans la rapide confession, je ne suis pas un religieux, je ne crois pas en Dieu. Sans même me réfugier ni dans l’athéisme ni dans l’agnostisme, je vis le monde avec d’autres mystiques et d’autres retraites spirituelles assez sympathiques. L’idée de Dieu, pour reprendre un mot de Desproges, « ça me dépasse, je ne comprends pas ». Ça me convient assez bien au final. L’existence sans Dieu n’a pas l’air d’accabler ma vie, d’en amoindrir le sens, ni de faire de moi un vulgaire mécréant.

Mais j’ai une tendresse pour l’Islam. Un amour d’ordre historique, culturel, si indéfectible que les agissements de ceux qui se font les hérauts de l’Islam actuellement dans le monde, m’engagent dans leurs forfaits. Je le vis assez mal. Elevé dans une tradition musulmane, bercé aux mélodies coraniques, conférencier déclamateur de la beauté des sourates à l’âge tendre, j’ai vécu dans la douceur de St-Louis au Sénégal un Islam de fêtes.  En ouvrant un œil sur le monde, à la faveur du temps qui passe, le miel de cette religion s’est vu couvert par le dogme, l’asservissement, et, mouture plus récente et plus actuelle, le crime.

J’écrivais il y a quelques années que le Coran était l’inextricable dénominateur commun entre les familles de musulmans, modérés et extrémistes confondus. On trouve en effet dans le Livre nourriture pour tout : et le crime, et la bienveillance. Large spectre, où viennent se dissimuler les extrémistes. Habiles manœuvres qui sèment le trouble. Et cette relative opacité, tant qu’elle demeurera en l’état, présidera à des horreurs industrielles, et plus grave, condamnera ceux qui vivent leur foi même dans la paix et la communion ; au silence voire à la coresponsabilité.

Il faut désencastrer l’Islam de ce siège qui est en train d’en colorer de sang la grandeur, d’en dévoyer le message, et in fine, de ne faire de cette religion que celle des bourreaux et des égorgeurs. Je ne pense pas être comptable de la macabre exécution de James Folley, mais j’ai conscience que les musulmans, dans leur grande majorité silencieuse, pieds et poings liés par les ignominies de leurs frères, ne pourront éternellement se dérober à la responsabilité de faire le ménage au sein de la grande famille. On ne pourra comme c’est souvent le cas, avec dédain et distance, dire que les tueurs ne sont pas de bons musulmans, qu’ils sont une excroissance bénigne, non, l’Islam actuellement, au regard du monde, est aussi et surtout, incarné par ces gens qui en ont trusté les premières places et en portent l’étendard sanglant.

Il faut les combattre, inlassablement, sur trois terrains. Celui de la clarté et du refus de l’ambiguïté, qui signifie l’appropriation des valeurs de progrès, de droit des femmes, de refus de l’endoctrinement, la claire dénonciation de ces terroristes, sans réserves. Celui, plus dur, philosophique, sur l’interprétation et l’exégèse des textes, pour les arrimer aux réquisits de notre siècle. Enfin, celui de l’universalisme au nom de l’Homme, qui gomme non pas les différences, mais les barrières, pour amortir les chocs communautaires.

Ces trois terrains sont les dernières aires de combat où les musulmans peuvent encore regagner leur religion. Sans cela, la grande fondation de la famille-islam restera toujours poreuse,  sujette aux risques de radicalisation. Il faut bien en arriver là, quelque abrupte que cela puisse être : les musulmans modérés, ce sont très souvent des fanatiques mous, des fanatiques passifs, qui peuvent en un tournemain, passer à l’épée. Par crispation et étroitesse d’esprit, on veut voir dans cette sentence une stigmatisation. Ce simplisme hostile est confondant de bêtise. Partout où les entités terroriste ont régné, il y avait déjà un terreau favorable. Les luttes d’émancipations religieuses chez les musulmans font défaut pour une raison : la critique de l’islam en terre musulmane, de Salman Rusdie à Oumar Sangharé, reste le dernier bastion du tabou et de la mise au ban. Cette omerta, la frustration qu’elle engendre, les libertés qu’elle bâillonne est très encline, à la moindre secousse, de virer dans le fanatisme vengeresse et tueur.

J’ai toujours milité pour que l’Islam soit la famille marocaine ou la famille sénégalaise ou une autre, qui amène son amour au banquet du monde, et non l’Etat Islamique. Je le dois à mon enfance. Je refuse que les mélodies qui m’ont bercé soient les mêmes que celles qui enivrent les tueurs. Que l’incantation des tueurs soit la même que les protocoles bienveillants des vendredi après-midi. Il appartient aux musulmans et à eux seuls de les dissocier. Vaste chantier dont on ne fera l’économie mais dont on tarde à enclencher le processus. Il est à ce prix la régénération du génie de l’Islam.

Retour d’Abdoulaye Wade au Sénégal: essoufflement ou second souffle?

wadeSous-couvert de patriotisme et de la volonté de sauver son parti, Abdoulaye Wade est rentré au Sénégal. Après avoir disparu de la scène politique pendant 2 ans, il a fait un retour remarqué au Sénégal le vendredi 25 avril 2014. L’ancien Président sénégalais avait quitté son pays pour la France après avoir perdu l’élection présidentielle du 25 mars 2012 face à son ancien Premier Ministre Macky Sall. Son retour a été marqué par quelques péripéties lors de son escale à Casablanca, puisque son arrivée à Dakar a été reportée à plusieurs reprises sans fondement à l’en croire, et pour défaut d’autorisations selon les autorités sénégalaises. Quoi qu’il en soit, le Pape du Sopi a encore accompli, à 88 ans, une démonstration de sa capacité de mobilisation, et surtout de sa position centrale au Parti Démocratique Sénégalais (PDS).

Volontairement ou involontairement, il a revêtu le manteau de la victime lors de son escale de 48 heures à Casablanca, en faisant croire à l’opinion publique que les autorités sénégalaises ont tenté d’empêcher son retour. Ces dernières ont pour leur part évoqué des questions de procédures pour expliquer le report de son vol. Il aurait ainsi modifié le personnel qui avait été initialement annoncé et changé d’appareil entre autres manœuvres, entraînant alors des vérifications supplémentaires pour l’autoriser à atterrir à Dakar.  L’opinion la mieux partagée sur cet épisode est que quelqu’un, du côté de Wade ou du pouvoir, a délibérément provoqué ce retard. Tout étant bien qui finit bien, Wade a été accueilli par une importante foule de partisans et de sympathisants dans la capitale sénégalaise. Dans un élan d’enthousiasme, il a déclaré que le régime actuel était incapable de satisfaire les aspirations des Sénégalais et que son fils, Karim Wade, en détention préventive dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, en est le seul capable. Mais au-delà de ces aspects épisodiques, deux grands enseignements peuvent être tirés de son come-back :

1)      Le Parti démocratique sénégalais est en essoufflement

Selon ses propres termes, Abdoulaye Wade est revenu pour sauver le PDS, qu’il a fondé il y a 40 ans. Le PDS connaît en effet une importante saignée depuis deux ans car beaucoup de ténors du parti l’ont quitté : Pape Diop, qui fut Maire de Dakar, Président de l’Assemblée Nationale ainsi que Président du Sénat sous sa bannière, a quitté le navire pour créer la Convergence démocratique Bokk Gis Gis ; Abdoulaye Baldé, Maire de Ziguinchor (Sud) et plusieurs fois Ministre sous Wade a fait de même en créant l’Union des Centristes du Sénégal (UCS) ;  Aida Mbodj, Maire de Bambey (Centre) et plusieurs fois Ministre sous Wade a créé un courant politique et a brillé par son absence à l’accueil de l’ancien Président ; tandis que d’autres anciens responsables du parti ont simplement rejoint le pouvoir actuel, comme Kalidou Diallo, Awa Ndiaye, Ousmane Seye, etc.

Tous ces départs témoignent d’une grande désaffection à l’égard du PDS et, in fine, de sa perte de vitalité depuis la défaite de 2012. Cela est probablement dû au fait qu’Abdoulaye Wade, comme les membres du PDS le disent souvent, est la seule constante dans ce parti.  En d’autres termes, il y décide de tout et le parti ne peut pas fonctionner sans lui, du fait du centralisme qui y a prévalu depuis toujours. Ainsi, il semble que personne d’autre n’est apte à diriger le parti à part lui, puisque son leadership est le seul qui y prévaut. La volonté de Wade de sauver le PDS, à deux mois des élections locales prévues en juin 2014, est consécutive à un essoufflement de son parti qui s’est émietté.

2)      Wade cherche un second souffle

Abdoulaye Wade est conscient du désamour que les Sénégalais lui ont exprimé le 25 mars 2012. Il a fait 26 ans d’opposition, dirigé le Sénégal pendant 12 ans, et aura certainement été l’un des personnages les plus marquants de la vie politique sénégalaise. Mais il lui reste un ultime combat : Karim Wade, son fils. En prison depuis près d’un an dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, Karim Wade a été l’une des principales causes de sa défaite, du fait des lourds soupçons sur Abdoulaye Wade de vouloir lui transmettre le pouvoir. L’ancien Président sénégalais ne semble pas pour autant avoir renoncé à l’idée de voir son fils occuper le fauteuil présidentiel, comme il l’a lui-même laissé entendre dans sa déclaration au siège du PDS le soir de son retour. Il souhaite en fait le positionner comme le seul adversaire crédible contre Macky Sall. Et pour ce faire, Abdoulaye Wade cherche un second souffle. Il souhaite remettre sur pied le Parti démocratique sénégalais en faisant revenir les responsables qui l’ont quitté, et surtout en réunifiant la famille libérale. Dans son esprit, Idrissa Seck (Maire de Thiès, Président du Rewmi, et ancien Premier Ministre sous Wade), Pape Diop, Abdoulaye Baldé et… Macky Sall peuvent tous se retrouver pour reconstituer le PDS. Il considère qu’ils proviennent de la même famille libérale qu’il a fondée et doivent pouvoir revenir dans ce parti. Cette réunification servirait bien entendu la cause de son fils biologique, Karim Wade, qu’il rêve de voir diriger le Sénégal. Pour lui, personne d’autre n’en est capable.

Il faut reconnaître à Wade le mérite de vouloir sauver son parti et son fils à un moment aussi difficile. Il faut cependant le faire revenir à la raison : ce rêve est purement utopique. Le PDS a fait sous son règne une gestion calamiteuse des ressources publiques en multipliant les scandales financiers. Ses responsables faisaient preuve d’une grande arrogance vis-à-vis des Sénégalais. Karim Wade a été traité de tous les noms d’oiseaux par les Sénégalais qui lui reprochaient d’avoir été trop associé à la gestion du pouvoir. Il a été à la tête de plusieurs ministères importants et a provoqué beaucoup de frustration dans les rangs du PDS même. Il est de plus soupçonné d’avoir détourné des centaines de milliards de francs CFA par une bonne frange du peuple. Peut-il dès lors prétendre être un martyr du simple fait que la justice de son pays le poursuit ? La réponse est non ! Son père peut-il lui servir tout le PDS sur un plateau ? Même réponse négative ! Karim Wade, à son corps défendant, doit rendre compte de la gestion des deniers publics qu’il a effectuée, et expliquer la provenance de son patrimoine. Cela prendra le temps qu’une bonne administration de la justice nécessite. Pour l’heure, il est utopique de vouloir rassembler la famille libérale : les courants idéologiques ne sont pas déterminants dans la vie politique sénégalaise. Ce qui peut paraître comme un retour en héros du Pape du Sopi, et qu’Abdoulaye Wade regarde avec un zeste d’aveuglement comme une occasion de sauver son parti et son fils, témoigne en réalité d'un essoufflement du PDS.

Mouhamadou Moustapha MBENGUE

Macky Sall, deux ans après: beaucoup de réformes, peu de satisfaction

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Deux ans après son élection à la tête de l’Etat sénégalais, Macky Sall fait face à un certain mécontentement social. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir mis en place d’importantes réformes dans beaucoup de secteurs.

Beaucoup de réformes mises en places

En effet, le régime a enclenché un certain nombre de mesures visant à satisfaire la demande sociale, allant de la réduction des prix des denrées de première nécessité à la baisse des loyers, en passant par la création de bourses de sécurité familiale et celle d’une couverture maladie universelle. De plus, certains instruments importants destinés à stimuler et à soutenir l’activité économique ont été adoptés : le FONSIS (Fonds de soutien aux investissements stratégiques), le FONGIP (Fonds de garantie des investissements prioritaires), et la BNDE (Banque nationale de développement économique). De même, dans la continuité de la Stratégie de croissance accélérée, des Documents de stratégie de réduction de la pauvreté, et de la Stratégie nationale de développement économique et social, le Plan Sénégal émergent a été adopté et suit son cours. Ce dernier a enregistré un succès au groupe consultatif de Paris, où il a mobilisé la somme de 3729 milliards de F CFA auprès des bailleurs de fonds multilatéraux du Sénégal, après les 2200 milliards de F CFA obtenus auprès de la Chine pour le financer.  Tous ces programmes visent à atteindre une forte croissance via des réformes macro-économiques financées en partie par les partenaires internationaux du Sénégal. Parallèlement, certains chantiers ouverts par le régime précédent, concernant en particulier les infrastructures (routes, hôpitaux, chemin de fer, port, etc.) ont été maintenus ou améliorés. Plusieurs autres grandes mesures dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’environnement, de l’énergie, de l’éducation, de l’enseignement supérieur, du travail, de la sécurité, de la fiscalité (pour ne citer que ceux-là) sont en train d’être mises en œuvre.

C’est ainsi qu’une nette amélioration de la distribution d’électricité a été notée. Un vaste programme de recrutement de plus de 5500 nouveaux agents dans la fonction publique a été effectué. 10 000 autres ont été enrôlés dans une agence dédiée à la sécurité de proximité pour prévenir la petite délinquance et rapprocher la police des citoyens. Il y a eu également une baisse importante de la fiscalité sur les salaires, qui vise à relever le pouvoir d’achat. En outre, l’Acte 3 de la décentralisation est venu modifier la carte administrative en matière de décentralisation, en supprimant des régions, créant des conseils généraux au niveau départemental, et surtout opérant une communalisation générale qui consiste à octroyer aux collectivités locales de base le même statut et les mêmes moyens financiers. Cette réforme qui vise la territorialisation des politiques publiques devrait permettre aux entités locales d’être plus autonomes vis-à-vis de l’Etat central. Par ailleurs, un programme d’audit de la fonction publique a été mené afin de déceler les erreurs et doublons qui s’y trouvent, ce qui permet de les corriger et d’avoir une plus grande transparence dans la gestion des agents publics. De même, la traque dite des biens mal acquis a été déclenchée dès le début du mandat pour obliger les personnes ayant occupé de hautes fonctions dans le régime précédent à restituer les biens qu’elles auraient acquis de manière illicite. Elle a fait passer devant les tribunaux plusieurs personnalités du Parti démocratique sénégalais telles que Karim Wade (fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade qui était à la tête de plusieurs ministères importants), Bara Sady (ancien Directeur Général du Port autonome de Dakar), Tahibou Ndiaye (ancien Directeur du cadastre) et Aida Ndiongue (ancienne sénatrice et responsable du PDS). Enfin, un travail de réflexion sur les institutions a été fourni par la commission nationale chargée de la réforme des institutions (CNRI).  Ce dernier point mérite d’être examiné un tant soit peu.

Dans l’avant-projet de Constitution remis au Président Sall par le Pr Amadou Mahtar Mbow, ancien Directeur Général de l’Unesco, figurent des mesures-clés : le renforcement des pouvoirs du Premier ministre et du Parlement, le monocaméralisme à travers la suppression du Sénat, l’interdiction pour le chef de l’Etat d’être chef de parti, ainsi que les devoirs des citoyens relatifs au respect de l’ordre et de la sécurité publics, etc. Il propose également la création d’une Cour Constitutionnelle en lieu et place de l’actuel Conseil Constitutionnel, ce qui devrait permettre l’émergence d’une véritable justice constitutionnelle, plus indépendante et reflétant la diversité de la société sénégalaise. Ces propositions de réformes divisent la classe politique, et n’agréent pas en particulier le camp présidentiel, mais elles peuvent améliorer la vie démocratique sénégalaise. Il pourrait s’enrichir de la diminution des pouvoirs de nomination du Président de la République qui, actuellement, nomme à tous les emplois civils et militaires. Moult griefs ont été faits à l’encontre des propositions faites par la CNRI, mais ils ne s’avèrent pas fondés. La démocratie sénégalaise est certes dotée d’institutions fortes et stables, mais elle peut sans doute gagner en  progrès et en réformes. Le Sénégal doit adopter l’avant-projet de Constitution de la CNRI sans n’y changer aucune virgule, pour reprendre la formule du Président Diouf lorsqu'un Code électoral consensuel lui avait été soumis en 1992.

Du mécontentement social subsistant

Cependant, malgré tous ces efforts entrepris par l’actuel régime, force est de constater que le mécontentement social ne s’est pas encore éteint et que les Sénégalais ne sont pas encore sortis de l’auberge de la demande sociale. Il n’est besoin pour s’en convaincre que de se promener dans les rues dakaroises en prêtant attention aux discussions des gens, qui entonnent la même chanson : « Deuk bi dafa Macky ». Cette expression, répétée à longueur de journée, explique suffisamment que la demande sociale, pour laquelle le Président Sall a été élu, n’a pas encore été satisfaite. Malgré la baisse considérable des prix des denrées de première nécessité telles que le riz, l’huile, le lait et le sucre ainsi que celle des loyers, les Sénégalais rencontrent toujours de réelles difficultés pour se nourrir et se loger décemment. Malgré le recrutement de  milliers de nouveaux agents publics, le problème du chômage des jeunes n’a pas encore été résolu. Malgré les dispositifs de soutien à l’activité économique, notamment ceux de soutien aux PME, l’embellie économique n’est pas encore au rendez-vous.

En outre, l’Acte 3 de la décentralisation n’a pas été mené sur une base très consensuelle, vu que tous les acteurs concernés (élus locaux, organisations communautaires de base)  n’y ont pas été associés. Malgré les efforts de modernisation des secteurs agricole et silvo-pastoral, le milieu rural est confronté à d’énormes difficultés de commercialisation de ses produits comme l’arachide. Quant aux acteurs de la pêche, ils dénoncent la rareté de certains produits halieutiques du fait de la présence de gros navires étrangers dans les eaux sénégalaises. En plus de ces insatisfactions, d’autres facteurs de mécontentement sont nés. L’audit général de la fonction publique a généré un bras de fer avec les enseignants des lycées et collèges qui protestent contre la rétention des salaires qui a été effectuée pour certains d’entre eux. Les étudiants des universités publiques protestent contre une réforme du système de l’enseignement supérieur qui a instauré de nouveaux tarifs relatifs aux droits d’inscription annuels… En gros, un certain mécontement social subsiste.

L’opinion publique est impatiente

Du point de vue supérieur de l’opinion publique, les grandes réformes entreprises et les nombreux efforts déployés par les autorités publiques ne sont que du vent, tant et aussi longtemps que le Sénégalais moyen ne pourra satisfaire ses préoccupations primaires. La croissance économique affichée et les nouveaux plans de développement brandis sont de l’optimisme qui se vend sur les places internationales, mais ne produisent pas des effets immédiats sur son vécu quotidien. Et pour cause : le temps de l’opinion publique n’est pas celui d’une stratégie d’émergence à moyen ou long terme, telle que planifiée par le gouvernement. Les populations sénégalaises aspirent à une amélioration immédiate de leurs conditions de vie, avec une grande impatience. Or, le développement est une affaire de long terme pour un pays pauvre comme le Sénégal. Les sous-jacents économiques fondamentaux ne sont pas entièrement réunis pour permettre une émergence rapide. L’environnement des affaires n’a pas encore connu cette amélioration que les pouvoirs publics sénégalais appellent de leurs vœux. Les démarches et les coûts liés à la création d’une entreprise ou à l’obtention d’un permis de construire sont encore d’importants freins à l’investissement.

L’investissement est le maître-mot !

Le Sénégal est dans une phase de transition consécutive à la gabegie générale dont ont souffert les finances publiques lors du régime précédent. Cette situation transitoire devrait permettre d’assainir les finances publiques et remettre l’Etat sur les rails de la bonne gouvernance. Le Sénégal doit impérativement garder ce cap de réformes pour atteindre le palier de l’émergence, en s’appuyant aussi bien sur son secteur privé que sur les investissements directs étrangers même s'il y aura des moments difficiles avant qu'elles ne fassent leurs effets.

Une option pragmatique voudrait que les autorités publiques se concentrent sur les priorités économiques : agriculture (parvenir à écouler les productions agricoles), industries (piliers incontournables du développement ; en particulier celles minières et extractives, dont le Sénégal peut encore beaucoup profiter), infrastructures (l’état d’une route comme celle de Fatick-Kaolack est inacceptable), énergie (les coupures de courant freinent l’activité économique), emploi (un des plus grands défis des pouvoirs publics car une jeunesse désœuvrée est un facteur d’instabilité), assainissement et environnement (l’insalubrité publique est une bombe à retardement), etc. Bien entendu, l’éducation et la santé demeurent des secteurs prioritaires pour améliorer le capital humain. Le Sénégal doit poursuivre les efforts qui y ont été fournis. Le maître-mot des politiques publiques, dans les années à venir, devra être l’investissement. Le Sénégal a une certaine facilité pour en mobiliser grâce à sa stabilité politique et à l’efficacité de sa diplomatie économique ; c’est pourquoi il faudra poursuivre les efforts qui sont fournis pour augmenter l’attractivité du pays ainsi que sa compétitivité. L’investissement doit profiter aux productions où le Sénégal a un avantage comparatif (comme l’arachide, le mil, le sel, le coton, les poissons, les phosphates). Il doit également bénéficier aux secteurs à haut potentiel de rendement comme l’agro-business (surtout dans la vallée du fleuve Sénégal et dans les Niayes), les TIC, les énergies renouvelables (solaires, hydrauliques, éoliennes). La conclusion de PPP pourrait être un grand levier car ils facilitent la mobilisation de capitaux pour le financement des services publics. L’investissement (public comme privé) reste une condition sine qua non du développement pour un pays parce que lorsqu’il est bien organisé, toutes les portes lui sont ouvertes. 

                                                      Mouhamadou Moustapha Mbengue

Acte III de la décentralisation au Sénégal : pistes pour la réussite d’une réforme majeure

Lorsqu’une réforme politique majeure comme l’Acte III prétend apporter une plus-value à l’expérience de décentralisation en cours au Sénégal depuis au moins quarante ans, légitimes sont les interrogations sur le bien-fondé d’une telle opération c’est-à-dire son opportunité et son objectif fondamental. En effet, après l’Acte I (1972) qui s’est, notamment, concrétiser par l’avènement de la communauté rurale et l’Acte II (1996) qui a consacré le transfert de neuf domaines de compétence de l’Etat aux collectivités locales, la volonté d’initier un troisième acte dédié à la consolidation des acquis à travers une meilleure rationalisation des échelles de gouvernance locale et surtout une territorialisation efficiente des politiques publiques suppose-partant du bilan des politiques précédentes- une réelle connaissance des enjeux institutionnels et politiques de la réforme territoriale préconisée. Car en démocratie, aucune réforme territoriale ne peut se prévaloir d’une neutralité totale. Même si la mise en œuvre de la phase 1 de l’Acte III n’engage aucun « redécoupage », la « territorialisation des politiques publiques » qui soutient la démarche appelle la requalification de l’espace.

Décentralisation SénégalDans l’absolu, le territoire, réalité complexe qui traduit les contraintes et choix d’une société à un moment donné, se construit, se déconstruit et se reconstruit par projections idéalisées, idéelles et objectivées. En promulguant l’Acte III, le Président Macky SALL adopte une posture idéologique qui change la matrice spatiale de gouvernance locale du Sénégal avec la « collectivisation » du département. Cette nouvelle échelle de gouvernance garantit-elle les équilibres recherchés entre le Sénégal « utilisé » et le Sénégal « oublié » ? La promotion du département en collectivité locale de plein exercice tout en gardant les contours administratifs actuels est-elle compatible avec l’obligation de requalification de l’espace que vise la territorialisation des politiques publiques ? A l’aune de l’analyse des expériences des différents régimes politiques du Sénégal (sous les Présidents Senghor, Diouf et Wade), tous les actes d’administration et de développement territorial ont été déterminés par la quête d’un « optimum territorial » qui postule d’un cadre idéal pour la mise en œuvre de l’action publique. D’où la lancinante question du découpage car, il n’y a pas d’appréhension du réel sans acte d’organisation et de classement. Le découpage-redécoupage du territoire est fonction d’objectifs multiples (électoral, administratif, économique, etc.) qui se surimposent, s’interpénètrent ou se rejettent. D’où aussi, en filigrane, la problématique du découpage stratégique qui pose les questions d’homogénéité et d’équilibre de l’espace national (cf. la région naturelle de la Casamance).

Si le Sénégal est une entité constituée par une Nation unie par un « idéal commun de vie commune », la construction démocratique de ses terroirs et de son territoire qui lui assure sa « production économique et sa reproduction sociale » n’est pas encore achevée.       

L’Acte III pourrait bien être, à la pratique, un échec si une révision générale des politiques publiques n’est pas faite. Cette révision impose un certain nombre d’actes concrets. Il s’agit sur le plan politique et institutionnel :

–  d’élaborer un « Paquet législatif » pour la détermination d’un dénominateur commun entre les politiques de l’Etat et des collectivités locales et la mise en cohérence des obligations de compétitivité économique aux besoins sociaux des citoyens;

– de poursuivre le processus de décentralisation pour atteindre un niveau de maturité qui permettra d’ériger des assemblées dotées de véritables pouvoirs de décision. Il s’agit de décider des conditions de mise en place de véritables « gouvernements locaux » avec l’impératif de ressources fiscales dédiées pour assurer une réelle autonomie fiscale ;

– de la création d’une institution à l’interface de l’Etat et des collectivités locales (pourquoi pas un établissement public de coopération intercommunale) qui définit les orientations en matière d’aménagement et de développement territorial à laquelle doivent se référer toutes les institutions qui territorialisent leurs politiques. Elle devra aussi veiller à la coordination et à l’impulsion du développement entre collectivités locales de rang inférieur (intercommunalité horizontale) et entre collectivités locales de hiérarchie différente (intercommunalité verticale) ;

–  de l’institutionnalisation de la « Péréquation territoriale » par la mise en place d’un cadre juridique défini en intercommunalité. La péréquation territoriale rectifie les incohérences et dysfonctionnements nés des découpages précédents (Acte I et II ajoutés aux opérations du Président Wade) comme ceux liés à la réalité des polarisations sur le terrain, ceux liés à la taille critique des collectivités locales. La Péréquation territoriale est donc un moyen de régulation et de gestion des tensions nés du développement des flux économiques et sociaux autour des principaux établissements humains;

–  de mettre fin aux blocs de compétences, ce qui promeut les complémentarités et le franc partage des rôles entre l’Etat et les collectivités surtout en période de cohabitation politique ;

–  de renforcer la présence citoyenne (représentations des sociétés civile et syndicale) dans les assemblées de délibération comme le Sénat qui devrait, par relation mécanique, revenir dans l’architecture institutionnelle de notre pays pour assurer le lien entre le local et le national.

Sur le plan technique et organisationnel :

–  de la mise en cohérence entre « Projets d’intérêt national » comme la plate-forme de Diamniadio ou l’aéroport international Blaise Diagne et les « capacités de charge » du territoire pour la détermination de l’optimum territorial ;

–  de la mise en cohérence entre la logique d’économique de l’action publique et les attentes sociales des populations,

–  de la promotion des territoires en réseaux intelligemment imbriquées par la définition d’une hiérarchie fonctionnelle. Il s’agit de promouvoir, après un diagnostic du territoire, plusieurs ordres de pôles de développement (des pôles de compétitivité/ Cluster, des pôles d’excellence ou de compétence, des pôles d’équilibre, des pôles de sauvegarde, etc.) ;

–  de la redéfinition du rôle et de l’influence des processus d’intégration sous-régionale ainsi que la prise en compte du rôle des infrastructures de coopération dans l’évolution des territoires et des terroirs traversés ;

–  de l’affectation ciblée des moyens financiers de l’Etat sur des territoires spécifiques et au bénéfice de populations prioritaires. L’ouverture de lignes de crédit spécifiques pourrait permettre aux collectivités locales de financer des projets de développement en toute autonomie ;

–  de la contractualisation comme instrument de pilotage de l’aménagement et du développement des terroirs et du territoire (contrat intercommunal, contrat de pays, PPP, etc.). Il s’agit à travers une convention de développement spécifique d’aider à la prise en charge solidaire de tous les aspects, notamment financiers, du développement du territoire.

La phase 2 de l’Acte III de la décentralisation sera le rendez-vous de décider des anticipations et des effets de convergence à partir desquels se bâtit la croissance des territoires. La mise en œuvre de cette phase-là est éminemment technique et devrait être assumée par les fonctionnaires locaux (conseillers territoriaux) : la politique (l’idéologie) laissera la place au réel (le matériel) sous la garantie des accords scellés entre l’Etat et les collectivités locales d’une part, et d’autre part, entre les partenaires institutionnels et la société civile.

Prof. Mouhamadou Mawloud DIAKHATE

Université Gaston Berger de Saint-Louis

Directeur du laboratoire Leïdi « Dynamiques territoriales et développement »

1ère journée internationale du jazz à Dakar (2013) : entre retrouvailles et ouvertures trans-continentales

inetrantional-jazz-dayDakar a célébré, dans une ambiance festive, la première édition de la Journée Internationale du Jazz, mardi 30 avril 2013. Sous l’égide de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, les Sciences, et la Culture), cette journée était marquée par la présence de nombreux acteurs et fins connaisseurs du jazz au Sénégal. Elle a vu se produire de grands musiciens tels que Doudou Ndiaye Rose, Vieux Mac Faye, et Takeifa. Ces derniers ont égayé les amateurs réunis à Dakar par des rythmes mêlant sonorités africaines, américaines et européennes.

Ce fut d’ailleurs le thème de la table-ronde de la journée, centrée sur les sources africaines du jazz et les influences de celui-ci sur les musiques africaines. Lors d’un panel comme on en voudrait plus souvent sur ce thème, les essayistes Felwine Sarr et Ndiouga Adrien Benga ont présenté les interactions entre jazz et musique africaine, en compagnie du Cheikh Tidiane Tall. Le professeur Felwine Sarr a commencé par retracer les éléments historiques qui ont marqué le retour du jazz en Afrique, de même que la présence de l’Afrique dans le jazz. Il faut noter à ce titre que, selon lui, le concept de jazz a été souvent utilisé comme élément de lien entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, depuis la naissance de cette musique avec les descendants d’esclaves qui y trouvaient une échappatoire et un moyen d'épancher leur soif de retrouvailles culturelles. Par exemple, Meiwy Black Boers mêle jazz et musique zouloue en Afrique du Sud, à l’image d’Adolphe Winkler et Manka qui faisaient de même en Afrique francophone. Pour leur part, Taj Mahal et Aly Farkha Touré font une incursion dans le blues.

A sa suite, le professeur Ndiouga Adrien Benga est revenu sur l’histoire du jazz au Sénégal. Il a dépeint un paysage musical sénégalais kaléidoscopique, dans lequel Amsata Niang et Oumar Ndiaye Barro consacrent la professionnalisation du jazz. Il a regretté cependant l’influence négative du milieu politique sur l’évolution du jazz au Sénégal, notamment avec le FESMAN (Festival Mondial des Arts Nègres) créé par le Président Senghor. Par ailleurs, il a précisé que les origines du jazz au Sénégal restent à identifier, du fait de la rareté de la documentation sur ce point, qui rend difficiles les recherches sur la mémoire de ce genre musical dans le pays. Cependant, il a fait noter qu’Européens et Américains ont rivalisé d’adresse à Saint-Louis, notamment sur la place Potet, dans la première moitié du XXe siècle. C’est ainsi que sont nés la Symphonie de Saint-Louis, le Club de Jazz à Dakar (avec le Mur Africain), et l’Orchestre d’Oumar Ndiaye qui a confirmé les interactions entre jazz et musique africaine, puisqu’il mêle meringue et high-life. Plus tard, la seconde moitié du XXe siècle verra le développement du Dakar Université Sextup emmené par Ousmane Sow Huchard. Ce dernier fut d’ailleurs pendant longtemps le Commissaire aux Expositions sénégalaises à l’étranger.

Dans un autre registre, Cheikh Tidiane Tall a fait remarquer que le Sénégal a été pendant longtemps une destination privilégiée pour de nombreux ténors du jazz. Ainsi, Curtis Jones et Ron Carter ont fait des tournées mémorables dans le pays, à l’image de Duke Ellington, Fromp Foster, Johnnie Rodgers, Chalto Evans ou Manu Dibango pour ne citer que ceux-là. De même, il est revenu sur le Festival de 1979 qui a réuni Polak et France Senghor. Cheikh T. Tall a fait remarquer que le Mbalax et la Samba sont deux genres musicaux très proches car ils ont tous deux le deuxième temps comme temps fort. Sur cette lancée, il a vivement invité l’assistance à accorder plus d’importance aux instrumentistes, qui sont souvent relégués au second plan au profit des leads vocaux. Concernant les interactions entre jazz et musique africaine, il a fait observer que le jazz comprend beaucoup de sonorités du swing de nos jours. Et que le Congo Square (en Louisiane) a intégré beaucoup d’influences de l’Afrique équatoriale, notamment de l’ancien Royaume Kongo où habitaient les Benga. Ainsi, toute la côte de l’Afrique équatoriale conserve une relation étroite avec le jazz joué aux Etats-Unis.

Enfin, la Journée Mondiale du Jazz a été l’occasion pour le Ministre de la Culture du Sénégal, Monsieur Abdou Aziz Mbaye, de tenir une conférence de presse en compagnie de Mme Katalin Bogyay, Présidente de la Conférence Générale de l’UNESCO. Durant ce point de presse, Monsieur Mbaye a rappelé que l’Afrique a beaucoup apporté au jazz, comme le jazz a beaucoup apporté à l’Afrique, avec des mutations  de différentes couleurs. Ces influences mutuelles se retrouvent dans le fait que les racines du jazz sont nées en Afrique de l’Ouest. A l’île de Gorée (où ces personnalités ont effectué une visite juste avant la conférence), on peut se rendre compte de l’effet produit par le fait de quitter sa patrie. Le jazz, entre tambours et trompettes, est parti de là. Revenant sur le contexte de la création de la Journée Mondiale du Jazz, le Ministre de la Culture l’a décrite comme un espace de partage et de célébrations de ce que l’humanité a en commun. De même, Mme Bogyay s’est félicitée de la tenue de cette journée à Dakar, comme dans peu de capitales africaines, confirmant la célébration de la diversité des cultures à l’UNESCO. Selon elle, c’est donc dans ces fondements communs entre les différentes musiques, qu’on peut mieux détecter les ponts culturels qui sont jetés à travers le monde.

Quel est le coût économique d’Un coup d’Etat ?

Le 22 mars dernier, l’Afrique s’est réveillée sur un nouveau coup d’Etat. Il ne s’agit plus cette fois-ci de la Guinée, ni du Niger, mais plutôt du Mali ; un pays admiré pour sa démocratie avec la perspective d’un Président qui s’apprêtait à quitter le pouvoir dans moins d’un mois. Les raisons évoquées par la junte semblent ne convaincre personne à l’exception d’une partie de la population Malienne ; ce qui suscite davantage de questionnements quant à l’opportunité et la justification de ce coup d’Etat particulièrement lorsqu’on ne dispose pas de toute l’information sur les événements en cours au Mali.

A cet effet, beaucoup de débats ont été menés jusqu’à présent sans qu’un consensus clair ne se dégage sur l’appréciation de ce coup d’Etat. Qu’il s’agisse des genèses de la rébellion touareg, ou de  l’insuffisance des réactions du gouvernement, ou même des discussions informelles à l’issue du coup d’Etat, la question qui demeure est de savoir ce qu’il apporte comme bénéfice à la population Malienne. Loin d’apporter davantage de confusion au débat en suggérant ce qui aurait été meilleur, il serait plus utile d’évaluer de manière générale le coût d’un coup d’Etat ; non pas pour les organisateurs, mais pour la nation entière en termes de développement économique. Sachant que le but avoué des organisateurs est souvent l’amélioration substantielle du bien-être des populations, il en résulte qu’une évaluation du gain net est à même de justifier de manière objective l’opportunité d’un coup d’Etat.
A priori, il serait quasiment impossible d’évaluer avec exactitude et exhaustivité le coût d’un coup d’Etat à cause des multiples dimensions qui le composent. En effet, un coup d’Etat peut affecter plusieurs dimensions de la vie d’une nation ; notamment la politique, l’économie, la culture et de façon générale le développement humain. Puisque les chocs économiques qui résultent d’un coup d’Etat sont susceptibles d’affecter l’ensemble de ces dimensions, il est possible d’avoir une meilleure approximation du coût sur la base de l’ampleur, de la structure et de l’évolution de ces chocs. Par ailleurs, pour éviter la prise en compte de chocs circulaires  qui ont eux-mêmes induit l’avènement du coup d’Etat, cette évaluation se restreint aux seuls coups d’Etat qui n’ont pas une origine économique ; bien qu’il soit toujours possible d’établir un lien entre la situation économique et les autres raisons ayant conduit au coup d’Etat. Comme le montre le graphique suivant, les exemples portent sur le Mali, la Mauritanie et le Niger durant les 20 dernières années.
 
 

Source : Données Banque Mondiale. Calculs de l’auteur. Les carrés rouges indiquent l’avènement d’un coup d’Etat post-1990.

Deux constats ressortent du graphique ci-dessus. D’une part, les pays ayant eu des coups d’Etat sont plus pauvres que la moyenne d’Afrique Sub-saharienne (ASS). Cela peut être dû à une faiblesse des institutions, à la fréquence des coups d’Etat antérieurs aux années 90 ou à des conditions initiales liée à l’histoire ou à la position géographique de ces pays. Toutefois, il existe peu de différence entre la qualité des institutions des pays d’Afrique sub-saharienne à l’exception des pays anglophones où elle est meilleure. Par ailleurs, les conditions initiales, qu’elles relèvent de l’économie ou du développement social, étaient similaires. L’ensemble de ces pays étaient des colonies avec une majorité ayant obtenu son indépendance durant la même période. On pourrait donc envisager la fréquence des coups d’Etats comme une possible explication au faible niveau du PIB par habitant.

D’autre part, les pays ayant connu un coup d’Etat n’enregistrent pas une chute de leur PIB par habitant mais décrochent par rapport au reste à l’ASS. En effet, comme le montre le graphique ci-dessus, l’ASS enregistre globalement une croissance de son PIB par habitant depuis 1990. Cependant, le Mali qui a connu un coup d’Etat en 1991 n’a pas suivi cette tendance avant 1996. En l’absence de coup d’Etat depuis cette année, le Mali a suivi la même tendance croissante que l’Afrique sub-saharienne. Ce qui implique qu’en absence de coup d’Etat, le PIB par habitant d’un pays comme le Mali évoluerait de la même manière que celui de l’ASS. Cette même conclusion est applicable à la Mauritanie  où le PIB par habitant a également suivi la même tendance que celui de l’ASS avant l’avènement du premier coup d’Etat de la période en 2005. A partir de cette année, on ne note pas une régression mais plutôt un décrochage par rapport à la croissance enregistrée par l’ASS. Quant au Niger, qui a enregistré cinq coups d’Etats depuis son accession à l’indépendance dont trois après 1990, son PIB par habitant est resté constant contrairement à celui de l’ASS.

De façon quantitative , l’occurrence d’un coup d’Etat conduit en moyenne à un décrochage du PIB par habitant de 1 à 18% par rapport à celui de l’ASS. Plus précisément, les coups d’Etat répétitifs au Niger ont contribué à faire décrocher son PIB par habitant de 15%, alors que celui de la Mauritanie en 2008 a engendré un décrochage de 43% par rapport au PIB par habitant de l’ASS. On note par contre que pour les trois pays objet de cette analyse, l’occurrence des coups d’Etat n’a pas eu d’impact sur l’inflation, ni sur les investissements directs étrangers (IDE). Ces résultats expliquent bien la stagnation du PIB par tête. Toutefois, le résultat obtenu sur les IDE, dont dépendent fortement l’ensemble des pays d’ASS, reste à nuancer. En effet, dans les conditions économiques de ces pays, les IDE devraient connaitre une tendance croissante. Dès lors, leur stagnation peut être le résultat d’un retrait des nouveaux investisseurs à cause du risque élevé.

En définitive, il ressort que les coups d’Etat constituent un frein au développement économique. Ils n’ont pas un impact significatif sur le bien-être des populations dans le court-terme, ce qui pourrait expliquer le soutien d’une certaine partie de la population aux mutineries. En réalité, le coût d’un coup d’Etat se retrouve dans le long terme à travers une stagnation du niveau de vie et une paupérisation relativement aux autres pays. Il faut donc qu’à l’avènement d’un coup d’Etat, la résistance citoyenne devienne le plus sacré des droits et le plus impératif des devoirs. Plusieurs autres alternatives existent dans une démocratie pour régler les contentieux, le Sénégal en est un bel exemple.

Georges Vivien Houngbonon

Article initialement publié le 3 avril 2012

Crédit photo : Source: Belga