Le Cancer du Développement

Pendant que les débats sur le développement se focalisent sur la croissance économique, l’Afrique héberge plus des deux-tiers des personnes vivant avec le VIH-SIDA dans le monde. De plus, certains pays voient le nombre de leurs citoyens atteints par la maladie augmenter. Quelles sont les implications sociales de cette pandémie ?

Alors que des efforts substantiels sont consentis chaque année pour relever le niveau de vie des populations d’Afrique sub-saharienne, il est une pandémie qui annihile tous les progrès obtenus en termes de développement humain. Le VIH-SIDA, qui affecte 33 millions de personnes dans le Monde dont plus des 2/3 en Afrique, décime une bonne partie de la population Africaine en dépit des mesures prises pour réduire sa prévalence. Comme le montre le graphique ci-contre, le nombre de personnes vivant avec le VIH-SIDA continue d’augmenter dans certains pays. Paradoxalement, cette dynamique n’est pas toujours en concordance avec l’évolution du PIB. C’est ainsi que des pays comme le Botswana ayant un fort taux de croissance du PIB connaît également une augmentation du nombre de personnes vivant avec le VIH-SIDA.

Cette situation présente deux implications majeures. D’une part, en moyenne, les populations à risque bénéficieront moins des fruits d’une croissance éventuelle puisqu’elles vivront moins longtemps. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’espérance de vie à la naissance à fortement chuté dans les pays ayant connu un fort taux de prévalence du VIH-SIDA. En moyenne, l’espérance de vie à la naissance est passée de 60 à 45 ans entre 1985 et 2005 ; soit une baisse de 15 ans sur une période de 20 ans. Ces pays ont ainsi perdu en 20 ans, des années de vie qu’il a fallu 30 ans pour gagner. Cette perte devrait être plus importante dans la population à risque. Ainsi, une personne n’ayant pas choisi de naître dans l’un de ces pays a très peu de chances de vivre au-delà de 45 ans. Il s’agit là d’une injustice sociale liée à la faible performance des politiques publiques mises en place pour endiguer la propagation de la pandémie.Par ailleurs, cette injustice ne se limite pas uniquement aux seules personnes infectées puisque tout leur entourage court aussi le risque d’être infecté, notamment les enfants et par-dessus tout, les générations à venir. En effet, comme l’indique le graphique ci-dessous, il a fallu environ 30 ans pour gagner 15 années de vie supplémentaires. Ce qui implique que dans les mêmes conditions économiques et sociales, il faudra attendre 2045 pour que les nouvelles générations aient la même espérance de vie que celle de leurs parents nés avant 1990. Pour ceux qui devront avoir un parent né entre 1990 et 2000, il y a des chances qu’ils ne voient pas le jour ou qu’ils soient orphelin(e)s.

 

D’autre part, l’absence de lien entre la performance économique et la prévalence du VIH-SIDA appelle à accorder une attention particulière à cette pandémie. En effet, il est d’usage de se réjouir lorsqu’un pays fait des taux de croissance élevés. Même s’il existe aujourd’hui un consensus sur l’importance de la dimension sociale dans le développement, très peu de regards critiques sont portés sur ces dimensions lorsqu’on se retrouve face à des taux de croissance records comme dans le cas du Botswana. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’il y ait une divergence entre l’évolution de la croissance et la prévalence de certaines pandémies comme le VIH-SIDA. Toutefois, avec l’érosion de l’espérance de vie, la productivité de la main d’œuvre est susceptible d’être moindre, ce qui constitue un frein à la croissance économique.

En définitive, très peu d’attention est accordée à la pandémie du VIH-SIDA. Même si les moyens de prévention sont largement vulgarisés, les données montrent une progression continue du nombre de personnes vivant avec la maladie. Cela présage d’une défaillance des politiques mises en œuvre jusqu’ici. Serait-il intéressant d’étudier les politiques et stratégies mises en œuvre par le Zimbabwe qui est parvenu à réduire significativement le nombre de personnes vivant avec le VIH-SIDA de 1,7 millions en 2001 à 1,2 millions en 2009. L’enjeu est de taille, car les politiques de développement sont moins avantageuses si les personnes qui doivent en bénéficier ne vivent pas longtemps ; il est alors temps d’agir plus efficacement.

Georges Vivien Houngbonon