"Extra ecclesiam nulla salus"
Hors de l'Eglise, il n'y a point de salut
Il faut croire que le Pape écoute Shakira, ou qu'à tout le moins la folie du "Waka-Waka, This time for Africa" a finalement saisi le Vatican. Il ne se passe pas un jour, depuis l'annonce de la démission/renonciation imminente de l'Evêque de Rome, Benoît XVI le 10 février dernier, sans que la presse ne nous inonde d'informations sur la probabilité que le prochain Souverain Pontife soit originaire d'Afrique. Nous aurons appris ainsi, première nouvelle pour beaucoup d'entre nous, que l'Afrique avait déjà donné trois Papes à l'Eglise Catholique (Victor I, Miltiade et Gélase I – tous berbères nés en Afrique du Nord) et que les Cardinaux Francis Arinze du Nigéria et Peter Turkson du Ghana sont, aujourd'hui, les favoris des "bookmakers" pour la succession de Benoît XVI.
L'enthousiasme que suscite cette possibilité, dans les médias, a quelque chose de puéril. Peu importe ce que pensent ces "papables". Peu importe leur intelligence. Peu importe leur influence. Ce qui compte c'est qu'ils soient Africains, et qu'enfin, il puisse y avoir un "Pape Noir". Peter Turkson alla même jusqu'à dire qu'après Obama et Kofi Annan, il est peut-être dans l'ordre des choses que cela se produise. Modeste en plus, Turkson…
Seule une minorité s'inquiète du fait que ni Turkson, ni Arinze ne soient à proprement parler des "reformateurs" (un vieil adage du Vatican veut qu'il n'y ait que trois catégories de cardinaux : les ultra-conservateurs, les très-conservateurs et les conservateurs). Ou même que Turkson ait eu l'imprudence (ou la bêtise), durant un séminaire en octobre 2011, de présenter une vidéo absolument idiote et vaguement conspirationniste alertant sur les dangers de l'expansion de l'Islam en Europe. Ou qu'il considéra comme une simple "exagération", le projet de loi débattu par le Parlement ougandais qui souhaitait instaurer la peine de mort pour les homosexuels.
Peu de gens prêtent l'attention qu'il mérite au fait que c'est d'une seule et même voix, stridente et consternée que les cardinaux Africains ont condamné la très modérée critique adressée par Ban Ki-Moon à certaines politiques sociales en Afrique. De la Guinée au Ghana et de Dakar au Cap, tous les "Papes Africains" en puissance ont décidé de soutenir les dogmes de l'Eglise Catholique, qu'il s'agisse de la répartition des rôles au sein de la famille, de la filiation, du droit des genres, de la contraception ou du VIH. Ils sont accouru de la même façon en 2009, à la défense de Benoît XVI, lorsqu'il affirma que la distribution massive de préservatifs ne réglerait pas la question du VIH en Afrique et pourrait même l'aggraver. Il suffit enfin de voir la révolte menée par le Nigérian Peter Akinola, au sein de l'Eglise Anglicane contre l'ordination des femmes, par exemple, pour se rappeler cette autre évidence : la plupart des religieux Africains qui accèdent aux plus hautes sphères de l'Eglise sont généralement parmi les plus conservateurs et dogmatiques qui soient.
Et après tout, c'est peut-être leur rôle. Et dans les limites de leur sacerdoce et de leurs voeux, ils avaient probablement raison. Dans une société laïque, personne ne doit attendre l'autorisation du clergé, ni pour aimer, ni pour mourir, ni pour espérer. La vieille formule "Forniquez si vous voulez, mais ne demandez pas au Pape de tenir la lampe" est plus vraie que jamais.
Mais, en quoi exactement l'élévation d'un de ces cardinaux conservateurs et rétrogrades au statut de Pape et leur accès à cette autorité seraient une bonne chose pour l'Afrique ou pour le monde, me dépasse. S'imagine-t-on un instant qu'ils appelleront à une révolution séculaire en Afrique? Espère-t-on qu'ils adopteront une attitude plus "ouverte" sur le VIH ou la sexualité? Pense-t-on vraiment qu'ils lutteront pour une plus stricte séparation entre pouvoir religieux et politique? Qui rêve un instant qu'ils orienteront les invraisemblables ressources financières du Vatican en faveur du développement de l'Afrique?
Et même si tel était le cas, qu'est-ce que ça changerait? Le problème ce n'est pas tellement l'homme. C'est l'institution, la survivance de cet archaïsme qu'est l'infaillibilité pontificale. C'est la grossièreté de la succession apostolique qui exclut les femmes de l'exercice de la prêtrise. C'est la religion elle-même qui proclame qu'en dehors d'elle, il n'y a point de salut.
C'est déjà triste qu'il y ait encore un Pape. Mais que diable allons-nous faire d'un Pape Africain? Encore moins de Turkson ou d'Arinze comme Pape Africain. Tant qu'un Européen sortait une autre "adresse" ou lettre à l'Afrique, on avait à la rigueur, la consolation de savoir qu'il s'agissait d'un… autre Européen s'adressant à l'Afrique. "Bah, encore un autre discours sur l'Afrique."
Mais si même le Pape est Africain…