Autopsie d’un sommet

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Credit photo: AFP/Jim Watson

Je n’ai pas de réelle réticence à ce qu’il y ait des sommets entre l’Afrique et les grandes puissances. Qu’elles soient chinoises, russes, françaises ou américaines, je n’en ai pas l’urticaire jusqu’à crier au scandale, à la soumission, à l’esclavage nouveau et au larbinisme économique ; sémantique à la mode, portée par la meute des colériques irrigués par l’afro-sectarisme ambiant. Cette candeur est coupable. Pour ce type de réaction fiévreuse et acnéique, dont se font le relais quelques défenseurs autoproclamés de la souveraineté du continent, j’éprouve – je dois dire – assez d’indifférence quand ce n’est pas souvent du mépris.

J’ai toujours appréhendé ces rencontres comme de banals et d’indispensables protocoles économiques comme le veut la dictée du capitalisme. Ses lois de l’offre et de la demande, ses équations entre ressources et forces d’exploitation, ses incontournables noces entre dominants et dominés, pour faire revivre la mouture marxiste de cette binarité. Dans cette jungle, il n’y a de place ni pour l’émotion, ni pour le ressentiment, encore moins pour la naïveté des bons sentiments.

Obama, élevé au rang de père de ce banquet, par la taille de son chéquier, son influence et le charme magnétique qu’il emporte, convoquait de petits présidents enfants africains, élèves irréguliers, comptables tous ou presque, de l’échec de leur pays. Il ne fallait s’attendre à autre chose qu’à un sermon en bonne et due forme, enrobé dans le velours des promesses économiques.

Quand ils restaient insipides, comme ils le sont toujours d’ailleurs, à mâcher dans les formules économiques, à parler chiffres, ces sommets sont chiants. Sans intérêt. Bien souvent, les espoirs qu’ils suscitent, crèvent dans le silence des lendemains de gouvernances locales défectueuses. Ce volet économique par conséquent, quelque central soit-il dans les tables rondes, est secondaire, quand les acteurs daignent parler des sujets qui fâchent. Et Obama a osé, certes timidement, mais il a lancé quelques sondes et titillé quelques barons africains. C’était assez rafraichissant.

Dans sa séduction folle et forcément complaisante, la Chine n’a d’amour que pour la terre d’Afrique, elle a le mérite de la non-duplicité. Lâche et prisonnière de son passé françafricain, la France est inaudible et peu crédible à donner des leçons. Les USA ont plus de ressources dans ce domaine. Quand bien même les desseins de prédation prévalent toujours, j’ai vu chez Obama une volonté de questionner les présidents africains, qui sur leurs rapports au pouvoir, qui sur certaine tares locales contre lesquelles ils ne démontrent aucun empressement.

Premier à la barre, l’ami Blaise Compaoré. Attrait devant l’opinion mondiale sur ces velléités anticonstitutionnelles, il répond avec aplomb qu’il faut « des hommes forts pour des institutions fortes ». Il invoque ensuite la chronologie historique de la ségrégation raciale aux USA pour signifier à son juge qu’il n’est pas non plus vierge de tout soupçon. C’est presque du Sankara dans le texte : Compaoré ressuscite le souverainisme de son pays et le droit à la différence pour s’émanciper de ces propres forfaits politiques, qui l’eût cru ? Le tour opère. Invoquer toujours sa réalité différente, c’est un gage au succès intarissable en Afrique.

Macky Sall ne peut la manquer. Auditionné pour le sort des homosexuels et l’opportunité d’une dépénalisation, le président sénégalais, sans sourciller, tranche la question : « l’homosexualité est derrière nous ». La phrase fait suite à l’échange viril quelques mois plutôt entre Obama et Sall, où Macky expliquait la destination carcérale évidente pour les gays au motif d’une culture « pas prête ».

A Kagamé, autocrate au vent en poupe, on ne dit rien. En complétant sa mutation de tutelle coloniale vers les USA, et en invoquant le traumatisme post-génocide rwandais comme explication de l’inflexibilité quasi-dictatorial de son régime, il apparaît comme le favori. Tapis rouge et au suivant. Le suivant c’est Yaya Jammeh, siège multipathologique, Obama renonce devant cette incompétence brute. Les autres s’inspirent des précédents, peu à peu, le silence étouffe les inclinations de justiciers de Washington.

Et je me suis plu à imaginer ce qu’auraient été les réactions des indésirables, pas invités au sommet, à la manière d’un Mugabé… Pour finir, une photo : on passe devant l’objectif pour immortaliser quelques clichés dans les ors de Washington. A la marge du sommet, Obama femme sermonne gentiment les tares africaines domestiques, à la façon de l’excision.

En se voulant gendarme et pas seulement rapace économique, Obama n’est pas allé au bout de sa volonté, si elle existait. Par impuissance et pour realpolitik, je ne sais. Toujours est-il que ce sommet révèle une chose : la systématique réponse des gouvernants d’Afrique quand on leur rappelle leur palmarès macabre, de tous les héros par extension du continent, dans un mélange et un confusionnisme inédit : la lutte pour la souveraineté, la défense de la tradition, celle de la culture. Ce mensonge abolit les frontières entre les vrais mérites et les usurpateurs, entre Sankara et Compaoré. On tient là le piège de l’identitarisme forcené et le sursis hélas, des bourreaux de cette terre.